Il est ressuscité !

N° 255 – Mai 2024

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


« Elle t’écrasera la tête »

CE 2 avril 2024 le Dicastère  pour la Doctrine de la Foi a fait paraître, sous la signature de son Préfet, le cardinal Fernandez, une Déclaration intitulée Dignitas infinita, dont l’intention première est de « souligner le caractère incontournable du concept de dignité de la personne humaine au sein de l’anthropologie chrétienne ». Il s’agit uniquement, tout au long de ce document, d’exalter et de justifier la dignité infinie (dignitas infinita) de la personne humaine, et de dénoncer ce qui y contrevient.

Selon saint Augustin, « deux amours ont bâti deux cités, l’Amour de Dieu jusqu’au mépris de soi, et l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu ». Il n’y a pas de moyen terme : l’exaltation, l’amour de soi-même, de sa propre dignité mène au mépris de Dieu, de son Fils Jésus-Christ notre Roi, de sa Sainte Mère, Tabernacle de l’Esprit-Saint, comme en témoigne ce document qui leur est, à toutes les lignes, profondément outrageant. Ce qui doit, avant tout, nous inciter à réparer, à prier et nous sacrifier pour consoler notre Dieu, et obtenir du Cœur Immaculé de Marie le miracle de la Renaissance de la Sainte Église.

 L’INFINIE DIGNITÉ DE L’HOMME ”, 
JUSQU’EN ENFER ?

Notre Père disait que « c’était une manière du Concile d’asséner dès les premiers mots quelque grand principe ou singulière affirmation, sans référence, sans preuve, sans argument à l’appui. Rien ! Assommé par un coup pareil, absolument inattendu, l’auditoire, ou lecteur en son particulier, ne songe pas à réagir. » Ainsi de Dignitas infinita, où il est affirmé d’emblée :

« 1. Une infinie dignité, inaliénablement fondée en son être même, appartient à chaque personne humaine, en toutes circonstances, et dans quelque état ou situation qu’elle se trouve. »

En toute situation ? Les âmes des damnés que Lucie, François et Jacinthe ont vues, plongées dans l’océan de feu où elles souffriront éternellement à cause de leurs péchés, conservent-elles cette infinie dignité ? La considération de l’enfer que Notre-Dame a voulu montrer à ses confidents suffit à anathématiser ce document, et tout le “ culte de l’homme ” introduit dans l’Église par le pape Paul VI en conclusion du concile Vatican II.

Néanmoins, ce principe de l’infinie dignité de la personne humaine est déclaré pleinement reconnaissable même par la seule raison, et réaffirmé, confirmé par l’Église à la lumière de la Révélation, comme fondement de la primauté de la personne humaine et de la protection de ses droits.

En effet, « dès le début de sa mission, poussée par l’Évangile, l’Église s’est efforcée d’affirmer la liberté et de promouvoir les droits de tous les êtres humains. » ( n° 3)

Saint Pierre, saint Paul, les Apôtres, préoccupés de promouvoir les droits de tous les êtres humains ?... Ils avaient suffisamment à faire pour annoncer à toute créature la Royauté du Christ sur le monde entier, à la face des païens idolâtres et des Juifs qui l’avaient crucifié !

En note, on lit : « Si l’on s’en tient à l’époque moderne, on peut constater que l’Église a progressivement accentué l’importance de la dignité humaine. » Il est prudent pour les auteurs de cette Déclaration de s’en tenir à l’époque moderne, puisque jamais auparavant l’Église n’avait soutenu l’exaltation révolutionnaire de la dignité humaine. Le premier Pape à y faire appel, d’ailleurs cité dans cette note, fut Léon XIII avec son encyclique Rerum Novarum, qui fut une première ouverture aux revendications socialistes (cf. Léon XIII, pape libéral ? Non, révolutionnaire ! par frère Pascal du Saint-Sacrement, dans le n° 56 d’Il est ressuscité, avril 2007, p. 21).

Dignitas infinita avance ensuite “ l’argument massue ”, à savoir l’autorité de “ saint Paul VI ” et de “ saint Jean-Paul II ” qui tous deux, en effet, ont abondamment parlé de dignité humaine. C’est précisément ce dont notre Père, l’abbé de Nantes, les a accusés, canoniquement : de substituer dans l’Église à eux soumise le culte et le service de l’Homme à l’adoration et au dévouement à notre Dieu trois fois Saint. Jean-Paul II prétendait concilier ces deux cultes en développant une véritable gnose, largement reprise dans ce document, qui faisait des mystères de notre sainte Religion autant de révélations de l’incomparable dignité de l’homme, de sa transcendance.

Dans son Livre d’Accusation à l’encontre de ce dernier, commentant son Dialogue avec André Frossard N’ayez pas peur (p. 222-227), notre Père écrivait :

« Qu’un philosophe affirme le caractère transcendant de la personne humaine, et donc la dignité sans égale de chaque homme et de tous les hommes, c’est absurde, c’est irréel et irréalisable, et ce sont de telles théories qui font de la profession de philosophe, aujourd’hui, une profession frivole et méprisée.

« Qu’un prêtre, un théologien, accorde transcendance et royauté à l’Homme, et à tout homme, naturellement et surnaturellement, sans autre cause et condition que d’être homme et d’être soi, c’est déjà beaucoup plus inquiétant. Ce n’est évidemment pas catholique. Ce n’est pas chrétien non plus... Ni même biblique, ni du tout religieux. Car pour toute droite raison, c’est Dieu qui est transcendant, le mot a été inventé pour le désigner ! Et c’est Dieu qui est Roi pour toute âme croyante. »

« Alors, que le Pape, le successeur de saint Pierre, le Souverain Pontife de l’Église catholique, le Vicaire de Jésus-Christ, réduise ce même Seigneur, Fils de Dieu Sauveur, dont il est le mandataire, au rôle de témoin, de prophète, de prêtre et de martyr de la transcendance et de la royauté de l’Homme, qu’il le ravale ainsi au niveau de l’homme quelconque, ou qu’il élève tout homme à son niveau, c’est si énorme, si incompréhensible, si scandaleux, si impie et si blasphématoire, si suicidaire qui plus est et subversif de tout l’ordre humain et de tout l’ordre chrétien ; pour tout dire en un mot, si antichrist qu’on lit, qu’on relit et, dans la plupart des cas, on poursuit sa lecture en se persuadant qu’on a mal compris, qu’il doit y avoir un autre sens aux mots qu’on a lus, et que ce n’est pas possible. Que c’est trop affreux pour être vrai. Il faudrait conclure, de fait, que le Pape est antichrist, que l’Antichrist aujourd’hui est le Vicaire du Christ sur la terre ! » (Liber accusationis secundus, p. 11)

Le fait que notre Père n’ait reçu ni réponse ni sanction pour ses accusations ni du vivant de Paul VI et Jean-Paul II, ni lors de leurs procès de canonisations, suffit à invalider leur exaltation sur les autels, et prouve la justesse de l’accusation d’apostasie : l’exaltation de l’Homme et de sa dignité “ inaliénable ” est une idolâtrie que ces deux Papes ont proclamée comme un “ dogme ”, sans parvenir à l’imposer au nom de leur magistère infaillible.

Néanmoins, Dignitas infinita fait abondamment appel à la gnose anthropocentrique de Jean-Paul II. Nous allons uniquement souligner ce qui, dans ce document, poursuit son œuvre de détournement de notre religion du culte de Dieu au culte de l’Homme.

