Il est ressuscité !

N° 247 – Septembre 2023

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


LA LIGUE

La Ligue

L’unique cœur de la Phalange

IMAGINEZ un immense  château renaissance resplendissant sous le soleil. Dans la cour d’honneur, de nobles dames et des gentilshommes tout droit jaillis de la cour d’Henri IV, arborant des fraises de dentelle éclatante par-dessus leurs lourdes robes à vertugadin ou leurs pourpoints de velours, saluent avec distinction de pieuses visitandines, mais aussi quelques Petits frères et Petites sœurs du Sacré-Cœur. Que ce cadre, ces costumes somptueux ne nous égarent pas : nous voici au camp-retraite de la Phalange de l’Immaculée, peu de temps avant l’enregistrement de l’oratorio de frère Henry de la Croix sur L’Unique cœur de saint François de Sales et de sainte Jeanne de Chantal. En revêtant les atours de nos aïeux, les jeunes phalangistes se sont appliqués aussi à entrer dans la vie dévote que leur prêchait l’évêque de Genève il y a quatre siècles.

Après quelques instants, suivons-les dans la salle de spectacle montée par nos frères. Sous les projecteurs, le décor de boiseries dorées brille de mille feux. Au centre, surplombant l’ensemble, le blason donné par saint François de Sales à ses filles de la Visitation Sainte-Marie : « Il nous faut prendre pour armes un unique cœur percé de deux flèches, enfermé dans une couronne d’épines, ce pauvre cœur servant dans l’enclavure à une croix qui le surmontera et sera gravé des sacrés noms de Jésus et de Marie. Car vraiment, notre petite congrégation est un ouvrage du Cœur de Jésus et de Marie. »

Saint François de Sales semble être le premier à avoir représenté ainsi le Sacré-Cœur. Pour nous qui portons ce même emblème sur nos poitrines, nos drapeaux rouges, nos carnets de chants, partout, c’est avec ravissement que nous nous sommes plongés dans le mystère de cet unique Cœur, à l’école du saint évêque de Contre-Réforme et de notre Père, qui l’a mieux compris, expliqué et prolongé que quiconque !

Du 16 au 27 août, ces jours passés hors du monde furent une véritable retraite fermée pour les deux cents participants. Beaucoup de prière, depuis l’oraison matinale jusqu’au chant des complies, avec la grâce de la messe quotidienne. Sans compter les visites que les plus ardents rendent au Saint-­Sacrement dans la journée. Les plus matinaux rejoignaient les frères à la chapelle dès 5 h du matin.

Cette ferveur n’a rien de la surchauffe éphémère et trompeuse des JMJ. Pour des jeunes plongés dans le siècle, c’est parfois un effort méritoire de briser leurs attaches mondaines, de renoncer à leurs plaisirs faciles, factices, pour s’appliquer à mieux connaître, adorer, aimer Jésus et Marie. Néanmoins, la grâce des sacrements, l’exemple des frères, des sœurs, des bons camarades, les enseignements salutaires de notre école de pensée CRC qui leur sont dispensés à longueur de journée, tout concourt à leur progrès spirituel et humain.

Dès son sermon d’ouverture, frère Bruno expliqua que cette doctrine si riche que nous leur transmettons doit s’épanouir en dévotion et nourrir leur oraison phalangiste. Bien que parfois difficile, cet exercice est vital, puisqu’il nous unit à Jésus et Marie. Nous avons pour modèle notre vénéré Père, saint Charles de Foucauld, méditant et savourant les Évangiles à Nazareth.

Pour commencer la journée, après la prière du matin et un premier chapelet, frère Bruno commentait l’oratorio, en expliquant la vocation singulière des deux fondateurs de la Visitation. Ces oraisons ensemençaient les esprits de bonnes pensées destinées à fleurir en actes d’amour et en bonnes œuvres tout au long de nos activités quotidiennes.

Dès la sortie de la chapelle, la chorale s’échauffe, les instruments s’accordent. Les répétitions par pupitres sont ensuite un peu laborieuses, mais en quelques jours à peine, les voix s’unissent en un unique chœur et rejoignent l’orchestre. Plus la musique est belle, plus elle charme nos cœurs, les inclinant suavement à la dévotion salésienne. Pendant ce temps, les acteurs apprennent leurs rôles, répètent la mise en scène et s’exercent à enfiler leur costume. Ce n’est pas une mince affaire ! Nos sœurs se sont surpassées et n’ont négligé aucun détail des modes vestimentaires d’Henri IV – pour le début de l’oratorio – et de Louis XIII – pour la fin ! Elles ont été jusqu’à confectionner une poupée, aussi richement parée de dentelles et de broderies que la petite Charlotte de Chantal, sa maîtresse !

À force d’écouter frère Bruno, de chanter les maximes de Monsieur de Genève et de Mère de Chantal, de jouer les grandes heures de leur vie, nos jeunes gens ont compris que ce couple extraordinaire a été suscité par le Ciel pour nous révéler que la religion est avant tout une affaire de cœur. C’était alors le remède à la froideur calviniste et l’antidote au rationalisme, au jansénisme, au quiétisme qui dessécheraient bientôt à leur tour la mystique catholique. L’union providentielle de ces deux saints nous figure l’amour du Cœur de Jésus et Marie et prélude aux grandes révélations du Sacré-Cœur et du Cœur Immaculé de Marie à Paray-le-Monial et à Fatima.

