Il est ressuscité !

N° 245 – Juillet 2023

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


En route vers Notre-Dame ! (8)

« Le Père se plaît à regarder le Cœur de la Très Sainte Vierge Marie
comme le chef-d’œuvre de Ses mains : on aime toujours son ouvrage,
surtout lorsqu’il est bien fait ; le Fils comme le Cœur de sa Mère,
la source dans laquelle il a puisé le sang qui nous a rachetés ;
le Saint-Esprit, comme son Temple. » (Saint Curé d’Ars)

À la louange de gloire des trois aimables Personnes  divines qui se sont plu dès l’origine à établir leur demeure dans le Cœur Immaculé de Marie, et se plaisent à en répandre aujourd’hui la dévotion dans le monde entier, le mois de juin a vu se succéder nos pèlerinages, enrichissant notre arsenal d’élans de dévotion réparatrice, comme aussi d’exemples attirants tirés de notre histoire de douce et sainte France.

Depuis le sanctuaire élevé à Blois en l’honneur de Notre-Dame de la Trinité, jusqu’au Mont-Saint-­Michel, où l’Archange, chevalier servant de l’Immaculée, appelle au combat et à la réparation, en passant par la campagne languedocienne, plantée de vignes et d’oliviers, dans un parfum de Palestine, où Notre-Dame ne craignit pas de délivrer son message en langue occitane, à un moment critique de notre histoire, pour terminer dans un petit village des Dombes, aux pieds du saint Curé d’Ars, patron céleste de tous les curés du monde, qui a fait avec l’aide de la Sainte Vierge, de sa paroisse une véritable terre mariale, mieux : une Cité de l’Immaculée.

NOTRE-DAME EN SES RELATIONS

Célébrer le premier samedi du mois la veille de la fête de la Sainte Trinité, en se rendant dans un sanctuaire dédié à Notre-Dame de la Trinité, quelle grâce ! Tous les saints modernes ont été portés à contempler les relations de la Vierge Marie avec la Sainte Trinité et à y communier. Déjà saint Louis-Marie disait que la Sainte Vierge est tellement “ relative ” à Dieu qu’Elle est « la Relation de Dieu ». Et en écho, saint Maximilien-Marie Kolbe : « Il faut tout faire pour que l’Immaculée soit toujours mieux connue. Il faut que soient connues les relations de l’Immaculée avec le Père, le Fils et le Saint-Esprit, avec la Sainte Trinité, avec Jésus, les anges et nous-mêmes... »

Le Père Jacquier, religieux de saint Vincent de Paul, aimait à dire : « Marie est la Sainte Trinité mise à la portée des tout petits... En communiant à son Cœur, je me plonge dans le feu du Saint-Esprit. Marie nous conduira à l’union profonde avec la Sainte Trinité si nous sommes dociles à ses impulsions maternelles, livrés, abandonnés “ in sinu Mariæ ”. »

Notre Père a toujours aimé parler de Dieu comme de Trois Personnes, vivantes, distinctes, même si on les adore dans l’unité de l’Être divin et éternel : « Dieu m’est un Ami ! Dieu m’est un Époux ! Dieu est mon Père ! À Lui gloire, louange, honneur éternellement ! » écrit-il dans sa première Page mystique.

Quant à sœur Lucie de Fatima, elle eut le privilège insigne de contempler le mystère de la Sainte Trinité, à Tuy, le 13 juin 1929, et en reçut des lumières qu’il ne lui était pas permis de révéler, mais, écrit-elle : « Le mystère de la Très Sainte Trinité est pour moi ce qu’il y a de plus beau. » Lors de la première apparition à la Cova da Iria, le 13 mai 1917, quand Notre-Dame ouvrit ses mains et communiqua aux pastoureaux un reflet de la lumière immense qui émanait d’elles, ils furent pris « en Dieu » qui était cette lumière, et répétaient : « Ô Très Sainte Trinité, je vous adore. Mon Dieu, mon Dieu, je vous aime dans le Très Saint-Sacrement. » La Sainte Vierge est donc Médiatrice pour nous introduire au sein même de la Sainte Trinité qui est Amour, et Elle le fait par son Cœur.

LA DÉVOTION DES TROIS AVE MARIA

En suivant le bord de Loire depuis la Chaussée-Saint-Victor jusqu’à Blois, nos pèlerins parvinrent bientôt au sanctuaire de Notre-Dame de la Trinité, édifié par les Capucins au début du siècle dernier. C’est ici le siège de la dévotion des “ Trois Ave Maria ”, très ancienne dans l’Église, puisqu’elle a été initiée par saint Bruno au onzième siècle, avant d’être popularisée par saint François et ses disciples au treizième. Des révélations de la Sainte Vierge en montrèrent les fondements trinitaires à sainte Mechtilde, cistercienne au monastère d’Helfta, dont la disciple très fidèle fut sainte Gertrude.

 Le hérault de l’Amour divin ”, l’ouvrage composé par sainte Gertrude, rapporte que « la Vierge-Mère lui apparut se tenant en la présence de la toujours adorable Trinité, sous la forme d’un lis éclatant de blancheur, composé de trois pétales, dont l’un est droit, et les deux autres abaissés. Elle devait entendre par là que la Bienheureuse Mère de Dieu est appelée avec raison “ le lis blanc de la Trinité ”, parce que, plus que toute créature, elle a reçu en elle les vertus de l’adorable Trinité, sans les souiller jamais par la moindre poussière d’un péché véniel. Le pétale droit représentait la toute-puissance de Dieu le Père ; les deux autres, qui étaient abaissés, signifiaient l’un la sagesse du Fils, l’autre la bonté du Saint-Esprit, vertus auxquelles la Sainte Vierge est parfaitement ressemblante.

« Aussi la Bienheureuse Vierge lui fit comprendre que si quelqu’un la saluait en l’appelant dévotement “ Lis blanc de la Trinité, Rose éclatante qui embellit le ciel ”, il expérimenterait le pouvoir que la toute-puissance du Père lui a été communiquée comme Mère de Dieu ; il admirerait combien elle est ingénieuse par la sagesse du Fils à procurer le salut des hommes ; il contemplerait enfin l’ardente charité allumée dans son Cœur par l’Esprit-Saint.

« À l’heure de sa mort, ajouta la Vierge, je me montrerai à lui dans l’éclat d’une si grande beauté que ma vue le consolera, et je lui ferai goûter par avance des joies célestes. »

Une autre fois, aux Matines de l’Annonciation, pendant qu’on chantait à l’invitatoire l’Ave Maria, la sainte vit « trois courants jaillir du Père, du Fils et du Saint-Esprit et se rendre avec impétuosité dans le Cœur de la Vierge Mère, pour retourner avec la même impétuosité à leur source ». En même temps, elle entendit ces paroles :

« Après la puissance du Père, la sagesse du Fils, la tendresse miséricordieuse du Saint-Esprit, rien n’approche de la puissance, de la sagesse, de la tendresse miséricordieuse de Marie. »

C’est déjà en substance la révélation du Cœur Immaculé de Marie à Fatima, à qui sont confiées toute puissance et toute sagesse, en même temps que tout l’ordre de la Miséricorde.

Sœur Lucie de Fatima aimait et pratiquait cette dévotion à Pontevedra, au début de sa vie religieuse. « J’avais rencontré, raconte-t-elle, un enfant à qui j’avais demandé s’il savait l’Ave Maria. Il m’avait répondu que oui, et je lui avais demandé de me le dire, pour l’entendre. Mais comme il ne se décidait pas à le dire seul, je l’avais récité trois fois avec lui.

« À la fin des trois Ave Maria, je lui ai demandé de le dire seul. Comme il restait silencieux et ne paraissait pas capable de le dire seul, je lui demandai s’il connaissait l’église Sainte-Marie. Il me répondit que oui. Je lui dis alors d’aller là et de prier ainsi : Ô ma Mère du Ciel, donnez-moi votre Enfant-Jésus ! Je lui appris cette prière, et je m’en allai. »

Quand on voulut, sous saint Pie X, frapper une médaille en l’honneur de Notre-Dame de la Trinité et des Trois Ave Maria, on représenta la Sainte Vierge de face, les yeux levés vers l’auguste Trinité, montrant d’une main son Cœur et répandant de l’autre les trésors de grâces dont elle est Médiatrice. Au-dessous, les initiales : V. R. S. Vade retro, Satana. Arrière, Satan ! et au revers, le lys héraldique avec les trois pétales : Puissance, Sagesse, Miséricorde.

LA VIE DE LA VIERGE EN VITRAIL

Après avoir assisté à la messe du premier Samedi du mois, célébrée dans la crypte de la basilique, communié ensemble en esprit de réparation, – la ville de Blois était traversée ce jour-là par une marche lgbt ! – et nous être restaurés sous les ombrages du parc du sanctuaire, nous revînmes à la basilique pour écouter frère Thibaud nous détailler la très belle suite de quatorze verrières consacrées à la vie de la Très Sainte Vierge, exécutées dans les années 1930 – 1940, en même temps que la basilique, par Louis Barillet et Jacques le Chevallier, chef d’atelier.

L’épreuve des anges (basilique Notre-Dame de la Trinité)

Tous les deux faisaient partie de la “ Société des Artisans de l’Autel ”, dont les membres appartenant au tiers ordre franciscain voulaient promouvoir un art sacré qui respectât « les règles liturgiques » et les « saines traditions de l’art français », en particulier la technique médiévale du verre teinté et cuit dans la masse, d’où les couleurs très vives des vitraux.