« L’HOMME, IMAGE INDÉLÉBILE DE DIEU. »

« Déjà dans l’Antiquité classique, on trouve une première perception de la dignité humaine, qui s’inscrit dans une perspective sociale : chaque être humain est doté d’une dignité particulière, en fonction de son rang et au sein d’un certain ordre » ( n° 10).

Voilà bien la sagesse des Anciens : la dignité correspondait pour eux à une réalité, à savoir une fonction, un service de la Cité, et elle impliquait certains droits et devoirs précis et proportionnés à la charge en question. « Mais nous sommes encore loin d’une pensée capable de fonder le respect de la dignité de tout être humain, en toutes circonstances. »

Il faut donc chercher ailleurs.

« La Révélation biblique enseigne que tous les êtres humains possèdent une dignité intrinsèque, car ils sont créés à l’image et à la ressemblance de Dieu. » ( n° 11)

Les rédacteurs du Dicastère pour la doctrine de la Foi n’ont pas osé faire mentir la sagesse antique. Mais ils travestissent sans vergogne la Révélation biblique pour y trouver, au prix de la Vérité divine sacrifiée, bafouée, la justification et la reconnaissance de “ l’infinie dignité humaine ”.

Adam et Ève ont été créés « à l’image et à la ressemblance de Dieu » (Gn 1, 26-27). Mais leur révolte originelle a profondément bouleversé leur condition et celle de tous les êtres humains, leurs descendants, en méritant par cet outrage au Créateur d’être déchus de leur état de grâce et de demeurer dans l’esclavage de Satan. Dès lors, l’homme qui s’abandonne aux inspirations diaboliques jusqu’à haïr Dieu son créateur et l’offenser sans cesse n’est plus digne à ses yeux que de colère et de malédiction, il devient pire qu’une bête et souffrira éternellement en enfer.

Dignitas infinita prétend répondre à l’objection en distinguant la « dignité morale, qui peut effectivement être perdue, de la dignité ontologique qui ne peut jamais être annulée » ( n° 7). Mais cette distinction est fumée aux yeux, puisqu’il est affirmé dès le premier paragraphe que chaque personne humaine possède une dignité infinie inaliénablement fondée en son être même, qui fonde sa propre primauté (sic !) et la protection de ses droits, alors qu’il ne sera jamais question des châtiments et des peines encourues si l’on perd cette dignité morale.

Non, pour le Dicastère pour la doctrine de la Foi, l’homme est « une image indélébile de Dieu » : « “ L’image  ne définit pas l’âme ou les capacités intellectuelles, mais la dignité de l’homme et de la femme. » C’est une argumentation en cercle vicieux : “ Comment pouvez-vous dire que l’homme est infiniment digne ? ” – “ Mais, parce qu’il est l’image de Dieu. ” – “ Et en quoi est-il l’image de Dieu ? ” – “ Pardi, parce qu’il est digne ! 

« L’homme et la femme, dans leur relation d’égalité [Jean-Paul II est passé par là, distillant son venin féministe] et d’amour mutuel, remplissent la fonction de représentation de Dieu dans le monde et sont appelés à prendre soin du monde et à le nourrir (sic !). » ( n° 11)

Adam et Ève, avant leur faute, devaient soumettre et dominer la création (cf. Gn 1, 28), mais leur châtiment sera de ne plus pouvoir qu’en tirer péniblement leur subsistance, parmi les chardons et les épines (Gn 3, 17-19). Dans ce texte inspiré, ils semblent peu préoccupés de l’appel écoresponsable à prendre soin du monde et à le nourrir !

« Être créés à l’image de Dieu signifie donc posséder en nous une valeur sacrée qui transcende toutes les distinctions sexuelles, sociales, politiques, culturelles et religieuses. »

Toute l’Écriture sainte témoigne contre cette assertion. Car vraiment, lorsque qu’il se plaint d’Israël son peuple, Yahweh se montre peu soucieux de Son “ image ” subsistant en lui, alors que la distinction religieuse entre le culte qui lui est dû, et l’idolâtrie à laquelle les juifs se livraient, l’outrage profondément.

En fait, les rédacteurs de Dignitas infinita ont cherché coûte que coûte à trouver dans la pensée des scribes inspirés quelque évocation de cette prétendue “ dignité de la nature humaine ” que les philosophes des “ Lumières ” invoqueront au dix-huitième siècle pour émanciper la société chrétienne de l’autorité souveraine de Dieu. Alors même que l’Ancien Testament est l’histoire de la longue pédagogie divine pour faire comprendre aux hommes tombés dans le péché qu’ils ne sont rien, qu’ils sont ingrats et orgueilleux, que Dieu seul est Saint, châtiant durement les fautes de sa créature, mais patient et miséricordieux, infiniment digne de reconnaissance et d’amour.

LE MYSTERE DE L’INCARNATION RÉDUIT
À UNE PREUVE DE LA DIGNITÉ HUMAINE.

« La dignité humaine s’est révélée dans sa plénitude lorsque le Père a envoyé son Fils qui a assumé dans sa totalité l’existence humaine. » ( n° 19) C’est vrai, à condition de préciser avec saint Paul : qu’il a assumé notre condition « à l’exception du péché » (He 4, 15). Il est l’Homme parfait, digne de la soumission et de l’amour de tous ses semblables.

Mais le texte continue : « “ Par le mystère de l’Incarnation, le Fils de Dieu a confirmé le mystère du corps et de l’âme, constitutifs de l’être humain.  Ainsi, en s’unissant en quelque sorte à tout être humain par son incarnation, Jésus a confirmé que tout être humain possède une dignité inestimable, par le simple fait d’appartenir à la même communauté humaine, et que cette dignité ne peut jamais être perdue. »

En note, on lit : « “ Puisque par son incarnation, le Fils de Dieu s’est en quelque sorte uni lui-même à tout homme ” (Gaudium et spes 22), la dignité de tout être humain nous est révélée par le Christ dans sa plénitude. » En fait, dans Gaudium et spes, la citation exacte dit que l’Incarnation a élevé la nature humaine à une dignité sans égale. C’était déjà lourdement hérétique, car Jésus, pour nous sanctifier, demande nos cœurs, et non pas seulement que nous lui soyons unis par “ nature ” ! mais au moins, l’Incarnation apportait quelque chose à l’homme. Tandis que dans Dignitas infinita elle n’est qu’une révélation de la dignité que l’homme possède déjà, avant que le Christ vienne parmi nous !

En effet, si l’homme est déjà et toujours à l’image et à la ressemblance de Dieu, qu’est-ce que Jésus pourrait bien lui apporter ? S’il n’y a pas de péché originel, point n’est besoin de rédemption pour un genre humain “ infiniment digne ” par nature... Dans cette Déclaration approuvée par le Saint-Père et signée par le Préfet du Dicastère pour la doctrine de la Foi, la Croix du Christ est reniée.

LA DIGNITÉ DES ÉLUS.

« La troisième conviction concerne la destinée finale de l’être humain : après la création et l’incarnation, la résurrection du Christ nous révèle un autre aspect de la dignité humaine. »

Avez-vous remarqué qu’il manque quelque chose ? Entre l’incarnation et la résurrection ?

« En effet,  l’aspect le plus sublime de la dignité humaine se trouve dans cette vocation de l’homme à communier avec Dieu ”, destinée à durer éternellement. » ( n° 20)

Si l’on précise que cette communion avec Dieu ne s’accomplira vraiment qu’au Ciel, après la mort et le jugement, cette assertion est vraie. Si chaque homme a, de nature, une dignité, c’est parce que Jésus-Christ a versé son Précieux Sang pour lui, afin de le sauver de l’enfer et de le conduire au Ciel, dans l’éternelle béatitude de la Sainte Trinité. En puissance, quelle dignité, quelle gloire nous est offerte !

