Il est ressuscité !

N° 249 – Novembre 2023

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


CAMP NOTRE-DAME DE FATIMA 2023

L’Évangile de Jésus-Marie 

Les Évangiles de l’Enfance

«PUISQUE beaucoup ont entrepris de composer un récit des événements qui se sont accomplis parmi nous, d’après ce que nous ont transmis ceux qui furent dès le début témoins oculaires et serviteurs de la Parole, j’ai décidé, moi aussi, après m’être informé exactement de tout depuis les origines, d’en écrire pour toi l’exposé suivi, excellent Théophile, pour que tu te rendes bien compte de la sûreté des enseignements que tu as reçus. » (Lc 1, 1-4)

Ce sont les premiers versets de l’Évangile selon saint Luc, qui nous annoncent une œuvre scientifique, d’historien rigoureux. Mais aussi une œuvre religieuse : l’excellent Théophile, c’est celui qui aime Dieu – de même que Philothée, à qui saint François de Sales adresse son Introduction à la vie dévote –, c’est vous-même, ami lecteur, si vous voulez bien lire cette histoire comme une révélation divine.

En effet, les événements que nous rapportent les Évangélistes manifestent des mystères, nous faisant connaître Jésus-Christ dans toute sa vérité historique et mystique. Ainsi des Évangiles de l’Enfance. On désigne sous ce nom les récits des « origines » du Christ, contenus dans les deux premiers chapitres de saint Luc et de saint Matthieu. Les épisodes qu’ils nous transmettent avec soin, les anecdotes souvent charmantes, parfois pathétiques nous révèlent le même mystère que proclame saint Jean dans son Prologue en termes théologiques sublimes : le mystère de l’Incarnation virginale du Verbe Fils unique de Dieu, pour le salut du monde, en accomplissement de l’Ancienne Alliance.

En trois mouvements, en trois actes, pourrait-on dire, nous allons assister, dès les premiers chapitres des Évangiles, au basculement de plus en plus net de l’Ancien au Nouveau Testament et au partage de plus en plus tranché, dramatique, entre ceux qui accueillirent le Verbe incarné, Jésus-Christ, et ceux qui le rejetèrent.

ANNONCIATIONS

En premier lieu, de la même manière que saint Jean invoque, dans son Prologue, le témoignage de saint Jean Baptiste, saint Luc tient à commencer par nous raconter les circonstances de la naissance du dernier des prophètes.

L’ANNONCE DE LA NAISSANCE DE JEAN-BAPTISTE

« Il était une fois... » Eh bien, non ! Cette jolie formule, aimablement confuse, n’est pas de mise ici, car saint Luc ne nous raconte pas un conte, mais des événements historiques précis, dont il s’est enquis avec soin. Il commence donc :

« Il y eut aux jours d’Hérode, roi de Judée – qui mourut en l’an 1 de notre ère (cf. “ La date de la naissance du Christ, examen critique ”, par frère Bruno Bonnet-­Eymard, CRC n° 363, janv. 2000) –, un prêtre du nom de Zacharie, de la classe d’Abia, et il avait pour femme une descendante d’Aaron, dont le nom était Élisabeth. Tous deux étaient justes devant Dieu, et ils suivaient, irréprochables, tous les commandements et observances du Seigneur. Mais ils n’avaient pas d’enfant, parce qu’Élisabeth était stérile et que tous deux étaient avancés en âge. » (Lc 1, 5-7)

C’étaient deux pauvres de Yahweh, tels que notre Père nous les a donnés à admirer, héroïquement fidèles à l’Alliance et entretenant toujours la flamme basse de l’antique espérance d’Israël. Dans un temps d’apostasie.

LE MOYEN TESTAMENT.

En effet, après le retour de l’Exil de Babylone, en 538 av. J.-C., le peuple juif n’avait plus jamais retrouvé sa pleine indépendance politique ni pu restaurer le Temple de Salomon et le culte de Yahweh dans toute leur splendeur. La conquête d’Alexandre le Grand, en 332, avait fait découvrir aux Hébreux l’humanisme grec raffiné et sa haute sagesse païenne. Beaucoup avaient succombé à cette séduction et d’autres aux persécutions d’Antiochus Épiphane, en 170-164.

La guerre sainte menée par les Maccabées avait fait espérer la restauration d’Israël, mais bientôt, leurs successeurs avaient usurpé le sacerdoce et s’étaient corrompus. Depuis, le grand élan de l’Alliance qui emportait le peuple de Dieu depuis Abraham semblait s’épuiser et Jérusalem se perdait dans la confusion des partis et des sectes : les sadducéens, grands prêtres matérialistes et corrompus ; les pharisiens et les scribes, théologiens laïcs, perfides et orgueilleux ; les esséniens avides de purifications, mais qui rejetaient le Temple, son clergé, sa liturgie et tout le peuple, pour se croire, eux seuls, le petit reste fidèle à Dieu.

La littérature essénienne, retrouvée en 1947 à Qumrân, au bord de la mer Morte, témoigne d’une fervente attente messianique : c’est ce que notre Père appelle le Moyen Testament, qui fait le lien entre l’Ancien et le Nouveau, pendant ce dernier siècle avant le Christ. Cette espérance était attisée par les prophéties du prophète Daniel à qui l’archange Gabriel avait révélé un comput de soixante-dix semaines d’années au terme desquelles devrait paraître le Messie. Or, ce décompte s’était achevé depuis un siècle et rien ne venait !

Dans le peuple, les humbles fidèles, les pauvres d’Israël, restaient soumis aux diverses autorités corrompues ou usurpées, dans une inaltérable confiance en Dieu et l’observance de la Loi. C’était là que subsistait la seule tradition vivante et authentique et c’est parmi eux que nous trouvons Zacharie et Élisabeth.

L’ANNONCIATION À ZACHARIE.

La scène d’ouverture de l’Évangile selon saint Luc est magnifique. Notre Père n’hésitait pas à la comparer aux plus belles théophanies de l’Histoire sainte. Elle se déroule à la fin du mois de septembre de l’an 2 avant notre ère – nous le savons avec certitude, depuis la publication, en 1995, d’un calendrier liturgique du Temple découvert à Qumrân.

Au cœur de la Ville sainte, Jérusalem ; dans le Temple de Dieu que le roi Hérode le Grand était en train de reconstruire avec magnificence ; tandis que tout le peuple est rassemblé sur l’esplanade, en prière, le saint prêtre Zacharie entre dans le sanctuaire, selon le rite sacré, pour y renouveler les braises et l’encens qui brûlent en permanence sur l’autel des parfums, devant le Saint des Saints, où demeure la Présence de Yahweh. En quelques versets, c’est le tableau de toute la grandeur sacrée de l’Ancien Testament.

« Alors lui apparut l’Ange du Seigneur, debout à droite de l’autel de l’encens. À cette vue, Zacharie fut troublé et la crainte fondit sur lui. Mais l’ange lui dit : Sois sans crainte, Zacharie, car ta supplication a été exaucée. ” » (v. 11-13)

Quelle supplication ? La prière séculaire du peuple juif et spécialement celle du prophète Daniel, dont cette scène rappelle de très près les apparitions de l’archange Gabriel : « Vois nos désolations et la ville sur laquelle on invoque ton nom ! suppliait Daniel. Seigneur, écoute ! Seigneur, pardonne ! Seigneur, veille et agis ! Ne tarde point ! » (Dn 9, 18-19)

Voici qu’enfin le Ciel répond et révèle à Zacharie le moyen de la conversion d’Israël : la naissance miraculeuse d’un enfant, du sein stérile de sa vieille épouse : « Ta femme Élisabeth t’enfantera un fils, et tu l’appelleras du nom de Jean. » (v. 13)

Cet enfant sera consacré à Dieu, comme Samuel et Samson dans l’Ancien Testament, s’abstenant de vin et de boisson forte. Plus remarquable, il sera « rempli d’Esprit-Saint dès le sein de sa mère » (v. 15), ce qui évoque le prophète Jérémie ou le mystérieux Serviteur de Yahweh annoncé par l’Inconnu de l’Exil (Is 49, 1).