Au-delà de la technique et de l’esthétique, très “ art déco ”, ce qui nous enthousiasma fut le contenu théologique de ces verrières, car elles sont une riche illustration, inscrite dans le verre et la pierre, en l’occurrence le béton, de la théologie mariale de notre Père. La préexistence de la Sainte Vierge, son rôle central dans la Révélation, dans l’Histoire universelle et dans l’œuvre du salut du genre humain, ne sont assurément pas des nouveautés, mais s’inscrivent dans la droite ligne de la théologie mariale traditionnelle, surtout franciscaine, et ses avancées audacieuses, car il y en a, sont bien faites pour “ réparer ” et remédier au dessèchement de la piété et à la stérilisation de la théologie mariale, opérés par le concile Vatican II.

« Yahweh m’a conçue, commencement de sa Voie, avant ses œuvres, depuis toujours. Dès l’éternité, je fus sacrée, dès le commencement, dès les origines de la terre. » (Prov 8, 22) La première verrière montre l’Immaculée Conception au centre de la Sainte Trinité, objet des complaisances du Cœur de Dieu, et donc au centre de toute son œuvre. Est donc évoquée la préexistence de l’âme de la Sainte Vierge, créée avant les hommes et les anges, leur Reine par conséquent, le chef-d’œuvre et le modèle de toute la création, vivant dans une adoration et une admiration perpétuelle des œuvres du Seigneur, « Ciel des cieux », que saint Jean Eudes identifie au Cœur de Marie lui-même.

Le deuxième vitrail (page 21) représente le partage des Anges qui s’est fait à partir de cette révélation de la Sainte Vierge, trônant à côté de Jésus au sein de la Divine Trinité. « Ce ne fut pas une correction mais une extraordinaire reprise du premier œuvre, sur les bases d’une Sagesse si haute qu’un mouvement d’indécision parcourt les Neuf Chœurs, écrit notre Père. Nul de nous, pauvres humains, ne saurait dire ce qui leur a été dévoilé alors ! Les Pères ont gardé là-dessus une réserve craintive. Mais assurément la Sagesse de Dieu dut leur apparaître, à eux aussi, folie et scandale... Nous ne pourrons jamais, esprits opaques, volontés lentes et indécises que nous sommes, imaginer dans quelle clarté, avec quelle force, quelle passion brûlante, tous furent l’un après l’autre saisis par cette Révélation. Dieu qui les avait créés ses ministres, là se déclarait leur Maître souverain, imposait sa Volonté sainte en même temps qu’il les invitait, si l’on ose dire, humblement à choisir d’entrer dans ses desseins par amour, d’unir ainsi librement leur volonté à la sienne et de goûter les intimes secrets de son Cœur...

« Je crois qu’ils lurent, dans ce Cœur ouvert à leurs regards, le nom de Jésus, et cela dut les stupéfier. Ils comprirent qu’au-dessus d’eux, préféré à tous, existait pour le Père céleste Quelqu’un dont seul apparaissait le Visage humain. Ils y devinèrent une sollicitude stupéfiante de ce Cœur pour les vers de terre que nous sommes, une patience, un excès d’amour incompréhensibles. Que virent-ils exactement et dans quelle clarté, nous ne le savons pas. Un Dieu qui s’abaisse, un Homme mourant comme un voleur mais chéri de Dieu, une Femme qui monte jusqu’auprès de son Trône ?... Leur rôle nouveau apparut cependant aux Anges en traits fulgurants. Ils devraient louer Dieu de cette condescendance, l’adopter dans leur propre conduite et se vouer eux aussi au salut des hommes, dans une philanthropie méritoire (Tit 3, 4) ! » (Lettre à mes amis no 224, 7 mars 1966)

Les bons Anges acceptèrent de lui faire allégeance comme à leur Reine, par obéissance à la Volonté de Dieu qui leur était signifiée, et leur cri de guerre fut celui de l’Amour réparateur de l’honneur de Dieu outragé, et consolateur de son Cœur affligé : « Quis ut Maria ? » Tandis que les mauvais Anges se rebellaient, au cri orgueilleux de « Non serviam ! »

Nous ne détaillerons pas ici la suite des verrières, qui montre l’Immaculée, Reine des hommes, fille de Jessé, annoncée par les prophètes, saluée par l’ange de l’Annonciation, parcourant toutes les étapes de la vie de son Fils jusqu’à sa remontée au Ciel, exaltée à son tour au céleste Royaume, au sein de l’Amour infini. Il faut y aller voir et contempler ce mystère de circumincessante charité trinitaire et mariale sur verre !

Par la dévotion réparatrice, le Cœur Immaculé de Marie se trouve revêtu de la Toute-puissance du Père, qui l’a conçue et créée de toute éternité, il est rempli de la Sagesse du Fils, qui a voulu l’associer à sa compréhension des desseins du Père, lui communiquant une parfaite intelligence de son Œuvre rédemptrice, il rayonne enfin de tous les dons du Saint-Esprit, qui est l’Amour même du Père et du Fils. Notre refuge et notre chemin vers Dieu est donc ce Cœur Immaculé de Marie, « afin que, s’il est possible, tous soient sauvés de ces pauvres pécheurs que Votre et notre Père céleste a créés, que notre Roi et notre Amour a sauvés, que leur Commun Esprit-Saint habitant en Vous, ô Marie, peut sanctifier sans aucune limite ! Amen. Ainsi soit-il ! » (Lettre à la Phalange no 54, décembre 1995)

À L’AYDE, NOTRE-DAME !

Nous terminâmes notre pèlerinage blésois aux pieds de Notre-Dame de Toutes-Aydes, vénérée dans l’église Saint-Saturnin sur la rive gauche de Blois, ville mariale depuis le septième siècle. Le cri de guerre des comtes de Blois était : « Notre-Dame ! » Et aujourd’hui encore un magnifique ensemble célébre l’Immaculée Conception dans l’église Saint-Vincent.

Quand Jeanne d’Arc vit reconnue sa mission céleste par le dauphin Charles, elle vint à Blois prendre la tête de son armée, fit confesser ses soldats et bénir son étendard à l’église Saint-Sauveur. Elle avait fait « mettre en peinture le Roy du Ciel siégeant en majesté, tenant le monde d’une main et le bénissant de l’autre, avec les Noms sacrés de Jhesus-Maria. De part et d’autre du trône, saint Michel et saint Gabriel offraient au Roi du Ciel une fleur de lis figurant le royaume de France. » (Sainte Jeanne d’Arc, Vierge et Martyre, sœur Hélène de Jésus, p. 78) La Pucelle se rendit ensuite au sanctuaire du faubourg de Vienne, sur la rive gauche, pour implorer de Notre-Dame qu’elle lui soit en ayde dans sa mission, qui consistait à « apporter le meilleur secours qui soit jamais venu à un soldat et à une ville, car c’est le secours du Roi des Cieux ».

C’est aussi à Blois en 1588 que Henri III, qui y avait réuni les États généraux, fit exécuter le rebelle, Henri de Guise, en un “ coup de majesté ” qui sauva la monarchie et la France (Histoire volontaire de sainte et doulce France, p. 174). C’est aux pieds de Notre-Dame des Aydes qu’il était venu se confier à la Reine des Anges.

Enfin, il y avait à Blois au lendemain de la Révolution un prêtre très dévot aux saints Anges, l’abbé Jacques-Christophe Bergeron, né à Mer en 1768, mort au village de Saint-Sulpice en 1839, véritable confesseur de la foi, sous la Terreur et sous... la Restauration, puisqu’il fut condamné à trois ans de prison pour s’être élevé en chaire contre le libéralisme de la Charte. Il terminait tous ses sermons par ces mots : « Deo gratias, et Mariæ et Angelis ! »

Pleins d’action de grâces, nous quittâmes Blois, nous souvenant qu’un jour de juillet 1987, lors du passage du camp vélo de frère Gérard, le carillon de Notre-Dame de la Trinité avait joué sur les toits de la ville l’hymne de la Phalange : « Lève tes drapeaux, ma Phalange, entends-tu le combat des Anges ? »

OPÉRATION “ SAINT MICHEL 

« Saint Michel Archange, de votre zèle enflammez-nous, de votre épée protégez-nous, de votre lumière éclairez-nous ! » C’est par ces invocations traditionnelles un peu modifiées que nous sommes allés demander au Prince des chevaliers du Ciel en son sanctuaire au-péril-de-la-mer, de prendre la tête de notre opération spéciale mariale.

Notre base arrière était une abbaye normande en cours de restauration, dédiée à la Sainte Trinité ! et dont le nom de la “ Lucerne ” est tiré du verset de l’Apocalypse : « Lucerna ejus est Agnus. » (Ap 21, 23) L’Agneau lui tient lieu de flambeau. Il s’agit de la Cité Sainte, la Jérusalem céleste, descendue du Ciel, « de chez Dieu », telle que l’a contemplée saint Jean. Le verset du psaume que nous récitons tous les dimanches et fêtes s’appliquait aussi à notre pèlerinage : « Lucerna pedibus meis Verbum tuum, et lumen semitis meis. Votre Alliance est le flambeau qui conduit mes pas, c’est une lumière sur le terme de ma route. » (Ps 118, 105)

Le Cœur Immaculé de Marie, comme un renouvellement d’Alliance, est notre flambeau sur nos routes de pèlerinages, éclairant notre chemin aussi bien que son terme : le Ciel, mais aussi le triomphe de ce Cœur Immaculé, annoncé à Fatima et préparé par le combat des anges. Quand Dieu en effet demanda à ses Anges de s’unir par amour à l’intime secret de son Cœur, l’orgueil de Lucifer, “ porte lumière ”, se cabra, tandis que l’humilité du petit archange Michel faisait luire toute la splendeur de Notre-Dame, dont Lucie disait qu’Elle était toute « lumière ».