Mais alors, il faut tout faire pour que cette vocation se réalise, s’il est possible, pour tous les hommes. C’est pourquoi la Croisade est parfois nécessaire pour mettre à bas les gouvernements persécuteurs du Nom chrétien, malgré ce qu’en dit Dignitas infinita : « La relation intime qui existe entre la foi et la dignité humaine rend contradictoire le fait que la guerre soit fondée sur des convictions religieuses. » ( n° 39)

Bien au contraire, pour que l’homme jouisse au ciel de la vraie dignité, par la sanctification de son âme qu’y opérera l’Esprit-Saint, il est juste de faire sur la terre la guerre à Satan et ses suppôts, au monde et à soi-même, pour obéir à Celui qui a dit : « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. » (Mt 10, 34)

Cette Déclaration revendique pour l’homme, au nom de sa dignité, des droits qui sont les droits révolutionnaires à la liberté, à l’égalité et au bien-être tels que définis dans l’autre Déclaration, celle des droits de l’homme et du citoyen, au plus loin de l’appel évangélique à renoncer à tout ici-bas pour obtenir un trésor dans le Royaume des Cieux.

LA MISÉRICORDE DIVINE REVENDIQUÉE
COMME PREUVE DE LA DIGNITÉ HUMAINE.

« Chaque être humain est aimé et voulu par Dieu pour lui-même et est donc inviolable dans sa dignité [...]. Dans le Code deutéronomique, l’enseignement sur les droits se transforme en un  manifeste  de la dignité humaine, notamment en faveur de la triple catégorie de l’orphelin, de la veuve et de l’étranger (cf. Dt 24, 17). » ( n° 11) Dans le texte du Deutéronome auquel il est fait référence, on lit : « Tu ne porteras pas atteinte au droit de l’étranger et de l’orphelin, et tu ne prendras pas en gage le vêtement de la veuve. » C’est donc, selon Dignitas infinita, la preuve que Dieu reconnaît la dignité de tous, et exige qu’on la respecte.

Mais le texte continue, au verset suivant : « Souviens-toi que tu as été en servitude au pays d’Égypte et que Yahweh ton Dieu t’en a racheté ; aussi je t’ordonne de mettre cette parole en pratique. » (Dt 24, 18) C’est-à-dire que Dieu rappelle à son peuple la misère d’où il l’a tiré, pour lui ordonner de ne pas écraser les petits et les indigents, mais de faire preuve envers eux de la même bonté. Ce n’est pas un témoignage en faveur de la dignité des étrangers, des orphelins et des veuves ! mais bien plutôt un rappel de l’indignité d’Israël et de la condescendance dont il a été le bénéficiaire.

Le même argument est appliqué à l’Évangile : « En proclamant que le Royaume de Dieu appartient aux pauvres, aux humbles, aux méprisés, à ceux qui souffrent dans leur corps et dans leur esprit, [...] Jésus a apporté la grande nouveauté de la reconnaissance de la dignité de toute personne, et aussi et surtout des personnes qualifiées d’  indignes ”. » ( n° 19)

C’est le même renversement : si Notre-Seigneur s’est adressé de préférence aux pauvres, à ceux qui souffrent, c’est parce que leur indigence matérielle ou corporelle figure bien l’indignité morale dont nos âmes sont toutes atteintes, et les prédispose à attendre le salut qu’Il vient apporter. Tandis que les riches, les repus, sont exposés à la tentation de croire qu’ils n’ont besoin de rien d’autre que leur fortune. La miséricorde de Jésus est gratuite, c’est un incompréhensible mouvement de son Sacré Cœur pour nos âmes pécheresses, qui ne le méritent pas !

L’on voit ici la révolution opérée dans Dignitas infinita qui, en faisant de la miséricorde divine une preuve de la dignité de l’homme, transpose toute l’attention, toute la gloire, de Dieu, à l’Homme.

« LA DIGNITÉ, FONDEMENT DES DROITS
ET DES DEVOIRS DE L’HOMME. »

Sous ce titre, on lit au n° 24 : « Bien qu’une sensibilité croissante au thème de la dignité humaine se soit répandu, il existe encore aujourd’hui de nombreux malentendus sur le concept de dignité, qui en déforment le sens. » ( n° 24)

Le Dicastère pour la doctrine de la Foi est dans une situation délicate : il lui faut promouvoir cette dignité de la personne humaine que le concile Vatican II a exaltée afin d’embrasser les préoccupations démocratiques et socialistes du “ monde ”, sans pour autant céder aux revendications libertaires faites au nom de cette même dignité, à savoir l’avortement, l’euthanasie, et la licence morale absolue que les catholiques ne sauraient (pas encore...) tolérer.

Comment faire ? Si ce n’est en forgeant une nouvelle religion non plus centrée sur notre Père céleste et son adorable Volonté, mais sur la conscience que chacun doit prendre de sa propre dignité... et de celle d’autrui, pour agir librement en conformité avec cette “ infinie dignité ontologique ”. C’est ainsi qu’il sera possible, selon le pape François, de « fonder une nouvelle coexistence entre les êtres humains, qui décline la socialité dans un horizon de fraternité authentique. » ( n° 6)

Premier point de cette religion de l’homme : la dignité, c’est la liberté, mais une liberté... conditionnée. Car « le concept de dignité est aussi parfois utilisé pour justifier une multiplication arbitraire de nouveaux droits » ( n° 25), à savoir le droit à mourir “ dignement ”, à choisir son “ genre ”, etc. « La liberté est alors identifiée à une liberté isolée et individualiste, qui prétend imposer comme  droits  garantis et financés par la collectivité, certains désirs et penchants subjectifs [...]. La défense de la dignité humaine repose au contraire sur des exigences constitutives de la nature humaine. » Mais qui définira ces exigences ? Qui aura assez de force pour les faire reconnaître par tous ? La collectivité, c’est-à-dire l’État ? Il ne s’y emploie que trop, au point d’inscrire l’avortement dans la Constitution, tandis que nos évêques restent comme des chiens muets, incapables de dire au grand jour que c’est un outrage à Dieu notre Père, à Jésus-Christ vrai Roi de France, une violation de leur Volonté qui attire sur nos têtes le châtiment de la guerre.

Deuxième point, pour résoudre un autre malentendu sur le concept de dignité : bien que « la liberté soit un merveilleux cadeau de Dieu », « le libre arbitre préfère souvent le mal au bien » ( nos 29-30). La solution ? « La liberté humaine a besoin d’être libérée à son tour. » Car, puisque le Christ nous a libérés, « sur les épaules de chaque chrétien repose une responsabilité de libération qui s’étend au monde entier (cf Rm 8, 19 sq). Il s’agit d’une libération qui, du cœur de la personne, est appelée à se répandre et à manifester sa force humanisante dans toutes les relations. » ( n° 29) « De même, la liberté est souvent obscurcie par de nombreuses contraintes psychologiques, historiques, sociales, éducatives et culturelles » ( n° 31), et cætera...

Tout ce creux verbiage pour ne pas témoigner de la vérité de l’Évangile : « En vérité, en vérité je vous le dis, quiconque commet le péché est esclave. Or l’esclave ne demeure pas à jamais dans la maison, le fils y demeure à jamais. » La vraie dignité est d’échapper à l’esclavage du péché pour devenir fils de Dieu. Par quel moyen ? « Si vous demeurez dans ma parole, vous êtes vraiment mes disciples, et vous connaîtrez la Vérité, et la Vérité vous libérera. » (Jn 8, 31-36) Jésus est lui-même cette Vérité, c’est en gardant sa parole, en obéissant à son commandement de recevoir le baptême et de demeurer dans son Église que l’homme acquiert sa vraie dignité et liberté, qu’il ne possédera indéfectiblement qu’au Ciel.