Surtout, l’Ange achève son oracle en citant le dernier verset du livre de Malachie, qui annonçait le retour du prophète Élie avant la fin des temps. Or il s’agit du dernier verset du dernier chapitre du dernier livre de tout l’Ancien Testament : c’est dire quel seuil cet enfant doit faire franchir à son peuple ! « Il marchera devant Dieu avec l’esprit et la puissance d’Élie, pour ramener le cœur des pères vers les enfants et les rebelles à la prudence des justes, préparant au Seigneur un peuple bien disposé. » (v. 17)

Hélas ! Le premier père qui doit se convertir à son enfant, c’est Zacharie lui-même qui refuse de croire au miracle annoncé. Il personnifie son peuple, peuple à la nuque raide, toujours rebelle à son Dieu.

Le châtiment est immédiat : Gabriel frappe Zacharie de mutisme. Cette scène commencée avec toute la splendeur de l’Ancien Testament s’achève donc de façon décevante, même si nous apprenons qu’au retour de son époux, Élisabeth conçoit effectivement un enfant.

Heureusement, saint Luc entame aussitôt un autre récit, comme le second volet d’un diptyque.

L’ANNONCIATION

Nous changeons complètement de décors. Six mois plus tard, le 25 mars de l’an 1 avant Jésus-Christ, bien loin de la Ville sainte, de la glorieuse Judée, saint Luc nous conduit dans le nord de la Palestine, en Galilée, dans une ville obscure nommée Nazareth. C’est la première fois que ce nom apparaît dans la Bible ! Comme on disait, à l’époque : « Que peut-il sortir de bon de Nazareth ? » (Jn 1, 46)

Ayant quitté les splendeurs du Temple et du sacerdoce, nous entrons dans une humble maison et sommes mis en présence d’une « vierge fiancée à un homme du nom de Joseph, de la maison de David ; et le nom de la vierge était Marie » (Lc 1, 27).

Saint Luc ne nous en dira pas plus. Pourtant, d’habitude, cet historien précis a soin de nous présenter ses personnages : Zacharie de la classe d’Abia, Élisabeth fille d’Aaron, Joseph de la maison de David. Mais au sujet de Marie, rien. À nous en tenir à la Sainte Écriture, nous ignorerions même l’existence de sainte Anne et saint Joachim ! Notre Père y voyait un indice de la source de l’Évangéliste : le témoignage de la Vierge Marie, qui est restée discrète sur elle-même. Mais plus profondément, ce silence voile un secret : saint Luc nous laisse pressentir que les origines de cette Vierge sont mystérieuses.

AVE MARIA, JE VOUS AIME, Ô MARIE !

L’ange Gabriel entre chez elle et la salue.

« N’imaginons pas un ange avec toutes sortes de costumes d’ange, nous précisait notre Père. Chez saint Luc, les anges apparaissent toujours comme des hommes jeunes, beaux, resplendissants, revêtus d’une robe de lumière. » (sermon du 25 mars 1998)

Gabriel, le redoutable archange dont le nom signifie « force de Dieu », lui dont la vue avait rempli de terreur le prophète Daniel et le prêtre Zacharie, le voici qui s’incline devant cette enfant et la salue. Et de quelle manière !

« Soyez dans la joie, comblée de grâce, le Seigneur est avec vous. » (v. 28)

Saint Gabriel lui adresse les oracles des prophètes Sophonie et Zacharie qui annonçaient la joie messianique à Jérusalem : « Réjouis-toi, triomphe de tout ton cœur, fille de Jérusalem ! (...) Yahweh est roi d’Israël au milieu de toi (...), héros sauveur ! » (So 3, 14-17) Eh bien, la fille de Jérusalem, qui personnifie tout son peuple, la voici : c’est la Vierge Marie. Le Messie, son roi, son Dieu vient à elle.

Dans cette vierge, l’ange découvre une telle beauté, une telle sainteté, qu’il l’appelle « comblée de grâce ». Or, c’est aussi ce que saint Jean nous dit du Verbe de Dieu dans son Prologue : « plein de grâce et de vérité » (Jn 1, 14). Quel rapprochement vertigineux !

Ce verset est capital : il est le fondement scripturaire du dogme de l’Immaculée Conception défini par le bienheureux Pie IX en 1854. Dogme dont la négation est le premier outrage au Cœur Immaculé de Marie dont Notre-Seigneur s’est plaint à sœur Lucie.

Cette jeune fille que nous découvrons est déjà toute divinisée par la grâce. Depuis quand ? Depuis toujours... La Vierge Marie est la fille chérie de Dieu le Père, la compagne éternelle du Verbe Fils de Dieu et la Colombe du Saint-Esprit.

En effet, poursuit l’ange, « le Seigneur » est avec elle. Le Seigneur, c’est-à-dire le Saint-Esprit qui demeure dans son Cœur comme en son Temple, sa Colombe, pour l’embraser sans cesse d’amour, la conseiller, la préparer à sa vocation surhumaine, que Gabriel vient lui annoncer.

Quelle merveille que cette humble vierge d’Israël ! « Tout votre être est d’une noblesse inouïe, s’écrie notre Père dans une page mystique, parce que l’Esprit-­Saint habitait en votre âme et lui donnait tous les jours de votre vie ces mouvements si purs, ces inspirations divines dont l’effet s’imprimait en traits d’une parfaite pureté et beauté sur votre visage et en tout votre être. » (Page mystique n° 81, “ Je vous salue, pleine de grâce ! ” sept. 1975)

Cette salutation angélique, qui est devenue notre Ave Maria, c’est le compliment le plus parfait, composé par Dieu lui-même, pour toucher le Cœur de sa fille bien-aimée. Et Notre-Dame le goûte si bien qu’elle ne se lasse pas de nous demander, à chacune de ses apparitions, de réciter tous les jours le chapelet, c’est-à-dire de le lui répéter cinquante fois !

Sur le moment, cette humble enfant fut troublée par un tel hommage. Mais notre Père nous faisait remarquer que si Marie avait été confuse en voyant l’ange s’incliner devant elle, lui-même l’avait été bien davantage ! Il était ravi ! Il l’avait saluée d’un air de dire : « Si vous saviez comme je vous aime ! Si vous saviez comme je vous admire ! »

Saint Gabriel se ressaisit néanmoins et reprend son discours, pour s’acquitter de sa mission :

« Soyez sans crainte, Marie ; car vous avez trouvé grâce auprès de Dieu. » (v. 30)

Qu’est-ce qui charme ainsi le Cœur de Dieu quand il regarde la Vierge Marie ? Dieu aime ce qui est différent de Lui, ce qui a besoin de Lui, nous expliquait notre Père. Ainsi, ce que Dieu aime, dans la Sainte Vierge, c’est la faiblesse, la petitesse, parce que pour la force, il en a à revendre ! Nous le chantons d’ailleurs aux fêtes de la Sainte Vierge : « Cum essem parvula, placui Altissimo. Parce que j’étais petite, j’ai plu au Très-Haut. »

L’humilité de cette enfant était tellement parfaite que lorsque Dieu a voulu s’incarner, prendre la dernière place, il a trouvé Marie qui l’y attendait.

VIERGE ET MÈRE.

L’ange lui annonce alors l’accomplissement des prophéties : « Voici que vous concevrez dans votre sein et enfanterez un fils, et vous l’appellerez du nom de Jésus – c’est-à-dire : “ Yahweh sauve ”. Il sera grand, et sera appelé Fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père ; il régnera sur la maison de Jacob pour les siècles et son règne n’aura pas de fin. » (v. 31-33)

L’ange parle lentement. Ces merveilles n’étonnent pas la Vierge Marie. N’est-elle pas le trône de la Sagesse, le Temple du Saint-Esprit ? Elle comprenait déjà que les prophéties annonçaient la venue en la chair d’une Personne divine, descendue d’auprès de Dieu. Maintenant, elle comprend aussi très bien que Dieu l’a choisie pour devenir la Mère du Messie.

