Il est ressuscité !

N° 239 – Janvier 2023

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


En route vers Notre-Dame ! (2)

« On la trouve partout, la Vierge Immaculée ! Partout !...
Hélas ! non pas encore dans tous les cœurs... Tout le monde dort.
Allons réveiller l’univers ! Faire régner le Cœur Immaculé de Marie ! »
(Oratorio de frère Henry de la Croix)

BRAVANT les froidures d’un mois de décembre  particulièrement rigoureux, nos familles phalangistes ont maintenu l’élan de leur dévotion réparatrice par leurs pèlerinages ; et tous ceux qui ne purent venir s’y associèrent par la récitation du chapelet. Ils furent une cinquantaine bien comptée à chaque fois, pour visiter le samedi 10 décembre l’ancien Carmel de Pau, où vécut sainte Marie de Jésus-Crucifié ; le dimanche de Gaudete 11 décembre, ce fut au tour du charmant petit sanctuaire Notre-Dame de Paix dans le diocèse de Rouen, pour y célébrer l’Immaculée Conception, Médiatrice de toute paix ; enfin le samedi 17 décembre, Notre-Dame de Liesse au diocèse de Soissons, au cœur de la Religion royale.

Trois fleurs de Lys odoriférantes à offrir au plus beau Lys de France, notre Reine Immaculée, de façon à consoler son Cœur en grand chagrin devant l’ingratitude, l’indifférence de tant de ses enfants, et préparer son Retour, son Règne dans tous les cœurs !

À L’ÉCOLE DE SAINTE MARIAM

Les familles du cercle de Pau et de toute la région s’étaient donné le mot : en ce jour anniversaire de la première apparition de Pontevedra, où fut communiquée par le Ciel la “ dévotion réparatrice ” l’occasion était unique de pouvoir pénétrer dans l’ancien Carmel de Pau, où vécut la petite arabe au cœur de flamme, sainte Marie de Jésus-Crucifié, que le pape François a heureusement canonisée le 17 mai 2015. La vie de cette petite carmélite, parfaite fille du “ Père saint Élie ”, ses charismes pour le moins étonnants, parfois déconcertants, mais reconnus maintenant par l’Église, ses paroles simples, radicales comme celles des saints, recueillies lors de ses extases par les sœurs qui prenaient tout en note, ont tout pour enflammer notre zèle de dévotion pour le Cœur Immaculé de Marie, sanctuaire de l’Esprit-Saint, et de l’esprit de réparation qui lui est intimement lié.

« Plus tard, il viendra beaucoup de monde honorer la Très Sainte Vierge, ma Mère, dans cet ermitage. Elle y répandra ses grâces. » (Sainte Marie de Jésus-Crucifié, 24 mai 1873)

Nos amis commencèrent par réciter le chapelet dans l’ermitage de Notre-Dame du Mont-Carmel, où la sainte a tant prié pour l’Église, le Saint-Père, la France sa patrie d’adoption et sa communauté : « Je voudrais, disait-elle, des lèvres passées par le feu pour dire le Nom de Marie et pour l’écrire. » N’était-ce pas en affirmant sa fidélité à l’Église qu’elle avait été martyrisée à l’âge de treize ans par un musulman fanatique, qui voulait la contraindre à renier sa foi : « Musulmane ! Non, jamais ! Je suis fille de l’Église catholique, apostolique et romaine, et j’espère, avec la grâce de Dieu, persévérer jusqu’à la mort dans ma religion, qui est la seule vraie. »

Elle priait aussi beaucoup pour les pécheurs, et frère Gérard aimait dans ses retraites aux enfants citer l’appel que la carmélite entendit un jour de la bouche du Sauveur : « Pécheurs, je ne vous demande pas pourquoi vous avez péché, mais pourquoi vous ne vous convertissez point. Je ne regarde pas votre passé, pourvu que vous veniez à moi. Mon Père a créé pour vous le ciel et la terre ; venez, je vous sauverai... [Le Seigneur] frappe à toutes les portes ; personne ne veut lui ouvrir ; il appelle, personne ne répond ; il attend, personne ne vient. »

Sainte Marie de Jésus crucifié reçut le charisme d’union à tous les états de Notre-Seigneur, en particulier la grâce singulière du “ cœur transpercé ”, reçue à l’ermitage de Notre-Dame du Mont-Carmel, alors qu’elle récitait le rosaire avec quelques sœurs, le 24 mai 1868. À partir de ce jour, son cœur saigna fréquemment et les linges qu’on y appliquait portaient l’empreinte d’un cœur et d’une croix surmontés des lettres : O et J, « ô Jésus ». Son cœur étant tout ravi en celui de Jésus et de Marie, quelque temps après, la sainte novice fut en proie à une terrible possession diabolique. Satan reçut permission de cribler et tourmenter son corps pendant quarante jours, dans une sorte d’anticipation prophétique de l’épreuve des derniers temps où l’Église serait elle-même possédée par le démon. Le récit de ces quarante jours de possession fait frémir, mais on n’en admire que davantage le témoignage d’absolue fidélité et d’amour héroïque de la petite carmélite :

« L’Église, c’est notre Mère... Quand une mère souffre, tous les enfants souffrent avec la mère... Oh ! que je voudrais donner mon sang pour l’Église ! J’offre tout pour elle, pour l’union, pour le triomphe de l’Église... Jésus et Marie me garderont et ainsi, en cherchant à me faire tomber, le démon me fera grandir devant Dieu. Oui, oui, Satan, ma Mère t’a écrasé la tête, je te l’écraserai aussi par Marie, par Jésus. »

DÉVOTION AU SAINT-ESPRIT 
ET AU CŒUR IMMACULÉ DE MARIE

Nos amis purent visiter ensuite, sous la conduite de la présidente de l’association qui remue ciel et terre pour sauver l’ancien Carmel de l’emprise des pouvoirs laïques, et qui connaît parfaitement les lieux et la vie de sainte Mariam : les différentes pièces de l’ancien carmel, le cloître, le réfectoire, où elle vit le prophète Élie ! la salle de chapitre où elle fit profession, l’emplacement des cellules, la chapelle, le jardin avec les tilleuls au sommet desquels elle connut des lévitations, se balançant sans appui et chantant l’Amour dont son cœur était embrasé, avant d’en redescendre sur un seul mot d’obéissance de sa prieure !

Entre la fondation d’un carmel à Mangalore en Inde et d’un autre à Bethléem, sainte Mariam revint à Pau pour un second séjour, et c’est là qu’elle reçut de nouvelles révélations, au mois de mai 1873, sur l’importance de la dévotion au Saint-Esprit dans l’Église. Elle en composa des invocations : « Esprit-Saint, inspirez-moi ; Amour de Dieu, consumez-moi ; Au vrai chemin conduisez-moi... » (B 34 dans nos carnets de chants)

C’est en effet l’Esprit-Saint, “ Colombe de feu ”, qui inspire toute vraie dévotion à l’âme fidèle : « Si tu veux me chercher, me connaître et me suivre, invoque la lumière, l’Esprit-Saint qui a éclairé mes disciples et qui éclaire tous les peuples qui l’invoquent. Je vous le dis en vérité : quiconque invoquera le Saint-Esprit, me cherchera et me trouvera, et c’est par l’Esprit-Saint qu’il me trouvera. Sa conscience sera délicate comme la fleur des champs. Si c’est un père ou une mère de famille, la paix sera dans sa famille et son cœur sera en paix dans ce monde et dans l’autre ; il ne mourra pas dans les ténèbres, mais dans la paix. Je désire ardemment que les prêtres disent chaque mois une messe en l’honneur du Saint-Esprit. Quiconque la dira ou l’entendra sera honoré par le Saint-Esprit lui-même ; il aura la lumière, il aura la paix. Il guérira les malades, il réveillera ceux qui dorment.

– Et j’ai dit : Seigneur, que puis-je faire, moi ? Personne ne me croira ! Et la voix m’a répondu : quand le moment sera venu, je ferai tout moi-même, et tu n’y seras pour rien. Et tout a disparu et mon cœur est resté embrasé d’amour. »

À l’ermitage de Notre-Dame du Mont-Carmel, sainte Mariam se releva un jour transportée de joie en chantant : « Aux pieds de Marie, ma Mère chérie, j’ai retrouvé la vie. Vous tous qui souffrez, venez à Marie... Votre salut et votre vie sont aux pieds de Marie. » Elle lui était si unie que son cœur tout marial en partageait les désirs ardents et les peines : « Ma Mère, disait-elle un jour, en extase, tout le monde dort ! Et Dieu si bon, si grand, si digne de louange, on l’oublie ; personne ne pense à lui ! La nature le loue, le ciel, les étoiles, les arbres, les herbes, tout le loue. L’homme aussi devrait le louer, connaissant ses bienfaits, et il dort ! Allons, allons réveiller l’univers ! Allons louer Dieu, chanter ses louanges ! – Le monde dort, le monde dort, allons le réveiller, allons réveiller la ville ! » Elle pleurait, elle sanglotait en répétant : « Jésus n’est pas connu, Jésus n’est pas aimé. Lui si rempli de bonté, de douceur, Lui qui a tout fait pour l’homme ! »

En vénérant ses reliques et en recevant la bénédiction du Saint-Sacrement des mains d’un Père du Sacré-Cœur de Bétharram, nos amis lui demandèrent la grâce de pratiquer et de répandre la dévotion réparatrice, avec le zèle de vrais enfants d’Élie : « Il est vivant le Cœur Immaculé de Marie, devant qui je me tiens ! »

QUEL autre prêtre et théologien que notre Père, l’abbé de Nantes, a mieux compris et prêché sur l’importance de cette dévotion à l’Esprit-Saint habitant en plénitude son sanctuaire de prédilection : le Cœur Immaculé de Marie ?

