Il est ressuscité !

N° 248 – Octobre 2023

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


CAMP NOTRE-DAME DE FATIMA 2023

Une lecture historique,
vivante et religieuse de l’Évangile

UNE LECTURE HISTORIQUE, VIVANTE 
ET RELIGIEUSE DE L’ÉVANGILE

TOUT au long de sa vie de disciple de saint  Charles de Foucauld, notre Père a vécu l’Évangile, et il n’a cessé, depuis notre fondation, de nous l’expliquer, afin de fixer notre regard sur Notre-­Seigneur Jésus-Christ et sa Divine Mère, et de nous appliquer à les connaître, à vivre en leur présence, afin de les aimer et servir parfaitement, nous attacher à eux et demeurer avec eux, de jour en jour... Toujours, toujours, toujours...

En particulier, à la fin de sa vie, quand déjà la maladie l’affaiblissait, il aimait prêcher sur l’Évangile, pour en retrouver la simplicité, qui voile des mystères infinis, c’est pour cela qu’il m’a fait beaucoup travailler. Ainsi, le 6 février 2000, notre Père commentait le premier article où j’affirmais que la vie publique de Notre-Seigneur n’avait pas duré trois ans, mais un an seulement (L’Épiphanie du Sauveur, CRC n° 364, février 2000). Il disait :

« Frère Bruno, vous achevez votre article en nous donnant rendez-vous à la prochaine session biblique, si l’on peut dire, pour continuer cette vie de Jésus que l’amour rendait dévorante. Caritas Christi urget nos. Jésus se précipite d’une chose à l’autre pour obéir à son Père en toute chose et accomplir son Évangile. Et bientôt, tout sera achevé. Nous allons être pris dans cette angoisse, dans cette accélération de l’histoire. Tout va aller très vite et bientôt, Jésus quittera les hommes après les avoir vus si peu de temps que les générations n’ont pas voulu y croire. Jésus serait resté trente ans pile sur terre. Ce n’est pas beaucoup, et une seule année de vie publique, pour tout faire ? Ce n’est pas possible ! Il semble pourtant que si.

« Jésus était pris dans cette angoisse de l’évangélisation et il était pressé d’en finir avec son ennemi qu’il allait rencontrer personnellement sur la Croix, après sa sainte agonie. Jésus était un athlète, il était un sage, il était un martyr, le plus doux des hommes, le plus chaleureux, et les hommes l’ont rejeté. Tout de même, certains furent fidèles. »

C’est maintenant qu’a lieu cette « session biblique », naguère annoncée par notre Père, nous allons continuer cette « vie de Jésus », à son école, et dans son esprit, en faisant une lecture historique, vivante et religieuse de l’Évangile. C’est ce qu’il a lui-même pratiqué avec une Intelligence des textes inspirés comparable à celle des docteurs de l’Église, tellement salutaire dans la déchéance actuelle de l’exégèse, que nous n’hésitons pas à dire qu’il fut lui-même inspiré pour rendre à ceux qui veulent bien l’écouter la compréhension et le goût, la saveur, la sagesse salutaire de cette Révélation.

UNE LECTURE HISTORIQUE.

Cette sagesse est d’abord fondée sur la certitude de la véracité parfaite des quatre Évangiles, de saint Matthieu, saint Marc, saint Luc et saint Jean, qui sont les documents les plus fiables de l’historiographie universelle. Parce qu’ils ont Dieu pour Auteur.

La trame de leur récit est d’une Sagesse divine, folie aux yeux des hommes, qui n’aurait pu jaillir d’une intelligence humaine, encore moins emporter la foi de millions de catholiques pendant deux mille ans, si cela n’avait été l’œuvre de Dieu.

Qui aurait inventé que le Fils de Dieu venu sur la terre passe vingt-neuf ans dans une bourgade de campagne, pauvre, abjecte, sans laisser aucun témoignage sur cette tranche de son existence ? C’eût été si facile d’inventer... Qui aurait imaginé que le Messie annoncé par les prophètes comme le Triomphateur, le Roi victorieux de la terre entière, marche volontairement à l’échec, à la mort, à la désaffection des siens, et disperse même les foules qui l’acclament comme roi ? Et qu’enfin, il se livre à ses ennemis, se laisse outrager, torturer, et qu’il meure sur une Croix, le supplice des esclaves ! C’est si mystérieux, si contraire à la sagesse humaine que les Apôtres eux-mêmes en ont un moment perdu la foi. Certes, Il est ressuscité, mais une fois données les preuves de sa résurrection, Il remonte vite au Ciel d’où Il est venu, laissant sur terre une poignée d’hommes sans force ni courage pour établir son Règne dans le monde. Ils n’ont pu s’atteler à cette tâche qu’après le don de l’Esprit de Dieu, à commencer par saint Pierre disant aux juifs le jour de la Pentecôte : « Jésus le Nazoréen, que Dieu a accrédité auprès de vous par des miracles [...], cet homme, vous l’avez pris et fait mourir en le clouant à la croix par la main des impies, mais Dieu l’a ressuscité, le délivrant des affres de l’Hadès. » (Ac 2, 22-24)

Il a fallu encore un miracle de la grâce pour que les trois mille âmes qui écoutent cette réprimande reconnaissent leur crime, se convertissent et demandent le baptême. Comme il a fallu que l’Esprit-Saint demeure à l’œuvre pour que l’Église s’étende sur toute la surface de la terre et emporte l’adhésion des peuples à cet Évangile de pénitence, de souffrance acceptée, de renoncement aux biens de ce monde, message tellement contraire aux aspirations humaines ! C’est la preuve de l’action de Dieu qui se révèle par l’Évangile, et qui touche les cœurs de ceux qui le reçoivent de la main de ses ministres, en raison du dogme de l’inspiration divine de la Sainte Écriture, aujourd’hui complètement méconnu, mais fidèlement rapporté par l’abbé de Nantes, notre Père, telle qu’il l’a apprise au séminaire où il est entré en 1943 :

« La sainte Bible, ensemble des textes inspirés, a pour auteur principal Dieu Lui-même, et pour auteurs secondaires – non pas pour cause instrumentale, pour pinceau ou pour stylet, mais pour auteurs secondaires – des hommes choisis qui les ont dits, dictés, enfin écrits. Voilà le premier principe de toute exégèse catholique. Et le second lui est semblable, il se tire tout entier du premier : la sainte Bible ne peut contenir aucune erreur et à plus forte raison aucune tromperie, elle est absolument digne de foi et de confiance, plus qu’aucune science humaine et même à l’encontre de tout autre enseignement humain. Je dis humaine et humain parce que la Bible est aussi, ne l’oubliez pas, pensée humaine, langage humain, écriture humaine, sans pour autant cesser d’être divine en toutes ses parties ! Comme Jésus-Christ, la Parole de Dieu qui nous a été donnée, est vrai Dieu et vrai homme, parfaitement homme sans cesser d’être parfaitement Dieu. Le mystère des écrits inspirés rejoint le mystère de l’Incarnation et se trouve éclairé par lui. » (Mémoires et récits, t. II, p. 54-55)

SAINT MATTHIEU, « LA LOI DU ROYAUME »

En ce temps-là, « étant sorti de Capharnaüm, Jésus vit, en passant, un homme assis au bureau de la douane, appelé Matthieu, et Il lui dit :  Suis-moi !  Et se levant, il le suivit. » (Mt 9, 9)

Ainsi, en un seul verset, saint Matthieu rapporte les quelques instants, d’une simplicité divine ! qui ont bouleversé toute sa vie. Car, quelques semaines plus tard, Notre-Seigneur le choisira pour être l’un de ses Apôtres, c’est-à-dire pour le suivre tout au long de sa vie terrestre comme témoin de ses paroles et de ses gestes. Et après la grande épreuve de la Croix, après la Résurrection, Matthieu entendra son Maître leur dire :

« Allez, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant au Nom du Père, du Fils et du Saint-­Esprit ; leur enseignant à garder tout ce que je vous ai prescrit. Et voici que moi, je suis avec vous jusqu’à la fin du monde. » (Mt 28, 19-20).

C’est pour répondre à cet ordre que saint Matthieu a écrit son évangile, qui est le témoignage de tout ce qu’ont vu et entendu les Douze, particulièrement les discours de Jésus, tout ce qu’il leur a prescrit, et que lui, ancien fonctionnaire d’un bureau de péage, familier des écritures, avait pris en note. Il a pu rédiger en grec, parce que Notre-Seigneur lui-même parlait cette langue très répandue dans tout l’Empire, certaines de ses tournures de phrase en témoignent (cf. Bible, archéologie, histoire, t. 1, p. 110).

Saint Matthieu a certainement écrit très tôt : le plus ancien manuscrit connu de son évangile, dont un fragment, conservé au Magdalen College d’Oxford, a été daté en 1994 par le papyrologue allemand Carsten Peter Thiede de l’an 66. Mais déjà son texte était en usage dans la communauté primitive : on discerne son influence sur les premières épîtres de saint Paul (aux Thessaloniciens, en 50-52), et aussi sur un écrit de référence des premiers chrétiens, la Didachè, daté de la première génération apostolique par l’abbé J.-P. Audet (La Didachè, instruction des Apôtres, Gabalda, 1958). Il y est fait référence à “ l’Évangile ”, qui contient “ les commandements du Seigneur ”, que Matthieu a particulièrement mis en valeur. De plus, dans la Didachè, la prière du Notre-Père est telle qu’on la trouve dans le texte de saint Matthieu. Le premier Évangile a donc certainement été écrit et connu par l’Église primitive avant l’an 40, peut-être même avant l’an 35 (cf. Bible, Archéologie, Histoire, t. 1, p. 110), donc sous le contrôle de ceux qui avaient vu et connu Jésus tout au long de sa vie publique, et qui auraient démenti aussitôt toute invention, tout faux témoignage.

Nous pensons même qu’il a écrit au nom des Douze, sur l’ordre de Pierre : son évangile si complet, si construit, ouvrage de référence de la communauté primitive, n’est pas le témoignage d’un homme seul, comme celui de Marc.

LE MYSTÈRE DU FILS DE DIEU INCARNÉ.