Or, à cette époque de fiévreuse attente messianique, toutes les femmes juives aspiraient à cet honneur ! Et pourtant, à la gloire de cette maternité incomparable, Marie préfère le modeste bonheur de demeurer toute consacrée à Dieu, dans la virginité. Elle en avait fait le vœu, dès l’enfance. Saint Joseph, son fiancé, devait être son protecteur, dans un mariage virginal.

Aussi, tout en se mettant aux ordres du Bon Dieu, la Vierge Marie lui rappelle-t-elle son désir de demeurer toute sienne : « Comment cela sera-t-il, puisque je ne connais pas d’homme ? »

Cette protestation de fidélité à sa vocation d’épouse de Dieu seul a dû Lui plaire infiniment ! Loin d’être un obstacle au dessein divin, la virginité de Marie, qui la consacre tout à Dieu, devient le principe de sa Maternité divine, Dieu agissant librement et souverainement en Elle. C’est ce que lui explique l’ange :

« L’Esprit-Saint viendra sur vous, et la puissance du Très-Haut vous prendra sous son ombre ; c’est pourquoi l’être saint qui naîtra sera appelé Fils de Dieu. » (v. 35)

Et alors même que Marie n’a pas demandé de signe pour croire, Gabriel lui en donne un, tout de même, en lui annonçant la conception miraculeuse d’Élisabeth, dont nous apprenons au passage qu’elle est sa cousine.

LA SERVANTE DU SEIGNEUR.

Alors, Marie prononce son fiat : « Je suis la servante du Seigneur ; qu’il m’advienne selon votre parole ! » (v. 38)

La Vierge Marie est très fine. Quand elle se dit la « servante du Seigneur », ce n’est pas pour faire de l’humilité, mais c’est une allusion au Serviteur de Yahweh annoncé par le second Isaïe dans la prophétie la plus précise de la vocation du Messie et spécialement de ses humiliations, de ses souffrances, du sacrifice de sa vie qu’il offrirait pour la rédemption des multitudes. Par cette seule parole, « Je suis la servante du Seigneur », la Sainte Vierge s’unit d’avance à toute la destinée de l’Enfant que Dieu lui donne, à ses souffrances et à sa mort. Elle s’y préparera toute sa vie. En même temps qu’une joie immense, l’Annonciation inspire donc à Marie sa première pensée de la mort du Christ, venant briser son Cœur Immaculé.

C’est à cet instant qu’a lieu le miracle de sa conception virginale : le Verbe s’incarne dans le sein de Marie.

« Je sais maintenant par la science tout le détail et l’humble ordonnancement de ce miracle auquel étaient prédisposées les lois de la nature. Je sais l’ovule singulier, portant votre code génétique, ô Marie, son ADN retenant tout l’héritage de votre race et tout votre caractère, prêt à repartir sous l’opération du Saint-Esprit dans la fantastique réplication qui formerait un nouvel être si parfaitement semblable à vous que nul fils jamais ne ressembla tant à sa mère. Je sais la modification des chromosomes XX en XY qui déterminerait le sexe masculin de l’enfant, imperceptible miracle de cette facile parthénogenèse...

« J’assiste comme au microscope électronique, à la minute bouleversante où ce fruit détaché de vous se fixe, se creuse un nid et réussit la première opération de son développement autonome. Alors l’âme de Jésus vit en votre sein, Dieu est parmi nous caché dans ce Sanctuaire pourpre, ô royal Emmanuel ! Ah, tout ce mystère est inconnu des humains et connu de Dieu seul. Aucun homme ne vous a approchée, ô Marie, aucun désir charnel ne vous a émue, ô Vierge, aucun sang étranger ne s’est mêlé au vôtre, Immaculée Mère de Jésus ! » (Page mystique n° 52, Noël 1972, “ En l’honneur de la Bienheureuse et toujours Vierge Marie ”)

Jusqu’alors, la Présence divine demeurait dans le Temple de Jérusalem, dans le Saint des Saints, sous la forme d’une nuée. Mais la voici qui envahit la Vierge Marie. Désormais, le Temple de Dieu, l’Arche d’Alliance, c’est Elle !

« Et l’Ange la quitta », sa mission accomplie. Dans cette scène si humble, si cachée, s’est réalisée la plus grande merveille de l’histoire : par la médiation de Marie, en elle, la grâce de Dieu est rentrée dans notre monde pécheur.

Dans un troisième tableau, saint Luc nous raconte ensuite la rencontre des personnages de la première et de la deuxième annonciation, comme celle de l’Ancien et du Nouveau Testament.

LA VISITATION

« En ces jours-là, Marie partit et se rendit en hâte vers la région montagneuse, dans une ville de Juda. » (Lc 1, 39)

« En lisant cela, j’ai craqué, disait notre Père. J’ai vu la petite Sainte Vierge se mettre en route. Avec saint Joseph, bien sûr », pour l’accompagner. Ce n’est pas dans le texte, mais c’est évident.

La Visitation, c’est une manifestation du Cœur de la Sainte Vierge. Elle est pleine de la flamme d’amour du Saint-Esprit, elle ne fait qu’un seul Cœur avec le Fils de Dieu qui s’incarne en elle, elle est pleine de la force de Dieu, pleine de joie aussi, et vite, la charité la presse de courir à travers la montagne de Juda au secours de sa vieille cousine. Son exemple doit nous entraîner !

À son arrivée, Marie n’a rien de plus pressé que de saluer et d’embrasser sa vieille cousine. Leurs ventres se touchent et, par ce simple contact, saint Jean-­Baptiste est sanctifié et tressaille d’allégresse dans le sein de sa mère ! Le Fils de Dieu qui demeure en Marie, caché et silencieux, rayonne néanmoins sa grâce par la présence et par la voix de sa Mère ! C’est l’exemple parfait de la médiation de Marie.

Cette médiation se poursuit jusqu’aujourd’hui, dans chacune de nos communions qui est une visitation de Jésus et Marie à notre âme. Frère Bruno aime d’ailleurs nous rappeler que par sa petite demande de la communion réparatrice, Notre-Dame veut continuer l’œuvre de sa visitation dans les cœurs qui embrassent la dévotion à son Cœur Immaculé. C’est ainsi qu’elle fait de nous ses dociles instruments, comme saint Jean-Baptise, devenu le Précurseur du Christ.

Quant à sainte Élisabeth, elle est elle-même remplie du Saint-Esprit qui lui révèle le mystère qui s’accomplit dans sa jeune cousine. Elle « pousse un grand cri » ou, plus exactement, une acclamation liturgique : l’acclamation que les Hébreux poussaient pour accueillir l’Arche d’Alliance, comme nous le lisons, par exemple, dans l’histoire du roi David (2 S 6, 15).

Puis elle répond à la salutation de Marie : « Vous êtes bénie entre les femmes, et béni le fruit de votre sein ! » (v. 42) C’est la suite de notre Ave Maria.

« Et comment m’est-il donné que vienne à moi la mère de mon Seigneur ? » (v. 43)

Admirons cet étonnant renversement ! C’est Élisabeth, vénérable par son âge, par sa sainteté, par la dignité sacerdotale de son époux, qui s’humilie devant cette petite jeune fille de quinze ans.

« Oui, bienheureuse celle qui a cru en l’accomplissement de ce qui lui a été dit de la part du Seigneur ! » (v. 45)

Contrairement à son pauvre mari, Zacharie !

MAGNIFICAT !