LA TRINITÉ DE ROUBLEV : DU MUSÉE À L’ÉGLISE

LA célèbre icône de la Trinité,  peinte par le moine Andreï Roublev entre 1410 et 1425, avant la rupture officielle avec Rome de 1448, a été transférée de la galerie Tretiakov à la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou, ce samedi 3 juin, par ordre du président Vladimir Poutine. « Cette fois, je vois l’icône à sa vraie place, dans un lieu saint. Et je peux prier devant elle, confie Loudmila, une grand-mère entourée de ses petits enfants... Un acte religieux, non plus une simple curiosité culturelle. En famille, c’est un moment de communion. » En russe : sobornost.

Le journaliste de La Croix enrage et accuse le chef de la Russie d’instrumentalisation : « Une icône au service de la politique religieuse du Kremlin » (20 juin 2023, p. 12) ! Pour nous, nous y voyons la preuve que la consécration du 25 mars 2022 commence à produire ses fruits, selon la voie tracée par Vladimir Soloviev :

« Il n’est pas bon pour un homme de rester seul. Il n’en est pas autrement pour une nation. Il y a neuf cents ans nous avons été baptisés par saint Vladimir au nom de la Trinité féconde et non pas au nom de l’unité stérile. L’idée russe ne peut pas consister à renier notre baptême. L’idée russe, le devoir historique de la Russie nous demande de nous reconnaître solidaires de la famille universelle du Christ et d’appliquer toutes nos facultés nationales, toute la puissance de notre empire à la réalisation complète de la Trinité sociale où chacune des trois unités organiques principales, l’Église, l’État et la Société, est absolument libre et souveraine, non pas en se séparant des autres, les absorbant ou les détruisant, mais en affirmant sa solidarité absolue avec elles. Restaurer sur la terre cette image fidèle de la Trinité divine, voilà l’idée russe. Et si cette idée n’a rien d’exclusif et de particulariste, si elle n’est qu’un nouvel aspect de l’idée chrétienne elle-même, si, pour accomplir cette mission nationale, il ne nous faut pas agir contre les autres nations mais avec elles et pour elles, c’est là la grande preuve que cette idée est vraie. Car la Vérité n’est que la forme du Bien, et le Bien ne connaît pas d’envie. » (L’Idée russe, article paru dans l’Univers de Veuillot en mai 1888, cf. La vocation “ catholique ” de la Russie, Résurrection no 10, p. 9-20)

« Ce fut parmi eux une mêlée, une lutte d’Esprit à Esprit, plus terrible que les nôtres, mais pour nous combien mystérieuse ! Plus liés encore, de par leur création, que les membres d’une famille le sont entre eux, leur soudain et surnaturel amour ou leur haine du Père qui les éprouvait, soudain les divisèrent et dressèrent les uns contre les autres. Dans ce combat, la Charité devait l’emporter. “ Il y eut une bataille dans le Ciel : Michel et ses anges combattirent le Dragon. Et le Dragon riposta avec ses anges, mais ils eurent le dessous et furent chassés du Ciel. ” (Ap 12, 7-8) Chassés du Ciel et précipités sur la terre, “ l’énorme Dragon, l’antique Serpent, le Diable ou le Satan, comme on l’appelle, le séducteur du monde entier ” et ses anges, y poursuivent une guerre inexpiable contre Dieu... Les voilà maintenant qui battent l’estrade, sur terre, se sachant déjà vaincus et promis à l’enfer éternel préparé pour eux (Mt 25, 41). » (Lettre à mes amis no 224)

Le rôle historique de saint Michel est de rassembler les serviteurs fidèles qui veulent envers et contre tout coopérer au grand dessein de notre très chéri Père céleste : rendre au Cœur Immaculé de Marie la place qui lui revient depuis les origines, afin que toutes les nations, la voyant ainsi placée sur le lampadaire, “ lucerna ”, reviennent des ténèbres à la Foi. Et pour que le Saint-Père y consente enfin, car c’est de lui que tout dépend, il faut que les hommes d’armes bataillent, sous l’étendard et l’épée de saint Michel, « le Maréchal du Ciel » (La Varende). Tout comme au quinzième siècle (voir infra, pages 25-26).

SUR LE CHEMIN DES PÈLERINS

Ce 10 juin marquait la fête liturgique et nationale de l’Ange gardien du Portugal, autrement dit saint Michel. C’est aussi celui de la France, puisqu’il a dit à Jeanne d’Arc : « Je suis Michel, le protecteur de la France. » Et par une rencontre providentielle, il est aussi l’Ange gardien de la Russie, que le Cœur Immaculé de Marie a en dilection, et il est invoqué aujourd’hui au sein des troupes russes. Mais à tous, il crie : « Pénitence ! Conversion ! Réparation ! »

C’est en partant de Genêts, au lieu-dit “ le Bec d’Andaine ”, que nous traversâmes l’immense Baie. C’était autrefois l’ultime étape des pèlerins qui arrivaient du Nord, et cette traversée des sables et des cours d’eau était tout un symbole, comme le passage de la mer Rouge et la traversée du désert par le peuple élu : « Voici que j’envoie un ange devant toi pour te garder dans le chemin et pour te faire parvenir au lieu que j’ai préparé. Sois sur tes gardes en sa présence, et écoute sa voix. Ne lui résiste pas, parce que mon Nom est en lui. » (Ex 23, 20)

« AULTRE AYDE N’AY QUE SAINCT MICHIEL »

N mai 1420, le honteux traité  de Troyes dépossède le dauphin Charles de son héritage et proclame le roi d’Angleterre maître du gouvernement de la France. Mais tous les bons sujets du Roy ne l’entendent pas de cette oreille. Ainsi du gentilhomme normand Jean d’Harcourt, huitième du nom, « lieutenant général pour le roy ès provinces de Normandie, d’Anjou, de Touraine et du Maine ». Il a été fidèle à Charles VI jusqu’au traité de Troyes, et après le traité, il reste fidèle au Dauphin. C’est donc à lui que les moines du Mont Saint-Michel ont recours. Il a offert une statue du « très heureux Michel », pesant 76 marcs d’argent fin, après avoir échappé par miracle à la défaite d’Azincourt en 1415, et sa devise porte ces mots : « Aultre ayde n’ay que sainct Michiel – Nemo adjutor meus, nisi Michael. »

L’abbé du Mont, l’ambitieux Robert Jolivet, est passé à l’ennemi. Mais le prieur conventuel, Jean Gonault, est décidé, lui et les autres moines, à rester fidèle aux lys de France. Jean d’Harcourt accepte avec joie et fierté cette charge de défendre le Mont, « afin, stipule le contrat, que les religieux puissent tousjours et continuellement faire le divin service de nuict et de jour, ainsy que tenus et obligés y sont... »

Quelques jours plus tard, une proclamation est faite : « Pour obvier à la malice damnable des Anglais, lesquels ont par plusieurs fois et divers moyens essayé à entrer ès abbaye, ville et forteresse du Mont Saint-Michel, nous y sommes venus et, moyennant la grâce de Notre-Seigneur Dieu, y maintiendrons la bonne obéissance ». Il était temps, les Anglais commençaient à investir le Mont de tous côtés.

En 1421, les fortifications sont hardiment poussées, quand un beau jour, on entend un grand fracas : le chevet de l’église haute s’écroule, entraînant dans sa chute les chapelles rayonnantes du chœur. Sur le moment, quelle consternation ! Les défenseurs n’en perdirent pas courage pour autant, et repoussèrent une attaque des Anglais qui pensaient profiter du désarroi pour prendre d’assaut la cité de l’Archange.

L’année suivante, 1422, Jean d’Harcourt réussit un beau coup de filet contre une troupe de trois mille Anglais qui rentraient en Normandie après avoir saccagé l’Anjou et le Maine. Ensuite, il laissa son bras droit, Robert d’Estouteville, au Mont Saint-Michel pour servir de refuge et de base d’opérations. Cette victoire eut un grand effet moral dans tout le pays. Et le duc de Bedford qui était régent après la mort d’Henri V, comprirent qu’il leur fallait à tout prix prendre le Mont. Bedford nomma Robert Jolivet son Garde des sceaux. Questionné au sujet du Mont, ce dernier répondit qu’étant données ses extraordinaires capacités de résistance, il n’y avait pour s’en emparer que deux moyens : la famine ou des intelligences qu’on se ménagerait dans la place.

En 1423, les Anglais décident de fermer la baie par une flotte et de lancer en septembre une attaque par la mer. Mais au moment où l’assaut se produit, une violente tempête s’élève, les Anglais ont tout simplement oublié que c’était un jour de fête de l’Archange, et qu’il risquait d’être de la partie. Ils eurent ce jour-là des pertes considérables. En 1424, a lieu la bataille de Verneuil, où tombe Jean d’Harcourt, ce preux d’entre les preux. Le dauphin Charles nomme pour le remplacer Dunois, qui à son tour nomme un lieutenant sur place, Nicole Paynel.