Dans une conférence prononcée en 1968, notre Père expliquait la difficulté devant laquelle se trouvaient les évangélistes : il leur fallait transmettre par écrit le mystère de la Personne de Jésus-Christ, Fils de Dieu Sauveur, mystère qui les a véritablement subjugués, surtout saint Matthieu, à qui un regard et deux mots de Jésus ont suffi pour tout quitter et le suivre jusqu’à la mort ! Comment manifester le mystère de cette présence, comment faire connaître ce Dieu fait homme, dans sa Majesté, mais aussi dans sa simplicité ? C’est le but premier des quatre évangiles, qui a particulièrement influencé la rédaction de saint Matthieu.

Notre Père disait : « Jésus n’a jamais paru à personne, de son temps, un homme ordinaire dont on épuise rapidement le tout, dont on devine l’intime, dont on fait le tour. Jamais, jamais, bien évidemment ! Les Apôtres l’ont eu, Lui, dans sa totalité vivante, dans toute sa perfection, dans toute l’ampleur de son Mystère, dans toute l’ampleur de la Révélation que sa Personne donnait de son Mystère ; ils l’ont eu dès le premier jour, et, si j’ose dire, c’est là-dessus qu’ils ont travaillé.

« Après la résurrection et surtout après la Pentecôte, ils ont donc retrouvé la simplicité humaine des événements, mais cette fois en en comprenant toute la part mystérieuse, tout ce qui, à ce moment-là, leur avait semblé comme une  aura ”, comme une Gloire, comme une dignité indicible, dont ils ne comprenaient pas le fond.

« Il ne s’agit donc pas d’une mythisation postérieure, comme le prétendent les modernistes, mais d’une expression enfin adéquate de ce qui était seulement ressenti d’une manière indicible. »

Saint Matthieu, pour mettre son lecteur en face de ce Mystère, a donné à son récit une atmosphère très religieuse, hiératique, presque liturgique. Rien ne lui a semblé plus convenable que ce style dépouillé, tout centré sur la Personne de Jésus, comme subjugué par elle, et semblant n’accorder qu’une importance accessoire à tout ce qui l’environne. Il fuit le pittoresque, l’anecdotique, parce qu’il a conscience d’écrire un texte sacré, la nouvelle Loi, accomplissement de l’Ancienne, c’est pourquoi il a pris modèle sur le Deutéronome en composant son évangile autour de cinq discours majeurs. Dans cette perspective, pour saint Matthieu, la chronologie est très secondaire, il place les gestes et les paroles de son Maître en fonction de son souci d’exprimer, de révéler ce mystère de Notre-Seigneur, plutôt que de raconter Son histoire au jour le jour.

Une autre caractéristique frappante du récit de saint Matthieu contribue à cette atmosphère sacrée : ce sont des paroles, des phrases mystérieuses de Jésus, advenues dans le cours des événements, mais qui en dépassent infiniment le cadre par leur profondeur divine.

Comme exemple, revenons au récit de la vocation de saint Matthieu racontée par lui-même :

« Comme Il était à table dans la maison, voici que beaucoup de publicains et de pécheurs vinrent se mettre à table avec Jésus et ses disciples. Ce qu’ayant vu, les Pharisiens disaient à ses disciples :  pourquoi votre Maître mange-t-il avec les publicains et les pécheurs ?  Mais Lui, qui avait entendu, dit :  Ce ne sont pas les gens bien portants, qui ont besoin de médecin, mais les malades. Allez donc apprendre ce que signifie : c’est la miséricorde que je veux, et non le sacrifice. En effet, je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. ” » (Mt 9, 10-13)

Parole mystérieuse, qui n’est pas uniquement une réponse au mauvais esprit des pharisiens ! Jésus, donc, est venu, mais d’où ? Certes, il renvoie ses contempteurs à leur étude de la Loi en leur citant un verset du prophète Osée sur la préférence de Dieu pour la miséricorde plutôt que pour le sacrifice, mais il continue : « En effet, je ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs. » Un homme quelconque aurait pu citer cette phrase de l’Écriture, mais il aurait dit ensuite : « donc, Dieu appelle les pécheurs... »

Il faut méditer, s’arrêter sur cette parole pour comprendre que Jésus affirme son autorité divine, avec une simplicité que nul homme n’aurait pu inventer. D’une réflexion pleine d’aigreur et de suspicion des pharisiens, Il s’élève à la Révélation du mystère de sa Personne, et de sa mission. C’est sur de telles “ perles ” que saint Matthieu a centré ses récits des gestes de Jésus.

Un autre effet tout à fait remarquable de la composition de cet évangéliste est de faire ressortir la cohérence historique du plan de Dieu : le passage insensible de l’Ancien Testament, imparfait et transitoire, à la Nouvelle et Éternelle Alliance. Jean-Baptiste apparaît d’abord, puis Notre-Seigneur, qui prêche dans les mêmes termes que Jean-Baptiste : « Repentez-vous, car le Royaume des Cieux est tout proche. » (3, 2 ; 4, 17) La continuité est soulignée lorsque Notre-Seigneur envoie les Apôtres : « Chemin faisant, proclamez que le Royaume de Dieu est tout proche. » (10, 7)

Ainsi, une attention particulière envers Pierre va peu à peu estomper la grande place occupée par Jean-Baptiste dans le début de l’évangile.

Jean-Baptiste, Jésus, Pierre, dans cette succession l’évangéliste souligne un dessein général, une mise en scène supérieure. L’extraordinaire chapitre 11 expose la vocation du Baptiste et son éloge par Notre-Seigneur, tandis que ce plan de Dieu s’établit dans une contradiction tragique avec les pharisiens. Dès le début de l’évangile, la violence de l’opposition éclate :

« Engeance de vipères, lançait sans préambule Jean-Baptiste aux pharisiens, qui vous a suggéré d’échapper à la Colère prochaine ? » (3, 7) Au milieu du généreux climat de l’avènement tant attendu du Royaume des Cieux, où l’aveugle retrouve la vue, et le boiteux marche, quel choc ! Et la contradiction demeurera et ira croissant jusqu’à la Croix.

« Depuis les jours de Jean le Baptiste jusqu’à présent, le royaume de Dieu souffre violence, et des violents s’en emparent. Tous les prophètes en effet, ainsi que la Loi, ont mené leurs prophéties jusqu’à Jean. Et lui, si vous voulez m’en croire, il est cet Élie qui doit revenir. Que celui qui a des oreilles entende ! » (11, 12-15)

Alors, voici le jugement de Notre-Seigneur sur cette génération qui n’a pas accueilli Jean-Baptiste, disant : « Il est possédé ! » et qui ne Le reçoit pas davantage : « C’est un ami des publicains et des pécheurs ! Mais justice a été rendue à la Sagesse par ses œuvres. »

Oui ce plan de Dieu est admirablement suggéré dans cet Évangile où saint Matthieu excelle à rendre présent et acteur « votre Père qui est dans les Cieux ». Notre-Seigneur suit sa volonté comme un Fils obéissant : « Laisse, dit-il à Jean-Baptiste au jour de son baptême, c’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir toute justice. »

Le plan divin se déroule à la lettre, tandis que Jean-Baptiste disparaît (chapitre 14), saint Pierre marche sur les eaux, invité par Notre-Seigneur, avant d’émettre cette profession de foi qui ne lui est venue « ni de la chair ni du sang, mais de mon Père qui est dans les cieux » :

« Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. » (Mt 16, 16)

La Révélation est reçue. Notre-Seigneur a achevé la première partie de son œuvre. C’est le tournant de l’évangile. « À dater de ce jour, Jésus commença de montrer à ses disciples qu’il lui fallait s’en aller à Jérusalem, y souffrir beaucoup... » (16, 21)

Le reste de ses enseignements et gestes ira à l’institution de l’Église par la formation de ses Apôtres. C’est uniquement en saint Matthieu qu’apparaît le mot Église, à deux reprises. Son récit nous fait comprendre le grand labeur que Notre-Seigneur est venu accomplir sur la terre : fonder la nouvelle communauté de salut qui doit conquérir le monde entier.

L’évangéliste a su montrer comment le mystère de la Rédemption est omniprésent dès le début de l’Évangile. Le baptême de Notre-Seigneur le plonge dans l’océan de nos péchés : « C’est ainsi qu’il nous convient d’accomplir toute justice. » (3, 15)

La Tentation au désert est celle de sortir de la condition que Jésus a lui-même embrassée par l’Incarnation pour se revêtir de notre condition pécheresse : « Si tu es Fils de Dieu... » insiste par trois fois Satan.

Ce dévouement se manifeste même dans les miracles de guérison dont l’évangéliste tire la leçon par l’Écriture : « Il guérit tous les malades, afin que s’accomplît l’oracle d’Isaïe le prophète :  Il a pris sur lui nos infirmités et s’est chargé de nos maladies ”. » (8, 17)

Saint Matthieu n’omet jamais une parole ou un geste de Notre-Seigneur révélant son Cœur, jusqu’à cette ultime promesse d’un réconfort invincible, d’une souveraine majesté : « Et voici que moi, je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde. » (28, 20)

SAINT MARC, FIDÈLE SECRÉTAIRE DE SAINT PIERRE

Papias, évêque d’Hiérapolis durant la première partie du deuxième siècle, homme vénérable de l’Église primitive, disait : « Marc, devenu l’interprète de Pierre, a écrit avec exactitude, mais pourtant sans ordre, tout ce dont il se souvenait de ce qui avait été dit ou fait par le Seigneur. Car il n’avait pas entendu ni accompagné le Seigneur ; mais, plus tard, comme je l’ai dit, il a accompagné Pierre. Celui-ci donnait ses enseignements selon les besoins, mais sans faire une synthèse des paroles du Seigneur. De la sorte, Marc n’a pas commis d’erreur en écrivant comme il se souvenait. Il n’a eu en effet qu’un seul dessein, celui de ne rien laisser de côté de ce qu’il avait entendu et de ne tromper en rien dans ce qu’il rapportait. »

PRIS SUR LE VIF !

Les exégètes modernistes reculent tant qu’ils peu­vent la date de rédaction des Évangiles, par exemple l’abbé Perrot, qui affirmait sans aucune hésitation, au cours d’une émission de la série blasphématoire Corpus Christi, que l’évangile selon saint Marc, le plus ancien selon lui, avait été écrit aux environs de l’année 70. Pour laisser le temps nécessaire aux rédacteurs supposés des “ inventions ” de la “ communauté primitive ” destinées à nous “ faire comprendre ” leur “ expérience du Ressuscité ”.