LE CULTE DE L’HOMME.

Notre Père écrivait : « L’Église avait autrefois pour unique Seigneur le Dieu trois fois Saint, Père, Fils et Saint-Esprit. Au long des années du Concile, ou pour mieux dire du règne occulte d’abord puis officiel de J.-B. Montini devenu Paul VI, à ce pôle unique, attractif, qu’était, pour la fidèle et sainte Épouse du Christ, Dieu, son Fils, son Esprit, s’ajouta insensiblement un autre pôle, antagoniste, l’Homme. Un jour vint où les orientations et attractions polaires se renversèrent d’un coup, de l’ancien point fixe, Dieu, au nouveau vers qui tout concourt, l’Homme.

« Quand enfin Paul VI parla, en superbe vainqueur, en nouveau Néron couronné, au jour de clôture du 7 décembre 1965, l’hémisphère dont notre Père du Ciel est le principe et la fin s’effondra dans les ténèbres, tandis qu’apparaissait, éblouissant d’une charismatique lumière, l’hémisphère dont Satan est le pôle. Je dis Satan, car le Dieu du monde moderne, l’Homme, est son idole, son Image, lui ! Le Pape célébra cette révolution de la sphère terrestre avec une éloquence séductrice :

« “ L’Église du Concile, il est vrai, s’est beaucoup occupée de l’homme, de l’homme tel qu’en réalité il se présente à notre époque, l’homme vivant, l’homme tout entier occupé de soi, l’homme qui se fait non seulement le centre de tout ce qui l’intéresse, mais qui ose se prétendre le principe et la raison dernière de toute réalité [...]. Reconnaissez-lui au moins ce mérite, vous, humanistes modernes, qui renoncez à la transcendance des choses suprêmes, et sachez reconnaître notre nouvel humanisme : nous aussi, nous, plus que quiconque, nous avons le culte de l’homme. ” » (CRC n° 216, novembre 1985, p. 14)

La Déclaration Dignitas infinita qui, pour la première fois dans l’histoire du magistère romain, traite exclusivement de la dignité de l’homme pour en dénoncer toutes les violations (paragraphes 33 à 62) apparaît comme un nouveau “ Manifeste ” de ce culte de l’Homme introduit par Paul VI dans l’Église. Le pape François continue en cela ce qu’il a appelé la “ Révolution de Jean-Paul II ”, avec la collaboration zélée de son ami et théologien, le cardinal Fernandez, à qui il en a expressément donné la mission dans la lettre qu’il lui a adressée pour sa nomination à la tête du Dicastère pour la doctrine de la Foi. Le prélat argentin doit « intégrer les questions posées par le progrès des sciences et l’évolution de la société dans une annonce renouvelée du message évangélique, afin d’entrer en dialogue avec notre situation actuelle ». C’est-à-dire faire évoluer la doctrine et la morale de l’Église afin qu’elles soient plus aisément acceptées par notre monde apostat, en vue d’instaurer enfin sur la terre une société fraternelle sans nécessité de conversion.

NOTRE CULTE DE « LA FEMME » (Gn 3, 15).

Pour sauver les pauvres pécheurs du feu de l’enfer, Jésus veut établir dans le monde la dévotion au Cœur Immaculé de Marie.

Pour procurer aux hommes la liberté, l’égalité et la fraternité, le Saint-Père et ses collaborateurs veulent établir dans le monde la reconnaissance de la dignité de l’Homme et de ses exigences.

C’est une opposition frontale à la Volonté divine, qui leur méritera le châtiment éternel, s’ils ne se repentent pas. D’autant plus que l’exaltation de la dignité humaine et de ses droits est une invention maçonnique qui servit de justification à la Révolution française pour décapiter le Roi, lieutenant du Christ en son Royaume.

Mais tandis que, tout au long des dix-neuvième et vingtième siècles, ce venin révolutionnaire, “ satanique dans son essence ”, se répandait dans le monde puis dans l’Église, provoquant révolutions, guerres et tueries au nom des Droits de l’Homme, notre Mère Immaculée se révélait peu à peu comme l’unique recours de l’Église assiégée, offrant son Cœur Immaculé comme l’unique salut de la Chrétienté dévastée par la grande apostasie. Sa promesse demeure, dont l’accomplissement dépend de nos prières et sacrifices : À la fin, mon Cœur Immaculé triomphera Et Dieu dit au serpent : Elle t’écrasera la tête.

QU’EST-CE QUE L’HOMME ?

L’ABSURDE HYPERTROPHIE DU PERSONNALISME.

Le neuvième paragraphe de Dignitas infinita est particulièrement intéressant parce qu’il aborde la notion métaphysique de “ personne ”, au sujet de laquelle notre Père a eu la grande intuition de sa vie, qui répond aux erreurs philosophiques qui ont pu mener à cette déclaration de « l’infinie dignité de la personne humaine ». Voici :

« Il convient de rappeler ici que la définition classique de la personne en tant que  substance individuelle de nature rationnelle  explicite le fondement de sa dignité. En effet, en tant que  substance individuelle ”, la personne jouit d’une dignité ontologique (c’est-à-dire au niveau de l’être lui-même) : c’est un sujet qui, ayant reçu l’existence de Dieu,  subsiste ”, autrement dit exerce l’existence de manière autonome. » ( n° 9)

Telle est la personne humaine selon Jacques Maritain, philosophe chrétien dont l’Humanisme intégral était le fondement de la pensée de Paul VI, à dire vrai le fondement de son “ culte de l’Homme ” ; et dont le “ personnalisme ” est loué dans le treizième paragraphe de Dignitas infinita.

Maritain exaltait l’homme sans mesure en tant qu’il est une personne, concept qu’il chargeait d’une valeur, d’une dignité transcendantale qui lui méritait tous les droits. Il s’appuyait sur la philosophie ­aristotélico-thomiste et sa définition classique de la personne : une substance individuelle de nature rationnelle. Une substance, c’est-à-dire un “ tout ”, comme cette table, cet arbre, individuelle comme Misou, le chat de notre Père, de nature rationnelle c’est-à-dire un être spirituel, supérieur aux espèces animales. Mais, commentait notre Père, « il n’y a là aucune indication de quelque statut métaphysique particulier. Pour saint Thomas, le mot de personne ne recèle rien de nouveau, et désigne communément l’individu humain. Il n’y a rien dans cette notion qui puisse bouleverser la morale et y introduire des idées de dignité, de transcendance, de magnificence ou d’absolu qui n’y sont nullement incluses. » (La Personne humaine, créée par Dieu dans le monde, CRC n° 176, avril 1982, p. 8)

D’où vient donc cette hypertrophie de la personne humaine que Maritain prétendait tirer de saint Thomas ? Tout d’abord de l’obscure notion scolastique de “ subsistence ” dont on trouve l’évocation dans Dignitas infinita : la personne est supposée « “ subsister ”, c’est-à-dire exercer l’existence de manière autonome ». Mais notre Père expliquait que cela ne voulait rien dire, et de toute manière, à s’en tenir à sa stricte définition, la subsistence « appartient tout autant à Misou, le chat de la maison, qu’à Maritain le grand philosophe ! » Il n’y a rien là qui appelle une suréminente dignité.