Que va répondre Marie à de telles louanges ? Elle va chanter son Magnificat. Elle a eu le temps de le méditer, tout le long du chemin. Quand l’ange l’a quittée, elle a aussitôt pensé à Anne, cette femme stérile de l’Ancien Testament, qui avait conçu miraculeusement le petit Samuel. Surtout si sa propre maman s’appelait Anne, comme nous le rapporte la tradition. Alors, Marie a commencé par chanter le Cantique d’Anne (1 S 2). Mais comme c’est un chant guerrier, peu à peu, elle se l’est approprié pour composer finalement cette merveille du Magnificat.

Le Magnificat, c’est le chant de l’âme de la Vierge Marie, nous disait notre Père. C’est le chant de reconnaissance de la Mère, de l’Épouse de Dieu pour les grandes choses que le Tout-Puissant a faites en elle (v. 49).

Cette merveille de l’Incarnation, qui fait sa joie intime, explose en triomphe mondial, car c’est l’accomplissement de toute l’Ancienne Alliance, depuis les promesses à son père Abraham (v. 55). Or, la Vierge Marie faisait partie de ces pauvres de Yahweh méprisés et persécutés. Elle partageait toute l’impatience du peuple de Dieu et attendait le Messie qui allait libérer Israël de ses mauvais pasteurs et le rendre à la vraie religion ! Et voici que cette heure arrivait, l’heure du grand renversement des sorts messianique : « Il a renversé les puissants de leurs trônes et élevé les humbles. » (v. 52)

Nous découvrons ici que notre petite Sainte Vierge allie la polémique à la mystique ! C’est une véritable révolution qu’elle annonce, non pas au sens charnel, mais spirituel ! Notre Père écrit que le Magnificat est « l’Hymne qui servit d’ouverture à la plus grande, à la seule divine Révolution que Jésus une fois pour toutes venait instaurer dans l’Histoire et qui se poursuivrait jusqu’à la fin du monde : le coup de force contre Satan. » (Kérygmatique, “ La Révolution de Jésus ”, CRC n° 73, octobre 1973)

C’est sur cette immense espérance que se ferme le premier acte des Évangiles de l’Enfance. Les grandeurs décevantes de l’Ancienne Alliance se sont inclinées devant la divine petitesse de l’Évangile, Élisabeth et Zacharie ont été sanctifiés par Jésus et Marie.

Saint François de Sales a si bien compris ce mystère que c’est sous son patronage qu’il a placé ses filles en fondant avec sainte Jeanne de Chantal la Visitation Sainte-Marie :

« Je vous laisse à penser, ma fille, quelle bonne odeur répandit en la maison de Zacharie cette belle fleur de lis. Pendant trois mois qu’elle y fut, comme chacun en était embaumé ! Et comme, avec peu, mais de très excellentes paroles, elle versait de ses sacrées lèvres le miel et le baume précieux ! Car que pourrait-elle épancher que ce de quoi elle était pleine ? Or elle était pleine de Jésus. Mon Dieu ! ma fille, je m’admire, tant que je suis encore si plein de moi-même après avoir si souvent communié. Eh ! cher Jésus, soyez l’enfant de nos entrailles, afin que nous ne respirions ni ressentions partout que vous. » (Lettre DCCXXV)

NATIVITÉS

NAISSANCE ET CIRCONCISION DE SAINT JEAN-BAPTISTE

Deuxième acte. Trois mois ont donc passé.

« Quant à Élisabeth, le temps fut accompli où elle devait enfanter, et elle mit au monde un fils. » (Lc 1, 57)

Cette naissance de Jean-Baptiste est traitée en un seul verset. Il n’y a rien à en dire. Huit jours après, en revanche, c’est sa circoncision. C’est dans cette institution juive que va se manifester la puissance de Dieu. Saint Luc nous donne de cette grande séance d’Ancien Testament un récit pittoresque. Tellement pittoresque, que cela prouve pour le moins le sérieux de l’enquête de cet Évangéliste, écrivain grec ! Et même, les exégètes, à force de scruter les textes, en viennent à la conclusion que le rédacteur de ces deux premiers chapitres, qui nous restituent si bien le climat juif préchrétien, jusque dans le style, ne peut être que juif lui-même. Sans doute saint Jean, le dépositaire des confidences de la Vierge Marie. Il les rédigea avant de donner ces récits à saint Luc qui les a introduits au commencement de son Évangile.

« Ses voisins et ses proches [d’Élisabeth] apprirent que le Seigneur avait fait éclater sa miséricorde à son égard, et ils s’en réjouissaient avec elle. Et il advint, le huitième jour, qu’ils vinrent pour circoncire l’enfant. On voulait l’appeler Zacharie, du nom de son père ; mais, prenant la parole, sa mère dit :Non, il s’appellera Jean. ”

« Et on lui dit : Il n’y a personne de ta parenté qui porte ce nom !

« Et l’on demandait par signes au père comment il voulait qu’on l’appelât. Celui-ci demanda une tablette et écrivit : Jean est son nom ” ; et ils en furent tous étonnés. » (Lc 1, 58-63)

À cet instant, Zacharie retrouve la parole, il est rempli du Saint-Esprit et entonne son cantique d’action de grâce, le Benedictus.

Il s’inspire beaucoup du Magnificat de la Vierge Marie, qu’il a bien médité depuis trois mois. Cependant, dans une première partie, Zacharie reste dans les perspectives étroites d’Ancien Testament, d’un salut temporel, pour la seule race juive. Mais dans une seconde partie, il s’élève à une espérance nouvelle et il chante la vocation de son enfant qui sera le Précurseur d’un Messie divin, spirituel, en donnant à son peuple « la connaissance du salut par la rémission de ses péchés » (v. 77).

La fin de son cantique est d’un grand lyrisme : « Le crépuscule de l’Ancien Testament que nous trouvons ici, commente notre Père, est d’un somptueux magnifique, il est lumineux, il est éclatant, il réjouit nos yeux. Mais enfin, cela reste de l’Ancien Testament. »

C’est pourquoi saint Luc ayant raconté l’événement et son retentissement dans toute la Judée, passe immédiatement à la suite : Jean se retire dans le désert, nous le retrouverons trente ans plus tard. Quant à Marie, elle rentre à Nazareth.

L’ANNONCIATION A SAINT JOSEPH

C’est à ce moment que commence l’Évangile selon saint Matthieu. L’Évangéliste dresse d’abord la généalogie de Jésus, qui aboutit à Joseph, comme celle que saint Luc nous donnera un peu plus tard. Marie, nul ne sait d’où elle est. C’est donc par saint Joseph que Jésus est fils de David, conformément aux prophéties.

La conclusion de la généalogie selon saint Matthieu est très remarquable : « Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle naquit Jésus, que l’on appelle Christ. » (Mt 1, 16)

En termes voilés, c’est déjà la révélation de la maternité virginale de Marie ! que saint Matthieu explicite aussitôt.

« Or telle fut la genèse de Jésus-Christ. Marie, sa mère, était fiancée à Joseph. » (Mt 1, 18)

Dans l’Évangile de saint Matthieu, c’est saint Joseph qui joue le rôle principal : les événements sont racontés de son point de vue ; c’est lui qui reçoit les révélations du Ciel en songe, qui prend toutes les décisions. Seule la Vierge Marie a pu raconter les choses ainsi, en s’effaçant ! Dans l’expression « Joseph qui était un homme juste » (v. 19), notre Père se plaisait à retrouver l’écho de l’admiration, de la vénération de Marie pour son époux.

Nul mieux que notre Père n’a su nous introduire dans le cœur de saint Joseph. Imaginons les sentiments d’un tel homme, si saint, le jour où lui fut présentée la Vierge Marie, cette enfant toute consacrée à Dieu qu’on lui confiait pour la protéger dans un mariage virginal ! Ce fut un véritable choc mystique : Marie, qui était le Temple du Saint-Esprit, sanctifiait son fiancé par sa seule présence !