Un seul sigle suffit à renvoyer au diable leurs élucubrations antichrists : 7Q5, abréviation qui désigne le fragment numéro 5 d’un papyrus découvert dans la grotte numéro 7 de Qumrân. Notre Père qualifiait ce débris de Don Royal de Jésus à son Église : en effet, sous l’humble apparence de ce papyrus fin, très abîmé et disloqué à droite, vestige d’un rouleau, car il est écrit d’un seul côté, un trésor est caché, une lumière qui suffit à dissiper les ténèbres où cent vingt ans d’exégèse moderniste ont voulu enfermer l’Écriture sainte.

C’est en 1971 que le Père O’Callaghan, jésuite de l’Institut Biblique Pontifical, a identifié le texte que l’on peut déchiffrer sur ce papyrus : à n’en pas douter, les quatre lettres NNHC de la ligne 4, se superposent parfaitement aux mêmes lettres du mot ΓΕΝΝΗCAPET, “ Gennésareth ”, localité mentionnée uniquement dans le Nouveau Testament.

Dès lors, trois possibilités, trois références seulement : Mt 14, 34 ; Mc 6, 53 ; Lc 5, 1.

Surprise divine ! En Mc 6, 52-53, toutes les autres lettres du fragment, réparties sur cinq lignes, se superposent à des lettres identiques de ces deux versets lorsqu’on les dispose en cinq lignes. L’identification atteint ici à une probabilité astronomique, constituant une certitude absolue (théorème de Borel).

Or, ce fragment se trouvait déjà daté, depuis 1958, avant même toute identification, par les seuls critères de la papyrologie : non pas “ aux alentours de l’année 70 ”, mais vingt ans avant ! Les lettres sont tracées à l’encre noire en écriture onciale avec de petits crochets ornant les extrémités de certains traits. Les paléographes en dénomment le style “ ornemental ” : Zierstil (de 50 av. à 50 ap. J.-C.). Et le texte que l’on déchiffre témoigne, non pas d’une “ source ” mais d’un état achevé de la rédaction évangélique : le verset 52 termine le récit de la marche sur les eaux alors qu’au verset 53 commence celui des guérisons à Gennésareth. Ligne 3, l’espace vide qui précède KAI (“ et ”) témoigne de ce caractère rédactionnel : « Et ayant traversé... » Il correspond exactement à la coupure entre les versets 52 et 53.

Dans la même grotte fut retrouvée une grande jarre destinée à la conservation de ces manuscrits, marquée de l’inscription “ Rome ”, en caractères hébraïques, désignant la provenance ou la “ propriété ” de cette amphore. Donc, moins de vingt ans après ladite marche sur les eaux et lesdites guérisons à Gennésareth, sous le contrôle de la génération qui avait été témoin de ces événements inouïs, l’Évangile selon saint Marc était déjà copié et répandu dans les communautés du bassin méditerranéen.

Notre Père expliquait : les modernistes sont con­traints de nier, sans raison, cet argument scientifique, parce qu’à lui seul il anéantit toute leur théorie. On ne peut pas inventer un canular aussi incroyable qu’une tempête apaisée en prétendant que l’événement a eu lieu vingt ans auparavant. « Si je vous disais, l’abbé de Nantes, il y a quinze ans, a multiplié les pains, vous diriez, héé, pfft ! J’y crois pas ! Vous auriez bien raison d’ailleurs : j’en suis incapable ! » Et il concluait de cette découverte : la vraie science mène à Jésus-Christ.

La critique interne jointe à une étude historique minutieuse aboutit à dater la rédaction du deuxième évangile entre le premier séjour de saint Pierre à Rome (42-44), et le retour de Marc, son disciple et secrétaire, à Jérusalem, avant la fin de la “ visite de la collecte ”, en 46 ou 47 (Ac 12, 25). Nous savons en effet que saint Marc écrivit son Évangile à Rome, du vivant de Pierre, mais en son absence, à la demande de « ses auditeurs qui étaient nombreux », comme le rapporte l’historien Eusèbe qui ajoute :

« Ce que Pierre l’ayant appris, il ne fit rien pour l’empêcher, ni pour le pousser par ses conseils. »

LE TÉMOIGNAGE DE SAINT PIERRE.

Nous comprenons la confiance que mit saint Pierre en saint Marc en constatant que ce dernier a transcrit la prédication de son maître avec tellement de soin que son récit a toutes les marques du témoignage d’un homme qui a vécu ce qu’il raconte. On trouve dans cet évangile une connaissance parfaite de la topographie de la Terre sainte, au point que certains lieux ne nous sont connus que par lui : par exemple Dalmanoutha, où Jésus aborda un jour avec ses disciples (Mc 8, 10). Plus personne ne sait où c’est, saint Marc n’a aucune raison de mentionner ce lieu, si ce n’est parce que saint Pierre le connaissait bien, il l’avait encore dans le regard, il se rappelait très bien comment aborder là. Saint Marc raconte aussi des petits détails qui lui sont propres, qu’il aurait pu écarter s’il s’était permis de choisir les événements les plus à même de prouver la divinité de Jésus-Christ. Ce sont, par exemple, ce que notre Père appelait des miracles “ laborieux ”, où Notre-Seigneur doit faire toute une gestuelle pour guérir un malade ; lui mettre ses doigts dans les oreilles, de la salive sur la langue. Quand même, le Fils de Dieu aurait pu le guérir d’un clin d’œil, non ? Eh bien non, c’est ainsi que cela s’est passé, donc c’est ainsi que saint Pierre et saint Marc le racontent.

Dernier argument, très prégnant : saint Pierre, dans ces récits, paraît un homme à l’esprit fermé, présomptueux et finalement sans force ni courage, reniant son Maître. Il en est ainsi de tous les Apôtres. Racontant les faits, s’il avait eu un peu d’amour propre, saint Pierre aurait pu passer sous silence ce qui ne le mettait pas en valeur, ou bien saint Marc lui-même aurait pu occulter ce qui desservait la réputation de son maître : eh bien non, les premiers chrétiens entendaient avec stupéfaction le récit de ces faiblesses du chef de l’Église, vicaire de Jésus-Christ, qui a donné le sceau à son témoignage en mourant martyr le 13 octobre 64.

Le Père Lucien Deiss, spiritain, écrivait : « Avec l’évangile de Matthieu, on entrait dans un univers hiératique, telle une immense cathédrale, fondée sur la Loi et les prophètes, ornée de textes messianiques, dont les cinq grands discours formeraient les cinq nefs, et où l’on célébrerait la vie du Messie dans une liturgie royale, où l’on écouterait ses sentences pleines de saveur d’éternité, où l’on adorerait sa divinité. Avec Marc au contraire on débouche en pleine campagne galiléenne, dans le soleil et le vent, on marche avec Jésus sur les sentiers poussiéreux, on le suit sur les bords riants de la  mer  de Galilée. » (Synopse des évangiles, Desclée de Brower, 2007)

C’est bien dire que, dans ce témoignage très visuel, ces souvenirs dont saint Pierre avait encore l’image en mémoire, nous sommes transportés dans le petit groupe des fidèles qui vivaient avec Jésus et le suivaient partout. Au point que, poursuivi par la foule, Il n’a même plus le temps de manger (3, 20) !

Il dort sur le coussin, dans la poupe de la barque pendant la tempête (4, 38), ou bien il marche fermement vers Jérusalem devant ses disciples atterrés (10, 32). On voit l’aveugle Bartimée bondir en rejetant son manteau (10, 50), et le petit ânon du triomphe des Rameaux attaché près d’une porte, dehors, dans la rue (11, 4).

À la différence de saint Matthieu, saint Pierre a regardé Notre-Seigneur plus qu’il ne l’a écouté : il s’est donc attaché davantage à rapporter ses actes que ses paroles. C’est en nous rapportant ces gestes que saint Pierre et saint Marc nous introduisent dans le mystère fascinant de ce Fils de Dieu fait homme. Notre Père nous faisait remarquer l’attention portée sur les mains de Jésus, qui sont l’instrument du don de Dieu. À lire saint Marc, nous voyons aussi que saint Pierre a suivi le regard de Jésus, ce regard dont notre Père parlait souvent, parce qu’il « porte avec lui une révélation de la Sagesse et de l’Amour dont nous sommes l’objet », disait-il. Saint Pierre a vu son Maître promener son regard sur ses disciples assis autour de Lui, avant de les désigner comme sa vraie fratrie, à l’encontre de ses “ frères ” de Nazareth qui voulaient le ramener de force et mettre fin à l’Évangile (3, 34). Il a vu Jésus fixer un regard plein d’amour sur le jeune homme riche avant de l’inviter à le suivre (10, 21), comme il l’a vu jeter un regard de colère sur les scribes qui l’épiaient, afin de l’accuser, navré de l’endurcissement de leurs cœurs (3, 5).

« LE FILS DE L’HOMME DOIT BEAUCOUP SOUFFRIR. »

L’Évangile selon saint Marc est pisithanate, expliquait notre Père, c’est-à-dire qu’il penche vers la mort, il n’a d’autre horizon que les souffrances et la mort de Jésus sur la Croix. Après sa première annonce de la Passion, après la confession de saint Pierre, qui la précède, Notre-Seigneur paraît tout tourné vers ce but, il entraîne ses disciples d’une marche rapide en les avertissant :

« Le Fils de l’homme n’est pas venu pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude. » Ce verset 45 du chapitre 10 est le sommet de l’Évangile selon saint Marc, disait notre Père. C’est l’explication de l’empressement, de la “ course ” de Notre-Seigneur vers sa Passion.

Ceux qui le suivent doivent donc comprendre que Jésus annonce la souffrance, la persécution et la mort. Tel est désormais le point de fuite, le centre de la perspective : une Croix sur un horizon dévasté. Le disciple du Christ doit mourir, par fidélité à son Dieu et à l’Évangile, afin de vivre dans l’éternité. Tel est l’Évangile, la Bonne Nouvelle, et le récit de saint Marc nous ramène sans cesse à cette grande leçon.