Maritain exaltait aussi les facultés spirituelles de la personne, en partie à raison, car il est vrai que notre nature a des capacités infiniment supérieures à celles des animaux. Mais dans la ligne du substantialisme et de l’essentialisme d’Aristote et de saint Thomas, il faisait de l’Homme un être indépendant, autonome, vivant pour lui, capable par son esprit d’entrer en relation avec Dieu pour se réaliser, se construire pleinement... tout seul, et dans le mépris de toutes ses caractéristiques individuelles, ses “ accidents ” : l’hérédité de ses parents, la patrie où il est né, ses relations... qui font toute notre vie.

Dignitas infinita se situe tout à fait dans cette perspective : « En exerçant sa liberté de cultiver les richesses de sa propre nature, la personne humaine se construit au fil du temps. » ( n° 9)

« Il y a là, quand même, un énorme problème, écrivait notre Père. Car ce personnalisme, qui met sous ses pieds tout l’univers et la société des autres hommes, a beau prétendre ouvrir la Personne ainsi exaltée au Dieu transcendant, il n’aboutit qu’à tout centrer, politique et religion, sur son Ego, sur soi comme raison et fin de toutes choses. Ah, non ! il faut rebâtir une métaphysique personnaliste sur d’autres bases, sur de plus sains principes. » (ibid.)

LA PERSONNE HUMAINE,
ŒUVRE DE DIEU DANS LE MONDE.

« JE SUIS donne l’existence à chaque être de l’univers en le situant parmi les autres, comme une partie dans un tout. Chaque être, à plus forte raison chaque être humain, spirituel, vient de l’Être infini, vient de Dieu.

« Tel est le mystère de la contingence des êtres créés qu’ils résultent d’une action divine ou relation constituante, qui pose l’être et le maintient dans ce perpétuel devenir, cette dépendance totale hors desquels il retomberait dans le néant. Avant d’être de telle essence, avant même d’être existant, il faut qu’il soit relation à Dieu, effet de son acte créateur.

« Et certes, Dieu donne à chaque existant une nature d’arbre, de chat, d’homme ou d’ange, comme une manière d’être en vue de le situer dans l’univers, sa nature comme principe d’action. Ainsi pour l’homme, son animalité raisonnable, sa nature de ­  “ roseau pensant ”. Et si cela vous suffit, alors ­restez-en là, engoncés dans votre “ dignité ” comme des statues de métal qui voudraient être prises pour des dieux... » Voilà pour Dignitas infinita, où la dignité ontologique est sans cesse exaltée, comme infinie, fondement de la primauté de la personne humaine... C’est mettre toute la valeur de la personne dans sa nature, donc ce qui lui est, par définition, le moins personnel.

« Alors que cette nature n’est qu’une étape dans la création de l’être, un élément de sa constitution. Tout le reste, qu’Aristote range trop distraitement dans la catégorie générale des accidents insignifiants, reçus du hasard et de la nécessité, nous paraît, à nous, détenir les profonds secrets de l’être singulier et finalement, bien plus que leur nature générale, nous donne à connaître leur ultime et plénière raison d’être, leur identité, leur valeur singulière, leur mystère unique.

« Nous faisons du nom de chacun, de ses origines, de son patrimoine, de son corps propre et de son âme particulière les expressions les plus signifiantes de l’intuition divine créatrice ! De ce perpétuel influx de JE SUIS faisant chaque être particulier, dans le monde, avec le monde et pour le monde. » (ibid., p. 11-12)

Plus tard, étudiant la métaphysique du bienheureux Jean Duns Scot, notre Père découvrira chez ce franciscain du treizième siècle la même intuition : le mystère saisissant de l’ipséité de l’être (cf. encart ci-dessous).

LA VALEUR DE LA PERSONNE HUMAINE.

Le mot de dignité, aujourd’hui, est un mot piégé, tant il est chargé d’un sens révolutionnaire, revendicateur. Il n’est d’ailleurs jamais défini : la personne est infiniment digne, mais digne de quoi, et aux yeux de qui ? Tout homme, tous les hommes, dans une égalité parfaite ? Et qu’en pense notre très chéri Père céleste ?

Dans la métaphysique relationnelle de notre Père, la dignité d’un individu est éclairée par sa valeur, qu’il définissait comme la mesure divine d’un être singulier par la synthèse de ses relations à la totalité universelle.

« La valeur distinctive de chaque individu, valeur qui, évidemment, colore sa relation constituante ou originelle, est la synthèse de sa bonté métaphysique, de sa perfection physique et de son importance, de son mérite, ou de son service vis-à-vis de tous les autres individus de l’univers, vis-à-vis de l’ensemble du monde créé. C’est le rapport du “ poids ” de l’individu au “ poids total ” du monde, autrement dit à la beauté, au bien commun, à la réussite définitive de la création.

« La “ valeur ” alors signifie et mesure indubitablement le degré d’attention et d’amour du Créateur que, dans son bon plaisir et son génie ordonnateur, JE SUIS accorde à chaque individu, lui fixant d’un seul regard, d’un seul don, sa nature et ses qualités, sa mesure d’existence et sa situation, et de surcroît la multitude de ses relations aux autres, ultime affirmation de sa dignité particulière. » (L’être dans le monde, CRC n° 175, mars 1982, p. 13)

« Pour Dieu, dans le monde, tout individu est une valeur, et cela en fonction de sa nature, mais aussi de sa situation. Ainsi chaque être humain, dont la nature est la plus parfaite de ce monde visible, est voulu par Dieu, non pour jouir de la splendeur de sa forme ou nature universelle et abstraite, non pour jouir de lui comme d’un être prodigieux, digne de retenir à lui seul, isolé, unique, l’attention et l’amour de son Créateur, et pas davantage comme un simple élément du tout cosmique qui seul lui importerait...

« Mais conçu, voulu, originé par JE SUIS pour lui-même dans sa vocation de service de la totalité de ses semblables : Être spirituel créé par Lui dans le monde, d’une relation verticale unique le constituant en point de convergence de mille relations horizontales personnalisantes. »

ADORANTE VISION METAPHYSIQUE

ACCEPTE, toi qui es un autre  moi-même, de poser comme un modèle dans l’atelier d’un peintre, devant ton vieux frère. Je te connais depuis notre enfance, tu es toujours le même. Depuis les cours du Père Paissac, j’aime te reconnaître comme “ existant ”. Ne ris pas. « Si tu savais le don de Dieu ! » Tu existes ! et cela est si merveilleux qu’à l’aimable athée spinoziste, Comte-Sponville, il arrive de murmurer cette prière en présence de l’aimée du jour : « Mon Dieu, faites qu’elle existe ! » demain encore, et ensuite...

J’avoue avoir banalisé ta présence, cinquante ans durant. Tu n’étais plus qu’un homme parmi les autres, milliards d’autres ; tes caractéristiques singulières, identitaires, n’étaient que médiocres, les miennes aussi, excitant ou rabattant la joie. Quant à notre relation de frère à frère, ce n’était, somme toute, qu’un si faible accident, un hasard matériel, que ce lien amenuisé n’était plus qu’une convention. Aristote m’avait singulièrement desséché l’âme et le cœur ! Saint Thomas continuait de m’exciter à l’amour, à l’adoration de Dieu Créateur mais non point tellement à l’adoration ni même à l’admiration de ses œuvres jusque dans leur réalité individuelle, concrète ! Il suffisait qu’il en existe de quoi illustrer le tableau de leurs espèces ou formes générales. Et qu’importe au Dieu d’Aristote, s’il existe ! de savoir ce que sortis de sa main créatrice nous sommes devenus !