« Que l’application à vos commandements soit pour moi mariale, que l’expérience de vos ordres et de vos commandements me soit en même temps une expérience mariale, que je me sente dans le Cœur de la Vierge Marie pour recevoir vos commandements et vos inspirations, de telle manière que votre loi objective, loi de l’Esprit-Saint, de l’Esprit de Dieu, soit reçue en moi dans un cœur subjectif, comme marial ; que je la reçoive avec la Vierge Marie, par la Vierge Marie, comme la Vierge Marie, pour la Vierge Marie, afin que mon cœur soit tout baigné dans son Cœur Immaculé et que cette loi me devienne une loi maternelle en même temps que paternelle, qu’elle me soit douce de toute la douceur de la Vierge Marie, en même temps qu’elle m’est forte, qu’elle me soit suave comme la suavité du Cœur de Marie, en même temps qu’elle est puissante comme un ordre de mon Dieu.

« Afin que je l’aime, afin que j’aime la mettre en pratique, que soient résolus pour moi, dans cette octave de la Pentecôte, cette difficulté, ce problème, cette impression d’austérité, d’hostilité, du devoir, de l’obligation de la loi à laquelle je suis contraint de me soumettre.

« Mais venant de vous, ô Esprit-Saint, par la bouche de la Vierge Marie, par son Cœur maternel, que cette loi me soit tout aimable, tout attirante, délectable ; que j’en voie plus le côté attrayant que contraignant, attirant que répulsif ; et ainsi que je vole dans la voie de vos commandements d’un pas léger, dans l’allégresse et la joie de mon cœur d’enfant de Marie, marchant sur ses traces, vivant avec elle, puisque aussi bien vous êtes en le Cœur de Marie comme dans votre temple le plus magnifique, le plus immaculé, le plus parfait, où vous trouvez vos complaisances les plus extrêmes.

« Que durant ce temps de la Pentecôte, je ne cesse de fixer les yeux sur la Vierge Marie, Temple de l’Esprit-Saint, Trône de la Sagesse, abîme de perfection, illustration de la loi divine, splendeur de l’Évangile, rayonnement de la charité, de la sainteté de l’Église. »

(Oraison du 23 mai 1983)

L’IMMACULÉE CONCEPTION, MÉDIATRICE DE PAIX

Nos amis de Haute-Normandie s’étaient donné rendez-vous à Saint-Martin de Boscherville, dans une boucle du Val-de-Seine, où ils furent cordialement accueillis par le curé qui venait de fêter l’Immaculée Conception avec les saints-cyriens de sa promotion en s’inspirant du nouveau saint de l’année, saint Charles de Foucauld ! Dans la salle paroissiale mise à notre disposition à deux pas de l’abbatiale, nous fixâmes les intentions de notre pèlerinage, à l’aide de quelques rappels historiques.

LA FÊTE DES NORMANDS

La fête de l’Immaculée Conception a été longtemps appelée la “ fête des Normands ”, non qu’elle soit apparue en Normandie, – elle serait plutôt née de la piété monastique des Anglais, au temps où leur île était “ l’île des saints ”, avant de passer en Normandie au onzième siècle, puis dans le Royaume de France et le reste de la Chrétienté au siècle suivant –, mais la raison en est qu’à l’université de Paris, les étudiants normands étaient connus pour la célébrer avec solennité ; c’était la fête de la “ nation normande ”, l’une des quatre que comptait l’Université. Il y eut aussi dès le quatorzième siècle en Normandie des confréries mariales, placées sous le vocable de “ la Conception de Marie ”, qui donnèrent lieu, en plus des célébrations liturgiques, à des concours de poésie mariale, appelés “ Puys ” ou “ palinods ”. Celui de Rouen était le plus célèbre. On aimait célébrer la Vierge Marie « belle sans sy (tache) en sa Conception ».

Pour ce qui est de l’époque dont nous allons parler, le dix-septième siècle, trois grands serviteurs et apôtres de Marie se distinguèrent en Normandie par leur dévotion envers l’Immaculée Conception : saint Jean Eudes, bien sûr, qui développa beaucoup le culte envers son Cœur admirable, le capucin Louis-François d’Argentan, et le bienheureux Henri-Marie Boudon, archidiacre d’Évreux, qui publia un ouvrage remarquable sur “ la dévotion à l’Immaculée Vierge Marie Mère de Dieu ” (1699).

Mentionnons aussi les jésuites, dont le collège à Rouen était un foyer d’intense dévotion à l’Immaculée Conception, avec un de ses recteurs, le Père Étienne Binet, qui écrivit “ Le grand Chef-d’œuvre de Dieu, et les souveraines perfections de la Sainte Vierge, sa Mère ”. C’est là que nos futurs martyrs canadiens puisèrent leur dévotion mariale, pour n’en citer que trois parmi les plus connus : Antoine Daniel, originaire de Dieppe, qui fit son noviciat à Rouen, Isaac Jogues, qui eut pour directeur le Père Louis Lallemant, et surtout Jean de Brébeuf, qui non seulement fit son noviciat à Rouen, mais y fut professeur et procureur (économe). Le prologue de l’oratorio de frère Henry rappelle comment leur mission au Canada fut placée sous le patronage de l’Immaculée Conception, le 8 septembre 1635 : « Ô Immaculée Conception, puisque Dieu a coutume de faire par vous ce qui ne se peut faire, prenez les cœurs de ces pauvres sauvages abandonnés et offrez-les à votre divin Fils. » (Il est ressuscité n° 224, sept. 2021, p. 6)

Mais qui s’enthousiasme encore dans la belle Normandie pour l’Immaculée Conception, pour son ineffable mystère, que l’Église n’aura jamais fini d’explorer, à savoir qu’Elle est non seulement le chef-d’œuvre du Bon Dieu, « la créature la plus aimable, la plus aimante, la plus aimée » (saint François de Sales) mais qu’il y a en Elle une force divine prodigieuse, qui est l’Esprit-Saint, remplissant l’univers et capable d’enfanter tout un Royaume ? – « Le monde dort », dirait sainte Mariam...

Et qui prend souci de son Cœur Immaculé, en qui Dieu a mis toutes ses complaisances ? Comme d’une « nouvelle révélation d’un projet lointain, caressé par Dieu depuis le début du monde et enfin révélé en notre temps, qui est le dernier temps de l’histoire. Que nous comprenions que Dieu a en lui, dans le Cœur humain et divin de Jésus, un amour, pour ainsi dire humain, souverain, unique, préférentiel, celui qui est de la Vierge Marie, et dans la Vierge Marie, de ce qu’elle a de plus précieux, qui est son Cœur ! De l’amour féminin, de l’amour sensible, de l’amour tendre que la Vierge Marie a de toute éternité pour Dieu le Père qui l’a créée dès avant le commencement du monde, semble-t-il, afin qu’il ait toujours ce miroir de sa Sagesse dans cette créature très parfaite et immaculée : la Vierge Marie. » (Notre Père, Josselin 1981)

La Vierge du “ Grand Retour ”, présentant son Cœur tout doré et sollicitant celui de son peuple, a traversé le diocèse de Rouen, de mai à juillet 1946. Le 27 juin, venant de Petit-Quevilly et de Canteleu, elle traversa la forêt de Roumare, où la paroisse de Saint-Martin de Boscherville se porta à sa rencontre, avant de l’accompagner jusqu’à Duclair, où elle passa le bac... Au milieu de quelle ferveur ! Les chroniques diocésaines parlent de foules de plusieurs milliers de personnes lui faisant escorte, glorifiant la Vierge Marie, par la prière, la pénitence « en esprit de réparation », en vue d’une authentique consécration à son Cœur Immaculé.

« Qu’on le sache, les hommes, même aujourd’hui, sont avides de réparation, ils sentent d’instinct que pour obtenir le pardon et rester ou redevenir dignes de Dieu, il faut rétablir l’ordre violé, en un mot : faire pénitence... Par la consécration au Cœur Immaculé de Marie, qui résume l’idéal chrétien, c’est un vivant raccourci de dogme et de morale, c’est l’acte essentiel du Grand Retour, son élément spécifique... C’est une prise de conscience profonde, individuelle et collective, privée et publique, par tout le peuple de France, de la nécessité où il se trouve de revenir à Dieu, par un acte de foi pur et total, s’il ne veut pas se perdre dans ce monde et dans l’autre. » (Rouen, La Vie diocésaine, juin 1946, p. 133)

Voilà qui est clair, d’autant que cela demeure encore aujourd’hui une Volonté manifeste du Ciel : qu’il suffise de rappeler le “ testament ” de la petite Jacinthe de Fatima : « Dis à tout le monde que Dieu nous accorde ses grâces par le moyen du Cœur Immaculé de Marie, que c’est à Elle qu’il faut les demander, que le Cœur de Jésus veut qu’on vénère avec lui le Cœur Immaculé de Marie... Que l’on demande la paix au Cœur Immaculé de Marie, car c’est à Elle que Dieu l’a confiée. »

Précisément la paix. Et voilà qui nous introduisait à l’histoire de ce petit sanctuaire de Sahurs, où nos amis avaient choisi de se rendre en pèlerinage de dévotion réparatrice. Après avoir assisté à la messe dominicale dans l’abbatiale Saint-Georges, – du plus pur style roman normand ! – et renouvelé notre Acte de consécration au pied du bel autel baroque dédié au Très Saint et Immaculé Cœur de Marie, nous nous mîmes en route en égrenant notre chapelet le long des rives de la Seine. Le soleil était de la partie, comme le présage d’une bénédiction assurée.