Nicole avait une fille, Jeanne, qui épousa Louis d’Estouteville, fils de Robert. Cette Jeanne Paynel est la figure emblématique de la résistance du Mont Saint-Michel. Quand elle arriva au Mont en 1418, elle avait 14 ans ; elle se maria avec un vaillant défenseur du Mont, leur premier fils fut baptisé sur les fonts de l’église paroissiale et reçut le nom de... Michel. Connue pour sa piété et sa bonté courageuses, elle mourra au Mont Saint-Michel en 1437, à l’âge de trente-trois ans.

L’étau se resserre autour du Mont, qu’on appelait « la petite France du Mont ». Le traître Jolivet se démène pour tenter de prendre, par ruse ou par force, la citadelle de l’archange. Les escarmouches se multiplient. Au Mont, les moines prêtent main forte aux soldats pour réparer les brèches ou pour faire le guet. Le péril pour les défenseurs était de manquer de vivres et de munitions. Mais grâce aux Bretons de Saint-Malo, qui forcèrent le blocus et qui n’hésitèrent pas à monter à l’abordage des vaisseaux anglais, la place put être ravitaillée. Cette même année, Nicole Paynel cède la place à son gendre, Louis d’Estouteville, qui est un second Jean d’Harcourt, pour le courage, la prudence et la piété. Il faut dire que dans tout le royaume, on avait les yeux fixés sur le Mont Saint-Michel, comme sur Verdun pendant la Grande Guerre. Le Mont tenait, miracle ! Saint Michel est avec nous ! Mais les Anglais qui comprenaient l’importance, non pas stratégique, mais morale, de la place, étaient décidés à mettre tout en œuvre pour s’en emparer.

Qu’allait faire l’archange, ce « Prince des chevaliers du ciel », comme on le lit à la fin de la liste des chevaliers et hommes d’armes qui étaient en défense du Mont (119 en tout), « lesquels ont en l’obéissance de Charles, présent roy de France jusques cy tenu cette place par l’ayde de Dieu et la grâce, et de Monseigneur Sainct Michel, Prince des chevaliers du ciel » ? En bon stratège, saint Michel fit diversion...

À l’autre bout du royaume, près de la place de Vaucouleurs qui tenait aussi dans la fidélité au roi, il commença à former une enfant qui avait tout juste treize ans, qui s’appelait Jeannette dans son pays, c’était la fille de Jacques d’Arc et d’Isabelle Romée. « Sur toutes choses, il me disait que je fusse bonne enfant, et que Dieu m’aiderait, de venir au secours du roi de France, entre autres choses. » Puis il se nomma, confirmant une tradition remontant aux Carolingiens : « Je suis Michel, Protecteur de la France. »

« Ce qui me meut à croire, dira Jeanne à ses juges de Rouen, que c’était bien saint Michel qui m’apparaissait, c’est encore le bon conseil, le confort et la bonne doctrine qu’il n’a cessé de me donner. Il me racontait la pitié qui était au royaume de France. » À Chinon, elle le vit porteur de la couronne de France, le “ signe ” donné au roi. Au printemps 1429, on apprit au Mont ce qui se passait sur la Loire, comme en témoigne la “ Chronique du Mont Saint-Michel ” :

« L’an 1429, le Ve jour de mars, la Pucelle vint au roy. La ditte Pucelle leva siège qui estait devant Orléans, là où il avait des plus diverses bastilles et autres fortifications qui fussent de tout le temps de cette guerre. » C’était le 8 mai, fête de l’archange. Le mois suivant, les nouvelles s’enchaînent, et les troupes anglaises qui étaient autour du Mont sont dépêchées en hâte vers la Loire :

« En cet an, la ditte Pucelle print Jargeau où estait le comte de Suffolk et ses deux frères et plus de 500 Anglais. Le samedi suivant elle vint à Beaugency où il avait grant force d’Anglais qui se rendirent à elle aussitôt. Icet samedi, jour saint Aubert, elle poursuit le sire de Tallebot, Scalles et aultres Anglais bien quatre mille qui furent déconfis, et le dit Tallebot prins à Patay. » 18 juin, jour de la Saint-Aubert, ça ne s’oublie pas !

Bientôt c’est la mention triomphale : « L’an dessus dit, la ditte Pucelle mena couronner le roy Charles VII à Reims qui fut couronné le 17e jour de juillet. »

Mais l’année suivante, le ton devient mélancolique : « Et retourna es François qui estoient en pays de France et là fut prinse des Bourguignons à Compiègne, l’an 1430. Les Bourguignons qui avaient prins la ditte Pucelle la vendirent aux Anglais. » On approche du tragique dénouement. À noter que parmi ses juges de Rouen, siégeait Robert Jolivet, l’abbé du Mont Saint-Michel qui avait trahi sa fidélité.

« L’an 1431, le pénultième de may, les Anglais ardirent [brûlèrent] la Pucelle qu’ils avaient achetée des Bourguignons. Ce jour même les Anglais assiègèrent Louviers où ils furent bien demi an, et ils perdirent moult de leurs gens » Que de joies, d’espérance, d’inquiétudes, de souffrances et de deuils représentent pour la petite France du Mont, ces phrases volontairement concises de la Chronique du Mont Saint Michel ! Là, a été vécue l’épopée de Jeanne et pleurée sa mort douloureuse. Un auteur a même écrit un livre sur “ Jeanne d’Arc, personnification visible de saint Michel ” (abbé Eugène Soyer, 1896), et il cite en exergue ces paroles de Mgr Pie : « Sous cette armure de jeune fille, c’est l’ange des batailles qui combat, sa vertu est en elle. »

À partir de 1430, la formule “ Saint Michel est mon seul défenseur ” était apparu sur les étendards royaux, scandant les entrées royales dans les villes reconquises, de Paris à Rouen.

Autrefois, les voies d’accès qui menaient au Mont-Saint-Michel étaient appelées “ Chemins de Paradis ”. Comme des images raccourcies de notre marche vers le Ciel, sous la conduite de saint Michel, “ Prévôt du Paradis ”. C’est dans les temps troublés de la guerre de Cent Ans, que l’invocation à saint Michel fut ajoutée au Confiteor. Car ce lieu saint « n’existe que pour ceux-là seuls qui veulent que le Christ soit vénéré avec empressement, et il accueille ceux qu’un amour ardent de la vertu emporte vers le Ciel », dit une vieille chronique.

Après une halte au rocher de Tombelaine, l’îlot jumeau du Mont, on aborde ce dernier par la face Nord ! avec ses pentes abruptes et battues par les vents, qui est aussi le côté de la Merveille, tandis que le village occupe les flancs Sud et Est. Le “ Château de Monseigneur Saint Michel ” est bien fortifié. Saint Louis, lors de son pèlerinage au Mont, fit un don important... « pour la fortification » ! Et quand quatre siècles plus tard, Vauban vint au Mont, il n’eut pas de mot assez fort pour en louer la perfection y voyant « un chef-d’œuvre et l’ouvrage le plus hardy et le plus achevé qui fust peut-être dans le monde ».

Nous assistâmes à la messe de la Sainte Vierge à l’église Saint-Pierre. C’est là qu’on peut faire ses dévotions à l’Archange, puisque sa statue d’argent massif orne une chapelle. Autrefois, il était là-haut, au cœur de l’abbaye construite en son honneur. Il demeure néanmoins le gardien du Sanctuaire et des trésors spirituels que celui-ci renferme : la foi en la divine Eucharistie, la fidélité à la Sainte Église et la dévotion à l’Immaculée. Les trois blancheurs...

Un vitrail du chœur représente la délivrance de saint Pierre de la prison d’Hérode. L’Église aime à voir saint Michel dans l’Ange qui a délivré le chef des Apôtres, tandis que « la prière de l’Église s’élevait pour lui vers Dieu sans relâche » (Ac 12, 5). Surge Petre ! Debout, Pierre, libère-toi de tes chaînes et reçois en héritage les nations à évangéliser... Frère Bruno nous exhorte sans cesse à prier pour le pape François, pour qu’il sorte des chimères de son projet synodal, et ouvre les yeux à la lumière du message de Fatima, qu’il embrasse et répande partout dans le monde la dévotion réparatrice, seul remède à notre monde en perdition.

L’église paroissiale est depuis 1867 le siège d’une archiconfrérie bénie par le bienheureux Pie IX. La statue de l’archange fut couronnée le 3 juillet 1877, en présence de vingt-cinq mille personnes.