Du point de vue de la chronologie, il ne semble pas que saint Marc ait voulu faire une composition élaborée du témoignage de saint Pierre. Son style comme sa narration sont abrupts. Cependant il semble que, dans les grandes lignes, il raconte les événements dans leur ordre d’apparition historique, si bien que saint Luc utilisera en partie cette narration pour faire son « exposé suivi » (Lc 1, 3).

SAINT LUC : « LE FRÈRE DONT TOUTES LES ÉGLISES FONT L’ÉLOGE. »

Dans sa deuxième épître aux Corinthiens, saint Paul annonce qu’il va leur envoyer Tite, son compagnon, pour recevoir leur participation à la Collecte faite au profit de l’église de Jérusalem. Et il envoie « avec lui le frère dont toutes les églises font l’éloge au sujet de l’Évangile. » (2 Co 8, 18) Il s’agit certainement de saint Luc.

Dans les épîtres de saint Paul, l’Évangile ne désigne pas un texte écrit, mais la Bonne Nouvelle du Salut offert en Jésus-Christ, la “ cause ” pour laquelle l’Apôtre se prodigue corps et âme. Il parle donc d’un frère qui a si bien servi Jésus-Christ, répandu son Message, que toutes les églises en font l’éloge. Ce concert de louanges unanimes évoque un service dont tous ont bénéficié, au point que saint Paul n’a pas besoin de nommer son auteur.

Au verset suivant, saint Paul dit que ce frère a été désigné « par le suffrage des églises » pour porter avec lui le fruit de la collecte jusqu’à Jérusalem. Or, dans les Actes des Apôtres, saint Luc nomme précisément ceux qui furent de ce voyage important : « Sopatros, fils de Pyrrhus, de Bérée ; Aristarque et Secundus, de Thessalonique ; Gaïus, de Dobérès, et Timothée, ainsi que les Asiates Tychique et Trophime. » (Ac 20, 4) D’eux, nous ne savons presque rien, à l’exception de Timothée, le fils de prédilection de saint Paul, compagnon de tout son labeur. Mais précisément, il est “ coauteur ” de cette deuxième épître aux Corinthiens (1, 1), et il semble bien constituer avec saint Paul le « nous » qui envoie les frères recevoir la Collecte à Corinthe. Il n’est donc pas lui-même ce « frère dont toutes les églises font l’éloge au sujet de l’Évangile. »

En revanche, après cette énumération, saint Luc continue : « Ceux-ci prirent les devants et nous attendirent à Troas. » (Ac 20, 5) Cette irruption du nous signifie que Luc raconte désormais ce qu’il a vécu, et il maintient ce pronom jusqu’à l’arrivée de saint Paul à Jérusalem (Ac 21, 18) ; il était donc du voyage.

Et, de lui, saint Luc, nous connaissons bien le grand service qu’il a rendu à l’Évangile, pour lequel toutes les églises, jusqu’aujourd’hui, le louent et le bénissent ! C’est donc bien lui dont parle saint Paul, lui dont toutes les églises font l’éloge parce que toutes ont eu connaissance de son Évangile, qui est une merveille, à commencer par ses deux premiers chapitres, écrin du témoignage de la Vierge Marie. Le troisième Évangile était donc déjà répandu dans les communautés fondées par saint Paul, en l’an 57.

UNE SÉRIEUSE ENQUÊTE HISTORIQUE...

Saint Luc nous a facilité la tâche en annonçant, en prologue à son récit, ses intentions et sa méthode :

« 1 1 Puisque beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, 2 d’après ce que nous ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires et serviteurs de la Parole, 3 j’ai décidé, moi aussi, après m’être informé exactement de tout depuis les origines, d’en écrire pour toi l’exposé suivi, excellent Théophile, 4 pour que tu te rendes bien compte de la sûreté des enseignements que tu as reçus. » (Lc 1, 1-4)

Cette phrase majestueuse est l’œuvre d’un fin lettré ; il faut la scruter, la décomposer, pour bien peser chacune de ses affirmations.

Il caractérise son récit en affirmant faire l’exposé suivi des événements qui se sont accomplis parmi nous (“ nous ”, les chrétiens) ; il s’applique donc à retrouver l’ordre, la succession historique des événements et des enseignements de Notre-Seigneur, c’est pourquoi nous avons fondé notre chronologie sur son Évangile.

Saint Luc s’est résolu à écrire, parce que beaucoup ont déjà entrepris de composer un récit de ces événements. Cela donne à penser que circulent déjà dans l’Église des récits plus ou moins sérieux, écrits par des hommes plus ou moins bien intentionnés ; alors saint Luc, qui s’est informé de tout depuis les origines, voudrait défendre la Vérité par un travail rigoureusement fidèle à ce que lui ont transmis ceux qui furent, dès le début, témoins oculaires et serviteurs de la Parole.

Il s’agit là des Apôtres, et de leur Reine, la Vierge Marie, qui fut la première « témoin oculaire de la Parole », du Verbe de Dieu, qui a pris chair en son sein et qu’Elle a mis au monde. Sans compter le “ témoignage ” de Jean qui la reçut pour « Mère » au pied de la Croix, alors que tous les autres disciples étaient dispersés. Il est certain que « le disciple que Jésus aimait » ne quittait pas Jésus des yeux. Par exemple sur le Mont de la Transfiguration, et au jardin de l’agonie, il rapporte des détails inconnus de Marc, parce que Pierre dormait... mais pas Jean ! Plus généralement, l’influence de l’apôtre Jean est visible, tangible, dans l’esprit et dans le vocabulaire du troisième Évangile (cf. Il est ressuscité n° 136, fév. 2014, p. 24). Grâce à ce témoin incomparable, saint Luc a pu connaître très précisément les gestes et les paroles de Notre-Seigneur, ainsi que leur succession historique.

... POUR DÉFENDRE LA FOI.

Saint Luc s’adresse à l’excellent Théophile, pour qu’il se rende bien compte de la sûreté des enseignements qu’il a reçus. Il devait donc y avoir de la controverse. Saint Luc veut, par cette étude historique rigoureuse, prouver la vérité d’un enseignement, et affirmer sa fidélité à la révélation reçue.

Selon Eusèbe de Césarée, Luc était originaire d’Antioche, une des premières villes où l’Évangile fut prêché à des Grecs, vers l’an 35 (Ac 11, 20), avec tant de fruits que Barnabé, envoyé par l’Église mère de Jérusalem, alla chercher Paul pour l’aider dans ce ministère. Dans cette ville, saint Luc a pu aussi écouter la prédication de l’apôtre Jean, comme l’envisage Annie Jaubert, ce qui « expliquerait au mieux les traditions communes » à leurs évangiles, écrit-elle (Approches de l’Évangile de Jean, p. 50, Seuil, 1976). C’est d’Antioche que saint Paul partit pour son premier voyage apostolique, et c’est là, qu’à son retour, se manifestèrent les prodromes de “ la grande affaire de sa vie ” : « Certaines gens de Judée enseignaient aux frères :  Si vous ne vous faites pas circoncire suivant l’usage qui vient de Moïse, vous ne pouvez pas être sauvés. ” » (Ac 15, 1) Il s’ensuivit « bien de l’agitation et une discussion assez vive engagée par eux avec Paul et Barnabé », qui fut tranchée quelque temps plus tard par l’Assemblée de Jérusalem, en faveur de Paul, en 49 ap. J.-C. Déjà, saint Luc fut sans doute mêlé à cette controverse.

Les juifs fermés à l’Évangile, ceux qui avaient tué Notre-Seigneur, ceux qui ne s’étaient pas convertis après la Pentecôte, n’avaient cessé de persécuter l’Église apostolique. Mais un autre mal atteignait maintenant les premières communautés : l’incompréhension, puis le mauvais esprit, jusqu’à la trahison, des judéo-chrétiens stagnant dans leurs pratiques de l’ancienne alliance, croyant toujours trouver en elles leur justification, et voulant les imposer à tous les convertis. Leur perfidie, leur infidélité a pris plusieurs formes, mais il s’agissait toujours de se focaliser sur des préceptes révolus, méconnaissant ainsi la nouveauté divine apportée par le Christ. C’était un manque de foi en Lui, doublé d’une haine pour son Apôtre Paul qui prêche partout la rémission des péchés offerte à tous à la seule condition de l’obéissance de la Foi en Jésus Crucifié ; cette haine va dévorer ces « faux frères » au point de poursuivre Paul partout, pour répandre leur venin dans ses communautés, jusqu’à finalement le livrer, au sanhédrin à Jérusalem, au pouvoir impérial à Rome, afin qu’il soit mis à mort.

C’est de leur venin que saint Luc veut préserver son cher Théophile par son évangile. En effet, dans les Actes, nous le voyons pour la première fois accompagner saint Paul de Troas à Philippes vers l’an 50 (Ac 16, 10, premier “ récit-nous ”), et nous le retrouvons portant la Collecte à Jérusalem vers 58, comme nous l’avons dit (2 Co 8, 18 et Ac 20, 5).

Saint Luc a dû écrire son évangile dans cet intervalle, au cours duquel l’activité des faux frères s’est beaucoup accentuée, comme en témoignent les épîtres de ces années, aux Galates, aux Romains, et la deuxième aux Corinthiens où saint Paul défend ses brebis avec une « jalousie divine » (11, 2) à l’encontre des « faux apôtres » qui les séduisent :

« J’ai bien peur qu’à l’exemple d’Ève, que le serpent a dupée par son astuce, vos pensées ne se corrompent en s’écartant de la simplicité envers le Christ. Si le premier venu en effet vous prêche un autre Jésus que celui que nous vous avons prêché, s’il s’agit de recevoir un Esprit différent de celui que vous avez reçu, ou un Évangile différent de celui que vous avez accueilli, vous le supportez fort bien. » (11, 3-4)

L’évangile de saint Luc répond à cette hérésie, à cette défiguration du Christ et de son Évangile.