NOTRE-DAME DE LA PAIX

L’histoire de la chapelle de Sahurs nous est connue grâce à un bon chanoine de Rouen, nommé Jean Le Prévost, Joannes Prevotius, qui rassembla toutes les pièces du dossier, dans un ouvrage paru en 1639 : « Le vœu de la Reyne ou la fondation de la chapelle de Nostre Dame de la paix, size à Sahurs », avec un « office journalier pour le Roi très chrétien », qu’il avait lui-même composé et qui fut récité durant un siècle et demi dans la chapelle de Sahurs. Publié avec imprimatur de l’archevêque de Rouen, qui y voyait grand avantage pour ses ouailles :

« Imitez, cher troupeau, cette grande Princesse [la reine de France Anne d’Autriche], qui descend de son trône aux pieds de la Mère de l’union et de toute principauté ; ne recherchez pas dans l’orgueil, ni dessus les montagnes du monde, l’intercession de Celle à qui nous avons dédié un si petit domicile dans l’humilité des vallées. Quels biens n’y ­trouverez-vous pas, où les malades trouvent la santé, les affligés le repos, comme la France y a trouvé son Dauphin ? Mais si vous demandez la paix plutôt que les miracles, pour l’obtenir du Dieu des armées, il faut désarmer sa Justice par notre pénitence, et commencer la paix générale par la particulière de nos consciences. Donné en notre château de Gaillon, ce 2 avril 1639. François de Harlay, archevêque de Rouen. »

Tout commença en 1635, quand le chevalier Pierre de Marbeuf obtint permission de dédier une chapelle, sise en sa terre de Sahurs, « non point à la Paix de tous les saints, – comme il est dit dans une ancienne chronique normande –, mais à leur commune Reine et Mère du Roy pacifique », avec faculté d’y faire célébrer la messe et d’y être enterré. C’était petit, comme l’étable de Bethléem, « où la Vierge mit au monde le prince de la Paix », mais très vite, il y eut affluence de pèlerins. « Les uns et les autres ont une même croyance, tous d’une même voix réclament Marie, et demandent unanimement la Paix à Celle qui, par une alliance admirable, a conjoint le Ciel à la terre. »

D’autant que cette même année 1635, la France s’était engagée follement dans une lutte ouverte, aux côtés des princes protestants d’Allemagne, contre l’Espagne et la Maison d’Autriche. Mal équipées, mal entraînées, mal commandées, les armées françaises durent faire front à l’envahisseur au Nord et à l’Est. Richelieu qui poussait à la guerre ne l’avait point préparée. Les puissantes armées espagnoles emportèrent Corbie le 7 août 1636, et les Impériaux mirent le siège devant Saint-Jean-de-Losne, en Franche-Comté, en octobre. Les armées françaises, bousculées, reculaient partout. L’avant-garde ennemie poussa jusqu’à Pontoise, à trente kilomètres de Paris.

Dans la capitale, ce fut la panique, les Parisiens prirent la route de l’exode, Richelieu était conspué par tous, lui qui avait jeté le Royaume dans le malheur... Louis XIII, en vrai père de son peuple, resta à son poste et réussit à lever en quelques jours 12 000 fantassins et 3 000 cavaliers. Il se rendit au Parlement, où il parla en maître : « Mêlez-vous uniquement des affaires qui sont de votre ressort ; je saurai bien gouverner mon royaume. Que si vous avez quelques bons avis à me donner, je les écouterai volontiers. Mais je vous défends de parler tumultuairement et d’une manière séditieuse des affaires d’État dans vos assemblées. »

Au même moment, toutes les âmes saintes priaient aux intentions du Roi et du royaume et le Ciel faisait connaître ses volontés. Sœur Anne-Marie de Jésus crucifié, de l’Ordre du Calvaire fondé par le Père Joseph, reçut en juillet 1636 communication de Notre-Seigneur : « Que le roi fasse honorer ma Mère en son Royaume, en la manière que je lui ferai connaître. Je rendrai son royaume, par l’intercession de ma Mère, la plus heureuse patrie qui soit sous le ciel. » Notre-­Seigneur annonçait la reprise de Corbie, et demandait en retour « qu’il plût au Roi de mettre sa personne et ses États en la protection de la Reine du Ciel ».

Au même moment, l’archevêque de Rouen encourageait de tout son pouvoir les prières dans la chapelle de Sahurs : « Que ceux donc qui, poussés d’un esprit aimant la tranquillité et le repos, soit pour la paix publique, soit pour la domestique, épandront en ce lieu sacré à la Paix leurs prières devant la Mère de la Paix, que son Fils les écoute là-haut, et que les exauçant, ils sentent ici-bas sa puissante protection. » (11 mars 1636)

Au mois d’août suivant, les Espagnols étant descendus en Picardie, il ordonna que des processions y soient organisées, avec « prières convenables pour le service du roy, nécessité des affaires, rétablissement de l’ordre hiérarchique et splendeur de l’Église, et humiliation des ennemis, tant de l’État ecclésiastique que de l’État du royaume ». Il fit savoir que des indulgences avaient été accordées par le Pape à ceux qui visiteraient ladite chapelle, et s’uniraient à la célébration de l’oraison des Quarante-Heures « pour le Roy et la Paix de la Chrétienté ».

« Environ ce temps, la Reine très-chrétienne Anne-Marie, ayant en son esprit des pensées de la Paix s’informa si, dans le Royaume il y avait point quelque lieu saint, à l’honneur de Notre Dame de la Paix, où elle pût adresser des vœux pour le bien du peuple. Elle n’a pas si tôt appris le nom de la chapelle de Sahurs, qu’elle fit dessein de l’honorer de quelque témoignage de sa dévotion. »

LE LYS, L’OLIVIER ET LE DAUPHIN

Finalement, le roi reprit Corbie le 11 novembre 1636, en la fête de saint Martin, propice aux victoires françaises. Alors, par reconnaissance et pour continuer les secours qu’il savait lui venir du Ciel, car le danger demeurait très réel, le Roi pensa à consacrer son royaume à la Sainte Vierge.

« Depuis la prise de Corbie, écrit-il à Richelieu, je me suis mis dans la dévotion beaucoup plus que devant, pour remercier Dieu des grâces que j’ai reçues en cette occasion. » Toute l’année 1637, furent ébauchées différentes versions de la consécration, et le 10 février 1638, un édit royal, signé à Saint-Germain-en-Laye, déclarait la Très Sainte Vierge Marie « Souveraine du royaume ». Le Roi lui consacrait sa personne, son État et sa couronne, remettant tout entre ses mains.

C’est à Abbeville, où il était en garnison avec ses troupes, qu’il en prononça la formule le 15 août suivant, en union avec tous les évêques du royaume. Et le 5 septembre suivant, naissait le dauphin Louis-Dieu-donné. Comme rien dans le texte de l’édit de Saint-Germain ne faisait allusion à cette naissance ni à ses prémices, les historiens “ laïques ” prétendent que les deux choses n’ont aucun rapport entre elles, alors que la tradition les a toujours tenues intimement liées, à commencer par le roi lui-même ; l’histoire de la chapelle de Sahurs en offre une nouvelle preuve.

L’archevêque de Rouen étant venu présider à Sahurs les Quarante-Heures préparatoires à la fête de la Nativité de Notre-Dame, le 8 septembre 1637, la Reine lui fit connaître à cette occasion son dessein d’offrir une Image d’argent représentant la Vierge Marie, tenant un lys dans la main (symbole du royaume de France) et de l’autre main l’Enfant Jésus tendant un rameau d’olivier (symbole de paix), pour qu’elle soit placée et honorée dans la chapelle de Sahurs. Et cela sous forme d’un vœu que Sa Majesté adressait à la Reine du Ciel, de lui accorder enfin, ainsi qu’au Royaume des lys, un héritier, parce que sans héritier, il ne pourra y avoir de paix durable et de stabilité dans le gouvernement du royaume.

« Monsieur l’Archevêque de Rouen, le grand désir que j’ai de voir un accommodement aux affaires de la Chrétienté pour l’établissement que j’espère avec l’aide de Notre-Seigneur, qui s’en ensuivra d’une bonne et durable Paix en ce Royaume, m’a donné sujet de faire un vœu et d’avoir recours à Notre-Dame de la Paix, qui est dans la chapelle du village de Sahurs, près de Rouen, appartenant au sieur de Marbeuf, où j’envoie par le Père Marie jésuite une Image de la Vierge pour l’accomplissement de ce vœu... »

Le manoir de Marbeuf, au village de Sahurs. La chapelle en l’honneur de Notre-Dame de la Paix est cachée dans les arbres, à droite du logis principal.