« Le couronnement d’un prince a une triple signification : d’abord il veut dire que nous reconnaissons les dons que Dieu lui a faits, en particulier l’autorité dont il l’a investi, car toute autorité vient de Dieu. En second lieu, souvent un prince est couronné à cause de ses exploits personnels ; il a mérité la couronne pour sa vaillance au milieu des difficultés. Enfin, le couronnement signifie que chacun des enfants du royaume se met sous la protection et au service de son prince : dans tous les corps de métiers, dans tous les genres de vie, dans tous les âges, les sujets comptent sur sa bienveillance, et lui compte sur leur travail et leur dévouement.... Couronne de nos souvenirs pour louer saint Michel, couronne de nos prières pour le supplier, couronne de nos actions pour l’imiter. Que du monde entier volent vers le trône du Prince, sur sa Montagne au-péril-de-la-mer, les couronnes spirituelles de ses innombrables sujets. » (Annales du Mont-Saint-Michel, juillet 1952, p. 49)

Nous ne pouvions pas ne pas évoquer le pèlerinage que fit saint Louis-Marie Grignion de Montfort, afin de placer les missions apostoliques dont le Pape l’avait chargé sous la protection de l’Archange Michel, d’où sa “ Prière embrasée ” : « Eh quoi, Grand Dieu ! quoiqu’il y ait tant de gloire, de douceur et de profit à vous servir, quasi personne ne prendra votre parti en main ? Quasi aucun soldat ne se rangera sous vos étendards ? Quasi aucun saint Michel ne s’écriera du milieu de ses frères, en zèlant votre gloire : QUIS UT DEUS ? Ah ! permettez-moi de crier partout : Au feu, au feu, au feu !... »

Les contradictions qu’il essuierait ne seraient que la « suite du combat terrible qui fut livré dans le Ciel entre la vérité de saint Michel et le mensonge de Lucifer, et un effet des inimitiés que Dieu même a mises entre la race prédestinée de la Sainte Vierge et la race maudite du Serpent »

Saint Michel montre enfin le chemin d’une parfaite consécration à la Sainte Vierge : « Tous les anges dans les cieux lui crient incessamment : Sancta, Sancta, Sancta Maria, Dei Genitrix et Virgo... Jusqu’à saint Michel, quoique prince de toute la cour céleste, il est le plus zélé à lui rendre et à lui faire rendre toutes sortes d’honneurs, toujours en attente pour avoir l’honneur d’aller, à sa parole, rendre service à quelqu’un de ses serviteurs. » (Traité de la Vraie dévotion, no 8)

Nous montâmes ensuite à l’abbaye pour la visiter, non pas en touristes mais en pèlerins. Les moines bénédictins bâtirent leur monastère sur le roc, c’est bien le cas de le dire. Au cœur du monastère, la Reine du Ciel était honorée “ sous-terre ”. En visitant cet incomparable poème de pierre, nous remplîmes nos cœurs et nos esprits de cette histoire millénaire, telle que notre Père nous a appris à l’aimer : « Je ne vis pas mille ans en arrière, mais je vis de ces mille ans qui ont bâti mon univers, et qui lui ont mérité de Dieu et de son Christ de survivre. J’y puise toute ma sagesse, à leurs cent cinquante vérités et bontés, beautés humaines et chrétiennes, ou pour mieux dire monastiques et monarchiques [...]. Nous dépendons d’eux et ils prient pour nous dans la Gloire, ces héros de jadis qui se sont tant combattus et donnés pour que vivent l’Église et la Monarchie très chrétienne, ces deux cœurs de notre être et de notre destin. » (Mémoires et Récits, t. II, p. 196)

Le Mont-Saint-Michel resta la citadelle de la fidélité française pendant la guerre de Cent Ans, et de la foi catholique pendant les guerres de religion. Les huguenots tentèrent plusieurs fois de s’en emparer par surprise, en vain. L’Archange veillait. Dans notre doulce et sainte France, on le priait pour la conversion d’Henri de Navarre, avec ce refrain d’un cantique de Bretagne : « Michel au roi porte la foi. »

Après avoir servi de prison pendant la Révolution et bien après, le Mont-Saint-Michel fut enfin rendu au culte en 1863, dans quel état ! En 1874, l’abbaye devint la propriété des Monuments historiques, qui l’ont admirablement restaurée, avec beaucoup de compétence et de savoir-faire. Mais... le Mont n’a toujours pas retrouvé sa vocation première, qui est de prières et de louanges, de supplications au Prince des phalanges célestes, loin de là ! Aussi la petite prière de réparation que saint Michel apprit aux pastoureaux de Fatima, « Mon Dieu, je crois, j’adore... » eut rarement lieu plus approprié que la chapelle d’abside où le Saint-Sacrement est quasiment abandonné, ou encore aux pieds de la Vierge noire de Notre-Dame du Mont-Tombe perdue dans l’obscurité de la crypte des gros piliers. « Lorsqu’on aura rendu à Michel la montagne de son héritage, écrit Paul Féval, quand la louange aura retenti à nouveau dans la nef aux piliers millénaires, parce que là il a réclamé d’être honoré et promis d’exaucer les prières, de nouveau il mettra son bouclier et son glaive à notre service. » (Les merveilles du Mont-Saint-Michel, 1876)

Nous retraversâmes la Baie pour revenir à la Lucerne, miquelots heureux et fourbus, et y célébrer le lendemain la solennité de la Fête-Dieu.

UNE RÉPARATION « PLUS DIGNE »

Il a été donné à la Chrétienté en péril de revoir saint Michel Archange, – non pas à nous mais à trois enfants chéris du Cœur Immaculé de Marie, c’était à Fatima en 1916 –, non pas en armure, mais en aube blanche éclatante de lumière, pour le service de la divine Liturgie et le pèsement des âmes. Ange précurseur de la Reine du Ciel, Ange du Portugal, Ange de la Paix, Ange de l’Eucharistie, il a appris aux pastoureaux en trois petites apparitions, à prier sans cesse, à offrir leurs sacrifices au Très-Haut, à réparer les crimes des hommes ingrats et à consoler leur Dieu.

Pour nous préparer à la messe et à la procession de l’après-midi dans le parc de l’abbaye, frère Benoît nous fit méditer des extraits de sœur Lucie de Fatima : “ Comment je vois le message ”, en particulier la prière enseignée par l’Ange à la Sainte Trinité, qui associe la consécration eucharistique à la consécration au Cœur Immaculé de Marie :

« Cette prière fut pour moi d’un grand secours dans mon union à Dieu ; elle m’a rapprochée de Lui, m’a saisie, s’est gravée en mon cœur de façon indélébile : Sainte Trinité, Dieu unique et véritable, en qui je crois et j’espère, je t’adore et je t’aime ; accepte mon amour et mon humble adoration. Ce que j’ai à te donner, c’est si peu que je te demande d’accepter, en échange de mon indignité, les mérites infinis du Cœur de Jésus et ceux du Cœur Immaculé de Marie et, en échange, je te demande la conversion des pauvres pécheurs... pour que, par notre identification au Christ, nous puissions offrir à la Très Sainte Trinité une réparation plus digne et agréable à ses yeux...

« Hostie divine, pain descendu du Ciel,
que le Père nous a donné et qui a allumé en moi
une flamme laborieuse, que ton amour embrase,
présente en moi, divine hostie,
sur l’autel du sacrifice, je t’adore et je t’aime,
je veux être avec toi consacrée, offerte au Père,
flamme ardente, pour me perdre en toi
dans l’éternité de ton Être immense.
Petite hostie, je veux être avec toi,
fais de moi, pour toi, ton vivant tabernacle.
Que tu puisses y demeurer, comme fournaise ardente,
que ton amour présent ne laisse pas s’éteindre.
Tu resteras là, flamme toute brûlante,
que ton amour entretient, avec la lumière de ton regard. »

« Priez avec moi, disait l’Ange du Cabeço à Lucie, François et Jacinthe... Les Cœurs de Jésus et de Marie sont attentifs à la voix de vos supplications. » L’appel que lance saint Michel à la réparation et à la consolation de notre Dieu est un feu dévorant, qui embrasa le cœur de la petite Thérèse :

« Je veux pendant ma courte vie
Sauver mes frères les pécheurs
Ô Bel Ange de la Patrie,
Donne-moi tes saintes ardeurs,
Je n’ai rien que mes sacrifices
Et mon austère pauvreté,
Avec tes célestes délices
Offre-les à la Trinité. »
(Prière à l’Ange gardien)

« VOUS AVEZ LA MALADIE DE LA VIGNE. »

Ce samedi 17 juin était la fête liturgique choisie par l’Église pour célébrer le Cœur Immaculé de Marie. Nos amis du Languedoc avaient choisi cette date pour faire pèlerinage au sanctuaire de Notre-Dame du Dimanche, qui rappelle les apparitions dont a été gratifié Auguste Arnaud, un humble vigneron de Saint-Bauzille-de-la-Sylve, près de Gignac, entre Montpellier et Lodève, le 8 juin et le 8 juillet 1873.

Au lendemain de la guerre de 1870 et de notre défaite cuisante, on assista en France à un puissant réveil religieux et moral : « Gallia pænitens et devota », comme il est marqué au bandeau du chœur de la basilique de Montmartre. Précisément, le 22 juillet 1873, était voté à la Chambre, composée d’une majorité de catholiques et de royalistes, divisés cependant entre légitimistes et orléanistes, le vœu national d’érection de la basilique du Sacré-Cœur sur la Butte de Montmartre. C’était le moment des grands pèlerinages nationaux à Paray-le-Monial, à La Salette, à Lourdes, à Chartres, où le cardinal Pie n’hésitait pas à proclamer le 28 mai, au lendemain de la chute de Thiers, en présence d’une foule considérable et de cinquante membres de l’Assemblée venus confier le sort du Pays à Notre-Dame : « La France veut un chef, La France veut un maître », et l’évêque de Poitiers entendait par là le roi, Henri V, qui se préparait à revenir et à remonter sur le trône. Mais les institutions étaient toujours gangrénées par le parlementarisme et les esprits les plus avisés, comme Mgr Freppel, s’en alarmaient. « Le mal est trop profond pour que les hommes puissent y remédier », écrivait l’évêque d’Angers (frère Pascal, t. II, p. 204).