Nous rejoignons ici les données de la tradition : le Père Lagrange, dans son commentaire de l’Évangile selon saint Luc, cite une “ introduction aux quatre Évangiles ”, reconstituée à partir de manuscrits du haut Moyen-Âge, mais qui témoigne d’une tradition plus ancienne, pouvant remonter jusqu’au deuxième siècle :

« Il s’agit donc de Luc, syrien d’Antioche, médecin de profession, disciple des Apôtres, lui qui par la suite suivit Paul jusqu’à son martyre [...]. Alors que les évangiles étaient certes déjà rédigés, par Matthieu en Judée et par Marc en Italie, [Luc,] poussé par l’Esprit-Saint, en Achaïe, notifiant au début du sien [son évangile] qu’auparavant les autres avaient été rédigés, mais que lui incombait la tâche urgente de faire le récit pour les fidèles Grecs de la manifestation du Christ dans la chair, avec la plus grande exactitude, afin qu’ils ne soient pas séduits par de fausses histoires juives ni par des fables hérétiques ni par des inventions folles qui les détourneraient de la Vérité. » (in Évangile selon saint Luc, ­M.-J. Lagrange, o. p. , p. 15, Gabalda, 1941)

Plus tard, les rabbins feront un livre de ces fausses histoires juives, ce sont les infâmes “ toledôt jeshu ”, jadis jetés au bûcher à cause des horreurs blasphématoires contre la Virginité de la Sainte Vierge qu’ils contiennent, aujourd’hui discrètement réhabilités par feu le cardinal Ratzinger dans son CEC (cf. Il est ressuscité n° 89, janvier 2010, p. 6).

Dans cette bataille de la Foi contre l’hérésie, où Paul est le champion de la Nouvelle Alliance, pour laquelle saint Pierre, saint Jean et saint Jude vont bientôt écrire leurs épîtres, et même saint Jacques, chef de l’Église de Jérusalem, qui va dénoncer la discorde et la jalousie parmi ses judéo-chrétiens, saint Luc apporte sa contribution, à sa manière, toute en finesse, en racontant l’accomplissement historique et orthodromique que le Fils de Dieu est venu opérer sur la terre, pour que Théophile se rende bien compte que son maître saint Paul continue et mène cette même œuvre à son terme. Il fait le récit du passage de l’ancienne à la nouvelle Alliance.

UNE HISTOIRE “ VOLONTAIRE ”.

Cela commence dès ses deux premiers chapitres, qui transcrivent le témoignage de la Vierge Marie transmis par saint Jean, mais qui sont composés de manière à manifester le passage de l’Ancien Testament au Nouveau : comparez l’incrédulité du prêtre Zacharie offrant l’encens dans le faste du Temple, et la Foi, l’humilité de la Vierge Marie en qui le Verbe se fait Chair, dans sa petite maison de Nazareth. Ce n’est pas pour autant une rupture, mais c’est un accomplissement : Zacharie dans son Benedictus et Syméon dans son Nunc dimittis, reconnaissent en Jésus le Sauveur qu’attendait tout l’Ancien Testament, en précisant bien qu’il ouvrirait le Salut aux nations païennes. À l’encontre des juifs incrédules, l’Église apostolique devait bien affirmer qu’Elle était la vraie héritière de l’ancienne Alliance.

Ensuite, au commencement de la vie publique, saint Luc raconte comment Notre-Seigneur a commencé sa prédication à Nazareth. Ses compatriotes, pleins d’admiration, se glorifient, eux-mêmes, en Lui : « N’est-il pas le fils de Joseph ? » C’est l’enfant du pays ! Il répond à cet orgueil charnel que « nul n’est prophète en son pays », à commencer par Élie qui fut envoyé à la veuve de Sarepta, et Élisée à Naaman le Syrien, donc aux païens, et non pas aux Israélites.

Entendant cela, ils veulent le précipiter du haut de la colline, mais « Lui, passant au milieu d’eux, allait son chemin... » (Lc 4, 30)

Tout cela n’a certainement pas eu lieu dès le premier retour de Jésus à Nazareth, mais la chronologie passe au second plan, car cette composition manifeste à quelle incompréhension Jésus, méconnu pendant vingt-neuf ans, s’est heurté dès son entrée dans la vie publique : son peuple, le peuple élu, refuse de croire en lui, de se soumettre à son enseignement : l’annonce du salut offert aux nations païennes rencontre une haine qui rapidement, se fera déicide.

Saint Luc raconte ensuite, dans ses chapitres 4 à 9, en suivant en grande partie le récit de saint Marc, comment Notre-Seigneur s’est manifesté en Galilée comme le Messie. Détail bien significatif dans un seul petit verset propre à saint Luc (5, 39), en conclusion de la parabole des outres vieilles et du vin nouveau : « Personne, après avoir bu du vin vieux, n’en veut du nouveau. On dit en effet : c’est le vieux qui est bon. » Ce sont les juifs qui boivent le vieux vin de la Loi, et qui ne veulent pas du nouveau, celui de la Nouvelle Alliance. Et les judéo-chrétiens mal convertis trouvent si bons les préceptes mosaïques qu’ils veulent les imposer aux pagano-chrétiens.

Dans son chapitre sixième, saint Luc raconte comment Notre-Seigneur a fondé son Royaume, en appelant ses Apôtres et en édictant sa Loi Nouvelle, à l’écart des institutions ancestrales du peuple juif, de la synagogue et de ses scribes, qui déjà complotent contre Lui. Puis la confession de saint Pierre est suivie de l’annonce de la Passion. Alors, « comme s’accomplissait le temps où Il devait être enlevé, Jésus prit résolument le chemin de Jérusalem » (Lc 9, 51). Quelques versets plus loin, saint Luc rapporte les malédictions lancées sur les villes du lac de Tibériade (10, 13). Elles seront châtiées plus durement que les villes païennes au jour du jugement, puisque déjà, la Galilée a refusé de croire en Lui, de le reconnaître comme le Messie.

Chapitres 9 à 18, la grande montée à Jérusalem conduit Jésus là où il doit offrir son sacrifice « car il ne convient pas qu’un prophète périsse hors de Jérusalem » (Lc 13, 33).

Saint Luc répète à quatre reprises que Jésus est en route vers Jérusalem, pour manifester qu’Il court vers son Sacrifice, et cela correspond très bien aux quatre dernières montées racontées par saint Jean pour les Tabernacles, la Dédicace, la Résurrection de Lazare, et la dernière Pâque. On trouve dans ces chapitres de saint Luc la parabole de l’enfant prodigue (15, 11-32), qui figure si bien la situation de l’Église apostolique, où les juifs, fils aînés vivants depuis des siècles avec Dieu mais sans l’aimer, ne supportent pas le retour en grâce de ces pécheurs de païens.

Pendant cette séquence de l’Évangile, les avertissements de Notre-Seigneur aux juifs qui ne croient pas sont très graves, sévères. Déjà le châtiment de Jérusalem est annoncé, à plusieurs reprises, y compris dans un passage propre à saint Luc, lors du triomphe des Rameaux (Lc 19, 41-44). Dans le discours eschatologique, enfin, saint Luc est beaucoup plus clair que Marc et Matthieu sur le châtiment du peuple juif : « Ils seront réduits en captivité parmi toutes les nations et Jérusalem sera foulée aux pieds par les gentils jusqu’à ce que soit accompli le temps des gentils » (Lc 21, 24).

Ce n’est plus à Jérusalem, autour du Temple, le cœur de l’Ancienne Alliance, qu’il faut chercher le salut, mais ce sera à Rome, sur les tombeaux des Apôtres. Les faux frères judaïsants, « Hébreux », « Israélites » (2 Co 11, 22), n’ont vraiment pas de quoi se glorifier de leur origine.

Vient ensuite la Passion, et, après la Résurrection, Notre-Seigneur parle en toute clarté à ses disciples : « Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait et ressusciterait d’entre les morts le troisième jour, et qu’en son Nom le repentir en vue de la rémission des péchés serait proclamé à toutes les nations, à commencer par Jérusalem. » (Lc 24, 46-47)

C’est bien là le kérygme de saint Paul, qu’il répète devant le roi Agrippa pour se défendre des accusations des juifs qui veulent obtenir sa mort : « J’ai continué jusqu’à ce jour à rendre mon témoignage devant petits et grands, sans jamais rien dire en dehors de ce que les Prophètes et Moïse avaient déclaré devoir arriver : que le Christ souffrirait et que, ressuscité le premier d’entre les morts, il annoncerait la lumière au peuple et aux nations païennes. » (Ac 26, 22-23)

C’est ainsi que Luc souligne, partout où il les rencontre, les paroles de Notre-Seigneur qui annoncent, ou déjà révèlent, ce que sera l’Évangile de Paul, selon l’expression de notre Père. On pourrait dire qu’il fut le premier dans l’Église à faire une histoire volontaire, pour défendre la Vérité de l’enseignement de Jésus-Christ et de son Apôtre. L’Église en a reconnu la valeur : toutes les communautés, en 57, en faisaient déjà l’éloge, et ce texte d’un grec non témoin de la vie de Notre-Seigneur fut canoniquement reconnu comme infailliblement et divinement inspiré.

UN FAIRE-VALOIR.

Comparons l’œuvre de saint Luc à celle d’un autre historien, le seul non chrétien qui traite de la Palestine au premier siècle, et à ce titre est la référence des exégètes modernes et modernistes.

Flavius Josèphe. Juif né à Jérusalem en l’an 37 ou 38, capturé par Vespasien lors de la guerre de Galilée, affranchi, a écrit une histoire de son peuple en deux éditions, la première écrite entre l’an 75 et l’an 79, intitulée : Les guerres juives, dans laquelle il n’y a aucune mention, proche ou lointaine, de la religion chrétienne. Il faut attendre son deuxième ouvrage, en 93, pour trouver des recoupements avec l’Évangile, mais très embrouillés : les repères chronologiques datant la vie de Notre-Seigneur en fonction du règne d’Hérode sont reculés de cinq ans, et, volontairement, Josèphe occulte tout lien entre les esséniens et Jean-Baptiste, ainsi que les liens entre Jean-Baptiste et Notre-Seigneur.

Les motifs de ces mensonges historiques se devinent à la lecture de son autobiographie, où sa mégalomanie se déclare librement : il dresse de lui-même un portrait qui le pose en sauveur de son peuple, après la catastrophe de la ruine de Jérusalem en 70, contre Jésus-Christ. Écrivant son premier ouvrage, avant 80, il s’est permis d’occulter complètement le “ fait ” chrétien. Mais en 93, à Rome, ce n’était plus possible, les événements étaient trop connus, les quatre évangiles répandus, Flavius Josèphe a donc dû faire une mention discrète, mais sournoise et mensongère de Jean-Baptiste et de Jésus-Christ (cf. Bible, Archéologie, Histoire, t. 3, p. 85-96). Les dates qu’il donne ont fait de la datation des événements du Nouveau Testament un embrouillamini inextricable ; mais elles ne sont que des falsifications délibérées des repères chronologiques indiqués par saint Luc (ibid., p. 167-168).

