Il est ressuscité !

N° 246 – Août 2023

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


IN MEMORIAM

Témoin de notre fidélité à l’Église 
Henri Bachelet 
Chanoine honoraire de chœur 
de la cathédrale Notre-Dame de Paris 
(1922-2023)

LE 14 juin au matin, le chanoine Henri Bachelet  s’endormait dans la paix du Seigneur, entre les bras de l’Immaculée, en sa 102e année commençante à la maison Marie-Thérèse, maison de retraite des prêtres du diocèse de Paris. Il était né à Paris le 11 mai 1922, de parents profondément catholiques, dont il fut très fier.

Sa maman, Cécile, née Pestel, est la benjamine d’une famille très musicienne, après Marie, en religion sœur Cécile, pianiste et organiste de sa communauté des sœurs de Saint Charles de Nancy, et Mathilde qui, veuve de guerre (son mari est tombé au champ d’honneur le 12 janvier 1915 à Crouy, près de Soissons, après à peine un an et demi de mariage), donnait des cours de violon. Cécile, elle-même, joue du violon et du piano et l’apprendra à ses enfants.

Son mari, elle le devra aussi aux cours de violon de son père, Édouard Pestel, professeur de violon à la Schola Cantorum de Vincent Dindy. En effet, Eugène Bachelet, fils d’un ami d’Édouard, vint prendre des cours de violon chez les Pestel avant-guerre. Puis ce fut la guerre de 14, et ce jeune homme bientôt fait prisonnier passa toute la guerre en Allemagne. Il fut tout de même condamné à mort pour avoir passé à tabac un soldat allemand qui maltraitait un prisonnier français, ce qu’il n’avait pas supporté. La fin de la guerre le sauva, et de retour de captivité, Eugène Bachelet se fiança à Cécile. Leur mariage fut célébré le 28 juillet 1921 à Paris.

Eugène était fonctionnaire au gaz de Paris. Très dévoué à l’Église, il commencera la pratique du chant grégorien sous la direction de M. Le Guennant en 38 et 39, pour devenir chantre dans le cadre du renouveau liturgique initié par saint Pie X. Puis il deviendra grand clerc de Notre-Dame de Paris au début des années 50, s’occupant d’organiser le service des enfants de chœur et aidant le chapitre des chanoines de toute manière.

Eugène est aussi membre de l’Action Française, camelot du Roi entre les deux guerres. Les convictions de la famille sont donc fortes et réactionnaires. Henri gardera cette empreinte toute sa vie. Profondément catholique, d’Église, mais ni démocrate, ni républicain, encore moins gaulliste.

Henri fut l’aîné d’un frère et cinq sœurs, famille nombreuse très aimée. Enfance heureuse, éducation sévère mais non guindée, où l’on fait de la musique en famille. Papa à l’alto, maman au piano, les enfants au fur et à mesure se rajouteront à l’orchestre : piano, violon, violoncelle, clarinette, flûte traversière, etc. On chante à table, au salon pour les concerts familiaux, à l’église Saint-Georges à Paris pour la messe de Minuit, et même tous les dimanches des vacances à Sammeron dans le village de la maison de campagne, à côté de la Ferté-sous-Jouarre, pour la plus grande joie des paroissiens et du curé. “ Petites messes ”, grégorien, cantiques sous la direction du papa, accompagnés à l’harmonium par la maman, chantés par tous, et les années passant bientôt à quatre voix mixtes. Vêpres et Salut les jours de fête. ­Bonheur des vacances en familles, où tout est occasion d’histoires drôles, qui seront racontées aux jeunes générations, comme faisait déjà le grand-père Édouard Pestel pour les siennes, et dont on rira encore des dizaines d’années après. On n’est peut-être pas mystique ni d’une piété démonstrative, mais simplement catholique et français.

LA GUERRE.