Or, à son retour de la maison d’Élisabeth, saint Joseph la découvrit enceinte. Une seule lumière vint frapper son esprit : en cette enfant si pure s’accomplissait la prophétie d’Isaïe : « Voici que la Vierge concevra et qu’elle enfantera un Fils. Et elle lui donnera le nom d’Emmanuel. » (Is 7, 14) C’est-à-dire « Dieu avec nous ».

Mais que faire ? Accueillir chez lui cette Vierge pure comme son épouse et le mystère divin qu’elle portait en elle ? Impossible ! Il n’en était pas digne ! La répudier, alors, comme une pécheresse, puisqu’elle portait un enfant qui n’était pas le sien ? Impensable ! Elle ne le méritait pas ! C’était une agonie...

« “ Parce qu’il était juste ”, explique frère Bruno, Joseph ne voulut pas s’approprier une descendance qui venait de Dieu, ni une épouse qui n’était point sienne. Il se retirerait discrètement, en évitant d’attirer sur Marie les conséquences d’une Loi qui n’avait pas prévu son cas ! » (Sermon du 25 décembre 2002)

Saint Joseph résolut donc de se séparer de Celle qui était la lumière, la joie, la force, la sainteté de sa vie, pour obéir malgré tout à la loi de Dieu.

C’est alors que l’Ange du Seigneur lui apparut en songe et lui dit : « Joseph, fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme : car ce qui a été engendré en elle vient de l’Esprit-Saint. » (v. 20) Quel bonheur, quelle récompense après l’épreuve !

En même temps, Dieu versa dans le cœur de saint Joseph son propre amour de père pour l’Enfant-­Jésus, comme il lui avait communiqué son propre amour d’époux pour la Vierge Marie. Si bien que nul homme n’a été plus pleinement époux et père que le chaste Joseph ! C’est lui qui donnerait son nom à l’Enfant-Jésus, en signe de sa paternité légale, réelle.

NOËL !

C’est saint Luc qui nous raconte en détail la Nativité de Jésus. Il commence solennellement, en évoquant la grande histoire académique et le plus célèbre personnage du temps, César Auguste. Cet empereur romain était tellement puissant et orgueilleux qu’il avait accolé à son titre celui d’Auguste, c’est-à-dire divin ! Le recensement qu’il avait ordonné de la population de son empire était pour des juifs une marque suprême de démesure.

Et pourtant, en quelles circonstances parlons-nous encore de cet empereur, en dehors de l’Évangile de la messe de minuit ? La vraie grandeur dément les apparences, ainsi que le méditait notre Père dans sa page mystique de Noël 1975 : « Jésus, tu n’es qu’obscurité et faiblesse dans cette nuit de Noël, mais ce sont les Césars et leur immense Empire qui t’abritent comme un toit et te préparent sans savoir un empire et une capitale. » (Page mystique n° 84, “ Noël ”)

Le recensement même n’apparaît que comme l’occasion providentielle pour faire monter Marie et Joseph de Nazareth à Bethléem. Saint Luc, malgré sa rigueur historique, ne se soucie pas de dater l’événement, car la naissance du Fils de Dieu devient le nouveau centre de l’histoire, la nouvelle référence. Le recensement date donc... de la naissance de Jésus ! Et frère Bruno a démontré que la date calculée au Moyen Âge était exacte : nous sommes au soir du 24 décembre de l’an 1 avant l’ère chrétienne, l’an 753 après la fondation de Rome (cf. “ L’an 1 de son ère, Jésus naquit à Bethléem ”, par frère Bruno Bonnet-­Eymard, CRC n° 362, déc. 1999).

« Joseph aussi monta de Galilée, de la ville de Nazareth, en Judée, à la ville de David, qui s’appelle Bethléem – parce qu’il était de la maison et de la lignée de David –, afin de se faire recenser avec Marie, sa fiancée, qui était enceinte. » (Lc 2, 4-5)

Saint Joseph aurait pu faire le voyage seul pour cette formalité administrative. Mais c’est à Bethléem qu’était sa résidence ordinaire et s’il avait résolu d’y emmener Marie, malgré son état de grossesse avancée, c’était en vue de s’y établir définitivement. Cela lui semblait d’autant plus opportun qu’il savait par les prophéties que le Messie devait naître à Bethléem, la cité de David.

MERE DE DIEU, TOUJOURS VIERGE.

« Or il advint, comme ils étaient là, que les jours furent accomplis où Marie devait enfanter. » (v. 6)

Mais « ils manquaient de place dans la salle » : la salle commune de la maison de famille de Joseph. D’autant que toute la parentèle avait rallié aussi Bethléem pour le recensement : quelle agitation pour mettre au monde un Enfant-Dieu ! Et notre Père nous précisait que ce verset peut aussi se traduire : « ce n’était pas leur place ». Ils trouvèrent donc un refuge tranquille dans une pièce attenante servant d’étable, où logeaient le bœuf et l’âne.

Saint Luc nous raconte alors cette naissance avec une pudeur et une délicatesse merveilleuses : « Elle enfanta son fils premier-né, l’enveloppa de langes et le coucha dans une crèche. » (v. 7)

C’est une heure d’extase, d’adoration. Ce verset, affirmait notre Père, vaut une définition dogmatique de la virginité in partu – pendant l’enfantement – de Notre-Dame : « Toute l’Église, ô Mère, dans son immense vénération, l’a compris d’instinct. Celui qui a voulu résider dans votre sein sans blesser votre virginité ne devait, ne pouvait pas, lui-même, la rompre au jour heureux de son Noël ! » (Page mystique n° 52)

Sans avoir à se remettre des fatigues et des douleurs qui sont le partage des filles d’Ève, Marie prend soin de son bébé elle-même. Nulle sage-femme, nul curieux. C’est dans cette solitude inouïe que survient l’acte le plus prodigieux de l’histoire, que s’accomplissent les prophéties d’Isaïe, de Daniel et de tant d’autres, que se réalise l’espérance millénaire d’Israël : Dieu paraît au monde.

Il est le fils « premier-né » de Marie, premier-né d’une multitude de frères, nous autres, baptisés, enfants de Marie, nous disait notre Père. Décidément nous découvrons dans l’Évangile, en germe, tous les privilèges de Notre-Dame, objets de notre dévotion réparatrice aujourd’hui. Après son Immaculée Conception, sa Médiation, sa virginité perpétuelle, voici annoncée sa Maternité universelle. Et nous ne sommes pas encore au bout de nos découvertes...

« Elle mit au monde... Elle enfanta... Elle l’enveloppa... » : il n’y en a que pour Elle ! Saint Joseph lui-même disparaît dans un coin d’ombre. Il ne demande d’ailleurs pas mieux et pleure tant qu’il peut en contemplant la scène.

Les anges aussi, descendus du ciel dans cette humble étable, ne perdent rien du spectacle. Dans quelques instants, c’est précisément ces deux gestes de Marie, « elle l’enveloppa de langes et le coucha dans une mangeoire », qu’ils donneront pour signe aux bergers.

LE ROI DES ANGES ET DES PAUVRES.

En effet, après s’être abandonné aux adorations et aux tendresses de Marie, de Joseph, Jésus doit commencer ses audiences et les anges s’en vont convoquer ses sujets. En commençant par les bergers.

Des bergers comme le fut David, dans cette même région de Bethléem ; bergers comme le sera Jésus, notre Bon Pasteur. Ce sont des êtres pauvres, frustes, mais que leur métier tient à l’écart des villes, de Jérusalem et Bethléem, hostiles ou indifférentes à Jésus. De siècle en siècle, le Ciel a toujours eu une prédilection spéciale pour les bergers, jusqu’aux trois pastoureaux de Fatima.

Or : « L’Ange du Seigneur se tint près d’eux et la gloire du Seigneur les enveloppa de sa clarté. » (v. 9)

C’est une théophanie, une vision de Dieu. Dans l’Ancien Testament, la présence de Yahweh se manifestait par une nuée lumineuse. À Fatima, vingt siècles plus tard, les trois enfants contempleront à leur tour cette « lumière immense qui est Dieu » et ils raconteront comment ils se sont vus alors « submergés en Dieu ».

