9 AOÛT 1969: LA NOTIFICATION DE LA CONGRÉGATION POUR LA DOCTRINE DE LA FOI

Après avoir adressé le 16 juillet 1969 au cardinal Seper sa Profession de foi, l'abbé de Nantes ne reçut pas même un accusé de réception. Mais le soir du 9 août, l'Osservatore romano, daté du 10, publia une notification de la Sacrée Congrégation pour la doctrine de la foi, dont il ne prit connaissance que par la presse. (...)

Dans cette notification, le tribunal suprême de la foi ne répond pas aux terribles accusations du plaignant contre le pape Paul VI et contre le concile Vatican II. Le prétendu constat d'autodisqualification, qui n'est donc pas un jugement sur le fond, n'a de ce fait aucune portée doctrinale ni disciplinaire.

Libéré du secret du Saint-Office, qu'il avait juré en spécifiant qu'il aurait pour limite ultime la sentence, l'abbé de Nantes publia alors le compte rendu et les derniers documents de son procès. (...) Sous le titre « Je suis fils de l'Église », il relata ce qu'il appela « le mauvais procès », au terme duquel l'autorité suprême s'était efforcée de le diffamer tout en s'abstenant de juger sur le fond. En voici le texte intégral :

JE SUIS FILS DE L’ÉGLISE

« Vous déclarez-vous soumise à l'Église militante ?
- Oui, je m’y crois soumise, mais Dieu premier servi. » Jehanne d’Arc

DANS le gigantesque affrontement de la Réforme et de la Contre-Réforme catholique, c’est-à-dire de la Tradition et de sa trahison, l'Église appartiendra finalement à celui des deux camps dont la Hiérarchie Apostolique, c’est-à-dire en définitive le Souverain Pontife, prendra la tête. Dans cette guerre de religion, il n’y aura pas de tiers-parti : ou l’Église demeurera ferme dans la condamnation de la Réforme de 1517 et de la Révolution de 1789, ou elle reniera la vraie Foi, et plus ou moins importe peu, pour s’adonner au culte de l’Homme qui se fait Dieu. Toutes les fluctuations, toutes les incertitudes du combat depuis cent ans viennent des atermoiements et des palinodies de l’Autorité. Cependant, malgré quelques actes inattendus, surprenants, le Pape s’est constamment montré le Chef-Né de la Contre-Réforme, le témoin de l’Idée catholique, le garant de l’Ordre chrétien et ce jusqu’au dernier Concile. Cela représente quatre cents ans de bienfait romain, de service continu de l’Église du Christ. À la suite des papes, à leur exemple, la majeure et la meilleure part du Corps épiscopal fit barrage au protestantisme, au joséphisme, au libéralisme, au modernisme, au progressisme, à toute cette lignée, dont seul le masque change, de la Contre-Église luciférienne.

Depuis le 11 octobre 1962, papes et assemblées épiscopales ont joué la carte de la Réforme, du pluralisme, de la liberté, de l’ouverture au monde, du culte de l’homme. Ils ne l’ont pas jouée franchement, en doctrine, avec l’autorité de leur Magistère infaillible, mais comme de biais, à la dérobée, “ pastoralement ”. Cela a suffi pour jeter l’Église dans une débâcle épouvantable, accélérée, sans analogue dans son histoire.

Me suis-je porté trop en avant ? Ai-je été laissé seul au fort du combat comme Jeanne sous les murs de Compiègne ? Toujours est-il que me voilà en présence de juges ecclésiastiques, condamné pour crime de fidélité à l’Ancienne Église et d’opposition à l’intruse, celle de la Réforme. Sans que tous les projecteurs de l’actualité se soient concentrés sur l’événement, il n’en est pas moins considérable par ce qu’il révèle des pensées et volontés du Chef Suprême actuel de l’Église. En me condamnant dans toute la rigueur des Saints Canons, le Pape identifierait irrévocablement la cause du Christ-Dieu et celle de la Réforme, l’assistance de l’Esprit Saint avec le dévergondage intellectuel et moral postconciliaire. Au contraire, en refusant de m’excommunier dans les règles ou en n’y parvenant pas, pour quelque motif que ce soit, humain ou divin, sublime ou sordide, l’Autorité Apostolique manifesterait dans cette expérience cruciale, son incompatibilité foncière avec la Réforme, son insurmontable horreur des orgies révolutionnaires.