Octobre 1939, la famille déménage à Orléans, en anticipation de la défaite à venir... drôle de guerre. Henri a 17 ans. Il commence un journal où l’on peut lire la progression du front dans les différents pays en guerre telle qu’il pouvait l’apprendre à la radio ou dans les journaux, et le reflet des commentaires de ses parents :

2 juin 1940 [en pleine débâcle française] : « Papa est arrivé ce matin à Orléans par le chemin de fer [de Paris].

« D’après papa on s’est laissé jouer en Belgique [...]. C’est malheureux mais on n’a pas d’énergie, le gouvernement se laisse toujours devancer par les autres. On est invariablement comme les carabiniers : on arrive trop tard. Et pourquoi ?

« D’abord parce qu’au gouvernement il n’y a personne qui prenne la direction des affaires seul. Il faut toujours conférer, cela perd du temps, on n’est pas d’accord. Il en résulte qu’on ne prend pas de décisions et qu’on arrive où l’on est.

« La faute à qui ? À celui qui gouverne. Qu’est-ce qui gouverne ? Tous les Français. Tout le monde commande, personne n’est responsable. C’est la pagaille. Il ne faut pas s’étonner après cela de subir des échecs partout et toujours.

« Si on avait voulu, en 1919, faire une paix autre que celle qui a été traitée, si Foch avait eu le courage de mettre les députés dans sa poche [contre la trahison de Clemenceau au traité de paix], on serait bien tranquille.

« Foch n’a pas voulu, et les Français sont trop bêtes pour le faire, surtout les catholiques. »

8 juin 1940, en plein exode. Une colonne fran­çaise en retraite avait embarqué la maman et les sept enfants à la sortie d’Orléans, le papa était resté en arrière, perdu dans la foule des réfugiés. Arrivée devant le château de Rocreuse (Vienne), les soldats pensèrent qu’ils y seraient bien et les y laissèrent : « Maman s’était arrangée chez le régisseur. Elle avait remarqué un portrait du duc de Guise. Elle l’a dit au régisseur et tout de suite le régisseur l’a emmenée au baron qui comme le régisseur était d’Action Française. C’est ainsi que le baron nous a donné des matelas et quelques casseroles » et a hébergé dans une petite maison de son domaine, cette mère de famille seule avec ses sept enfants.

12 août 1941 : « Le maréchal Pétain a prononcé aux Français une allocution radiodiffusée dans laquelle il a annoncé son programme : notamment qu’il supprime l’indemnité parlementaire, traque les F. M., les communistes, et les fonctionnaires non consciencieux. Il manifeste son désir de rentrer à Paris et de revoir les prisonniers. Son allocution est pour ainsi dire une admonestation infligée aux Français qui ne veulent pas suivre le gouvernement du maréchal. »

En avril 1943, les choses se compliquent pour Henri. Il est requis pour le STO, son ordre de mutation pour l’Allemagne est même tamponné. Mais grâce à l’habileté de son père qui se rend lui-même à la kommandantur, aux conseils de prêtres proches de la famille, à leurs relations au sein du ministère de l’Agriculture, Henri réussit le concours d’entrée d’un institut laitier à Sugères en Auvergne, et obtient ainsi un sursis juste à temps, négocié entre le ministère et l’occupant. Résistance passive...

2 mai 1944 : « Voilà-t-il pas Monsieur de Gaulle prenant ses ministres parmi la plus jolie clique que recelait la France avant la guerre, Marty, Vincent Auriol, Granier, etc., formant le comité de libération. Le père Maritain (de l’Église catholique s’il vous plaît) estime que tous les Français veulent avoir la quatrième république (qui serait une troisième un peu remaniée).

« L’intrusion des Russes dans les affaires du comité d’Alger est telle qu’on se demande si de Gaulle n’est pas le valet de Staline. »

11 août 1944 : « Après avoir subi la guerre, puis l’occupation, nous allons avoir à subir la  libération ”. »

Ainsi se termina la guerre pour la famille, non sans avoir subi un bombardement dans leur maison de vacances le dimanche après-midi 27 août 1944... bombes américaines...

AU SERVICE DE L’ÉGLISE.