L’ange apaise leur crainte religieuse et leur annonce la bonne nouvelle : « Aujourd’hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la ville de David. » (v. 11) Le Christ, c’est le Roi, le Messie attendu, qui a reçu l’onction divine. Et l’ange l’appelle « Seigneur », c’est-à-dire Dieu. Ce Sauveur, ce Messie, est un Dieu fait homme. Quelle grandeur ! Et pourtant, voici le signe que leur donne le messager céleste : « Vous trouverez un nouveau-né enveloppé de langes et couché dans une crèche. » (v. 12)

Ce signe de Noël, à travers les siècles, est aussi une épreuve pour notre foi : il nous est demandé d’adorer un Dieu fait enfant, un Sauveur au berceau, un Roi miséreux. Cependant, Dieu se révèle bien mieux dans cette abjection que dans le plus beau des palais ! Dans la compétition mesquine des grands de ce monde prétendant à la gloire humaine, à des honneurs mondains dérisoires, le Fils de Dieu surclasse toute concurrence en choisissant de se manifester dans une étable, sur de la paille, entre un bœuf et un âne. Cela, personne ne l’a jamais fait !

Ce renversement des valeurs, c’est ce que notre Père appelle la modification évangélique.

Tout de même, ce soir, cette petitesse se drape d’une splendeur céleste, car « soudain se joignit à l’ange une troupe nombreuse de l’armée céleste, qui louait Dieu, en disant :Gloire à Dieu au plus haut des cieux et sur la terre paix aux hommes objets de sa complaisance ! ” » (v. 13-14)

Dans les lumières et les musiques angéliques, c’est la plus belle théophanie de toute la Bible, s’émerveillait notre Père !

Bien sûr, les bergers se précipitent à la crèche. Ils croient l’ange d’autant plus volontiers que c’était la fierté des gens du pays d’attendre un Messie qui naîtrait chez eux, à Bethléem, selon les prophéties.

« Ils vinrent donc en hâte et trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né couché dans la crèche. » (v. 16)

Dans cette Bethléem dont le nom signifie « maison du pain », celui qui enseignera trente ans plus tard que le pain qu’il donnera c’est sa propre chair, est couché dans une mangeoire... Quelle figure ! La Vierge le présente aux bergers, pour qu’ils l’embrassent, de la même manière qu’elle nous le présente aujourd’hui à manger, comme notre pain eucharistique, lors de nos communions réparatrices. C’est pour cela que Jésus s’est incarné !

Tandis que les bergers repartent et publient la bonne nouvelle, « Marie conservait avec soin toutes ces choses, les méditant en son cœur. » (v. 19) Ce verset fonde notre dévotion au Cœur Immaculé de Marie ! C’est elle, décidément, le personnage principal et la source de ce récit, discrètement désignée par saint Luc.

LA CIRCONCISION DE JESUS.

L’histoire continue : « Et lorsque furent accomplis les huit jours pour sa circoncision, il fut appelé du nom de Jésus, nom indiqué par l’ange avant sa conception. » (v. 21)

Au sujet de la naissance de saint Jean-Baptiste, l’Évangéliste n’avait rien à dire, mais il nous avait raconté longuement sa circoncision. Pour Jésus, c’est l’inverse : cette cérémonie judaïque tient en un seul verset. Cette blessure cruelle qui signifiait la consécration du lignage dont naîtrait un jour celui qui verserait tout son sang pour nos péchés n’a plus de valeur, dès lors qu’enfin, Jésus paraît.

Néanmoins, notre Père aimait méditer cette première effusion du sang rédempteur, cette première compassion de Marie, aussi, qui lui annonçait leur sacrifice à venir : « À lui le sang, à elle les larmes. » (Lettre à mes amis n° 127, 1er janvier 1963)

LA PRÉSENTATION DE JÉSUS AU TEMPLE

Or, Jésus n’a garde de chômer dans son office de rédempteur ! Aussitôt après sa circoncision, ses parents le conduisent au Temple de Jérusalem. Depuis Bethléem, une journée suffit pour faire l’aller-retour.

En apparence, cette scène est très modeste. Rien ne paraît distinguer Joseph et Marie des couples ordinaires. Les femmes montaient au Temple pour y être purifiées rituellement, car selon la loi de Moïse, elles contractaient une souillure lors de l’accouchement. Quant aux fils premiers-nés, ils devaient être consacrés à Dieu comme sa propriété, puis lui être rachetés, au prix d’un sacrifice de substitution.

Mais l’Immaculée Vierge Marie n’avait pas besoin d’être purifiée de quelque souillure que ce soit ! D’ailleurs, saint Luc ne dit rien de tel. Quant à Jésus, il était hors de propos d’immoler une bête pour le racheter, puisque toute sa vocation serait de servir son Père, jusqu’à offrir sa propre vie en sacrifice.

En fait – mais nous commençons à en avoir l’habitude – la réalité du mystère renverse les apparences de cette scène si humble. En ce jour, le Messie monte à Jérusalem en conquérant. C’est la sainteté de Dieu qui s’avance ! Le moment est solennel, car l’entrée de Jésus dans le Temple accomplit une prophétie de Malachie, que l’Église nous fait chanter le 2 février, pour la fête de la Présentation de Jésus : « Et soudain il entrera dans son sanctuaire, le Seigneur que vous cherchez (...). Il purifiera les fils de Lévi et les affinera comme or et argent, et ils deviendront pour Yahweh ceux qui présentent l’offrande selon la justice. » (Ml 3, 1-3)

C’est bien ce que nous suggère saint Luc : « Et lorsque furent accomplis les jours pour leur purification – des juifs –, selon la loi de Moïse, ils l’emmenèrent à Jérusalem pour le présenter au Seigneur, selon qu’il est écrit dans la Loi du Seigneur : “ Tout garçon premier-né sera consacré au Seigneur ”, et pour offrir en sacrifice, suivant ce qui est dit dans la Loi du Seigneur, “ un couple de tourterelles ou deux jeunes colombes ”. » (Lc 2, 22-24)

Marie ne monte pas au Temple pour s’y faire purifier, mais pour y offrir son Enfant, qui sera la victime d’un sacrifice de purification du peuple juif. Et pour s’offrir avec Lui ! Ainsi, les deux colombelles immolées sous leurs yeux les personnifient tous deux et annoncent leur sacrifice du Calvaire.

Mais voici que paraissent deux vieillards, deux prophètes, qui vont expliciter ce mystère. Saint Luc nous dresse d’admirables portraits de ces pauvres de Yahweh, de véritables saints, qui personnifient et achèvent la perfection de l’Ancienne Alliance, en reconnaissant le Messie.

LE VIEILLARD SYMÉON ET LA PROPHÉTESSE ANNE.

« Et voici qu’il y avait à Jérusalem un homme du nom de Syméon. Cet homme était juste et pieux ; il attendait la consolation d’Israël et l’Esprit-Saint reposait sur lui. » (v. 25)

Dans cet Évangile de l’Enfance, l’Esprit-Saint souffle en tempête et nous le voyons envahir tous les personnages à leur tour !

« Et il avait été divinement averti par l’Esprit-Saint qu’il ne verrait pas la mort avant d’avoir vu le Christ du Seigneur. Il vint donc au Temple, poussé par l’Esprit, et quand les parents apportèrent le petit enfant Jésus pour accomplir les prescriptions de la Loi à son égard, il le reçut dans ses bras et bénit Dieu. » (v. 26-28)

Étonnamment, dans toute cette scène, nous ne voyons pas paraître de prêtre, mais seulement ce prophète : saint Luc nous signifie par là que le sacerdoce ancien est dorénavant caduc. Le vieillard Syméon entonne son cantique du Nunc Dimittis, que nous chantons encore tous les soirs à complies. À travers lui, c’est le crépuscule de l’Ancien Testament qui jette ses derniers feux pour célébrer le Salut de Dieu – c’est-à-dire ce Jésus qu’il tient dans ses bras, le mot est le même – comme une lumière éclairant toutes les nations : l’Ancienne Alliance s’épanouit en religion catholique, c’est-à-dire universelle.