Puis l’esprit franciscain, saint Bonaventure, et par le biais des poèmes de l’Anglais Hopkins expliqués par Urs von Bal­thasar, j’en suis venu à la métaphysique de Duns Scot et son intuition première. Mon regard sur toi a changé, comme sur toute la création et sur Dieu. Mais tu m’es un exemple et pour les autres un témoin. Il est vrai de dire que, depuis l’éveil de ma conscience, encore lacunaire, je t’ai distingué des choses et des autres. Je savais que tu étais quelqu’un, et que ton existence était celle de mon plus proche prochain et mon meilleur objet d’observation. Et cet échange de regards complices a duré jus­qu’à maintenant : même si je ne puis faire ton portrait, en­core moins te définir par des mots abstraits... je connais ! et ce que le bienheureux Duns Scot nomme ton “ ipséité ”, c’est un océan où mon âme, spirituelle, et sensible, baigne avec mille sentiments et impressions où se nouent et se renouent ces relations, ces échanges, ces interférences de nos destinées. Que deviendrais-je sans toi ? Et ce que je considère en toi est à joindre au trésor de mes connaissances semblables de cent et mille autres amis ou ennemis, voisins ou connus de loin, depuis Adam et Abraham, jusqu’au dernier venu dans mon univers, dans ma vie.

Ce que m’a appris Duns Scot, c’est le fond métaphysique de ton être et l’accès qui m’y est ouvert. D’abord, c’est simple, je n’ai qu’à te regarder pour me faire une idée vague, mais très riche et très singulière, de toi, de ton mystère : c’est l’intuition qui court au-devant de tout examen savant et va plus loin, beaucoup plus loin que je ne saurais en dire. Mais ensuite, et c’est là l’extasiante vérité, c’est ce qui m’est montré de ton existence profonde. Il m’est dit que ton être, émané d’une volonté divine créatrice, est une dynamorphie, autre­ment dit une existence tout occupée d’être selon ce qui lui est donné de vie, dans une forme de vie que cette énergie porte en elle, du même influx divin, orientant tout ton mouvement, et laissant paraître à travers les événements, les ren­contres, les imprévus et les projets de chaque jour, ta personnalité, ton destin, ta vocation, ton message, enfin toi ! que j’aime tout simplement parce que c’est toi, mon frère, et que tu es, comme moi, comme tous, créature et fils de Dieu.

Tel est le mystère ineffable de l’ipsissime noblesse de chaque être.

(CRC n° 319, janvier 1996, p. 34.)

L’HISTOIRE DE L’HUMANITÉ

ADAM ET ÈVE, ENFANTS DE DIEU, 
CHEFS DE L’HUMAIN LIGNAGE.

Passons de l’abstraction métaphysique à la réalité historique, telle que révélée par Dieu lui-même dans la Sainte Écriture, en suivant deux magnifiques conférences données par notre Père et frère Bruno lors de la Session de Toussaint 1979, Qu’est-ce que l’homme ?

« Yahweh modela l’homme avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint un être vivant. » (Gn 2, 7)

C’est Adam. Il est une créature “ terrestre ”, tirée de la poussière, qui reçoit une âme, une vie, comme les autres animaux, mais ceux-ci seront créés pour lui (Gn 2, 18-19). Ève, son aide, façonnée de l’une de ses côtes, est « l’os de ses os et la chair de sa chair » (Gn 2, 23), terrestre comme lui.

Mais puisque cette haleine de vie, cette âme, venait de Dieu, elle donnait sa forme à la glaise, la matière. En Adam et Ève, l’âme dominait le corps dans un équilibre parfait, leur esprit était saint, en état de justice originelle. Ils avaient la grâce, et puisqu’ils sortaient comme de la bouche de Dieu, ils lui ressemblaient, comme le dit l’autre récit de la création.

« Dieu dit :  Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance, et qu’ils dominent sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toutes les bêtes sauvages et toutes les bestioles qui rampent sur la terre.  Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa. » (Gn 1, 26-27)

L’homme fut créé comme le couronnement de la création, doté sur elle de l’autorité même du Créateur, à cause de sa ressemblance avec Lui. Dans le sens littéral du texte, être à l’image de Dieu signifie surtout être son “ vizir ”, son “ premier ministre ”, avoir sa confiance, son amitié, et son autorité, explique frère Bruno.

D’autant qu’Adam était « fils de Dieu » (Lc 3, 38), un être unique, exemplaire, mais conçu pour sa vocation de chef de l’humanité, de père de tous les hommes. Ève, quant à elle, fut créée pour être son épouse et la mère de tous les vivants ; c’est le secret intime de sa personnalité. Tous les dons à eux accordés étaient destinés à ce service de la Volonté divine, service qui fut mal rendu puisqu’ils ont manqué à leur devoir.

L’HOMME FILS D’ADAM, « CORPS DE PÉCHÉ ».

Satan, en suscitant la révolte d’Adam et Ève, a réussi à briser la relation d’Amour divin qui était la source de leur bienheureuse existence. Leur valeur aux yeux du Créateur en est singulièrement amoindrie ; ils méritent sa malédiction et perdent par ce fait, ou bien par l’atteinte même du péché en eux, la justice et tous les dons de la grâce, notamment l’immortalité (cf. Sg 2, 23-24) : « À la sueur de ton visage tu mangeras ton pain, jusqu’à ce que tu retournes au sol, puisque tu en fus tiré. Car tu es glaise et tu retourneras à la glaise. » (Gn 3, 19)

Ils perdent la confiance de leur Créateur et l’autorité sur le monde créé pour eux (Gn 3, 16-24).

Leur révolte corrompt également tous ceux que Dieu voulait voir sortir de leurs “ reins ”, qui héritent des séquelles du péché et tombent sous l’esclavage de Satan.

Au point que « la colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes, qui tiennent la vérité captive de l’injustice » (Rm 1, 18). Car « Juifs et Grecs, tous sont soumis au péché, comme il est écrit :  Il n’est pas de juste, pas un seul, il n’en est pas de sensé, pas un qui cherche Dieu. Tous ils sont dévoyés, ensemble pervertis ; il n’en est pas un qui fasse le bien, non, pas un seul. ” » (Rm 3, 9-12)

Saint Paul a fait cette anthropologie de notre état primitif, d’autant qu’il souffrait en lui-même ce ferment de perversité : « Moi, je suis un être de chair, vendu au pouvoir du péché. » (Rm 7, 14) « J’aperçois une autre loi dans mes membres qui lutte contre la loi de ma raison et m’enchaîne à la loi du péché qui est dans mes membres. » (Rm 7, 23) « Je sais que nul bien n’habite en moi, je veux dire dans ma chair ; en effet, vouloir le bien est à ma portée, mais non point l’accomplir : puisque je ne fais pas le bien que je veux et commets le mal que je ne veux pas. » (Rm 7, 18-19) C’est une tyrannie qui contrarie toute aspiration au bien qui peut subsister de la nature originelle ; un esclavage au mal qui a supplanté l’adhésion aimante à la Volonté de Dieu.

La faute en revient à Adam, mais aussi à chacun d’entre nous : « Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort, et ainsi la mort a passé en tous les hommes, du fait que tous ont péché. » (Rm 5, 12) Il n’y a d’excuse pour personne dans cet état de révolte qui nous dresse contre Dieu.