« La France tout entière, la France chrétienne surtout, reste dans l’attente. Chacun a le sentiment que l’heure est décisive, que les destinées du pays sont en jeu... Comme il arrive aux temps de crise, la piété s’exalte aisément. Des prophéties circulent parmi les fidèles. » (Commission historique du centenaire, Beauchesne, 1973. Le contexte historique, p. 9)

Particulièrement dans le Midi. où la rivalité entre “ blancs ” (royalistes) et “ rouges ” (républicains) s’exacerbait. Tandis que les premiers multipliaient les manifestations religieuses, les pèlerinages, on assistait à une montée en puissance de l’anticléricalisme, par le moyen de la presse : des municipalités s’en prenaient aux sonneries de cloches, les enterrements civils augmentaient, les pèlerins étaient hués à leur retour, on assistait à des attentats contre des Croix.

Le contexte économique était tendu : après des années de prospérité, due à l’extension des vignes, était apparu le phylloxéra, qui ravageait ces mêmes vignes et progressait d’une manière inexorable. Cet insecte piqueur apparenté aux pucerons était originaire de l’Est des États-Unis. Il fut signalé pour la première fois en France en 1863, et dévasta en l’espace de quelques années toute la viticulture française et européenne. Il avait comme caractéristique de pourrir les pieds de vigne par la racine, qui se desséchait et ne faisait plus monter la sève dans les sarments. Nos plants de vigne durent être tous remplacés par des plants... américains !

Devant le fléau, l’Église prescrivit des prières publiques. L’évêque de Montpellier, Mgr Le Courtier, écrivait à ses prêtres le 18 juin 1873 : « Dans cet état d’inquiétude générale, notre sollicitude croit devoir ordonner des prières publiques. En conséquence, le dimanche 6 juillet, dans toutes les paroisses rurales, il sera fait, après Vêpres, une procession pour demander à Dieu de sauver les récoltes. »

En juin 1873, le village de Saint-Bauzille-de-la-Sylve n’était pas encore touché, et pour Auguste Arnaud, tout se présentait bien pour lui ; il en faisait même un peu plus qu’il n’est permis à un bon chrétien, puisqu’il travaillait à la fraîche en ce dimanche 8 juin, où l’on fêtait la Sainte Trinité.

Là-dessus, la Sainte Vierge lui apparaît. Un prêtre âgé du diocèse de Montpellier, fervent pèlerin de Notre-Dame du Dimanche, nous fit le récit savoureux des apparitions, mêlé d’expressions en langue occitane, puisque la Sainte Vierge s’exprimait ainsi. « C’était une femme de taille moyenne, témoigne Auguste, tout de blanc vêtue. Elle portait une ceinture frangée, sa tête était surmontée d’une couronne haute semblable à la mitre d’un évêque ; un grand voile blanc partant du sommet de la couronne l’enveloppait de toute part jusqu’aux pieds, couvrant même les mains qu’elle tenait croisées sur la poitrine. Tous ces ornements étaient d’une éclatante blancheur. La figure de cette femme était belle, calme. Je ne l’ai pas vue sourire. »

Le message est simple, et pourtant mystérieux : « Vous avez la maladie de la vigne. » La Dame reproche ensuite au vigneron d’avoir « abandonné Saint-Bauzille », le patron de la paroisse, lui demande en réparation d’aller en procession jusqu’à l’oratoire Saint-Antoine sur la colline voisine, puis en pèlerinage à Notre-Dame de Grâce à Gignac, de planter « une croix chargée d’une Vierge au fond de la vigne », la sienne, et d’y faire procession chaque année, enfin d’aller « dire tout cela » à son père et au curé.

Elle annonce qu’Elle viendra le « remercier dans un mois », ce qui se produisit ponctuellement le 8 juillet suivant, en présence de plusieurs centaines de témoins. Comme il n’y avait pas plus brave dans toute la région qu’Auguste Arnaud, il avait accompli tout ce que la Dame avait demandé. Alors Elle ajouta : « Il ne faut pas travailler le dimanche.... Heureux celui qui croira, malheureux qui ne croira pas... Vous serez heureux avec toute la famille... Que l’on chante des cantiques ! » Et elle s’éleva droit vers le ciel « comme un aérostat », après avoir béni la foule comme font les prêtres à la fin de la messe.

Dans ce partage entre les fidèles du Christ, les enfants de l’Église, et les athées, les révoltés, les impies, la Sainte Vierge, « d’une blancheur éclatante », a choisi son camp : chargée de l’ordre de la Miséricorde mais n’étant pas libérale, elle dit ses préférences, elle en tient pour ce que notre Père aimait appeler « la religion de nos pères ».

L’ATTITUDE EXPECTANTE DE L’ÉGLISE

C’est en récitant le chapelet au milieu des vignes que nous nous rendîmes, comme la Vierge l’avait demandé, sur la colline qui domine le village jusqu’à l’oratoire Saint-Antoine, tout restauré de neuf, où nous chantâmes la messe du Cœur Immaculé de Marie... Après quoi, une petite causerie nous permit de revenir sur l’attitude de l’Église vis-à-vis de ces modestes apparitions, que notre saint ami André Favard n’hésitait pas à appeler le “ Fatima languedocien ”.

L’abbé Coste, le curé de Saint-Bauzille, qui venait d’être nommé au moment des apparitions, resta longtemps dans l’expectative, s’interdisant même de se rendre sur le lieux des apparitions. Il attendait que l’évêque se prononce, ce qui était sagesse.

Mgr Le Courtier, parisien d’origine, prélat gallican, se tenait quant à lui en grande réserve devant ce qu’il considérait comme « des manifestations exubérantes de la piété ultramontaine et méridionale » (sic !). Son libéralisme de doctrine s’exerçait comme il arrive souvent par des actes d’autoritarisme et d’arbitraire. Finalement il fut démissionné par Rome en décembre 1873 et remplacé par Mgr de Cabrières.

Ce dernier arrivait de Nîmes, et son épiscopat à Montpellier allait durer près de quarante-huit ans. Disciple et ami du Père d’Alzon, et de Mgr Freppel ! c’était un fervent du culte marial et un apôtre convaincu de Notre-Dame de Lourdes. Sur le conseil du Père Vigourel, missionnaire diocésain, qui dès le début avait pris fait et cause pour l’apparition, l’évêque vint à Saint-Bauzille, rencontra le voyant et déclara : « Je ne veux pas, au commencement de mon épiscopat, faire de la peine à la Sainte Vierge. » Puis il ordonna la réunion d’une commission d’enquête.

Mais la commission était présidée par un prêtre, M. Segondy, vicaire général du diocèse, qui commença par faire traîner les choses en longueur, et bientôt prit parti contre l’authenticité des apparitions, rédigea un sévère réquisitoire contre le voyant, qu’il prétendait victime d’une hallucination.

Les partisans de l’authenticité répondirent au réquisitoire de l’abbé Segondy, en vain. Quant à Mgr de Cabrières, il adopta une attitude prudente. Il croyait en l’authenticité de l’apparition, et le manifesta sans ambiguïté à plusieurs reprises, puisqu’il donna l’autorisation de venir en pèlerinage sur les lieux, d’élever une chapelle ainsi que des statues correspondant aux différentes phases de l’apparition. Mais... il n’alla pas plus loin, esquivant la reconnaissance officielle.

« Une constatation s’impose, écrit le P. Guillot dans le livre du centenaire, c’est que nous nous trouvons en face d’une situation paradoxale. D’un côté une enquête qui, dans l’ensemble, apparaît complète et solide ; des juges dont trois sur quatre concluent à l’authenticité des apparitions, l’opposition du quatrième semblant reposer surtout sur un parti pris ; une dévotion et un pèlerinage qui, malgré bien des vicissitudes, n’ont jamais été interrompus ; un évêque qui, en maintes occasions, affirme sa croyance ferme aux faits de Saint-Bauzille et manifeste intérêt et bienveillance pour le sanctuaire.

« D’un autre côté, ce même évêque qui se dérobe devant une reconnaissance solennelle des apparitions et qui évite prudemment tout geste, toute démarche qui pourraient être interprétés comme une prise de position officielle. » (p. 90)

Statue dorée de Notre-Dame du Dimanche. Au premier plan, la tombe d’Auguste Arnaud, le voyant (1843-1936) : « J’aime mieux cela, disait-il, que tout ce qu’il y a sous le soleil. »

Le Père Saudreau, dominicain vendéen, ancien provincial de France et prieur du couvent de Toulouse, qui avait compris, lui, l’importance des apparitions de Saint-Bauzille, l’avait pourtant sollicité dans ce sens, écrivant en conclusion d’une brochure parue en 1878 ces lignes que nous faisons nôtres :

« Quand la Très Sainte Vierge daigne apparaître dans un pays, elle lui fait un honneur et lui accorde une faveur dont le mépris pourrait bien ne pas être sans châtiment. Un tel mépris est une si grande ingratitude ! Si la Sainte Vierge a voulu se donner dans notre France, par une nouvelle apparition, un nouveau théâtre de bienfaits à répandre et d’hommages à recevoir, ne doit-elle pas vouloir que cette apparition soit solennellement constatée ? Sa gloire et notre bien le demandent. » (ibid., p. 72)

Il semble que Mgr de Cabrières voulait, avant de se prononcer, « quelques faits surnaturels éclatants » supplémentaires. Cette exigence paraît exagérée, car une manifestation céleste n’a pas besoin d’être sanctionnée par une autre ; si le Magistère juge qu’une apparition est vraie, qu’elle est du Ciel, cela suffit. « Heureux celui qui croira » ! Il en va de même aujourd’hui pour la dévotion réparatrice.