En comparaison, brille l’honnêteté, la pureté du témoignage des évangélistes, ainsi que leur effacement complet, tout à la gloire d’un autre, leur Seigneur et Maître, Jésus-Christ.

SAINT JEAN, LE “ DISCIPLE QUE JÉSUS AIMAIT 

Le témoignage du quatrième évangile est unique, dans son contenu, et dans la profondeur de sa révélation.

Il reprend peu de ce que Matthieu, Marc et Luc relatent, et la plupart des événements qu’il raconte lui sont propres : toutes les étapes du ministère de Jésus à Jérusalem, pendant les quatre fêtes liturgiques juives ; la première Pâque (avril 29), la Pentecôte, la fête des Tabernacles, et la deuxième Pâque (avril 30), mais aussi des rencontres inconnues des synoptiques, avec Nicodème, la Samaritaine, le Fonctionnaire royal de Capharnaüm... Même dans les courtes journées de la Passion, le récit de saint Jean se distingue des trois autres, comme pour les récits de la Résurrection.

Et ce n’est pas tout, Jean a toute une “ christologie ”, une terminologie mystique qui lui est propre, et qui n’a pas de répondant chez les autres auteurs du Nouveau Testament. Notre-Seigneur, pour lui, est le Verbe, et lui seul cite de longs discours développant toute une théorie de la relation entre ce Fils et son Père.

Pourquoi ce singularisme ? Jean, mythomane ? affabulateur ? gnostique ? ou... quoi ? Pour résumer, selon le “ consensus ” exégétique en vigueur aujourd’hui, le quatrième Évangile est un écrit tardif, rédigé dans un contexte de tension entre les chrétiens et la synagogue, donc après la dispersion du peuple juif en 70, et l’identité de son auteur est très discutable. Selon eux, ce texte écrit longtemps après les événements serait une « recomposition théologique », qui ne témoigne pas tant de la vie de Jésus-Christ que de la “ foi ” des chrétiens de la fin du premier siècle, et surtout de leur ressentiment antisémite.

MAGNIFIQUE HISTORICITÉ.

Quels arguments apportent-ils ? Dans l’introduction à l’Évangile selon saint Jean du Nouveau Testament que nous avons distribué au Camp de la Phalange (traduction de la Bible de Jérusalem, éditions du Cerf, 2022, p. 203), on lit : « S’il est vrai que des textes tels que Jn 9, 22 ; 12, 42 ; 16, 2, font allusion à une décision des autorités juives prise lors du  concile  de Jamnia, la composition du quatrième évangile sous sa forme quasi définitive ne pourrait être antérieure aux années 80. » Les références mentionnées évoquent la décision des ennemis de Notre-Seigneur d’exclure de la synagogue ceux qui croiraient en Lui. C’est prendre argument des malédictions contre les chrétiens formulées par les rabbins de Yabné, ou Jamnia, entre 85 et 90 ap. J.-C. pour décider que ces récits datent forcément de cette époque. Sous-­entendu : chrétiens et juifs vécurent en bonne harmonie et intelligence pendant cinquante ans après Notre-Seigneur, et les tensions n’apparurent qu’après la chute de Jérusalem, entre l’an 80 et l’an 100 !

C’est oublier, c’est nier toutes les persécutions que les Juifs, membres du Sanhédrin ou Pharisiens, ont fait subir à Notre-Seigneur durant sa vie publique, jusqu’à sa crucifixion, persécution continuée contre l’Église primitive dès le lendemain de la Pentecôte, persécution qui reçut son châtiment en 70 : Jérusalem fut détruite pour son obstination à refuser le salut apporté par son Messie.

C’est aussi méconnaître totalement le contexte religieux où parut Notre-Seigneur, tel que révélé par les découvertes archéologiques et exégétiques récentes, particulièrement celles des manuscrits de Qumrân. Elles révèlent la violente opposition qui dressait les esséniens contre les pharisiens, et donnait lieu à des controverses et des malédictions qui préludent au drame évangélique. Nous retrouvons dans ces écrits, antérieurs au Nouveau Testament, le portrait des ennemis de Notre-Seigneur et la dénonciation de leurs vices telle que dans l’Évangile, particulièrement selon saint Jean ; ce que Jésus reproche aux pharisiens, les esséniens le leur reprochaient déjà avant Lui (cf. Bible, Archéologie, Histoire. t. 3, p. 8). Dans ce contexte, la haine des Juifs contre Notre-Seigneur, leur mauvais esprit, et la violence de ses imprécations contre eux se comprend parfaitement : prétendre que cette controverse n’est compréhensible que dans l’atmosphère de la fin du premier siècle est un mensonge, ou bien une ignorance inexcusable pour des hommes de métier.

Et ce n’est pas tout, certaines paroles de Notre-­Seigneur ne se comprennent qu’en référence aux écrits découverts à Qumrân ; ainsi de « je suis la lumière du monde » (ibid., p. 14) et aussi « selon le mot de l’Écriture :  de son Sein jailliront des fleuves d’eau vive ” » (ibid., p. 12).

L’Évangile selon saint Jean est parfaitement cohérent avec les données historiques de la Palestine en l’an 30, qui ont été rendues secrètes après 68 quand les esséniens ont enfoui leurs manuscrits, et dévoilées lorsqu’elles furent exhumées au lieu même de leur ensevelissement en 1947. Magnifique preuve d’historicité.

UN TÉMOIN OCULAIRE DE PREMIER ORDRE.

De plus, il faut affirmer qu’une étude attentive des textes (ibid., p. 145) confirme la tradition catholique selon laquelle c’est bien Jean l’Apôtre, fils de Zébédée, qui a achevé cet évangile dans sa totalité, avant la chute de Jérusalem en l’an 70 : nulle trace dans son récit de cet événement majeur.

Saint Jean a vécu ce qu’il raconte : son récit fourmille de détails qui restituent avec une vérité flagrante l’atmosphère religieuse en Palestine, au moment de la vie publique de Notre-Seigneur. Par exemple, il note « qu’il existe à Jérusalem, près de la Probatique, une piscine qui s’appelle en hébreu Béthesda et qui a cinq portiques. » (5, 2). Cinq portiques ? La critique moderniste est allée jusqu’à inventer que Jean faisait un récit uniquement symbolique, car, vous comprenez, une piscine, si elle est carrée ou rectangulaire comme toutes les piscines, elle n’a que quatre côtés donc elle ne peut avoir que quatre portiques. La découverte, un beau jour, lors de fouilles archéologiques, des soubassements de cette piscine, rectangulaire, de fait, mais avec un cinquième portique chevauchant l’édifice, au milieu, atteste l’honnêteté et l’exactitude du témoignage de Jean.

Les dialogues qu’il rapporte sont d’une précision inégalée et d’une Sagesse divine, qui exclut toute forgerie, au point que l’on pénètre jusqu’à la psychologie des personnages : pensez à Marie-Madeleine, Marthe, la Samaritaine, ou bien l’Aveugle-né. Jean connaît très bien les autorités religieuses de Jérusalem, « les Juifs », comme il les appelle avec un détachement glacial, il est très informé de ce qui se passe dans leurs réunions, certainement grâce à Nicodème, qui y assistait. Et surtout, saint Jean restitue parfaitement l’ambiance survoltée de Jérusalem, dès que Jésus y paraît ; c’est comme si nous y étions... Il ne fait aucun doute qu’il est un témoin oculaire de premier ordre.

Notre Père expliquait, dès 1970, que si saint Jean raconte de nombreux faits que les synoptiques ne relatent pas, en particulier le ministère de Jésus à Jérusalem, c’est tout simplement parce que lui seul y a assisté, et non pas tous les Apôtres. Son récit en témoigne ; dans ces durs affrontements, Notre-­Seigneur paraît très seul, et non pas entouré d’un groupe de Galiléens prêts à le défendre.

Écrivant après les trois autres évangélistes, selon la tradition, on comprend qu’il n’ait pas voulu répéter ce qu’ils avaient déjà fait connaître, mais surtout, son récit est composé pour délivrer une révélation qui lui est propre.

« LA VÉRITE TOUT ENTIÈRE. »

L’Évangile selon saint Jean contient un secret. Car toutes ses qualités n’expliquent pas la profondeur de sa compréhension du mystère de Jésus, le Verbe de Dieu, et il faut comprendre quelles raisons, quelle fin lui a fait choisir les événements qu’il raconte, parmi « bien d’autres choses que Jésus a faites » (Jn 21, 25).

À deux reprises, dans son Évangile (2, 22 et 12, 16), saint Jean affirme que les disciples, dont lui le premier, ne comprenaient pas sur le moment toute la portée des gestes de Jésus, notamment qu’Il accomplissait l’Écriture, mais ils ne pénétrèrent ce mystère que plus tard, quand Jésus eut été glorifié.

Notre Père commentait : ce sont des « Paroles d’une limpidité, d’une honnêteté, de la part de saint Jean, absolue ! Il manifeste à quel point ils ont vécu ces événements n’ayant point encore l’Esprit, ils ont vécu ces événements comme des spectateurs qui enregistrent une bande de cinéma, mais pour ce qui est de comprendre les choses invisibles, non ! Ils avouent que c’est plus tard qu’ils se sont remémoré la chose, et probablement à la lumière qui leur sera donnée à ce moment-là, ils ont compris tout et ils portent témoignage de ce qu’ils ont vu, dans un premier temps, mais que maintenant, ils croient davantage. C’est tout à fait la théologie de saint Jean. »

Tout au long de son récit, en effet, saint Jean montre que Notre-Seigneur se heurte à un mur d’incompréhension, parce que le Saint-Esprit n’a pas encore été donné : c’est explicite dans l’entretien avec Nicodème (Jn 3, 4-8).