Après avoir réussi un premier diplôme de contrôleur laitier et beurrier qu’il obtient en novembre 1944, il complète sa formation de janvier à octobre 1945 à l’École d’industrie laitière d’Aurillac. Puis c’est le travail, dans la Meuse, puis à Longwy, et enfin le retour à Paris en mars 1948 pour travailler toujours en laiterie puis dans la filière du lait d’hévéa (caoutchouc) à partir de septembre dans le 8e arrondissement. Ce retour à la maison sera pour lui l’occasion de suivre les cours de l’Institut grégorien de Paris toujours sous la férule de M. Le Guennant où il est d’ailleurs bien noté.

Mais le Seigneur l’appelle. Nous ne savons rien ou presque de l’éveil de sa vocation de prêtre. Il fut très discret. La simplicité fut d’ailleurs l’apanage de cette vocation. En octobre 1950 il entre donc au séminaire d’Issy-les-Moulineaux à Paris pour la plus grande joie de ses parents, comme vocation tardive, en laissant son travail et une fiancée. Au séminaire, il aura la plupart des professeurs qu’avait eus l’abbé de Nantes quelque deux ans auparavant. Des années plus tard, en lisant Mémoires et Récits tome 2, l’abbé Henri Bachelet retrouvera exactement décrite l’ambiance du séminaire telle qu’il l’avait encore connue : studieuse, religieuse, régulière. Il participe aux belles liturgies, car il a été nommé chef de chœur pour les séminaristes étant donné ses talents musicaux. Il est ordonné prêtre par le cardinal Feltin en la fête des saints Pierre et Paul le 29 juin 1955, avec vingt-cinq autres confrères pour le diocèse de Paris.

Son premier ministère se déroule au Collège Stanislas qui était entièrement tenu par des ecclésiastiques à l’époque. Il est préfet des cinquième puis des seconde en 1958. Cependant, le ministère paroissial l’attire, et il demande son changement en paroisse. Le premier janvier 1962, il est nommé vicaire à Saint-Antoine des Quinze-Vingts. Il y restera jusqu’au premier septembre 1978. Seize ans de ministère de vicaire dans cette paroisse qui a sur son territoire la morgue de Paris. Beaucoup de funérailles donc – il en aura célébré plus de deux mille – parfois dans des contextes épiques, comme cette fois où les pompes funèbres ayant disposé le cercueil et se retirant, ne laissèrent comme assistance que le défunt lui-même. L’office eut lieu, mais il n’y eut pas de sermon ce jour-là ! Heureux temps de Chrétienté où l’on passait forcément par l’église...

Il y a aussi les catéchismes. Toute sa vie l’abbé Bachelet aimera enseigner le catéchisme aux enfants. Il profitera d’un pèlerinage en Terre Sainte pour faire d’abondantes photographies afin de pouvoir illustrer les récits évangéliques de son catéchisme, sans compter les films fixes.

À cette époque il s’intéresse beaucoup à l’histoire du quartier des Quinze-Vingts, et organise différentes expositions pour la paroisse, sur l’histoire de la Bastille, sur saint Antoine l’Ermite, sur saint Vincent de Paul et Paris.

Mais ces années sont celles de la révolution conciliaire, révolutions dans la liturgie, dans la pastorale qui lui sont très sensibles. « On ne peut plus rien faire qu’avec les gens du troisième âge », confie-t-il alors à une paroissienne.

En 1973, un de ses confrères vicaire comme lui à Saint-Antoine, son ami, l’abbé Robert Mottier, lui parle de l’abbé de Nantes et de son livre d’accusation contre Paul VI. Sur son instigation, l’abbé Henri Bachelet signe la légion romaine, qui s’associe au dépôt à Rome par l’abbé de Nantes de ce livre d’accusation à l’encontre de Paul VI pour hérésie, schisme, scandale demandant au même pape Paul VI de juger en sa propre cause par l’exercice de son magistère solennel et infaillible. Premier contact indirect avec la Contre-Réforme catholique.