GARDIENNE DE LA VIGNE DU SEIGNEUR

Sans doute l’apparition de “ Notre-Dame du Dimanche ”, ainsi l’a-t-on appelée à cause du rappel de l’interdiction de travailler le jour du Seigneur, n’est pas « appelée à l’éclat de Lourdes et de Fatima, mais à l’humble style de Nazareth » ; elle a cependant sa place dans l’orthodromie mariale.

La Vierge Marie, Reine des prophètes, a annoncé, avant même qu’elle devienne manifeste, « la maladie de la vigne », de la Vigne du Seigneur ! qui est un desséchement des âmes par la racine, causé tant par les institutions politiques au laïcisme étouffant, que par l’apostasie répandue au sein de l’Église par la faute des pasteurs. Et Notre-Seigneur Jésus-Christ a des paroles terribles, non équivoques, sur les sarments qui ne portent plus de fruits : « Si quelqu’un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment et il se dessèche ; on les ramasse et on les jette au feu et ils brûlent. » (Jn 15, 6)

Le feu de l’enfer, « où vont les âmes des pauvres pécheurs... Pour les sauver, Dieu veut établir la dévotion à mon Cœur Immaculé » (13 juillet 1917). C’est Elle la Gardienne de la foi de l’Église, l’Intendante de la Vigne du Seigneur, comme il est marqué au-dessus de la statue miraculeuse du sanctuaire Notre – Dame des Grâces de Gignac, où nous nous rendîmes pour achever notre pèlerinage : « Posuerunt me custodem... J’ai été établie gardienne des vignes. »

Le site privilégié lui est voué depuis qu’un premier oratoire, dédié à la Reine des Anges, fut substitué au temple de Vesta, lors de l’évangélisation de la région.

Détruit par les cathares au treizième siècle, il fut refondé le 15 août 1360, après l’érection d’une croix et la découverte, le 8 septembre suivant, de la statuette miraculeuse par un pauvre mendiant aveugle et muet, aussitôt guéri de ses infirmités.

Dévasté à deux reprises par les protestants, ses réfections successives ont abouti à la construction de la belle église, aujourd’hui visible de toute la région, « réparée avec tant de diligence et de sueur par le secours favorable de Marie que ni l’église ni le couvent contigu [des Récollets] n’auront jamais paru si magnifiques, notamment la chapelle des miracles ». Cette chapelle où est invoquée « l’adorable Marie Notre-Dame de Grâce » demeure aujourd’hui le mémorial de son triomphe sur toutes les hérésies.

Nous y chantâmes les vêpres de la Sainte Vierge et reçûmes la bénédiction du Saint-Sacrement. Mon Dieu, que la religion de nos pères, solide et suave, est belle, plus belle que tout ce qu’il y a sous le soleil ! Une leçon semblable nous attendait à Ars, dans le village du Saint Curé.

« JE TE MONTRERAI LE CHEMIN DU CIEL. »

C’est à Ars que nous avons achevé la première phase de notre “ Opération mariale spéciale ”. Ce n’est pas à proprement dit un sanctuaire marial, mais la Très Sainte Vierge y est descendue plusieurs fois et surtout elle habitait merveilleusement le cœur de son curé. Catherine Lassagne, qui fut sa fille spirituelle en même temps que sa confidente, en témoigne :

« Cet homme de Dieu qui, dès sa première enfance, avait aimé la Sainte Vierge avec une sorte de passion, comme il le disait lui-même, commença son ministère dans la paroisse par inspirer aux fidèles la dévotion à la Mère de Dieu, qu’il appelait le tendre refuge et la mère des pécheurs ; et jusqu’à sa mort, il ne cessa de prêcher cette dévotion, non seulement à ses paroissiens, mais aux innombrables pèlerins qui, par centaines de mille chaque année, venaient contempler dans le Curé d’Ars un prodige de mortification et d’apostolat, s’édifier de ses héroïques vertus, prendre ses conseils et s’abreuver aux sources de sa foi... La confiance qu’il inspirait envers Marie était sans borne. Ce bon Pasteur aurait voulu mettre dans tous les cœurs l’amour de la Sainte Vierge dont le sien était rempli. »

Le saint Curé d’Ars a-t-il également quelque chose à nous apprendre pour embraser nos cœurs de dévotion réparatrice ? Tout au long de cette journée, nos deux cents amis présents comprirent que ce que saint Jean-Marie Vianney a prêché, les dévotions et les vertus qu’il a inculquées à ses paroissiens, la vie sacramentelle qu’il leur a fait pratiquer, sont précisément la matière de la petite dévotion réparatrice au Cœur Immaculé de Marie que Notre-Dame a demandée à Fatima en 1917 et à Pontevedra en 1925 : confession, communion, récitation du Saint Rosaire et méditation de ses mystères. La religion de Fatima, c’est la religion de nos pères, dont le Curé d’Ars est le parfait représentant, le chef-d’œuvre accompli.

Nous nous rendîmes d’abord au Monument de la rencontre, qui rappelle comment, le 9 février 1818, un jeune ecclésiastique, vêtu d’une soutane usée et d’un vieux manteau dissimulant mal sa maigreur, flanqué d’une pauvre femme et suivi d’une petite voiture transportant ses hardes et quelques livres, errait à travers les prés. C’était le nouveau desservant de la chapellenie d’Ars, l’abbé Jean-Marie Vianney, à la recherche de son village. Un jeune berger, Antoine Givre, lui en indiqua la direction. « Mon petit ami, remercia le jeune prêtre, tu m’as montré le chemin d’Ars, je te montrerai le chemin du Ciel. » Puis le jeune berger expliqua que là même où ils se trouvaient passait la limite de la paroisse. L’abbé Vianney se mit à genoux et pria.

Cette parole en évoque une autre, la promesse que fit Notre-Dame à Lucie le 13 juin 1917 : « Mon Cœur Immaculé sera ton refuge et le chemin qui te conduira jusqu’à Dieu. » Précisément : c’est par ce même chemin du Cœur Immaculé de Marie que le saint Curé d’Ars entendra conduire son troupeau au Ciel. Il n’aura de cesse qu’il ait consacré sa paroisse à l’Immaculée Conception. Le 1er mai 1836, il écrivit le nom de tous ses paroissiens sur un ruban de soie blanche l’enferma dans un cœur en vermeil qui fut placé sur la poitrine de la belle statue dorée de l’Immaculée Conception qu’il avait fait installer dans son église. C’était l’aboutissement de dix-huit ans de ministère héroïque : pénitence et prédication, administration des sacrements et pratiques de dévotions, spécialement du Rosaire... Nous dirions aujourd’hui : une fervente dévotion réparatrice au Cœur Immaculé de Marie. Car le Curé d’Ars a si bien relevé les ruines de la révolution dans sa paroisse – œuvre de “ réparation ” s’il en est ! – que le Bon Dieu le fit rayonner dans la France entière jusqu’à sa mort et dans le monde entier par sa canonisation.

L’EXEMPLE D’ARS DEMEURE

Après la messe et le pique-nique pris dans la prairie, nous nous retrouvâmes tous serrés dans la vieille église, « une toute petite église de campagne, restaurée, agrandie continuellement par le Saint... La chaire, le confessionnal, les admirables vieilles statues de bois doré, – la Sainte Vierge, saint Jean-Baptiste, sainte Philomène – les petites chapelles latérales où allaient méditer les pénitents, c’est l’univers familier, pauvre mais beau, d’un curé de campagne. Mais la sainteté flotte partout avec le souvenir de tant de prodiges et de grâces répandus en ce lieu. Ici les curés de paroisse se sentent chez eux, ainsi que les pèlerins venus des campagnes environnantes, mais en même temps quelle leçon leur est donnée, fraternellement mais rudement, par ce prêtre d’il y a cent ans ! » écrivait notre Père dans sa Lettre à mes amis no 41, durant l’été 1958.

Un pas encore, et nous étions devant la châsse : « La proximité de ce corps aide à retrouver la présence vivante de l’âme qui l’habita et le visage de cire, si ressemblant aux dires des contemporains, facilite cette communion spirituelle... »

Tandis que la vue du confessionnal donne à entendre une autre leçon importante : « C’est ici que le démon a reculé et peut-être est-ce ici vraiment que l’œuvre impie de la Révolution a été absoute et que notre peuple a été libéré de son fardeau. Nous avons oublié tant de crimes, nous n’imaginons plus la grande pitié des âmes de ce temps. Insidieusement, le démon joue de cet oubli et de cette distraction... Le confort a pénétré partout, l’indifférence se masque de charité, les hommes n’ont plus peur de rien et se sentent libres de toute contrainte. À quoi bon dès lors peiner et se sacrifier s’il n’y a pas de péril pour les âmes ? Qui croit encore que le combat de l’Église vise à arracher les pécheurs aux griffes du démon ? Peut-être sommes-nous en train de retomber insensiblement dans le misérable paganisme du temps de Monsieur Saunier, le prêtre apostat ?... Heureusement, l’exemple d’Ars demeure sous nos yeux. Que saint Jean-Marie Vianney nous guide ! » (ibid.)