Le vœu était formulé depuis deux mois, qu’un saint religieux augustin du couvent parisien de Notre-Dame des Victoires, le bon frère Fiacre de Sainte-Marguerite, qui priait avec ferveur à cette intention, eut l’apparition, dans la nuit du 3 novembre 1637, de la Sainte Vierge qui portait un enfant dans ses bras. Défendant au frère Fiacre d’adorer l’enfant, Elle lui dit : « Ce n’est pas mon fils, c’est l’enfant que Dieu veut donner à la France. » Pour permettre à cette volonté divine de s’accomplir, le religieux devait accomplir trois neuvaines. Muni de la permission de ses supérieurs, le frère Fiacre entreprit les trois neuvaines, qui se terminèrent le 5 décembre 1637. Ce jour-là, le Roi, qui était en visite au monastère de la Visitation de Paris auprès de sa confidente, saintement aimée, sœur Louise de Lafayette, accepta, sur les instances de celle-ci, de passer la nuit au palais du Louvre, où habitait la reine Anne d’Autriche. On sait la suite...

Ce qu’on sait moins c’est que, le jour où la statue de Notre-Dame de la Paix, enfin prête, quitta le Louvre dans un carrosse de la Reine, escortée comme il se doit de mousquetaires ! Anne d’Autriche « sentit son fruit s’agiter dans son sein », comme Élisabeth lors de la visite de sa cousine... La statue parvint le 23 avril 1638 dans la capitale de la Normandie, fut honorée d’abord en grande cérémonie dans la chapelle du collège des jésuites avant d’être transportée, sur ordre de l’archevêque, jusqu’à Sahurs, où se pressèrent les foules. Tout concourait dans le même sens, puisque l’archevêque de Rouen recevait quelques jours plus tard la lettre suivante du roi Louis XIII :

« Monsieur l’archevêque de Rouen, ayant par mes lettres patentes du 10 février dernier déclaré que je prends la très glorieuse Vierge Mère de notre Sauveur pour Protectrice spéciale de mon Royaume, et que j’entends qu’il en soit fait commémoration au jour et fête de l’Assomption de la Vierge en chaque année... » le Roi demandait que la déclaration en soit publiée au jour de l’Ascension et aux trois fêtes ou dimanches suivants, « afin que chacun se prépare à s’offrir avec moi à la bienheureuse Vierge, et à joindre ses prières aux miennes pour qu’il lui plaise de faire ressentir à ce Royaume les effets de sa puissante protection, et spécialement qu’au dit jour de l’Assomption tous mes sujets se portent d’une dévotion particulière à en célébrer la Fête avec cette sainte intention le plus solennellement qu’il sera possible... »

Le 13 août, deux jours avant cette consécration solennelle, la Reine écrivit à l’archevêque de Rouen pour lui annoncer que les temps de l’accouchement étaient proches, et Mgr de Harlay s’empressa d’ordonner à son clergé que, dans chaque église et chapelle, soit célébré « un Salut solennel chaque jour sur les 5 heures du soir, jusqu’à ce que vous ayez autre ordre de nous, et que le peuple à cet effet soit appelé au son de la cloche » (18 août). L’archevêque vint en personne à Sahurs le 25 août, jour de la Saint-Louis, assurer ces prières « pour le Roi, l’heureuse délivrance de la grossesse de la Reine et la paix en Chrétienté ». Quand enfin la nouvelle de la naissance lui parvint à Gaillon, le 7 septembre, il ordonna que le lendemain, fête de la Nativité de Notre-Dame, un Te Deum solennel soit chanté à Sahurs, ainsi que dans son église-cathédrale.

En janvier 1638, le Père Joseph de Paris avait composé un mémoire afin que soient établis des prédicateurs « pour prêcher la dévotion que le Roi fait à la Sainte Vierge de mettre son royaume sous sa protection... Sa Majesté obtiendra du Pape que lesdits prédicateurs aient pouvoir durant trois ans, avec la permission des Ordinaires, d’instituer les oraisons des Quarante-Heures en toutes les églises cathédrales et en tous les autres lieux qu’ils jugeront être à propos, avec faculté d’indulgence plénière... »

Le Père Joseph mourut en décembre 1638, avant d’avoir pu organiser cette “ mission mariale ” à l’échelle de toute la France ; mais on sait qu’à Sahurs, l’office pour le Roi et la paix de la Chrétienté sera assuré pendant cent cinquante ans, dans cette chapelle dite « lieu de dévotion de la Reine », avec célébration des Quarante-Heures. Tandis qu’à Notre-Dame de Lorette, en Italie, Louis XIII faisait don de deux magnifiques couronnes pour la Vierge et l’Enfant, et fondait dans la basilique une messe quotidienne à perpétuité pour la famille royale de France. Chaque premier samedi du mois, la messe devait être solennelle et célébrée dans la Santa Casa avec assistance du chapitre.

LA PAIX EST UN DON DU CIEL

Arrivés à Sahurs, nous sommes entrés en procession dans la chapelle du manoir de Marbeuf, cierges allumés, comme une douce anticipation de Noël.

Quand la reine Anne d’Autriche obtint du roi, en juin 1638, que la paroisse de Sahurs, où est sise Notre-Dame de la Paix, soit exempte du logement des gens de guerre, on raconte que le R. P. Étienne Binet, provincial de la Compagnie de Jésus, était venu pour y faire ses dévotions. « S’étant rencontré à la réception de cette grâce, il fut supplié d’annoncer aux habitants de Sahurs cette bonne nouvelle et, en présence du Saint-Sacrement posé sur l’autel, il fit une paraphrase sur ces paroles : “ Annuntio vobis gaudium magnum : Gloria in excelsis Deo, pax hominibus, ecce invenietis infantem pannis involutum ”, avec laquelle par son éloquence ordinaire il ravit tous les assistants, leur remontrant la grâce que leur faisait leur Dieu, et celle que leur faisait leur Roi ; l’une par l’intercession de la Vierge, l’autre par l’intercession de la Reine, qu’ils voyaient leur Dieu présent, specie panis involutum, et qu’ils verraient bientôt leur Dauphin pannis involutum, et que le branle de son berceau royal serait l’affermissement du repos de toute la Chrétienté. Il conclut son discours en invitant le peuple, pour action de grâces, de joindre leurs prières à celle qu’il fit à la Vierge Mère, pour obtenir de Dieu son Fils, que notre Reine fut bientôt mère de ce fils qui était désiré de toute la France. »

Vraiment, ce dauphin qu’on devait appeler Louis-Dieu-donné naissait sous le signe d’une prédestination remarquable, et chargé d’une mission particulière, comme le devinait sœur Marguerite du Saint-Sacrement, carmélite de Beaune, elle aussi favorisée de révélations célestes, puisque Notre-Seigneur lui avait révélé que l’enfant serait obtenu par les mérites de sa divine Enfance. Le jour de sa naissance, elle couronna le petit Roi de Gloire qui trônait au chœur de la chapelle en lui adressant cette prière : « Ô Saint Enfant, vos promesses sont maintenant accomplies : faites que ce prince que Vous avez donné soit soumis à votre divine puissance, qu’il n’ait point de couronne ni de grandeur qu’il ne reconnaisse tenir de Vous et dépendre de la Vôtre, et que, durant son règne, il établisse partout l’autorité de votre empire. »

Cette mission, qui lui sera signifiée cinquante ans plus tard par le Sacré-Cœur, ne sera pas accomplie par Louis XIV, et son refus sera de funeste conséquence. Il n’empêche que la leçon des origines demeure, nous rappelant que la paix est un don de Dieu, accordé aux hommes objets de sa bienveillance, par le ministère de la Sainte Vierge, « afin d’unir à elle ceux qu’elle sépare du monde » (saint Léon). Et le Bon Dieu l’accorde aux peuples qui ont de bons gouvernements, des institutions stables, comme les avait notre France d’Ancien Régime, sous la monarchie très chrétienne, fruit d’une heureuse concertation, nous l’avons vu, entre l’Église et la Royauté.

La consécration de 1638 n’eut pas un effet de baguette magique, mais elle porta ses fruits. De 1638 à 1643, année de sa mort, Louis XIII ne se borna pas à repousser l’invasion ; il étendit nos frontières avec un constant bonheur, ajoutant au royaume le Roussillon et presque toute l’Alsace. Il faudra attendre cependant encore quelques années pour que soit signé le Traité des Pyrénées avec l’Espagne, par la même reine Anne d’Autriche et le jeune roi Louis XIV. Ensuite, la France ne connut plus d’invasion étrangère ni de troubles graves, et vécut en paix... jusqu’à la Révolution. « La paix qui est le but de la guerre », disait un grand saint de l’époque, réaliste, saint Vincent de Paul, et aussi « la difficile conquête des meilleurs, lorsqu’ils deviennent plus forts que les pires, et savent s’en faire craindre » (saint Pie X).

L’archevêque de Rouen, en instituant les Quarante-Heures en la chapelle de Sahurs, rappelait une autre vérité salutaire, bien oubliée aujourd’hui : « Qu’il faut désarmer la Justice du Dieu des armées par notre pénitence, et commencer la paix générale par la particulière de nos consciences. » Ajoutons que Fatima a révélé une vérité plus bouleversante encore : entre le Dieu des armées, sa Sainteté de justice, et ses pauvres créatures de néant, il y a le Cœur Immaculé de Marie, sanctuaire de sa Sainteté de miséricorde, qui intercède pour nous.