Saint Paul n’emploie jamais le terme “ d’homme ” au sens naturel, avant le don de la grâce, sans une nuance de mépris. Pour reprocher à ses Corinthiens leurs discordes et leurs jalousies, il leur demande : « Votre conduite n’est-elle pas toute humaine ? » (1 Co 3, 3) Ce mépris pour l’homme est général dans toute l’Écriture, abondamment dans l’Ancien Testament, et même dans la bouche de Notre-Seigneur : « C’est du dedans, du cœur des hommes, que sortent les desseins pervers : débauche, vol, meurtre, adultère, cupidité, méchanceté, ruse, impudicité, envie, diffamation, orgueil, déraison. Toutes ces mauvaises choses sortent du dedans et souillent l’homme. » (Mc 7, 21-23) Les impies sont traités par lui de chiens et de porcs à qui il ne faut pas jeter des perles (Mt 7, 6), tandis que pour saint Pierre les judaïsants sont des chiens retournés à leur propre vomissement, et des truies à peine lavées qui se roulent dans le bourbier (2 P 2, 22).

Le Nouveau Testament est absolument étranger à la considération de la “ dignité ontologique ” de l’homme en tant qu’homme. Historiquement, il apparaît comme un être créé par Dieu afin d’être en relation avec Lui, mais qui a refusé ce lien de dépendance. D’ami et enfant du Père éternel, il en est devenu pire qu’une bête.

Définition de l’homme, selon saint Paul : il est « un corps de péché » (Rm 6, 6). Le terme de corps inclut les facultés spirituelles : dans la Bible, la personne est considérée comme un tout. L’homme est un être organiquement porté au péché, concluait frère Bruno.

Comment cela peut-il se faire ?

L’homme naissant reçoit de ses parents un héritage “ sociobiologique ” complet qui caractérise sa personnalité. Notre Père écrivait : « C’est tout l’être individuel, avec ses millions de constituants élémentaires, qui provient de ses géniteurs par son ADN et l’information dont il est mystérieusement, ô combien ! porteur. Et JE SUIS donne vie humaine, destinée personnelle, esprit et liberté à cet individu constitué d’avance par ce mécanisme de la reproduction sexuée » habituellement sans y contrevenir ni rien retrancher de ce patrimoine génétique.

Le péché de nos premiers parents et son châtiment ayant profondément atteint leur être même, psychique et corporel, ils ont transmis cette tare à tous leurs descendants. Notre Père pensait qu’il pouvait y avoir une trace de ce désordre premier dans l’ADN de tous les fils d’Adam.

Et Dieu ? Lorsque, pour la conception de chaque être humain, il doit infuser une âme, il considère cet individu comme le fils de ses parents, et de plus ou moins loin comme un fils d’Adam et Ève ; et il accepte que cette âme toute pure jaillie de ses mains soit souillée par ce corps de péché. C’est pour lui comme un échec, un mal dont il souffre, mais qu’il permet à cause de l’ordre de l’hérédité et de la procréation qu’il a Lui-même établi, expliquait notre Père.

Quand il acquiert l’usage de sa liberté et de sa volonté, l’homme suit la pente de son être taré et se solidarise de ses premiers parents : il pèche, non sans l’inspiration diabolique du Prince de ce monde.

Ah ! s’écriait saint Paul, « malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps qui me voue à la mort ? » (Rm 7, 24)

L’IMMACULÉE CONCEPTION.

Le genre humain croupissait dans sa misère universelle lorsque, soudain, parut une merveille inouïe :

« L’Ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, du nom de Nazareth, à une Vierge fiancée à un homme du nom de Joseph, de la maison de David ; et le nom de la Vierge était Marie. Il entra et lui dit :  Réjouissez-vous, comblée de grâce, le Seigneur est avec vous. ” » (Lc 1, 26-28)

C’est sans précédent : cet Ange envoyé par Dieu pour saluer une femme avec tant de déférence et sa réponse qui va manifester une obéissance parfaite à la Volonté divine : « Voici la Servante du Seigneur, qu’il m’advienne selon votre parole. » (Lc 1, 38)

Elle n’est pas uniquement une fille d’Ève, Elle est l’Immaculée Conception. C’est-à-dire qu’Elle est la Personne parfaite, Immaculée, que Dieu a conçue dans sa sainteté, à l’origine des siècles, avant même la création d’Adam et Ève. Elle est conçue pour être la compagne du Verbe, intimement unie à l’Esprit-Saint dont elle manifeste les perfections : le Seigneur est avec Elle. Le Père, le Fils et le Saint-Esprit la comblent de toute la Grâce, en Elle est toute beauté, toute bonté, Elle est l’image de la création parfaite.

Quand le temps fut venu, Dieu infusa cette âme dans le corps conçu pour Elle dans le sein de sainte Anne. Mais pour la première fois dans l’histoire universelle, cette âme ne se laisse pas dominer par la tare originelle parce qu’elle est douée d’une force telle qu’elle la corrige, et demeure dans la sainteté et la pureté que Dieu lui a données. Une vie nouvelle commence sur la terre.

Dans l’Ancien Testament, en parallèle à l’attente du Messie, on trouve l’annonce de l’Épouse parfaite qui enfin sera fidèle et aimante envers Yahweh. Marie est cette Vierge qui ravit tant le Cœur du Dieu Très-Haut qu’il a voulu se faire dans son sein une chair d’enfant, conduisant son Épouse à y travailler maternellement, pour se retrouver sa Mère, sans rien perdre de sa virginité, tandis que lui, d’Époux, est devenu son enfant, sans rien perdre de sa divinité. Tel est le mariage du Fils de Dieu et de la Vierge Immaculée.

Telle est la valeur, la dignité infinie de la Vierge Marie : sa relation à Dieu est LA relation parfaite, dans le don divin d’une existence Immaculée et la réponse aimante de la créature ; et sa relation au monde atteint tous les êtres pour leur salut puisque c’est Elle qui leur donne le Rédempteur.

JESUS-CHRIST, « IMAGE DU DIEU INVISIBLE », NÉ DE MARIE.

« Voici que tu concevras dans ton sein et enfanteras un Fils, et tu l’appelleras du Nom de Jésus. Il sera grand, il sera appelé Fils du Très-Haut. » (Lc 1, 31-32)

« Voici l’Homme ! »
(Jn 19, 5)

Le Fils de Dieu fait homme a voulu tout recevoir de la Vierge Marie. Nul fils jamais ne ressembla tant à sa Mère, parce qu’Il a voulu qu’Elle lui donne toute son hérédité génétique, à laquelle Son âme s’est conformée : Corps, Cœur, caractère, tempérament, ils sont semblables en tout.

Jésus-Christ est « l’Image du Dieu invisible » (Col 1, 15), sa réplique parfaite, égale à son Modèle, parce qu’il est son Fils, engendré de son sein, ne faisant rien qu’il ne l’ait vu faire par son Père (Jn 5, 19). Au sein d’un genre humain avili, Jésus seul, avec sa Sainte Mère, reflète et révèle la beauté et la bonté de Dieu au point que celui qui L’a vu, a vu le Père (Jn 14, 9).

Adam, créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, n’était que la pâle figure de ce Dieu-Verbe incarné qui est « le premier-né de toute créature » (Col 1, 15), existant bien avant lui. Il est une créature parce qu’Il est l’Image incarnée du Père éternel, un Homme en chair et en os que l’on peut voir et toucher.

« La beauté de Dieu est dans sa conversation, la grâce de Dieu est dans ses mains » (point n° 10). Il agit avec une liberté, une souveraineté parfaite sur toute la création ; il guérit les malades, marche sur les flots, multiplie les pains, ressuscite les corps...

C’est dire l’abîme, le contraste qu’il y a entre cet Homme et ceux qui l’entourent, nous autres, fils d’Adam ! Il l’a d’ailleurs dit : « Vous, qui êtes mauvais... » (Lc 11, 13) Il est affronté à des fils du diable (Jn 8, 44) et Pierre lui-même mérite cette accusation (Mt 16, 23).