Mais ce crépuscule est rougeoyant...

En effet, aussitôt après cette admirable action de grâce, Syméon se tourne vers Marie pour lui annoncer un mystère de mort et de résurrection :

« Vois ! cet enfant doit amener la chute et le relèvement d’un grand nombre en Israël ; il doit être un signe en butte à la contradiction – et toi-même, une épée te transpercera l’âme ! –, afin que se révèlent les pensées intimes de bien des cœurs. » (v. 34-35)

En une phrase, c’est le résumé de tout l’Évangile, que la suite de notre étude ne fera que développer.

Nous méditons la Présentation de l’Enfant-Jésus au Temple comme un mystère joyeux du Rosaire, mais quelle douleur ! De ce jour, la Vierge Marie n’a plus connu un seul instant de sérénité sur la terre. La pensée de la mort de son Fils ne l’a plus quittée, à laquelle elle s’associerait, en Corédemptrice.

Aujourd’hui, deux mille ans après, cette souffrance demeure encore, le Cœur Immaculé de Marie est toujours transpercé, parce que Dieu Notre-Seigneur est horriblement outragé par les hommes ingrats. La douleur de Jésus et Marie est la pierre d’achoppement de notre salut : « Qui s’émouvra de la blessure du Cœur de Marie sera sauvé, nous assurait notre Père. Qui méprisera ou ignorera les Douleurs de Marie sera condamné. »

La prophétesse Anne, qui survient à son tour, paraît rendre sa gaité à la scène. Elle loue Dieu et parle de l’Enfant à tous les gens pieux de Jérusalem ; à tous ceux, nous dit saint Luc, qui attendaient non pas la « délivrance », comme le traduisent nos Bibles, mais « la rançon de Jérusalem » (v. 38), précise frère Bruno. La rançon de Jérusalem, c’est ce bel Enfant-Jésus que la Vierge Marie porte au Temple.

C’est le premier offertoire, en vue du Saint-­Sacrifice de la Croix, renouvelé à chacune de nos messes. Sœur Lucie a admirablement résumé ce mystère : lors de la Présentation de Jésus, « les mains pures de Marie ont été la première patène sur laquelle Dieu plaça la première hostie ».

DE JÉRUSALEM À NAZARETH

LES MAGES, L’ÉTOILE ET LA VIERGE

Jérusalem ayant été alertée par la prophétesse Anne de la naissance de son Messie, voici que l’arrivée de la caravane des rois mages, dans les jours suivants, met le comble à l’émotion dans la ville et ouvre le troisième acte des Évangiles de l’Enfance, qui est propre à saint Matthieu.

Ces « mages venus d’Orient » (Mt 2, 1) étaient des astrologues du pays de Moab, à l’est du Jourdain. Ils avaient observé l’apparition d’une nouvelle étoile et y avaient reconnu l’accomplissement de la prophétie de Balaam, le prophète païen du roi de Moab, au temps de la conquête de la Terre promise par les Hébreux : « Un astre issu de Jacob devient chef, un sceptre se lève, issu d’Israël » (Nb 24, 17).

Les exégètes se perdent en conjectures pour rechercher une cause naturelle au phénomène céleste extraordinaire que nous décrit saint Matthieu. Et d’imaginer toutes sortes d’éclipses, de comètes ou autres météores qui auraient marqué le ciel de Palestine aux alentours de la naissance de Jésus.

Ces hypothèses très savantes sont futiles pour rendre compte d’une étoile qui apparaît, puis semble disparaître avant de réapparaître lorsque les mages arrivent à Bethléem, se déplaçant alors du nord vers le sud pour finalement s’arrêter au-dessus de la maison de la Sainte Famille ! Pour notre part, après les merveilles des étoiles du ciel de Pontmain, le 17 janvier 1871, après surtout la danse et la chute du soleil du 13 octobre 1917 à la Cova da Iria en présence de soixante-dix mille personnes, nous n’avons pas de peine à croire simplement au miracle de cette étoile, tel que nous le rapporte l’Évangéliste.

Renseignés à Jérusalem sur le lieu de la naissance du Messie, Bethléem, « ils se mirent en route ; et voici que l’astre, qu’ils avaient vu à son lever, les précédait jusqu’à ce qu’il vînt s’arrêter au-dessus de l’endroit où était l’enfant. À la vue de l’astre, ils se réjouirent d’une très grande joie. Entrant alors dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère. » (v. 9-11)

La composition de saint Matthieu met admirablement en lumière la “ conjonction ”, pour parler comme les astronomes, de deux signes : d’une part, celui de l’étoile, « l’astre issu de Jacob » contemplé par Balaam, le signe « issu des hauteurs de là-haut » (Is 7, 11), proposé par Isaïe au roi Achaz qui l’avait méprisé ; d’autre part, le signe finalement annoncé par le prophète : « Voici, la Vierge est enceinte, elle va enfanter un fils et elle lui donnera le nom d’Emmanuel. » (Is 7, 13-14).

La conjonction de l’étoile, de la Vierge et de l’Enfant transporte les mages d’allégresse : « Elle leur révèle, par le parfait recoupement des oracles divins à travers les siècles, que l’étoile était la figure de cette Vierge, Mère du Fils de l’Étoile. » (“ Le Fils de l’étoile ”, CRC n° 362, p. 15)

Dans cet épisode, nous reconnaissons aussi déjà l’accomplissement des prophéties du vieillard Syméon : ces mages païens ont vu se lever la lumière des nations. Quant au roi Hérode, mis au courant, il va laisser paraître la noirceur des pensées intimes de son cœur. Lui qui avait déjà tué sa femme – il en a eu dix ! – et ses propres fils pour écarter tout rival de son trône, va mettre le comble à ses crimes en ordonnant le massacre des Saints Innocents. Dans la fête de l’Épiphanie se noue donc une confrontation tragique de Jésus et de Jérusalem (voir encart).

JÉSUS RECONNU PAR LES NATIONS, REJETÉ PAR JÉRUSALEM

Sermon de frère Georges de Jésus-Marie, le 20 janvier 1985.

LES Mages sont des sages de  l’Orient. Ils sont prévenus par cette étoile miraculeuse et notre Matthieu insiste bien sur cette révélation du Christ au monde. Les Mages viennent, ils vont à Jérusalem, conduits par l’étoile, à cette Jérusalem qui paraît maléfique aux yeux de Matthieu. Pour Matthieu, Jérusalem, c’est déjà le centre de l’Antéchrist. Les Mages demandent au roi Hérode où est ce roi des juifs qui vient de naître. Et là se noue une nouvelle contradiction. Cette fois, ce sont les païens, ces païens de bonne volonté, venus adorer leur Sauveur, conduits par une étoile, qui se heurtent, qui affrontent non seulement Hérode, mais tout son entourage : les scribes, les pharisiens, les grands prêtres et les prêtres. Tout Jérusalem nous apparaît dès ce moment-là comme en complot contre cet Enfant qui vient de naître et dont les gens de Jérusalem sont jaloux.

Vous savez la suite : les Mages, les païens de bonne volonté, vont, portant leurs présents, adorer l’Enfant. Avertis, ils repartent par un autre chemin, car au même moment Hérode, par ruse, par haine, rassemble des soldats pour aller mettre fin à cet Enfant divin, à cette carrière royale qui le menace.