« Derrière cette paix que Dieu nous accorde, disait notre Père, on peut voir le visage très doux, très sage, très saint de la Vierge Marie. La paix sur la terre, la paix dans nos âmes, dans nos familles, dans nos nations, c’est Elle, c’est la tendresse de la Sainte Vierge. » (31 décembre 1995)

À LIESSE, ELLE EST « CAUSE DE NOTRE JOIE »

Notre-Dame de Liesse rime avec allégresse, et tout nous invitait à la joie du salut en ce premier jour des Grandes Antiennes “ O ” qui préparent directement Noël, avec ces inscriptions gravées en lettres d’or dans le chœur de l’antique sanctuaire, qui est un peu le cœur de la France : « Causa nostræ lætitiæ », « Tu lætitia Israël », « Servite Domino in lætitia »...

Et pourtant, notre chère dévotion réparatrice nous fait considérer la tristesse actuelle de la Sainte Vierge, le grand chagrin qui point son Cœur Immaculé « à tout moment ». Alors, tristesse ou joie ? La question est facile à résoudre : dans ce monde où règnent l’injustice et le péché, seule la Très Sainte Vierge, l’Immaculée Conception, est « cause de notre joie ». Notre joie intime, notre liesse perpétuelle, c’est ELLE ! Saint Jean Damascène le disait déjà : « Vous, Marie, vous avez engendré la joie de tous, la vraie joie qui dissipe la tristesse du péché. » Et saint François de Sales, notre Maître en dévotion, le recommandait à ses Philothées : « Réveillez souventefois en vous l’esprit de joie et de suavité, et croyez fermement que c’est le vrai esprit de dévotion. » Dans la mesure où nous appartenons à l’Immaculée, où nous sommes ses enfants, nous ne pouvons pas ne pas être joyeux et nous appliquer à la consoler, à lui montrer par toutes sortes de tendresses que nous l’aimons, de façon à faire revenir le sourire sur ses lèvres, et la joie dans son Cœur Immaculé.

Mgr Garcia, le saint évêque de Palencia au siècle dernier, en avait fait une prière amie de la mémoire : « Sainte Marie, que je sois aujourd’hui votre joie, et vous la mienne ! » Non pas une joie selon le monde, mais une vraie joie chrétienne, celle dont parle frère Bruno dans sa Lettre de Noël, en citant sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus : « Ô Jésus ! est-il une joie plus grande que de souffrir pour votre amour ? »

LE MIRACLE FONDATEUR (1134)

Après la messe, célébrée par un vieux prêtre à la retraite, ravi de voir le sanctuaire se remplir en une si froide matinée de décembre, frère Théophane nous rappela, en commentant le diorama de la chapelle Saint-Louis, l’histoire merveilleuse qui préluda aux origines du pèlerinage de Liesse : celle des trois chevaliers d’Eppes et de la princesse Ismérie. Mais le prêtre tint à nous en faire de nouveau, pour la joie de tous, le récit devant la fresque qui orne depuis peu les murs de la Santa Casa près de la fontaine miraculeuse (voir p. 26), réalisée avec l’art naïf et expressif des anciennes fresques populaires, très réussie !

On sait par ailleurs que le cadre de cette histoire est vrai : les trois frères chevaliers ont bien existé, ainsi que le sultan d’Égypte et sa fille Ismérie. Ensuite, la poésie des trouvères a peut-être enjolivé certains détails, mais pour ce qui est du fond, la délivrance et le retour miraculeux en douce France, « il y aurait une sorte de singularité à refuser une croyance humaine à une ancienne tradition, toute populaire qu’elle est, lors qu’elle ne rapporte que des faits qui, tout merveilleux qu’ils paraissent, ne sont pas impossibles à Dieu, dont on sait que la puissance est infinie », écrivait Étienne-Nicolas Villette dans son Histoire de Notre-Dame de Liesse (Laon, 1708), citée par Bruno Maes (Notre-Dame de Liesse, la Vierge noire aux trois chevaliers de Malte, 2022, p. 21). On ne conçoit pas non plus qu’un tel pèlerinage soit né “ de nihilo ”, en une région de marécages et de forêts, peu propice aux déplacements des foules.

Ornant depuis 2021 le mur intérieur de la Santa Casa de Liesse, cette fresque de Pierre-Émilien Grenier raconte à la manière des anciennes estampes le miracle fondateur du sanctuaire : tout y est, avec au centre le miracle de la Vierge noire (photographie : Jean-Pierre Bellavoine, avec l’aimable autorisation du sanctuaire Notre-Dame de Liesse).

Oyez donc, chrétiens, ce beau miracle fondateur :

1er tableau. Au temps des Croisades, trois chevaliers de la maison d’Eppes en Laonnois, entrés dans l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, Jehan, Hector et Henri, partent pour Jérusalem vers 1130. Ces religieux militaires, liés par vœu à la défense des Lieux saints, arboraient la croix à la garde de leur épée et cachaient le cilice sous leur cuirasse.

2e tableau. Ils sont faits prisonniers et emmenés au Caire devant le sultan Al Hazan. « Chiens, leur dit ce dernier, vous payerez cher la mort de nos frères ! » Mais apprenant la renommée des trois frères, il se ravise, pensant que l’islam pourra tirer gloire de l’abjuration des preux Français. « Apprenez que nous appartenons au Christ, répondent ceux-ci, et que rien ne nous fera briser le serment que nous avons fait de lui rester fidèles jusqu’à la mort ! Avec la grâce de Dieu, nous n’y faillirons pas. »

Ni les menaces, ni les flatteries, ni les cruels sévices, ni la confrontation avec les imans les plus savants du Caire ne réussissent à entamer la foi sans faille des Croisés. Le sultan finit par appeler sa fille, la douce et belle Ismérie, misant que, par sa séduction et sa diplomatie, elle les ferait céder et les amènerait à trahir le Christ. La jeune fille se prépare donc à visiter ces Français dont la conduite l’intrigue : « Elle ne soupçonne pas que Dieu guide ses pas vers une foi meilleure », chante la tradition...

3e tableau. Ismérie pénètre dans le cachot où sont enfermés les trois frères et use de chantage : « Je suis la fille du sultan. Vous n’ignorez pas que mon père, mécontent de votre attachement au christianisme, a résolu votre perte. Je suis venue pour vous délivrer, si toutefois vous consentez à ce qu’il désire, car il n’y a que Mahomet pour vous rendre la liberté et la vie.

– Sans doute ignorez-vous qui est le Dieu des chrétiens, qui s’est laissé crucifier pour nous. Et vous voudriez que nous le trahissions ! » Et nos trois chevaliers de lui annoncer à leur tour l’Évangile, la Bonne Nouvelle du Salut : comment Jésus, par amour, est descendu du Ciel pour nous sauver en mourant sur une Croix. Puis l’aîné des chevaliers a l’inspiration de lui parler de la Vierge Marie avec une telle fougue et une telle tendresse qu’Ismérie, étonnée de découvrir Mariam, la mère du prophète Jésus, sous un autre visage, se laisse enfin toucher : « Montrez-moi Aïssa et Mariam. » Mais ne les voient que ceux qui en sont dignes par la grâce du baptême. Alors, Ismérie renchérit :

« Montrez-moi au moins une image de votre Dame Marie.

– Donnez-nous le bois et l’instrument, nos mains feront l’ouvrage », répond l’aîné.

Nos chevaliers s’avèrent incapables de sculpter une statue. Mais pendant la nuit, une lumière exquise vient baigner leur prison et, au centre de cette clarté, le morceau de bois inerte qu’ils ont abandonné la veille s’est transformé en une merveilleuse image de la Vierge à l’Enfant. « Nous la nommerons Notre-Dame de Liesse, dit Jehan à ses frères ; car, vraiment, elle me donne joie au cœur. »

À son tour, Ismérie tombe sous le charme de la statue, l’emporte dans sa chambre. La nuit venue, la Vierge Marie lui apparaît en songe : « Aie confiance, Ismérie, ta prière est exaucée. J’ai prié pour toi mon divin Fils et Seigneur et Il a daigné te choisir pour sa fidèle et bien-aimée servante. Tu délivreras de leur prison mes trois dévots chevaliers, tu seras baptisée et honorée de mon Nom. Par toi la France sera enrichie d’un trésor inestimable et comblée de grâces innombrables ; par toi mon Nom deviendra célèbre par toute la terre, enfin, je t’admettrai près de moi pour toujours au Paradis. » Ismérie délivre donc les trois chevaliers, – détail de la fresque : la clef de la prison porte les initiales des Noms de Jésus et Marie –, et ensemble ils traversent le Nil. Après quelques heures de marche, ils s’allongent pour prendre un peu de sommeil.

4e tableau. À leur réveil, ils se trouvent près d’une source. Le paysage a complètement changé. Apercevant un berger qui conduit son troupeau, les chevaliers lui demandent où ils se trouvent :

« Dans le diocèse de Laon, tout près du château de Marchais.

– Est-ce possible ?

– Oui, chevalier, je suis de ce pays !