D’où l’importance de ce procès dont la conclusion vient d’être criée au monde entier. C’est, plus encore que la nôtre, l’épreuve décisive de l’Église affrontée au Malin. Il importe d’en analyser d’abord le texte, le sens, la valeur dogmatique et disciplinaire. Il me faudra ensuite en déduire une vue générale de la situation de l’Église aujourd’hui et de notre situation dans l’Église. L’heure est grave, les dangers sont grands, mais l’heure de Dieu est proche !

LE MAUVAIS PROCÈS

« Si j'ai mal parlé montre où est le mal ;
mais si j'ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu ? »

« L’abbé de Nantes qui s'était prononcé contre la réforme de la liturgie a été désavoué par une “ notification ” publiée samedi par la Congrégation pour la Foi (ex-Saint-Office). La notification a été approuvée par le pape. C’est le premier document de cette nature qui ait été publié depuis le Concile Vatican II. »

Certainement, c'est par une erreur de transmission qu’il est question, dans ce premier communiqué d’agence, de “ réforme de la liturgie ”. Il fallait entendre évidemment : réforme de l’Église. Le Monde du 12 août rectifie d’ailleurs. Il me présente, en titre, comme “ UN DOCTRINAIRE FAROUCHE ” et m’honore de ce signalement : « prêtre français connu comme l’une des figures marquantes des milieux catholiques traditionalistes et l’un des plus farouches adversaires des réformes promulguées par le deuxième concile du Vatican. » Cette fois, c’est cela. Contre-réformiste par Traditionalisme, tel est le prêtre désavoué et, même si le mot est évité, c’est bien d’une condamnation qu’il s’agit. « On remarquera que la Congrégation pour la doctrine de la foi n’emploie plus les termes de “ condamnation ” mais constate “ avec une extrême tristesse ” la révolte de fait de l’abbé de Nantes », écrit Témoignage Chrétien (14 août). C’est bien le sens de la Note romaine : celui d’une excommunication furtive, comme honteuse.

« À la requête de l’abbé de Nantes, la Congrégation a examiné ses écrits et après l’avoir entendu par deux fois, le 6 juillet 1968 et le 23 mai 1969, a jugé devoir, etc. Après les deux premiers refus opposés par l’abbé de Nantes à cette demande, la Congrégation a tenté une dernière fois, le 11 juillet 1969, de le convaincre de se soumettre à la décision officielle du dicastère romain compétent, auquel il avait été le premier à faire appel. À cette demande solennelle qui lui était adressée, l’abbé de Nantes a répondu, en date du 16 juillet 1969, par un refus catégorique... La Congrégation ne peut que prendre acte de ce refus opposé à sa légitime autorité... avec une extrême tristesse. Réunis en congrégation ordinaire, les cardinaux de la Congrégation sacrée pour la doctrine de la foi ont donc décidé de rendre publique la présente notification, et le Saint-Père a daigné approuver cette décision. »

C’est ainsi que Luther, devenu soudain “ l’apôtre d’un nouveau règne de l’Évangile ” par l’affichage de ses 95 thèses sur les Indulgences le 31 octobre 1517, en appela au jugement de l’Église contre ceux qui l’accusaient d’hérésie. La Rome de Léon X agit avec lenteur et mollesse plutôt que prudence. On demanda au moine augustin de se rétracter, dès avril 1518 ; on le somma de comparaître à Rome, mais déjà le grand cardinal Cajetan lui fut envoyé à Augsbourg pour l’entendre et le juger. II s’obstina. Alors Rome instruisit l’affaire et, le 1er juin 1520, sa condamnation est décidée ; la Bulle Exsurge Domine, qui frappe d’anathème ses erreurs, est approuvée et signée par le Pape, un soir de chasse ! Luther la brûlera en public avec des imprécations contre le Pape véritable Antéchrist et l’Église de Rome synagogue de Satan. Son hérésie était définie irrévocablement, sa révolte consommée...

C’est ainsi que Lamennais, prophète d’un Messianisme des peuples, se fit “ pèlerin de Dieu et de la liberté ” pour soumettre sa doctrine de réformateur de l’Église et de régénérateur du Christianisme au Pape Grégoire XVI. Mais quand celui-ci publia l’encyclique Mirari vos, du 15 août 1832, Lamennais commença à rêver d’une autre Église, neuve, qui serait pleinement évangélique. Déçu par Rome, il entendait quand même se maintenir dans l’Église : « Je n’ai point rompu avec l’Église, je n’ai point imité Luther et je ne l’imiterai point, persuadé que je suis que les schismes ne font que du mal. » Mais l’encyclique Singulari nos le condamnait nommément et Lamennais s'en fut à la dérive, vers les ténèbres totales et la mort des apostats.