Il n’y a pas encore d’Esprit (Jn 7, 39), donc les âmes ne peuvent croire vraiment en Jésus, mais Il les enseigne en vue de ce don de l’Esprit-Saint, pour que, plus tard, ils comprennent. Les Apôtres eux-mêmes sont défaillants ; lors de son dernier repas avant de monter au Ciel, Jésus le leur dit : « Voilà si longtemps que je suis avec vous et tu ne me connais pas, Philippe ? » (Jn 14, 9) Et aussi : « J’ai encore beaucoup à vous dire, mais vous ne pouvez le porter à présent. » (Jn 16, 12) Et Il continue : « Mais quand il viendra, Lui, l’Esprit de Vérité, il vous introduira dans la Vérité toute entière. » De quelle manière ? « Il ne parlera pas de Lui-même, mais ce qu’il entendra, il le dira, et il vous dévoilera les choses à venir. »

Le Saint-Esprit n’a pas de bouche pour parler. Mais, voici le secret de l’Évangile selon saint Jean : le Saint-Esprit lui a parlé par la bouche de la Vierge Marie (cf. BAH, t. 3, p. 54 et 64). Alors nous pouvons lui appliquer la suite : « Elle me glorifiera, car c’est de mon bien qu’Elle recevra et Elle vous le dévoilera. Tout ce qu’a le Père est à moi. Voilà pourquoi j’ai dit que c’est de mon bien qu’Elle reçoit et qu’Elle vous le dévoilera. » (Jn 16, 13-15)

En effet, disait notre Père, le soir de la Cène, Notre-Seigneur a pris son Apôtre Jean sur sa Poitrine, le faisant confident et témoin des pensées de son Divin Cœur, pour lui confier la tâche de le révéler dans son mystère ultime, à savoir qu’il est le Fils de Dieu, Dieu Lui-même, ne faisant qu’un avec le Père et l’Esprit-Saint, et que ces trois Personnes veulent donner leur Amour, leur vie surnaturelle aux hommes, afin d’avoir avec eux une unité semblable à celle que ces trois Personnes divines ont entre Elles (retraite Tendresse et dévotion, 1998). Telle est « la Vérité tout entière », la révélation de l’Amour ; notre Père concluait : « On ne peut pas lire cet Évangile, il est interdit de lire cet Évangile d’un bout à l’autre, sans comprendre que Jésus est l’Amour. Jesus Caritas. »

À commencer par le Prologue, où saint Jean nous montre ce Verbe de Dieu plein d’Amour de son Père, « se jetant sur son sein » (1, 18), venir dans notre Monde de Ténèbres, afin de nous donner le pouvoir de devenir, nous aussi, enfants de Dieu, si nous croyons en sa naissance virginale du sein de la Vierge Marie, qui est ainsi, n’en déplaise au pape François, “ protagoniste ” de cette révélation du Divin Amour (1, 12-13). Tous les Face à face racontés par saint Jean nous donnent à contempler l’Amour de ce Verbe, ce Fils de Dieu fait homme qui a soif (4, 7) de donner l’eau vive de son Divin Cœur (7, 37).

Pour mener cette œuvre à bonne fin, Notre-Seigneur a confié le disciple qu’Il aimait à sa très Sainte Mère, du haut de la Croix. Saint Jean l’a prise chez lui, et c’est en Elle, par Elle, au cours des années qu’ils ont passées ensemble jusqu’à l’Assomption, qu’il a reçu une assistance toute particulière du Paraclet pour l’introduire dans la Vérité toute entière et lui dévoiler les choses à venir.

Car la Vierge Marie comprenait tout, depuis la réponse de son Divin Fils au Temple de Jérusalem, en l’an 12 : « Ne saviez-vous pas que je dois être chez mon Père ? » (Lc 2, 49) Cette réponse inaugurait les révélations qu’il ferait à sa Mère et à son Époux saint Joseph sur son inhabitation dans le sein du Père : car « il redescendit alors avec eux et revint à Nazareth ; et Il leur était soumis. Et sa Mère gardait fidèlement toutes ces choses dans son Cœur », écrit saint Luc (2, 51). Quelles sont donc ces choses, sinon que son Enfant était tout à Dieu son unique Père, tout épris de Lui et sans cesse retiré dans son sein, n’ayant d’autre pensée que de lui obéir, de lui plaire, qu’Il était dans son Père et son Père en Lui, qu’il venait du Ciel et qu’il y retournerait, car son Père et Lui ne sont qu’UN. Bref, tout l’évangile de saint Jean s’explique évidemment par ce colloque incessant entre la Sainte Vierge et son fils adoptif. Voilà la vraie raison de la richesse et de la profondeur incomparables de ce témoignage, dont les exégètes prétendent trouver l’inspiration dans le mandéisme, la gnose, l’hermétisme, le judaïsme hellénistique ou rabbinique... et quoi encore ?! C’est bien l’Immaculée Conception qui écrase encore la tête du serpent moderniste, dans le grand combat universel que saint Jean nous révèle dans son Évangile, puis dans son Apocalypse.

Car Notre-Seigneur n’a pu mener la révélation de sa divinité et de son Amour que dans la contradiction, jusqu’à en témoigner sur la Croix. Ce récit nous montre Jésus se manifestant d’emblée à Jérusalem comme le Messie, le Fils de Dieu, suscitant la haine des “ archontes ”, les chefs du peuple. Dans leur jalousie diabolique, ils n’auront de cesse de l’éliminer, mais ils ne le pourront qu’à l’Heure où Jésus le permettra.

Saint Jean a donné à cet affrontement historique toute son ampleur. Il y a un drame cosmique, un drame immense qui traverse toute l’histoire : c’est le combat de la Lumière et des Ténèbres. La Lumière, c’est Jésus-Christ Fils de Dieu ; et les Ténèbres, ce sont les puissances infernales, Satan, le « Prince de ce monde » (Jn 12, 31) et ses armées. Toutes les âmes qui approchent de Jésus, dans l’Évangile, comme toutes celles qui lisent ces récits, sont sommées de choisir leur camp et jouent par là leur salut éternel. Plus que les trois autres, saint Jean nous fait saisir à quel point la révélation de l’Évangile est tragique. Car beaucoup vont, dès le début, prendre parti contre Jésus-Christ. Saint Jean nous avertit dès son chapitre 3 : « Le Jugement, le voici : quand la lumière est venue dans le monde, les hommes ont préféré les ténèbres à la lumière ; car leurs œuvres étaient mauvaises. » (Jn 3, 19) C’est encore l’expression de la Sagesse de la Vierge Marie et de la peine de son Cœur Immaculé, Elle à qui Syméon avait annoncé que son Fils devait « amener la chute et le relèvement d’un grand nombre en Israël ; il doit être un signe en butte à la contradiction, et toi-même, un glaive te transpercera le Cœur, afin que se révèlent les pensées intimes de bien des cœurs » (Lc 2, 34-35).

L’AUTORITÉ DE L’ÉGLISE

Toute l’exégèse “ critique ” que les savants rationalistes ont entreprise à partir de la Réforme protestante a été menée dans un esprit de révolte contre l’Église, en vue de ruiner son autorité.

Mais, le véritable travail “ critique ”, l’Église l’a réalisé dès les temps apostoliques en fixant ce qu’on appelle le Canon des Écritures, c’est-à-dire le recueil des écrits inspirés. Il existait déjà pareil recueil pour les Livres de l’Ancien Testament, et c’est sur ce modèle que l’Église primitive va dresser un Canon pour la Nouvelle Alliance, c’est-à-dire un ensemble de textes reconnus comme inspirés par Dieu, sur lesquels elle règlera sa foi.

Par les Pères de l’Église, nous savions déjà que ce travail de discernement avait été entrepris très tôt dans l’Église, en suivant des critères très rigoureux. En 1740, la découverte d’un manuscrit daté du huitième siècle de notre ère nous a apporté une preuve éclatante de l’ancienneté du Canon du Nouveau Testament. Cette découverte est due au prêtre italien Louis-Antoine Muratori, bibliothécaire à l’Université Ambrosienne de Milan. En classant des piles d’anciens documents d’archives, il a repéré un fragment de manuscrit antique, qui s’est avéré être la copie d’un document chrétien du milieu du deuxième siècle, donc très proche des temps apostoliques. Ce document ecclésiastique établit une liste des textes du Nouveau Testament reconnus comme canoniques.

Cette liste est tout à fait comparable à celle que nous recevons aujourd’hui. Les textes sont déjà groupés en quatre catégories : 1. les quatre Évangiles et les Actes des Apôtres ; 2. les épîtres de saint Paul ; 3. les épîtres catholiques de saint Jude, saint Jacques, saint Pierre et saint Jean ; et 4. l’Apocalypse.

Ce qui rend la découverte considérable, c’est d’abord que ce Canon émane de l’Église romaine, mère et maîtresse de toutes les Églises. Mais ce qui est aussi très important, c’est que ce fragment témoigne du travail de discernement de l’Église, qui n’a pas reçu n’importe quel texte comme inspiré. Ainsi, cette énumération du Canon s’accompagne du rejet explicite d’autres textes. Par exemple “ le Pasteur d’Hermas ”, que certaines Églises ont tenu un temps pour inspiré, est déclaré ici « trop récent ». Il est permis de le lire, certes, mais « non point publiquement », c’est-à-dire lors des assemblées liturgiques. Quant aux « épîtres aux Laodicéens et aux Alexandrins, qui circulent sous le nom de Paul, et qui favorisent l’hérésie de Marcion, elles ne peuvent être reçues dans l’Église catholique, car, est-il précisé, il ne convient pas de mêler le fiel et le miel. »

Voilà qui nous éclaire sur les critères de discernement du magistère, en vigueur dès le premier siècle : ils sont très sévères. Supposer le contraire, à priori, comme le font les savants rationalistes, c’est se méprendre gravement, criminellement, sur la mentalité des premiers chrétiens, qui étaient, évidemment, avides de recevoir les paroles et les actes authentiques de Notre-Seigneur, pour nourrir leur foi, leur espérance et leur charité.

C’est ainsi que l’Église a soigneusement distingué les vingt-sept écrits inspirés de la masse de textes douteux, incomplets ou nettement légendaires, parus au cours des siècles, que l’on nomme écrits “ apocryphes ”. Tout ce que contiennent ces récits n’est pas à rejeter entièrement, puisque l’Église a introduit dans sa liturgie certains faits que la tradition la plus antique lui fait considérer comme véridiques ; ainsi de la Présentation de la Vierge Marie au Temple, et de son Assomption racontée dans le Transitus Mariæ. Mais la lecture des meilleurs de ces écrits apocryphes fait mesurer l’abîme qui sépare ces documents des textes inspirés.