– Et moi, j’en suis le seigneur... »

Délicatesse de Notre-Dame : Marchais était le lieu où, désespérant du sort de ses fils, la mère de nos trois preux s’était retirée ! Le berger court la prévenir. Les chevaliers partent pour revoir leur mère et en oublient la statue. Ils reviennent. La source a débordé et touché la statue.

5e tableau. Ismérie est baptisée à Laon, par l’évêque Barthélémy de Jur, le 8 septembre 1134. Elle prend le nom de Marie et sa marraine est la mère de nos Croisés. C’est le même évêque qui décide l’érection d’un sanctuaire en l’honneur de la Vierge noire rapportée par les trois chevaliers. Tel fut le début du pèlerinage.

« UN TRÉSOR INESTIMABLE »

« Par toi, la France sera enrichie d’un trésor inestimable. » Quel trésor ? Un trésor de grâces... de joies... mais surtout un trésor de dévotion et de réparation. C’est ce qu’on apprend en ouvrant le “ Livre des Merveilles de Liesse ”, où les lys de France se mêlent étroitement au Beau Lys Immaculé, exhalant à la fois sa bonne odeur, sa pureté parfaite et sa bonté royale ; comment, par son universelle et miséricordieuse médiation, depuis des siècles, notre Reine vivifie de liesse les cœurs des pécheurs repentants qui viennent à Elle et leur accorde les secours dont ils ont besoin.

On date de 1139 un des premiers miracles, obtenu par l’intercession de la Dame de Liesse. Un malheureux en proie à la misère, nommé Pierre, du village de Fourcy, avait volé pour nourrir les siens. Pris en flagrant délit, il fut arrêté et condamné à être pendu. Conduit au lieu de supplice, il invoqua Notre-Dame, puis courageusement accepta la punition de sa faute. Mais trois jours après, Pierre vivait encore. Le prévôt accourut sur les lieux et apprit de la bouche du condamné ce qui s’était passé : « J’ai demandé à Notre-Dame de Liesse qu’il lui plût de me délivrer. De sa main elle a soutenu mon cou, et a empêché la corde de me serrer. » Pareille miséricorde de la Vierge la fit aimer d’emblée des pécheurs et des malheureux. La dévotion populaire était née.

On raconte aussi comment les jeunes enfants d’Enguerrand II, seigneur de Coucy, volés par des saltimbanques, furent retrouvés, quand leur père eut promis à la Vierge de Liesse de s’engager comme Croisé aux côtés du roi Louis VII. Après une enfance timide jusqu’au début du quatorzième siècle, le pèlerinage de Liesse commença à être connu dans tout le royaume de France, à tel point que le pape Clément VII écrivait en 1384 : « Les peuples accourent à Liesse non seulement des pays circonvoisins, mais aussi des contrées les plus lointaines, à cause des miracles que la clémence divine y opère sans cesse par les prières de la Bienheureuse Vierge Marie. » Outre les miracles, cette renommée s’étendit par le moyen des confréries et des “ Mystères ”. On compte pas moins de quatorze mystères, composés et joués à Paris par la confrérie de Notre-Dame de Liesse !

C’est au quinzième siècle que commencèrent les pèlerinages royaux, et cela dura, presque sans interruption, de Charles VI à Louis XV (1414-1744) ! Liesse, étant situé près de Corbeny où le roi touchait les écrouelles au lendemain de son sacre, devint ainsi un des pèlerinages préférés de nos rois. Après Charles VII en 1429, Louis XI vint à Liesse quatre fois, ayant la Vierge noire en « particulière et parfaite dévotion » ; il y fonda une messe perpétuelle chaque samedi. On raconte que le roi se trouvant aux environs de Castres dans le sud de la France, un bourgeois insolent lui dit : « Roi folâtre, tu ruines le pays... » et autres injures de ce genre. L’impertinent méritait un châtiment et Louis XI s’apprêtait à le faire arrêter par ses gens d’armes, lorsque la pensée de Notre-Dame de Liesse se présenta à son esprit. La Mère de Miséricorde serait-elle son Avocate s’il ne consentait pas à faire clémence ? Le roi appela le bourgeois et lui dit :

– Tu n’ignores pas ce que tu mérites. Je consens à te pardonner cette fois, mais à une condition.

– Laquelle, Sire ?

– C’est que tu ailles à Liesse en réparation de ta faute et que tu y fasses dire une messe. »

Le bourgeois accepta volontiers et accomplit son pèlerinage de... réparation. À partir du quinzième siècle, Notre-Dame de Liesse devint, à certains égards, la patronne de la dynastie capétienne. On aimait associer les lys de France, le nom de Liesse et les lys blancs de la Vierge. Sur place, l’écrin de la Vierge noire devenait plus solide et plus beau, tandis que continuait le défilé des têtes couronnées : François Ier, prisonnier de Charles Quint à Pavie, supplia Notre-Dame de Liesse de lui rendre la liberté. Aussitôt délivré, il vint la remercier en son sanctuaire laonnois. Henri II en 1554, avec ses trois fils, dont le futur Henri III qui mourra martyr de la religion royale.

ÉTENDARD DE LA FRANCE CATHOLIQUE

Au moment des guerres de religion, ou plutôt de la guerre que le calvinisme déclencha en semant ses erreurs et en couvrant la France d’un fleuve de sang, on vit bien à Liesse que l’enjeu était ni plus ni moins que le combat du démon contre la Vierge. En 1566, il y eut dans l’église de Liesse, puis à la cathédrale de Laon, un spectaculaire exorcisme qui délivra une pauvre possédée, Nicole de Vervins, de l’emprise d’une légion de démons, le tout accompagné d’un miracle eucharistique, que reconnut le pape saint Pie V.

Alors le diable voulut prendre sa revanche : Antoine de Croy, partisan acharné du calvinisme, résidait à Montcornet, tout près de Liesse. Comme ce fanatique n’opérait qu’à coups de pistoles, on le surnommait “ le missionnaire pistolique ”. Un jour de 1568, ses troupes arrivèrent à Liesse, et se dirigèrent vers le sanctuaire. La belle statue de Notre-Dame dressée au-dessus du portail fut brisée. Brisées aussi les statues de la chapelle sainte, lacérés les tableaux, démolies les boiseries, arrachés les ornements et les ex-voto. Si, grâce au Ciel, la statue miraculeuse fut préservée, c’est qu’elle avait été mise à l’abri dans la cathédrale de Laon. On devine la douleur des serviteurs et pèlerins de la Vierge en voyant l’antique sanctuaire à moitié en ruine. Il faut, se dirent-ils, demander pardon, supplier Notre-Dame d’avoir pitié de nous et... réparer.

« Les luthériens, les calvinistes... ont proféré quantité de blasphèmes contre la Sainte Vierge. Mais d’autant plus ils se sont opiniâtrés dans leurs erreurs et folies, d’autant plus les chrétiens se sont raidis à les fuir et détester comme peste des âmes. Les fidèles se sont affermis dans la piété et dévotion de la Mère de Dieu, de sorte que les pèlerinages ont grandement été fréquentés et les miracles multipliés dans un nombre infini d’églises, chapelles et oratoires dédiés à l’honneur de la Sainte Vierge nommément de Liesse. » (Bruno Maes, op. cit., p. 57) C’est ainsi que fut créée la Confrérie des Pénitents blancs.

Tous, hommes, femmes, enfants portaient en effet un habit de grosse toile blanche, en l’honneur de la pureté de la Vierge Immaculée. Une corde blanche leur servait de ceinture. Un capuchon blanc aussi, pointe en l’air, percé de deux trous à l’endroit des yeux, couvrait la nuque, le visage, le cou. Ils marchaient pieds nus. Ils arrivaient en files innombrables, tenant en main une petite croix et récitant les litanies. Souvent, le Saint-Sacrement était porté au milieu de la procession sous un dais triomphal. À certains jours, l’on compta jusqu’à trente processions venues de différents côtés : Soissons, Meaux, de Picardie, des Ardennes, etc. Cette “ réparation ” publique était en même temps une affirmation, une confession de la foi catholique, face aux protestants. C’est ainsi que Notre-Dame de Liesse devint en ces années-là, à la fin du seizième siècle, l’étendard de la Contre-Réforme et de la reconquête sur l’hérésie.

Un des cantiques qui étaient chantés au cours de ces processions se terminait ainsi : « Ô Mère du Roi des rois / Assistez notre roi, Contre les hérétiques / qui s’attroupent aujourd’hui, Et sont tous contre lui / Pour la foi catholique. » Comme l’écrit Bruno Maes : « La procession est une armée catholique en ordre de bataille, prête au combat, et le chant renforce cette unité du groupe en donnant la cadence du pas. » C’était une vraie Croisade, dont la Sainte Vierge était le capitaine en chef. D’autant que la branche de Lorraine des Guise, habitait le château tout proche de Marchais...

Après la conversion d’Henri IV et la magnifique restauration catholique qui s’ensuivit, Notre-Dame de Liesse resta longtemps encore le symbole de la foi catholique victorieuse de l’hérésie. En 1622, le galion amiral de la flotte du duc Charles de Guise, chargé de réduire les protestants rochelais révoltés, portait son nom, tandis que l’aumônier de la flotte avait donné pour mot d’ordre aux troupes royales : « Bon gré Dieu ! Notre-Dame ! » Le 27 octobre, malgré un début d’incendie, le “ Notre-Dame de Liesse ” sortait victorieux de la bataille navale et, le 13 novembre, Guiton, le maire de La Rochelle, montait à son bord pour déposer son étendard aux pieds du vainqueur.