En 1978, l’abbé Bachelet est nommé vicaire à Sainte-Hélène, puis en 1984, dernière affectation, vicaire à Saint-Laurent. Il y restera jusqu’en septembre 2004 où il entre à la maison Marie- Thérèse pour sa retraite. Il a alors quatre-vingt-­ deux ans.

Ainsi appelé à servir l’Église depuis 1955, il la servit dans un ministère sans ambition. Il fut vicaire, toute sa vie. Il fut exactement ce que notre père a appelé avec admiration “ l’infanterie de l’Église ”, exerçant son ministère sans gloire, mais avec exactitude et dévouement. Un jour, alors qu’il était arrêté, à moto, à un feu rouge sur une grande artère parisienne, un jeune homme en moto lui aussi, voyant son col romain lui demanda : « Vous êtes prêtre ? – Oui. – Pouvez-vous me confesser ? » Et là, un peu en retrait sur le bord du trottoir, il réconcilia cet enfant prodigue... sans respect humain. Combien ainsi dans son ministère ?

Il a ainsi rempli son devoir en toutes choses, malgré un dissentiment avec certaines orientations. Son cœur était plutôt traditionnel, par héritage familial, amoureux de belle liturgie et de musique sacrée. Mais il s’est accommodé de toutes les réformes sans discuter, avec regret, mais sans aigreur. Plus tard, il fera remarquer les fruits désastreux de ce qu’on lui avait présenté comme une nouvelle pastorale plus efficace.

Il n’avait pas le talent d’une prédication spectaculaire, mais avec sa voix magnifique, il se rattrapait sur la chorale, qui est une autre sorte de prédication. « La chorale, m’écrivait-il, aide les paroissiens à bien participer à la messe. » Ainsi a-t-il toujours remonté et dirigé les chorales de ses paroisses successives, laissant partout des souvenirs inoubliables de belles liturgies. Tout en continuant à s’occuper de ses nombreux neveux et nièces... auxquels il apprit bien sûr à chanter !

Il était parfaitement du clergé, faisant corps avec l’institution ecclésiastique avec une sorte de noblesse et de dignité tout héritées de ses maîtres sulpiciens. Et pour tous, me semble-t-il, la charge de chanoine qu’il reçut au début de sa retraite, le 13 mai 2005, a semblé convenir parfaitement à ce modèle de prêtre qu’il incarna : sans prétention, homme de devoir et de fidélité, attaché à son ministère et respectueux de l’autorité, pour le meilleur et pour le pire. Il fallait le voir fidèle à la récitation de son bréviaire alors que la vue déjà lui faisait défaut. Il y tenait, c’était devenu son office de chanoine et c’était sa prière pour le diocèse de Paris.

LE SECRET DE MONSIEUR LE CHANOINE.

À partir de 1996, sa sœur Marie-Thérèse et son beau-frère Eugène Sady s’étant rapprochés de la maison Saint-Joseph, à Palis, il viendra volontiers tous les ans à la procession du 15 août, « la procession du Vœu de Louis XIII ». Après la procession, notre Père, l’abbé de Nantes aimait à s’entretenir avec ce confrère parisien. Il est heureux que ce soit par la Sainte Vierge que cette relation se soit nouée. Cependant, malgré les instances de sa sœur Françoise – ou peut-être à cause – il restait plutôt sur la réserve. Étant pleinement de l’institution ecclésiastique, vicaire dans une grosse paroisse de Paris, notre situation ecclésiale n’était pas claire pour lui.

Sa retraite, en octobre 2004, correspondit au moment où notre père avait cessé de dire la messe, et qu’aucun confrère ne pouvait assurer ce service à la maison Saint-Joseph. Il a alors répondu avec un dévouement sans bornes à nos sollicitations pour venir nous donner les sacrements. Ce fut là une nouvelle tranche de son ministère, pendant seize années qui l’ont profondément marqué. Même si à son âge, ces pérégrinations étaient particulièrement fatigantes (elles l’ont mené à plusieurs pèlerinages à Lourdes, Fatima, et jusqu’au Canada), il ne refusait jamais. Cette charité première a été sa porte d’entrée dans l’intimité de notre communauté et non pas une séduction, un coup de foudre, ni même une conviction intellectuelle, comme ce le fut pour sa petite sœur Françoise.