C’est ainsi que bien d’autres en appelèrent au Pape ou au Concile, dans l’assurance que leur doctrine était divine et qu’il était impossible que l’Église les condamnât jamais. Un jour Rome parla et la cause fut entendue. Leur “ révolte farouche ” les emporta loin de cette Église qu’ils s’étaient pourtant juré de ne quitter jamais et leurs noms sont devenus symboles d’anathème.

C’est ainsi que je devais me perdre, moi aussi, aux dires du Cardinal Joseph Lefebvre... Dès son retour glorieux du Concile Réformateur “ Vatican II ”, l’Épiscopat français me fit menacer d’interdit par l’Évêque de Troyes. Je n’y échappai qu’en demandant sur mes écrits et ma “ doctrine ” le jugement du Saint-Siège (Noël 1965 ; Lettre 220). Celui-ci m’invitait, dès le 30 avril 1966, fuyant ses responsabilités, à me soumettre en tout au cours nouveau de l’Église et à rallier le réformisme conciliaire sans autre forme de procès. Je m’obstinai à demander d’être jugé, jugé par Rome, jugé dans ma doctrine et dans mes accusations. “ Tu veux y aller, tu iras ”, me répondit le Cardinal en reprenant les termes du Procurateur Festus à saint Paul, mais pour ajouter... prophétiquement : on reprendra pour vous la procédure de condamnation d’avant le Concile mais lorsqu’enfin Rome vous demandera de rétracter vos erreurs dont elle aura soigneusement dressé le catalogue, vous ferez comme les autres révoltés du passé, vous refuserez et vous quitterez l’Église, entraînant vos fidèles avec vous (Lettre 227).

Estimant cependant nécessaire à la manifestation de la vérité un jugement doctrinal, je le demandai au Cardinal Ottaviani, Pro-Préfet du Saint-Office, par ma Lettre du 16 juillet 1966 (Lettre 231). Elle me valut d’abord pour seule réponse la dure sanction épiscopale d’une interdiction de dire la Messe dans le diocèse de Troyes où je suis fixé (25 août 1966). Tout de même le Saint-Office se mit au travail. Les consulteurs désignés étudièrent toute mon œuvre écrite, avec probité, avec soin, je l’ai constaté, mais avec le souci impérieux de me trouver en contradiction avec la foi de l’Église. La Congrégation Sacrée pour la Doctrine, ressaisissant à ma demande les attributs abandonnés de sa puissance et la charge inquisitoriale du Saint-Office, a instruit et jugé, dans un procès de doctrine, mon Traditionalisme dans tout son enseignement positif et mon Contre-réformisme dans ses accusations portées contre autrui, laïcs et prêtres, théologiens, évêques, Concile et Papes mêmes.

Au terme de ce procès qu’il n’a pas suivi, le peuple fidèle a appris comme de la bouche du Pape tout ensemble mes erreurs et ma révolte, mes graves accusations et ma condamnation. Cet homme-là, disait un curé de par ici, c’est un nouveau Luther. Et voici maintenant qu’on lit au prône la Notification romaine de mon désaveu par le Saint-Père. C’en est assez, amplement assez, pour me ranger aux yeux de tous parmi les hérétiques, les schismatiques et les excommuniés. Rome a parlé, la cause est entendue, le procès est terminé. Vraiment ?

Que s’est-il donc passé ? Le Jeudi-Saint 1968 - j’allais fêter le surlendemain le vingtième anniversaire de mon ordination sacerdotale – je fus convoqué à l’Évêché de Troyes et c'est le Vendredi-Saint à onze heures que j’y reçus l’ordre de me rendre à Rome pour le 25 avril. Ce jour-là, après avoir célébré la Sainte-Messe à l’autel Saint-Pie X, à Saint-Pierre, j’entrai sur le coup de neuf heures au Palais du Saint-Office, non sans en avoir baisé le seuil, à genoux, en signe d’admiration, de reconnaissance et de soumission. J’y retournai bien des fois en dix jours et encore lorsque, l’affaire instruite, je fus rappelé à Rome, après notre triste mai 68, pour y entendre prononcer le jugement de la Congrégation et ses exigences. Le matin du 6 juillet, de nouveau je baisai le seuil du redoutable Palais. On allait m’imposer ce jour-là une formule de rétractation et de soumission dont je devais, en conscience, et sur le conseil de quelqu’un de plus haut que moi, rejeter la teneur par un triple “ Non Possumus ”.