La chapelle du pèlerinage fut remise en état, et une nouvelle statue prit au portail la place de l’ancienne. Pour se rendre à Liesse, le pays n’était pas plaisant à traverser : des forêts touffues dans lesquelles on s’égarait, des marécages dans lesquels on s’embourbait... La reine de France Marie de Médicis vint en pèlerinage implorer la naissance d’un héritier : ayant été exaucée, elle fit construire une large chaussée de Laon à Liesse, avec de nombreux ponts pour l’écoulement des eaux. Elle fit don aussi du superbe autel baroque qui orne aujourd’hui encore le chœur de l’église. Et les pèlerinages reprirent de plus belle, à la fois royaux et populaires.

L’église de Liesse garde un souvenir très précis du pèlerinage de Louis XIII, appelé “ Louis le Juste ” en raison de sa piété ; n’ayant pas d’héritier, il conjurait le Ciel de lui en donner un. Anne d’Autriche elle aussi était navrée. Avec persévérance, les deux époux se rendirent à plusieurs sanctuaires consacrés à la Sainte Vierge ; ils vinrent en particulier à Liesse, le roi cinq fois ! et, par manière de supplication, il donna au chapitre un sac d’or pour bâtir la sacristie, appelée de nos jours encore, “ sacristie de Louis XIII ”. Et ils furent exaucés, nous avons dit en quelles circonstances. Après la naissance de Louis-Dieu-Donné, son père revint à Liesse en action de grâces. Une grande toile, conservée dans la basilique, représente le roi et la reine à genoux, mains jointes dans l’attitude des suppliants ; on voit au-dessus la naissance de Jésus à Bethléem. Louis XIV vint à son tour dans ce vénéré sanctuaire, en 1652, puis en 1678, en 1680. Le dernier de nos rois pèlerins fut Louis XV en 1744.

Les rois en pèlerinage observaient tout un cérémonial. Le parcours que suivait le cortège était pavoisé ; les gens criaient : Hosanna ! Les princes à cheval étaient escortés d’archers portant chapeaux et hallebardes. Le peuple revêtait ses plus beaux atours et s’écrasait dans la chapelle ou aux abords. Le Roi entendait d’abord la messe, puis montait au jubé pour réciter à haute voix une prière, dans laquelle il suppliait Dieu d’accorder une prospérité constante au royaume de France, à la famille royale, au peuple entier, pour l’honneur de son Nom. Puis, se tournant vers Marie, il lui demandait son aimable et puissante intercession. Quand le Roi avait terminé, toute l’assistance s’écriait : « Qu’il en soit ainsi ! Qu’il en soit ainsi ! »

FAVEURS INNOMBRABLES

Les saints venus en pèlerinage à Liesse sont innombrables. Il y a les prédestinés comme la future Madame Acarie, l’épouse du duc de Ventadour ou le vénérable Henri-Marie Boudon ; les grands convertis comme Pierre de Kériolet ou les fondateurs d’ordre comme Monsieur Olier et saint Jean-Baptiste de La Salle. Et voici une histoire touchante, qu’a racontée Bossuet. La princesse Henriette de France aimait beaucoup Notre-Dame de Liesse. En 1642, rentrant en Angleterre, une tempête effroyable mit en péril le navire. La vaillante Reine allait d’un matelot à l’autre : « Priez Notre-Dame de Liesse, elle vous sauvera. Pourquoi trembler ? Ne savez-vous pas que les reines ne se noyent pas. Et donc, vous qui êtes avec moi ne devez rien craindre. » Le vent s’apaisa et les témoins furent étonnés d’une délivrance si miraculeuse. La reine reconnaissante envoya au sanctuaire de Liesse un navire d’argent pesant six-vingt marcs.

Un marchand de Paris avait un fils de quatorze ans paralysé. L’enfant contrefait avait le dos complètement voûté, il ne pouvait marcher ; de plus il était muet. Entendant raconter les miracles que faisait Notre-Dame de Liesse, le père résolut de lui amener son fils. Courageusement, il plaça l’infirme sur une chaise, l’y attacha avec des courroies, et chargeant ce fardeau sur ses robustes épaules se mit en route, bravant la fatigue, la difficulté des mauvais chemins, les intempéries. Le soir de son arrivée à Liesse, il déposa l’adolescent aux pieds de la Vierge miraculeuse, la suppliant de lui rendre la santé. Le père supplia, insista neuf jours durant et... fut exaucé. Bientôt le père et le fils retournaient tous les deux à pied à Paris, d’où ils envoyaient à Liesse une attestation signée par vingt-quatre personnes, ayant vu l’enfant avant et après son pèlerinage.

Un jeune profès de la Compagnie de Jésus, le Père de Clorivière, ne pouvant être admis au sacerdoce à cause d’un bégaiement très prononcé, vint de Liège à Liesse à pied, supplier Notre-Dame de le guérir et il fut exaucé. Il reçut également de l’Immaculée Conception de grandes faveurs spirituelles. Chassé de France, ce jeune jésuite au cœur de flammes avait conçu « un projet de vengeance évangélique », – conforme à l’esprit de notre dévotion réparatrice –, exhortant ses confrères à prier, à offrir leurs sacrifices par l’intercession des Cœurs de Jésus et de l’Immaculée Conception, « pour obtenir la conversion et le salut de ces Messieurs qui nous ont délogés de chez nous ». Il disait aussi : « Ces deux Cœurs Sacrés seront mon lieu de repos, mon oratoire, mon école, mon refuge, mon centre. Rien ne sera capable de me tirer de là. » De cette sainte Source découla pour lui tout le reste : sa lucidité pour juger la Révolution impie, son courage pour la combattre, sa doctrine religieuse et politique pour le relèvement de la France et le salut de l’Église dans les derniers temps.

Avant de quitter l’Ancien Régime, disons un mot sur un document conservé dans les archives du sanctuaire : il s’agit du journal de marche d’une certaine madame Barrau, venue à pied de Paris jusqu’à Liesse, afin d’y prier pour la santé des enfants de France, parce que, disait-elle, Liesse est « le lieu d’intercession privilégié pour les princes des fleurs de lys » ! Racontant son premier pèlerinage en 1710, elle écrit : « Le premier duc de Bretagne mourut à neuf mois, le second duc de Bretagne mourut à cinq ans, fut porté avec Mgr de Bourgogne et Madame de Bourgogne à Saint-Denis. Je fus si pénétrée de douleur d’une si grande perte pour la France, et que je voyais qu’il ne restait que Louis XV, enfant très délicat... Je pensai que je ne pouvais mieux faire pour obtenir de Dieu sa conservation que de faire vœu dans l’instant de partir à pied pour faire le pèlerinage de Notre-Dame de Liesse. Pour qu’Elle serve de Mère au prince, qu’Elle le prenne, lui et tout son royaume, sous sa sainte protection, toute sa vie, j’ai donné un enfant d’argent. » Elle y retournera plus de dix fois, avec la même générosité et la même piété !

Ainsi, au long du dix-huitième siècle, Liesse restait « le sanctuaire où est célébrée l’alliance des lys de France et des lys de la Vierge » (Bruno Maes), même si cette célébration et cette dévotion étaient de moins en moins le fait des élites.

SACRILÈGE ET RÉPARATION

Vinrent les jours les plus lugubres de notre histoire. Dans la chapelle de Liesse, comme dans la plupart des églises, les richesses furent confisquées : objets sacrés portés à la Monnaie, vêtements sacerdotaux arrachés, tableaux jetés au feu ; seul celui de Louis XIII échappa au pillage. Les cloches furent fondues. Chose à peine croyable, la Vierge miraculeuse trônait, désolée, sur l’autel ; pas un chrétien n’avait osé s’en emparer pour la cacher. Hélas ! il se trouva des misérables qui conçurent le plan diabolique de s’emparer de la statue et de la détruire. L’auteur principal de cette profanation, Lenoir, était boulanger de son état et révolutionnaire forcené. Avec deux complices, Grimpé et Brisset, il demanda au sacristain les clés de l’église, celui-ci eut la lâcheté de les leur donner. Les trois bandits pénétrèrent dans le sanctuaire par l’entrée principale ; à l’aide d’une échelle, ils détrônèrent la statue, Lenoir la mit dans un sac et proposa aux trois autres de la brûler dans son four. Ainsi fut fait. Bientôt un petit tas de cendres était tout ce qui restait de cette insigne relique.

Un petit garçon, témoin du sacrilège, osa se glisser dans le fournil et, pieusement, en recueillit les cendres. Dans le même temps, le chapelain-trésorier de Notre-Dame de Liesse montait à l’échafaud dressé sur la place de Laon, se tournant vers le sanctuaire « pour emporter de ce monde dans les splendeurs de l’éternité le meilleur et le plus doux souvenir de sa vie ». Des prêtres admirables, rentrés en France clandestinement, réussirent à maintenir en secret le culte de Notre-Dame de Liesse, grâce à une pauvre statuette de Notre-Dame, en plâtre verni.