Lui qui disait : « Si j’avais déjà un pied dans le Ciel et qu’il me fut dit de retourner sur la terre pour y travailler à la conversion des pécheurs, j’y retournerais volontiers. »

Le recteur du sanctuaire avait fait le matin le même constat dans son sermon de la messe : « Les âmes se perdent aujourd’hui dans l’insouciance la plus complète », mais il avait omis de dire le péril qui les menace de se perdre... éternellement, et surtout de donner le remède voulu par le Ciel, qu’avait déjà mis en œuvre le saint Curé, à savoir la dévotion au Cœur Immaculé de la meilleure des mères.

NOTRE-DAME D’ARS

C’est par les moyens traditionnels de la prédication et du catéchisme, du Rosaire, de la confession et de la communion eucharistique, que le Curé d’Ars a reconquis sa paroisse. En 1823, il voulut emmener tous ses paroissiens en pèlerinage à Fourvière. « Nous nous consacrerons à la Sainte Vierge dans ce sanctuaire où elle se montre si puissante et si bonne. Il faut qu’elle nous convertisse. »

En 1827, la mission qu’il prêcha dans sa paroisse fut une véritable révolution dans les cœurs : « Mes frères, Ars n’est plus Ars, jubilait-il. J’ai confessé et prêché dans des missions. Je n’ai rien trouvé comme ici. » Il attendit néanmoins encore neuf ans avant d’accomplir l’acte décisif de la consécration de sa paroisse à l’Immaculée Conception, le 1er mai 1836.

Dans la chapelle, la statue dorée de la Vierge aux rayons, qui étend ses mains et écrase le serpent, porte un cœur dans lequel le bon pasteur avait inscrit les noms de tous ses paroissiens. La porte du tabernacle porte le monogramme de Marie surmonté de la Croix, comme au revers de la médaille miraculeuse. Ars était un relais de la Rue du Bac, une étape de l’orthodromie mariale, par laquelle l’Immaculée reconquérait son royaume de France après l’apostasie de la Révolution.

« Il y a quelques années, le Bon Dieu a envoyé la Très Sainte Vierge, les mains pleines de lumières et de grâces pour les répandre sur la terre.  Allez, ma Mère, lui a-t-il dit, touchez ce pauvre peuple. Quelque temps après, elle s’est montrée à de pauvres bergers, triste, versant des larmes, couverte des instruments de la Passion, afin de nous toucher. » C’était à La Salette, en 1846.

Dès qu’il connut ce qui s’était passé à Notre-Dame des Victoires, l’abbé Vianney agrégea sa paroisse à l’archiconfrérie du Très Saint et Immaculé Cœur de Marie refuge des pécheurs et, chaque samedi, à l’issue de sa messe, il récitait les litanies de la Sainte Vierge avec l’invocation “ Marie, refuge des pécheurs, priez pour nous ”.

« Le Cœur de Marie, écrit le chanoine Pagnoux, était l’arsenal auquel il empruntait incessamment les armes dont il se servait pour combattre l’enfer. » (L’apôtre de la confiance en Marie, 1959, p. 45) Ainsi, une de ses pratiques pour obtenir la conversion des pécheurs était de conseiller une neuvaine au Cœur Immaculé de Marie ou une messe en son honneur.

Enfin, pendant plus de trente année, grâce à son curé, la paroisse d’Ars, par d’ardentes prières et par d’incessantes louanges à l’Immaculée, avait supplié le Saint-Esprit de hâter l’heure où le dogme de l’Immaculée Conception serait proclamé. L’abbé Vianney apprit à ses paroissiens à sanctifier chaque heure de la journée en récitant l’Ave Maria suivi de l’invocation :

« Bénie soit la sainte et immaculée Conception de la Bienheureuse Vierge Marie, Mère de Dieu. Ô, Marie, que toutes les nations glorifient votre saint nom, que toute la terre invoque et bénisse votre Cœur Immaculé ! »

En 1844, une statue fut placée en haut de la façade. Sur son socle sont gravés ces mots : « Maria sine labe concepta. » Des petites statues de la Vierge étaient visibles dans le village, au détour des chemins, sur la porte ou dans l’intérieur des maisons. Ars était devenue la “ Cité de l’Immaculée ”.

La proclamation de ce dogme, le 8 décembre 1854, fut une fête inoubliable à Ars. « Quel bonheur ! s’écriait le Curé d’Ars, j’ai toujours pensé qu’il manquait ce rayon à l’éclat des vérités catholiques. » Il avait fait confectionner une chasuble magnifique, bleue et brodée d’or, ornée d’une représentation du Cœur Immaculé de Marie sur la poitrine et de l’Immaculée Conception dans le dos. Elle coûta une fortune, mais rien ne lui semblait assez beau pour le Bon Dieu, et pour Elle !

Si le saint Curé vivait aujourd’hui et s’il avait connaissance des “ petites demandes ” du Ciel, avec quel zèle embrasserait-il la dévotion réparatrice au Cœur Immaculé de Marie ! Avec quelle force la prêcherait-il et quelles supplications élèverait-il vers le Ciel ? Un jour, un paroissien lui demandait :

« Monsieur le Curé, pourquoi parlez-vous si bas lorsque vous priez et si fort lorsque vous prêchez ?

– C’est que, pendant que je prêche, je parle à des sourds ou à des gens qui dorment, mais quand je prie, je parle au Bon Dieu qui n’est pas sourd. »

Le passage, très apprécié, au musée de cire, puis la station eucharistique à la chapelle de la Providence, enfin la visite, toujours attendue, du presbytère, où derrière « cette secrète beauté des choses anciennes », se laisse entrevoir le mystère du cœur d’un saint, acheva de nous persuader de nous mettre à son école, avec ce bouquet spirituel que nous offrit frère Guy en racontant la vision de la Sainte Vierge qu’eut Étiennette Duriez au presbytère du saint Curé :

« Ma bonne Mère, emmenez-moi donc au Ciel.

– Plus tard.

– Ah ! il en est temps, ma Mère !

– Vous serez toujours mon enfant, et toujours je serai votre Mère. »

DERNIÈRE MINUTE : 
LE “ GRAND RETOUR ” AUX ANTILLES

Il y a soixante-quinze ans, Notre-Dame effectuait son “ grand Retour ” à la Guadeloupe et à la Martinique. Des amis phalangistes en ont retrouvé le souvenir encore vivant et ont voulu nous en faire part, avec d’autant plus de ferveur que, là-bas, nos livrets de dévotion réparatrice connaissent un petit succès.

Le 24 décembre 1947, la statue de Notre-Dame de Boulogne débarquait officiellement à Pointe-à-Pitre, au milieu d’une incroyable liesse populaire, avant de faire le tour de l’île, selon le cérémonial en usage dans la métropole : d’une paroisse à l’autre, le char de la Vierge, précédé des étendards de Jehanne et de Thérèse, était escorté d’une foule priant le chapelet, chantant à tue-tête “ Chez nous, soyez Reine ”, souvent les bras en croix et les pieds nus. À l’arrivée, c’était les confessions, la veillée mariale et la messe de minuit au cours de laquelle était renouvelée la consécration au Cœur Immaculé de Marie. Partout, cascades de fleurs, de palmes, de guirlandes, d’arcs de triomphe, au cours de cérémonies grandioses.

De mars à mai 1948, elle parcourut la Martinique. L’arrivée de nuit à Fort-de-France sur son bateau entouré d’une flotille de voiliers fut féérique. « Mi-Y, Mi-Y Ka rivé, la voici, la voici ! » Pour tous, c’était la Vierge Marie qui descendait du Ciel, pour visiter ses enfants. Puis, à la demande de l’évêque, Mgr de la Brunelière, elle resta dans l’île. Les dons collectés à son passage servirent à construire une église, au Josseaud, placée sous son patronage. La Vierge du Retour y trône toujours dans le chœur de l’église.

« Oh ! qu’il sera beau d’entendre dire :  Marie est la Reine de l’univers, particulièrement de la France , et les enfants s’écrieront avec joie et transport : et de chaque personne en particulier ”. » Cette vision prophétique enthousiasmait la voyante de la Rue du Bac, sainte Catherine Labouré.

En écho, sœur Lucie de Fatima la voyait franchissant toutes les frontières : « Je vois dans ces brancards de procession comme une annonce de beaucoup d’autres qui ont porté la statue de Notre-Dame et l’ont amenée jusqu’aux limites de la terre, dans le sens où Jésus-Christ a dit à saint Pierre : “ J’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas. ” (Lc 22, 32) En tant que céleste Messagère et Souveraine du monde entier, elle pourrait aussi nous dire : “ J’ai prié pour toi, afin que ta foi ne défaille pas, mais qu’elle grandisse et augmente toujours. C’est pour cela que je suis venue. Dieu m’a envoyée comme Bergère et Guide, Mère et Protectrice, pour veiller sur le troupeau du Seigneur ; voilà pourquoi, représentée par ma statue, je parcours toute la terre, les mers et les airs, à la recherche de la brebis perdue. ” »

frère Thomas de Notre-Dame du Perpétuel Secours et du Divin Cœur.