Il a peu à peu découvert notre vie, nos combats, nos difficultés, nos convictions qui rejoignaient les siennes et sa tradition familiale d’Action Française et de catholicisme intégral. Chaque venue était pour lui l’occasion de connaître davantage l’abbé de Nantes, car dans les moments de liberté que lui laissait son ministère, il écoutait des conférences ou lisait la CRC. Ainsi, après avoir suivi en 2005 et 2006, les conférences d’une retraite sur saint Paul prêchée au début des années 1980 par l’abbé de Nantes, il me dit : « L’abbé de Nantes, c’est le plus grand théologien du vingtième siècle ! » Du même coup, il regardait les critiques contre notre père comme jalousies d’hommes moins grands.

Ce qui l’a frappé, ce sont les fruits de cette œuvre à laquelle allait son dévouement. Les familles surtout le ravissaient. Il aimait voir tant d’enfants assister à nos cérémonies, prier... et courir ensuite. « Lorsque je vais à Saint-Parres, je me sens en famille », a-t-il avoué une fois à son auditoire.

Une amie phalangiste témoigne : « Je me rappelle dans les tout premiers temps où il vint à la maison Saint-Joseph que les frères m’avaient demandé d’aller le chercher à la maison Marie-Thérèse pour l’amener à Saint-Parres. C’était quelques mois avant qu’il fît un premier camp d’août [2007].

« Il me semble qu’il n’avait pas encore bien compris ce qu’était la CRC et il était encore assez influencé par ce qu’il écoutait à Radio-Courtoisie.

« Mais quand je l’ai vu quelques mois plus tard à la fin du camp, je fus stupéfaite de son enthousiasme et de la compréhension qu’il avait des conférences, qu’il résuma comme si ça avait été la conviction de toute sa vie, en particulier celle expliquant la crise de l’Église par le concile Vatican II alors qu’il m’avait donné avec conviction une autre explication quelques mois auparavant dans la voiture.

« J’étais vraiment dans l’admiration de sa modestie et de la grâce de Dieu dans son âme sans compter, sûrement, le rôle de l’affection de ses neveux religieux et des frères ! »

Ce camp de la Phalange de 2007, le premier des quatorze qu’il fit comme aumônier, dont le sujet était « Vatican II : autodafé » a été un tournant décisif dans sa compréhension de la CRC. Il réclama les textes des conférences pour les lire à fond et pour comprendre vraiment en profondeur cette formidable réforme à laquelle il avait assisté de près dans son ministère paroissial. La réforme des catéchismes, le désastre de la liturgie moderne, auxquels il fut très sensible. Il disait à qui voulait l’entendre : « On a supprimé le latin pour amener les gens à l’église, pour avoir plus de monde, et résultat : on a vidé les églises. » Non, il n’appréciait pas ces « messes bavardages » comme il disait où le prêtre se croit obligé de parler constamment, alors que l’œuvre liturgique est une action de culte et de prières faite par l’Église, derrière laquelle l’homme disparaît pour ne laisser plus voir que le prêtre de l’Église. Lui, il savait si bien célébrer !

Lorsqu’il comprit le caractère néfaste de ce Concile, il admira immensément notre Père l’abbé de Nantes d’avoir prévu cette dégringolade de l’Église qu’il n’avait que trop constatée. « L’abbé de Nantes ? disait-il à notre frère François, je le vois comme un de ces justes de l’Ancien Testament. C’est un prophète, tout ce qu’il a annoncé s’est accompli. »

La soumission au Pape lui fut aussi une grande question. Lui, le simple vicaire, toujours obéissant, comment a-t-il pu devenir un tel soutien de notre communauté considérée par beaucoup comme en rupture par rapport à l’Église ? La charité de son ministère, sa grande modestie ensuite, l’ont introduit dans la compréhension de cette situation ecclésiale pour le moins extraordinaire, et pourtant si juste. Hors de l’excès du schisme intégriste, le refus affiché par l’abbé de Nantes de la réforme conciliaire n’avait rien d’une rébellion, puisqu’il se plaçait dans l’élan d’une tradition à laquelle le cœur du chanoine Bachelet était attaché. Oui, ce n’était pas autre chose que la religion dans laquelle il avait grandi et fut ordonné. Ce n’était pas une question de rite ou de manière, mais c’était bien la Foi qui était la même, c’était la même doctrine, le même cœur, la même charité catholique, mis en cause par le Concile.