Quand le culte catholique fut enfin rétabli à Liesse, tout n’était que deuils et que ruines. Mais les Liessois ne perdirent pas courage. Leur statuette en plâtre était trop misérable pour trôner sur l’autel. Ils en placèrent une autre, plus grande, revêtue d’une robe éclatante, et glissèrent sous ses pieds les cendres recueillies par le petit garçon. Ils restaurèrent la chapelle, rétablirent autels, boiseries et l’ex-voto de Louis XIII.

La duchesse d’Angoulême, sœur du petit roi Louis XVII, et sa belle-sœur, la duchesse de Berry, renouèrent avec la tradition des pèlerinages de la famille royale. Leur pèlerinage eut un immense retentissement. La Vierge Marie, rentrée dans son domaine séculaire, y régnait de nouveau, souriante et miséricordieuse. Nous savons par des documents authentiques que des guérisons, des conversions, des grâces de toutes sortes furent alors obtenues.

Mgr de Garsignies, évêque de Soissons au milieu du siècle, aimait beaucoup Notre-Dame de Liesse. Le 28 octobre 1851, il confia le sanctuaire et l’organisation des pèlerinages aux Pères de la Compagnie de Jésus. Il désirait aussi couronner Notre-Dame de Liesse, s’en ouvrit à Pie IX et son désir fut agréé. Le couronnement fut décidé pour le 18 août 1857, qui devint le jour de la fête liturgique.

« Réjouissons-nous, s’exclamait Mgr Pie, de l’acte réparateur qui s’accomplit en ce moment. Cette statue n’est pas la même qu’autrefois, mais en allant reprendre la place de sa devancière, elle héritera de toutes ses vertus... Cette image sacrée n’aura pas été plutôt inaugurée sur son emplacement antique et traditionnel, que tous les souvenirs des âges écoulés, des anciens prodiges opérés, viendront tout à coup l’investir et la pénétrer, se grouperont au-dessus de sa tête comme le nuage qui planait sur l’arche d’alliance et qui révélait la présence de Dieu. »

L’apothéose du 18 août 1857 porta la gloire de Notre-Dame de Liesse bien au-delà de la France, jusqu’en Amérique, au Japon, en Chine, à Ceylan, et à plusieurs endroits de l’Afrique : l’Oubangui, le Gabon, Madagascar. L’origine de chacun de ces lieux de pèlerinages serait émouvant à raconter. Ne prenons qu’un exemple, en Chine :

« Au temps des plus atroces persécutions qui sévissaient en Asie, de saints missionnaires retrouvaient le réconfort et la joie dans l’humble oratoire qu’ils avaient élevé à la Vierge, Cause de notre Joie, dans la province de Koui-Théou, un des coins les plus déshérités de la Chine. À quelques kilomètres de la ville de Koui-Yang, s’élève un étroit plateau qui est le carrefour de six gorges profondes. À l’extrémité de ce plateau, un pic rocheux et solitaire surplombe la vallée. C’est sur cet éperon, l’un des plus hauts de la région, devant un panorama merveilleux, que s’élève le pèlerinage chinois de Notre-Dame de Liesse. Au milieu du dix-neuvième siècle, au temps des plus sanglantes persécutions, le Père Faurie et ses compagnons, ne pouvant songer à élever une chapelle, si modeste fût-elle, commencèrent par cacher dans le creux du rocher une statuette de la Vierge qu’ils invoquaient sous le nom de Notre-Dame de Liesse. Pendant plus de vingt ans, les missionnaires gravirent le rocher pour implorer l’humble image en répétant inlassablement l’invocation : Causa nostræ Lætitiæ. Les chrétiens chinois suivirent l’exemple de leurs missionnaires, ils prirent l’habitude de venir invoquer en ce lieu la Mère de toute joie. Lorsque l’ère des persécutions et des martyrs fut close, vers 1874, une petite chapelle s’éleva sur ce rocher. Puis, à l’aurore du vingtième siècle, une grande église fut construite. Elle est toujours aujourd’hui un pèlerinage fréquenté. Avec un cantique approprié : « Patronne des Missionnaires, / Voyez aujourd’hui près de vous, / Voyez à vos pieds, Bonne Mère, / Vos enfants du Koui-Tchéou. / Pour nous garder de la tristesse, / Vierge, à vous nous avons recours, / Ô Notre-Dame de Liesse, / Notre joie et notre secours. »

Naturellement, ce fut surtout en France que l’élan vers Notre-Dame de Liesse, donné par ces fêtes de 1857, multiplia les pèlerinages de la contrée. De 1873 à 1882, on compta 400 000 pèlerins. Le cinquantenaire du couronnement amena de nouvelles fêtes et, en 1910, saint Pie X accorda une messe et un office propre au sanctuaire qui reçut le titre de basilique mineure. Chose étonnante ! Malgré les bombes et les projectiles qui, pendant les quatre ans de guerre, et on était tout près des champs de bataille, inondèrent le pays, détruisant des villages entiers, la basilique de Liesse resta debout. Et on revit les pèlerins de nouveau arriver à travers les routes défoncées.

Pour le huitième centenaire du miracle fondateur, en 1934, se déroulèrent à Liesse et à Laon des fêtes grandioses, – les photos en témoignent –, avec la tenue d’un Congrès marial, où l’on compta plus de 120 000 pèlerins. La journée des enfants rassembla plus de 10 000 Croisés eucharistiques, avec un superbe cortège historique qui racontait l’histoire merveilleuse de ces huit siècles de fidélité et de miséricorde de Dieu.

Il y eut de nouveau la Guerre, et le “ Grand Retour ”, non pas de Notre-Dame de Boulogne, mais de Notre-Dame de Liesse qui, du 2 avril au 10 juin 1945, parcourut 900 kilomètres et visita deux cents églises du diocèse dont elle était la patronne. Mais aujourd’hui, avec la “ mise à jour ” du Concile, le pèlerinage de Liesse a perdu ses foules d’antan. Nous savons les causes de cette décadence effroyable et de cette « molle apostasie », comme disait notre Père, qui attriste tant le Cœur royal et maternel de notre Reine, mais nous sommes là pour « réparer » et prier pour la résurrection de l’Église. C’est par la dévotion réparatrice, qui remet la Sainte Vierge à la première place, lui permettant de régner de nouveau et d’attirer à Elle tous les cœurs, que renaîtra la foi au saint Royaume de France qui est le Royaume de Marie.

C’est dans le chœur de la basilique que nous avons terminé notre pèlerinage ; notre Père aimait beaucoup y méditer sur notre histoire. Il disait que « ce vieux vaisseau, où sont venus prier tant de nos ancêtres, manifeste que Dieu a protégé notre pays à travers les siècles. Ce pèlerinage de Liesse nous parle de ce passé avec des accents de reconnaissance, d’action de grâces à la Miséricorde et à la Fidélité de Dieu. » Au pied de Jésus-Hostie, car le vieux prêtre qui avait célébré la messe le matin, avait accepté de célébrer un Salut du Saint-Sacrement, avouant humblement qu’il n’en avait pas célébré depuis... cinquante-quatre ans, nous rendîmes donc grâces à Notre-Dame de Liesse, la suppliant de nous conserver dans la joie de la vérité, de nous donner avec la lumière de la foi, la compréhension de notre histoire sainte où s’incarne notre être profond, catholique et français. De nous donner aussi la joie de l’espérance, qui nous assure que cette histoire n’est pas terminée, que Dieu a un dessein sur la Fille aînée de l’Église, qui a eu « en particulière dilection et dévotion la Vierge Marie, Notre-Dame de tous nos pays, incomparable Fille, Épouse et Mère de Dieu, médiatrice de notre sainte destinée ». De nous donner enfin la joie de l’amour divin, allumée par la flamme de la dévotion réparatrice qui, selon saint François de Sales, « rend la charité prompte, active et ardente ».

On parle beaucoup à Liesse de “ délivrance ”, de “ libération ” : alors, oui ! que Notre-Dame nous délivre de l’oppression des sans-Dieu et des corrompus qui nous gouvernent, qu’Elle sauve la France de ses démons intérieurs, et nous redonne la douceur et la joie de vivre en Chrétienté !

frère Thomas de Notre-Dame du Perpétuel Secours.

Nos frères et sœurs de Magé ont découvert près de Parthenay un sanctuaire, né d’un bel acte de charité : Notre-Dame dite de l’agenouillée. Le 8 septembre 1549, une certaine Louise Estivale se rendait à la messe au village voisin lorsqu’elle fut arrêtée par une pauvre femme qui lui demandait du pain. Elle fit donc demi-tour pour lui servir un repas, et lorsqu’elle reprit en hâte le chemin du village, elle entendit sonner la cloche de l’église annonçant que c’était le moment de la consécration. Elle tomba à genoux et demanda pardon au Bon Dieu de son retard involontaire. Elle vit alors la Sainte Vierge portant son Enfant qui, pour la consoler, lui fit voir en vision la messe que son acte de charité lui avait fait manquer. En action de grâces, la dame fit bâtir une chapelle où l’on vénéra une piéta devant laquelle figurait la dame agenouillée. La chapelle spoliée à la révolution fut reconstruite en 1864 et les grâces se multiplièrent tant que le sanctuaire se développa jusque dans les années 1950. Aujourd’hui, il reste entretenu par de pieuses âmes, et on y trouve des ex-voto datant de 2020.