UNE LECTURE VIVANTE ET RELIGIEUSE,

A L’ÉCOLE DE L’ABBÉ DE NANTES, NOTRE PÈRE

« La vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le véritable Dieu, et Celui que tu as envoyé, Jésus-Christ. » (Jn 17, 3) C’est dans cette fin, dans ce but que notre Père n’a pas cessé de commenter l’Évangile, de nous l’expliquer, de nous le faire aimer. Il renouait ainsi avec la grande tradition catholique, celle des Pères de l’Église, de saint Augustin en particulier, au milieu d’une génération qui en perdait complètement le sens. Pour mesurer l’importance de son apport, il faut comprendre à quel point l’exégèse actuelle est tarée.

Depuis toujours les ennemis de l’Église ont nié l’historicité des Évangiles. Mais à la fin du dix-neuvième et au début du vingtième siècle, les prétendus savants rationalistes et protestants ont redoublé de violence, prétendant, au nom de la science, démontrer le mensonge, la nullité ou les contradictions des évangélistes. Tout leur travail consistait à repousser au plus loin la date de rédaction des Évangiles, qui n’auraient été écrits qu’après une longue période de transmission orale, au cours de laquelle toutes les “ transfigurations ” des événements passés par la communauté primitive auraient été possibles... Des savants réputés catholiques ont prétendu concilier les soi-­disant “ acquis ” de ces rationalistes avec notre foi chrétienne, sans craindre de nier tout caractère historique à la vie de Notre-Seigneur ; ce sont les modernistes, que saint Pie X a démasqués et condamnés.

Mais son effort n’a pas été soutenu par ses successeurs, et l’exégèse catholique a gardé quelque chose de ce chancre moderniste. Par exemple, mes professeurs de séminaires, à la veille du Concile, qui étaient de grands savants et des prêtres pieux, abordaient l’Évangile comme un objet de science, à la manière des rationalistes et éventuellement pour les réfuter, mais ces textes demeuraient du coup lettre morte. Et aujourd’hui, après le lâcher-tout du concile Vatican II, les pires donnent libre cours à leurs élucubrations, et les meilleurs les respectent, au nom de leur prétendue « science ». Par exemple, les introductions aux Évangiles du Nouveau Testament que nous avons distribuées au Camp de la Phalange (traduction de la Bible de Jérusalem, éditions du Cerf, 2022) ont été faites dans un esprit catholique, avec même le souci de se soumettre aux directives du magistère romain. Mais ces introductions n’en contiennent pas moins une foule de propositions modernistes, elles sont absolument desséchantes parce que leurs auteurs entrent dans les débats sans fin ouverts par les rationalistes qui tendent tous, de près ou de loin, à contester l’historicité de l’Évangile.

Tout au long de sa vie, notre Père a défendu cette historicité, il m’a fait beaucoup travailler pour cela, le fruit en est toute la démonstration que les conférences de ce camp vont établir, dont la conclusion est d’une évidence solaire : il faut croire en l’Évangile. « Credo evangelistam », disait saint Augustin, je fais confiance aux Évangiles.

Si notre Père tenait tant à défendre la vérité de ces récits, c’est parce qu’il y trouvait la source de notre foi, et l’accès à Jésus, la révélation de son Amour et de sa Vérité, et c’est cela qu’il a voulu nous transmettre.

Entre ses mains et dans sa bouche, dans sa prédication, l’Évangile devenait vivant, à croire qu’il avait rencontré saint Pierre la veille, ou bien qu’il était présent, invité ? aux noces de Cana. C’est le propre des grands saints, comme saint François de Sales, dont l’enseignement attirait les foules parce qu’il rend présent Notre-Seigneur et sa Sainte Mère, et donc engage à les aimer, et à se convertir.

C’est cette présence que nous voulons rendre “ sensorielle ”, comme disait l’abbé Poppe. Lire les Évangiles avec la sagesse de la foi, expliquait notre Père, c’est goûter, savourer l’expérience “ totale ” des contemporains, témoins oculaires des dits et faits de Jésus, Fils de Dieu fait homme, Fils de Marie. C’est se mettre d’emblée en présence du Mystère vivant de la Personne divine que les Apôtres ont rencontrée le premier jour, passant près des eaux de Salim, où Jean-Baptiste baptisait. À aucun moment, ils n’ont été en présence d’un homme ordinaire.

Lire l’Évangile, c’est à la fois retrouver la simplicité humaine des événements, et en saisir la profondeur mystérieuse, “ l’aura ” de gloire qui s’en dégageait, et dont Pierre, Jacques et Jean virent le resplendissement sur le mont Thabor.

Non, Jésus n’était pas un homme ordinaire ! Il rayonnait d’une « gloire » (Jn 1, 14) que saint Jean a vue resplendir jusque sur la Croix... parce que la Vierge Marie l’a introduit dans le mystère de la Rédemption. Voilà la clef d’une lecture “ vivante et religieuse ”. Notre-Seigneur n’a pu révéler le “ rôle principal ” de sa Divine Mère à cause de l’impureté, de la dureté de cœur de ses contemporains, mais maintenant, après les révélations de Fatima et l’enseignement de notre Père, nous ne pouvons lire l’Évangile, méditer ces événements auxquels Elle a assisté, sans penser à Elle, sans vouloir nous réfugier dans son Cœur Immaculé pour y chercher la plénitude de l’amoureuse connaissance de son Fils, le feu, la Sagesse de l’Esprit-Saint qui demeure en Elle, brasier de divin Amour trinitaire.

Chercher à contempler, à connaître un tant soit peu quel était son Amour, son enthousiasme, à chacune des paroles de son Fils, la peine de son Cœur, son angoisse quand il était outragé, blasphémé, haï... Embrasser ainsi la dévotion réparatrice à son Cœur Immaculé qui est toujours le même au Ciel en ce moment, qui souffre de toutes les offenses faites à Dieu Notre-Seigneur et qui répare pour nos péchés, se réjouit de chaque conversion, de chaque progrès de l’Évangile, du Règne du Sacré Cœur.

LA VRAIE “ ÉVANGELISATION 

Notre conclusion illustrera la fécondité de cette approche de l’Évangile. La recherche de la réalité du fait historique mène à la contemplation du Cœur très Unique de Jésus-Marie.

Clément d’Alexandrie, un Père du deuxième siècle, estimait qu’il fallait prendre à la lettre la parole de Notre-Seigneur qui citait le prophète Isaïe, en ouvrant son ministère dans la synagogue de Nazareth : « L’Esprit du Seigneur est sur moi, parce qu’il m’a consacré par l’onction, [...] il m’a envoyé proclamer une année de grâce du Seigneur. » (Lc 4, 18-19)

De fait, dans les quatre Évangiles, le récit de la vie publique tient bien en une année, comptée approximativement entre la Pâque de l’an 29 et celle de l’an 30, lors de laquelle Jésus fut crucifié. Dans cet intervalle, tous les événements trouvent leur place, y compris les fêtes liturgiques juives mentionnées par saint Jean, c’est ce que nous allons montrer au fil des conférences de ce camp.

Un seul passage, au chapitre 6, 4 de saint Jean, semble impliquer une vie publique de trois ans, parce qu’il évoquerait une troisième fête de Pâque. En effet, avant de raconter la multiplication des pains, saint Jean note que « la Pâque, la fête des Juifs, était proche », et cette multiplication des pains ne peut être rapprochée ni de la Pâque de l’an 29 ni de celle de l’an 30. L’intuition de notre Père, qui a compris que, dans son récit de la Cène, saint Jean regroupait en fait deux discours, celui prononcé avant la Passion, et un autre prononcé avant l’Ascension, cette intuition nous a donné la clef de cette difficulté. Il semble que saint Jean ait ajouté au discours de Capharnaüm, qui suit la multiplication des pains, un autre discours Eucharistique, que Jésus a dû prononcer à la fin de sa vie publique, tandis que la Pâque de l’an 30, celle de son Sacrifice, « était proche », d’où la mention de cette fête. Il n’y a donc plus besoin d’ajouter une troisième fête de Pâque, et la vie publique de Notre-Seigneur a bien duré un an (cf. Il est ressuscité n° 242, avril 2023, p. 8-9).

Cette “ chronologie courte ” n’est pas une argutie d’exégète, c’est certainement la vérité historique, parce qu’elle correspond au grand désir du Cœur de Jésus d’accomplir enfin la Volonté de son Père, c’est-à-dire d’offrir son Sacrifice pour nous racheter, nous pauvres pécheurs, et nous arracher au feu de l’enfer. C’est sa vocation, c’est pour cela qu’il est « sorti du sein du Père », pour prendre chair dans le sein de la Vierge Marie. Tout l’Ancien Testament l’annonçait, en particulier la prophétie du chapitre 53 d’Isaïe, qui est un véritable “ ordre de mission ” donné par le Père céleste à son Fils. Dans ce “ poème du Serviteur souffrant ”, se trouvent les mots les plus importants de l’Ancien Testament : « ’im tasîm ’asham naphshô », « S’il offre sa vie en sacrifice expiatoire »... « ... il verra une postérité, il prolongera ses jours et ce qui plaît à Yahweh s’accomplira par lui. »

Et la Vierge Marie, qui connaît cette prophétie, adhère de tout son Cœur Immaculé au grand désir de son Fils. Elle est à ses côtés durant cette « course de géant », pour parler comme sainte Thérèse de Lisieux – de Cœur si ce n’est de corps –, et finalement elle le retrouvera sur le chemin de la Croix. Voyez par là comme une “ lecture historique ” de l’Évangile débouche sur une connaissance plus profonde du Cœur très Unique de Jésus-Marie.

C’est ce drame que nous voulons contempler par cette étude, dans un esprit de compassion pour ces souffrances terrestres des Saints Cœurs de Jésus et Marie, qui nous aident à comprendre leur souffrance actuelle, causée par le péché obstiné des hommes, surtout le refus de se soumettre à leur royauté. Ainsi, puisse ce camp nous engager davantage à pratiquer la “ dévotion réparatrice ” demandée par le Cœur Immaculé de Marie et son Divin Fils.

frère Bruno de Jésus-Marie.