Voilà l’opposition de la lumière et des ténèbres. Mais pendant la nuit, prévenu, Joseph prend Marie et l’Enfant et s’enfuit en Égypte. Et le malin, le cruel Hérode et le mauvais esprit qui l’inspire vont être une première fois vaincus, vaincus par Jésus qui se rit des obstacles des hommes. Ils trouvent refuge en Égypte.

Les Mages venaient de l’Orient et maintenant, c’est à l’Occident, en Égypte, que l’Enfant-Dieu trouve refuge. Voilà les païens qui admettent la Sainte Famille alors que Jérusalem lui ferme ses portes, et Bethléem de même.

Quand, au bout de quelque temps, Joseph est prévenu en songe qu’Hérode est mort, il veut rentrer, ramener l’Enfant-Jésus, encore une fois à Bethléem, à Jérusalem, dans les lieux où doit se passer la révélation du Messie, mais en songe il est averti de ne pas y aller. Le fils d’Hérode, Archélaüs, est aussi cruel que son père. Alors, il évite et il va au nord, au septentrion, il va en Galilée.

L’Orient est venu adorer l’Enfant-Jésus. L’Occident, avec l’Égypte, a accueilli l’Enfant-Jésus. Il est revenu de cet Occident, il a fait son exode, il est rentré dans son peuple, il en a été chassé et il redescend dans la Galilée des Gentils. Cette Galilée dont Isaïe nous dit que c’est le district des nations qui, après avoir connu l’humiliation, sera la première à connaître la gloire.

Ainsi, après ces trois chapitres, voyez comme les événements mê­mes de la vie du Christ, sondés par un Cœur attentif, celui de la Sainte Vierge, objets d’une méditation profonde de la part des Évangélistes, le Juif Matthieu, le Grec Luc, tous ces événements nous comblent d’une leçon très profonde. Cette leçon est celle-ci : les grandeurs de l’Ancien Testament sont peut-être admirables, mais maintenant, elles sont surpassées par les petitesses du Nouveau Testament. L’orgueil juif étant à son comble va connaître son châtiment, tandis que l’humilité des nations païennes va commencer à être exaltée.

LA DOUCE RENCONTRE AU TEMPLE DE JéRUSALEM

Après cette redescente à Nazareth, saint Luc donne une première conclusion à son Évangile de l’Enfance : « L’enfant grandissait, se fortifiait et se remplissait de sagesse. Et la grâce de Dieu était sur lui. » (Lc 2, 40)

Cependant, la Vierge Marie a tenu à raconter un dernier souvenir : le pèlerinage que fit la Sainte Famille à Jérusalem pour la Pâque, lorsque Jésus eut douze ans. Ce court récit sert d’épilogue à l’enfance du Christ en préfigurant sa mission à venir. Jérusalem qui a rejeté son Messie enfant nous est apparue comme d’ores et déjà déchue. Jésus ne doit plus y monter que pour s’y manifester, y mourir et ressusciter le troisième jour.

C’est ce que mime l’Enfant-Jésus en restant dans la ville « à l’insu de ses parents », s’arrachant à leur affection. Ce n’est qu’au bout de « trois jours » de recherches angoissées qu’ils le retrouvent dans le Temple, « assis au milieu des docteurs, les écoutant et les interrogeant ; et tous ceux qui l’entendaient étaient stupéfaits de son intelligence et de ses réponses. » (v. 46-47)

La scène est charmante ! Mais que pensa Jésus des réponses des docteurs ? Dans dix-sept ans, il reviendra à Jérusalem pour confondre la mauvaise foi de ces scribes et pharisiens hypocrites, dénoncer leur orgueil et libérer le peuple de leur autorité usurpée. Et eux, ils mettront à mort celui qui les avait charmés naguère par sa sagesse précoce.

La Vierge Marie embrasse son enfant et lui demande : « Mon enfant, pourquoi nous avez-vous fait cela ? Voyez ! votre père et moi, nous vous cherchions, angoissés. » (v. 48)

Tandis que Marie lui désigne saint Joseph comme son père, Jésus répond en montrant le Ciel : « Pourquoi donc me cherchiez-vous ? Ne saviez-vous pas que je dois être dans la maison de mon Père ? » (v. 49)

« Pour eux seuls, à cet instant, s’émerveille notre Père, le Verbe fait chair sort de son éternel silence. » (Lettre à mes amis n° 164, février 1964)

Depuis douze ans, cet enfant délicieux, si sage, n’avait jamais rien laissé paraître de sa science divine et ses parents ne lui avaient jamais parlé des merveilles de sa naissance. Or cette parole fulgurante éclate à leur intelligence, à leur cœur : “ il sait ”. Qui lui a appris ?

Il sait tout. Dans l’échange de leurs regards, Jésus et Marie se découvrent. Tout change : de ce jour, leur vie cachée deviendra une vie ouverte, Cœur à Cœur, âme à âme, Jésus annonçant à ses parents, à eux d’abord, tout l’Évangile.

La Vierge Marie affirme qu’Elle et saint Joseph ne comprirent pas tout de suite la signification de la réponse de leur enfant. Non pas qu’ils aient ignoré son origine divine, miraculeuse, que leur avait révélée l’Ange du Seigneur. Mais cette parole de Jésus inaugurait les révélations qu’il leur ferait sur l’inhabitation du Fils dans le sein du Père ; et sa disparition de trois jours était la figure prophétique de la douloureuse passion qu’il lui faudrait endurer, de sa mort sur la Croix, et de sa résurrection « le troisième jour », par obéissance à son Père.

La Vierge Marie méditera longuement ces événements dans son cœur et tout l’Évangile de saint Jean, qui est par excellence l’Évangile de la Vierge, en gardera l’empreinte, illustrant cette révélation première de l’intimité de Jésus et de son Père.

NAZARETH : LA VIE CACHéE

« Il redescendit alors avec eux et revint à Nazareth ; et il leur était soumis. Et sa mère gardait fidèlement toutes ces choses en son cœur. Quant à Jésus, il croissait en sagesse, en taille et en grâce devant Dieu et devant les hommes. » (Lc 2, 51-52)

Nous n’en saurons pas plus. « L’Évangéliste, commente notre Père, après en avoir raconté le début, a fait silence sur ce mystère incomparable de trois Cœurs de chair battant au rythme d’un seul Cœur ; au rythme de Dieu ! » (ibid.)

Il nous revient d’imaginer, en nous aidant de ce que nous savons de la vie des saints, de la sainte famille Martin, par exemple, ce qu’ont pu être ces trente années d’intimité des trois plus saintes personnes que la terre ait portées : vie de prière, de labeur et de silence.

« Nazareth, écrit notre Père dans sa Lettre à mes amis n° 82, c’est une maison perdue, ignorée, sous le toit de laquelle une Vierge consacrée et un Prince de Vertu adorent à cœurs perdus leur Dieu et Sauveur. Il n’y a rien de plus semblable à Nazareth qu’une maison où est adoré jour et nuit le Saint-Sacrement exposé ! »

Cependant, ce silence de l’Évangéliste est significatif aussi de la condition d’abjection qu’a embrassée le Fils de Dieu. Abjection, c’est-à-dire obscurité et persécution.

Obscurité de trente années apparemment inutiles. Dieu a jugé qu’il n’en fallait pas moins pour nous révéler « le peu d’importance de bien des choses » et nous guérir de nos illusions et ambitions mondaines.

Persécution, aussi, car constamment dans la Bible, le juste est persécuté, la vertu est méprisée, l’amour n’est pas aimé. Pendant trente ans, Jésus, Marie et Joseph ont souffert de l’hostilité sourde et du péché de leurs compatriotes. Ces trente années furent ainsi pour eux une longue et silencieuse préface au drame de la Rédemption. C’est ce que résume notre Père dans un dernier bouquet spirituel : « Nazareth – et, nous l’avons vu, l’Évangile de l’Enfance tout entier – ne s’oppose pas au drame de la vie publique et de la Croix, il y mène. »

 frère Guy de la Miséricorde.