« LE PREMIER NÉ D’ENTRE LES MORTS. »

C’en est au point qu’ils vont le crucifier et Lui, qui s’était déjà humilié en devenant semblable aux hommes (Ph 2, 7), plonge dans cet enfer de la méchanceté humaine et se laisse tuer, alors qu’il avait le pouvoir, tant de miracles en témoignent, de foudroyer ses ennemis.

Il offre sa vie en sacrifice et c’est alors que sa majesté resplendit en son plus beau : « La Gloire de Dieu rayonne sur sa Face outragée, l’Amour de Dieu déborde de son Cœur transpercé. » (point n° 10) Il révèle l’Amour dont Dieu nous aime au moment même où nous sommes le plus outrageusement révoltés contre Lui.

En Jésus crucifié est toute la Révélation, toute la religion, le signe qui doit bouleverser tous les cœurs, qui a conquis le monde entier depuis la prédication apostolique jusqu’à la révélation pour nos temps du Saint Suaire, en passant par les stigmates de saint François d’Assise, explique frère Bruno. « Et l’on est forcé de comprendre que personne n’a poussé si loin le mépris de sa “ dignité ” d’homme et de ses droits que Notre-Seigneur Jésus-Christ ! Quand on a un tant soit peu regardé son crucifix, on ne peut plus revendiquer les droits de l’Homme, encore moins pour soi que pour les autres... »

Mais alors, c’en est fini, l’humanité restera toujours dans sa déchéance ?

« Moi, je suis venu pour qu’on ait la vie, et qu’on l’ait surabondante. » (Jn 10, 10)

Rebondissement prodigieux dans l’histoire calamiteuse de l’humanité : Jésus ressuscite, parce que Dieu a le dessein de régénérer l’homme et parce que « dans l’absolue passion et dans la détermination invincible qui lui vient de sa toute-puissante divinité déployée dans la chair, il a besoin, il veut, il aime conquérir tout, à la fois pour notre bien et pour sa gloire, pour sa stature parfaite et pour la nôtre, solidaires et mutuellement dépendantes », écrivait notre Père.

La Résurrection ouvre une nouvelle ère dans l’histoire humaine : Jésus est « le premier-né d’entre les morts » (Col 1, 18), d’entre tous les hommes qui sont des morts spirituels. Il ressuscite bel et bien dans sa Chair, mais qui a subi une prodigieuse mutation : de psychique, elle est devenue spirituelle ou plutôt pneumatique (cf. 1 Co 15, 44). Le terme de premier exprime une primauté de rang, de dignité, de fonction conforme au titre de l’Aîné de la famille. Comme Adam à l’origine, Il jouit d’une Seigneurie universelle sur toute la terre pour y conformer ceux qui deviendront ses frères à l’image de Dieu et c’est la régénération de l’humanité qui commence.

L’HOMME RACHETÉ, ÉCARTELÉ.

« Si, en effet, par la faute d’un seul (Adam), la mort a régné du fait de ce seul homme, combien plus ceux qui reçoivent avec profusion la grâce et le don de la justice régneront-ils dans la vie par le seul Jésus-Christ. » (Rm 5, 17)

C’est dire que la Grâce et la Miséricorde sont bien plus fortes que le péché, si horrible soit-il, parce que le Christ a plus de puissance pour vivifier ses élus qu’Adam n’en a eu pour contaminer ses descendants.

« Nous savons qu’avec ceux qui l’aiment, Dieu collabore en tout pour leur bien, avec ceux qu’il a appelés selon son dessein. Car ceux que d’avance il a discernés, il les a aussi prédestinés à reproduire l’image de son Fils, afin qu’Il soit l’aîné d’une multitude de frères ; et ceux qu’il a prédestinés, il les a aussi appelés ; ceux qu’il a appelés, il les a aussi justifiés ; ceux qu’il a justifiés, il les a aussi glorifiés. » (Rm 8, 28-30)

La valeur et la dignité de l’homme ne se fondent pas sur ses origines, mais sur sa vocation de ressembler à Jésus et de lui être uni dans l’éternité.

Comment cela ? Par une nouvelle naissance du sein de la Vierge Marie, Corédemptrice par sa prière et son Amour au pied de la Croix, par la médiation de l’Église et de ses sacrements. Dans cet engendrement nouveau, le disciple de Jésus reçoit le don de l’Esprit, ce pneuma qu’Il a acquis dans sa Chair le jour de sa résurrection.

Ce don libère le chrétien de l’esclavage de son corps de péché, qui n’est pas anéanti, mais dont il est dépouillé, car il a été crucifié avec Jésus afin que nous cessions d’être asservis au péché (Rm 6, 6). « Vous vous êtes dépouillés du vieil homme avec ses agissements, et vous avez revêtu le nouveau, celui qui s’achemine vers la connaissance en se renouvelant à l’image de son Créateur. » (Col 3, 9-10)

Frère Bruno explique : c’est une nouvelle faculté, une vie, une semence que saint Paul appelle le pneuma, qui est surajoutée à notre nature et rend l’homme capable d’être de nouveau en relation avec Dieu comme son fils adoptif, de recevoir ses dons. C’est l’organe de la prière, le moteur de la vie spirituelle. Ce pneuma est le relais de l’action de ­l’Esprit-Saint, et donc de la Vierge Marie, sur l’esprit humain, le point d’insertion de la grâce dans l’âme, si bien qu’il est impossible de discerner si les “ réflexes filiaux ” viennent d’Eux ou bien de cette nature qui nous est donnée en propre. Les fruits en sont la Foi et la Charité, par lesquelles le chrétien contemple le Christ, dont l’image s’imprime en lui pour devenir, à son imitation, le serviteur de ses frères.

Car « je vous donne un commandement nouveau : vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jn 13, 34). Le petit frère de Jésus est envoyé par lui au service de la communauté qu’Il a fondée, comme saint Paul en a donné l’exemple sublime : « Je trouve ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous, et je complète en ma chair ce qui manque aux épreuves du Christ pour son Corps qui est l’Église. » (Col 1, 24) Le but étant de tout instaurer dans le Christ, que tous les élus Lui soient unis et unis entre eux au point de ne former qu’un seul Corps enfanté dans le sein de la Vierge Marie, une Épouse parfaite brûlant du même Amour, à son imitation.

Cela ne va pas sans mal. Car Dieu n’a pas voulu que sur terre, l’homme élevé à une telle dignité s’enorgueillisse comme Adam et Ève. Il a voulu que chacun conserve tout au long de son existence ici-bas la tare du péché originel et ses mauvaises aspirations, qu’il assume cette relation originelle à ses premiers parents. Ceux qui ont la grâce d’être baptisés reçoivent la force du Christ qui vient en eux lutter contre ce foyer de péché, pour que la grâce en triomphe moyennant la Foi et la fidélité. Pour chacun, c’est un écartèlement, un combat voulu par Dieu comme notre vocation, pour que nous méritions le repos et la béatitude éternelle, quand sera complet le nombre des élus et que le Christ régnera en tout en tous. Dans ce drame, qui triomphera en nous : Adam, devenu l’esclave de Satan, ou le Christ ?

La Vierge Marie, Médiatrice de toute grâce, a la charge et la volonté maternelle d’établir sur la terre entière ce Règne de son Fils pour sa Gloire et le salut de ses autres enfants, contre le règne de Satan. C’est pourquoi la dévotion à son Cœur Immaculé est l’arme secrète du Bon Dieu pour la régénération du genre humain.

Soyons tout à Elle, pour qu’elle nous attire, en Elle, auprès de Lui !

frère Joseph-Sarto du Christ Roi.