Il fut témoin de toute l’évolution de l’Église, parce qu’il y avait participé docilement. Et son constat à l’automne de sa vie fut sévère. Les fruits du Concile ? Il a beaucoup travaillé sur le Concile durant sa retraite, lisant, relisant le dernier livre de notre Père, Autodafé. C’est le dernier livre qu’il a lu, peut-être pour la quatrième fois, à l’approche de ses cent ans.

Il fut très inquiet lorsque la hiérarchie posa des questions sur notre soumission au magistère. Mais il fut indigné de la manière cavalière ou méprisante du silence qui fut opposé à la réponse de frère Bruno. « Les évêques ont peur de vous ! » affirma-t-il à frère Bruno. Attentif à la solidité intellectuelle des arguments, il a reconnu une pleine légitimité à notre Père l’Abbé de Nantes dans sa doctrine et dans ses œuvres.

À plus de quatre-vingt-dix ans, l’homme n’a plus grand-chose à apprendre et devient difficile à émerveiller. Ce n’était pas son cas et ce ne fut pas la moindre de ses vertus : d’une incroyable jeunesse d’esprit, il était passionné par les études de notre père et des frères ; les oratorios de frère Henry scellèrent son attachement à Notre-Dame de Fatima. D’un enjouement légendaire, il savait animer des séances avec ses prouesses au piano, ses chants et sketches inénarrables, aussi bien avec ses confrères de la maison Marie-Thérèse qu’avec les jeunes de nos camps. Il tenait aussi beaucoup à son privilège de Chanoine de la cathédrale de Paris, de tenir la Couronne d’Épines lors des vénérations.

En février 2010, il est providentiellement à la maison Saint-Joseph au moment où notre Père est au plus mal. Il lui confère une ultime fois les derniers sacrements. La semaine suivante, il était encore là pour nous dire la messe et que notre père, au seuil de son agonie communie au Précieux Sang en viatique. Il assista à la prière des agonisants avec toute la communauté et donna la bénédiction apostolique in articulo mortis. Touchante attention de la Providence qui permit que l’Église maternelle fut au chevet de notre bien-aimé Père. Le lendemain, dès son réveil, le chanoine Bachelet tint à se recueillir devant son confrère tout juste décédé au petit matin. Il était très impressionné et ému. Il célébra en fin de matinée la première messe devant son corps exposé dans notre chapelle, et avant de retourner à la sacristie, il s’inclina devant celui qu’il considérait comme un serviteur incomparable de l’Église.

La toute fin de sa vie lui fut éprouvante, ne voyant plus beaucoup, n’entendant plus guère non plus. Pourtant, il disait toujours « Merci » pour tout à tout le monde. Et il priait souvent. Le 1er juin dernier, lorsque je l’ai conduit chez l’audioprothésiste, au bout d’un petit moment, ne sachant plus où il se trouvait, dans l’atmosphère fraîche et silencieuse, il me demanda si nous étions dans la chapelle. Il ne comprit pas ma réponse, et a alors fait un grand signe de croix dont il avait le secret et commença le chapelet. C’était cela qu’il lui restait, et c’était le principal au fond. Nul doute que c’est la Sainte Vierge qui est venue le chercher, sans déranger personne, entre deux rondes des infirmières qui le veillaient, le 14 juin dernier au matin. « Viens bon et fidèle serviteur, tu as été fidèle dans les petites choses, entre dans la joie de ton Seigneur. »

frère Sébastien du Cœur de Marie Immaculée.