Les modernistes récusent ces révélations dites “ privées ”, au motif que la Révélation est close à la mort du dernier Apôtre. Or la série des conférences prononcées chaque soir par les frères, L’Évangile de Jésus-Marie, nous apprit que le Cœur à Cœur de Jésus et Marie est déjà révélé dans l’Évangile. C’est par Marie que le Verbe s’est fait chair. C’est Elle qui comprit le plus intimement ses paroles et ses signes. C’est encore Elle, Temple du Saint-Esprit, qui en donna l’intelligence aux Apôtres après la Pentecôte. Si bien que le témoin principal, la source première des Évangélistes, qui conserva et médita toutes ces révélations dans son Cœur, c’est la Vierge Marie. Notre Père nous a donc appris à lire les Évangiles dans son Cœur Immaculé, à contempler Jésus-Christ avec ses yeux aimants, à l’écouter et le comprendre avec sa sagesse, compatissant comme Elle à la tristesse du Verbe de Dieu rejeté par les siens, et recevant par Elle le pouvoir de devenir enfants de Dieu.

Ainsi, loin de nous distraire de la Parole de Dieu, le culte du Cœur Immaculé de Marie nous en ouvre l’intelligence. Et réciproquement, comme nous l’expliqua frère Joseph Sarto, « L’Évangile est l’école de la dévotion réparatrice : c’est là que nous pouvons prendre conscience de la peine que font nos péchés au Cœur très Unique de Jésus-Marie. »

La seconde clef donnée par frère Bruno pour transformer notre lecture de l’Évangile, c’est la chronologie courte, en un an seulement, de la vie publique de Notre-Seigneur. Une exégèse attentive permet de le démontrer : de la Pâque de l’an 29 à celle de l’an 30, tous les événements rapportés par les Évangélistes prennent leur place, sans temps mort.

Le modernisme a vidé l’Évangile de sa substance et les prédicateurs, bien souvent, ne savent plus en tirer qu’une morale de quatre sous. Il n’y a pourtant rien de plus historique que les récits de saint Matthieu, saint Marc, saint Luc et saint Jean ! Ils nous montrent Jésus-Christ pressé de révéler son mystère et d’offrir son Sacrifice. Ils nous font éprouver, comme jadis les foules de Galilée et de Jérusalem, le charme divin du Verbe incarné, Jésus de Nazareth. En quelques semaines, en quelques mois, l’éclat de ses miracles et l’écho de ses paroles ont retenti dans toute la Terre sainte, sommant les juifs de lui donner leur foi comme au Messie qu’ils attendaient ou bien de se révolter contre Dieu.

L’Évangile, quel drame, quelle course de géant ! Pendant dix jours, jonglant avec leur Nouveau Testament, leur carnet de notes et leurs crayons, les phalangistes ont couru sur les traces du Christ, de ses disciples et des frères conférenciers. Lors des promenades, entre deux averses, la pluie de questions essuyée par frère Bruno prouva leur intérêt ! Notre frère en profita chaque fois pour mettre en lumière de nouvelles correspondances entre l’Évangile et Fatima et délivrer quelques formules percutantes : « La CRC, c’est le combat contre le culte de l’homme du Concile et pour le culte de la Femme, Notre-Dame de Fatima ! »

En effet, la tragédie évangélique est d’autant plus actuelle que la révélation de Fatima, depuis 1917, en renouvelle les péripéties, rencontrant les mêmes obstacles, se heurtant au même refus de ceux-là mêmes qui devraient la reconnaître. C’est ce que frère Bruno expliqua le soir du 22 août, lors de la procession en l’honneur du Cœur Immaculé de Marie qui nous mène chaque année de la cour d’honneur du château à l’église paroissiale. C’est le sommet du camp, avant le marathon des enregistrements de l’oratorio. Au rebours des inventions vulgaires et sophistiquées de la pastorale de masse moderne, les exhortations pleines de foi et de dévotion de frère Bruno, la statue émouvante de Notre-Dame de Fatima, gracieuse et fragile, oscillant entre ciel et terre sur son brancard fleuri, sa longue escorte mouvante, ardente, de drapeaux et de flambeaux, les cantiques à la Madone qui jaillissent des cœurs font pressentir à nos âmes les délices du Ciel.

La fin du camp survient toujours trop vite. À peine rentré, frère Bruno repart pour visiter ses autres enfants de Nouvelle-France. Quant aux jeunes phalangistes, renvoyés dans le monde, il leur faut conserver leur fidélité et leur communion, au moins jusqu’à la session de la Toussaint, du 3 au 5 novembre. Ils en ont demandé la grâce en chantant le prologue de l’oratorio : « ne plus faire qu’un même cœur entre nous et avec Jésus et Marie ».

frère Guy de la Miséricorde.