C’est sur ces événements capitaux qu’il faut faire toute la lumière. Délivré maintenant du secret que j’ai juré, en spécifiant qu’il aurait pour limite ultime le jugement rendu, je veux révéler tout ce qui est nécessaire à la défense de la foi, mais rien de plus. Je le ferai, pour ainsi dire, la main sur les Saints Évangiles et, me croira qui voudra, je ne dirai que la vérité.

HÉRÉTIQUE ?

Sur l’essentiel du procès doctrinal, sur cette étude de mes écrits qui a duré trois ans, sur ces multiples et longs interrogatoires portant sur ma “ doctrine ” par les Consulteurs qualifiés du Saint-Office, sur les consultations particulières qui m’ont été accordées par des Cardinaux membres de la Sacrée Congrégation et mes Juges, la Notification est trop brève :

« La Congrégation... a jugé devoir lui demander de souscrire une formule de rétractation de ses erreurs et de ses graves accusations d’hérésie portées contre le Pape Paul VI et le Concile... L’abbé confirme ses positions antérieures concernant le Concile, l’aggiornamento de l’Église, l’Épiscopat de sa nation, les “ hérésies ” de Paul VI et l’appel adressé au clergé romain en vue de sa déposition canonique. »

ERREURS INTROUVABLES.

Les Consulteurs étaient des théologiens savants, bienveillants, sans faiblesse. C'était en vérité pour ma foi et mes œuvres l’épreuve du feu. La matière de l'examen était précise : on devait mettre en cause l'idée de “ Contre-Réforme catholique au XXe siècle ”. La Hiérarchie ayant proclamé la Réforme de l'Église, pouvait-on soutenir doctrinalement un Traditionalisme qui lui est farouchement contraire et s’opposer pratiquement à sa mise en œuvre autoritaire ? Le théorème qui fait la substance de ma Lettre “ L’orgueil des Réformateurs ”, du 11 octobre 1967 au Pape Paul VI (CRC 1-2), est celui-ci : la Tradition catholique et apostolique exclut le principe même d’une Réforme générale et permanente de l’Église ; il lui est contradictoire. C’est ma... doctrine, sur laquelle portèrent tous les efforts des consulteurs.

Avais-je la foi catholique ? Il fut bientôt évident que oui. À mesure que les jours passaient, nous dûmes constater l’identité foncière de nos “ doctrines ” qui n’étaient nullement les nôtres mais celle-même de l’Église de toujours. J’avais l’impression de passer un examen de maîtrise en théologie, et de le réussir. Les embûches étaient classiques, aisément surmontées. Il y eut de grands moments. Un consulteur me fit grief de l’explication théologique que j’avais donnée du péché originel dans ma Lettre 228. Je ne tenais guère à cette hypothèse séduisante et je répondis que je m’en remettrais là-dessus au jugement de l’Église. Un autre me reprocha d’avoir écrit que la Hiérarchie pourrait errer, par malice, dans sa totalité, ce qui était contraire à la foi en la Sainteté inamissible de l’Église. Heureuse Providence ! J’avais sous la main le numéro à paraître de la Contre-Réforme où précisément je regrettais cette assertion et la retirais sur l’observation qu’un lecteur m’avait faite de sa fausseté (CRC, 7). Ce de quoi les consulteurs furent assez ébahis, mais contents. Ils voyaient bien que j’étais bon catholique.

Mon traditionalisme n’était-il pas suspect ? Une série de questions me furent tendues comme des pièges : Les païens étaient-ils capables de vertus naturelles ? Le baptême des hérétiques est-il valide ? L’idée de Chrétienté ne peut-elle revêtir, au cours des temps, des formes très diverses ? Le Saint-Siège n’a-t-il pas le droit de collaborer avec des gouvernements communistes ? etc... Si j’avais fait preuve, par contre-réformisme farouche, d’une étroitesse sectaire, on m’aurait facilement convaincu d’être tombé dans des excès déjà condamnés par l’Église. Si au contraire je faisais preuve de largeur d’esprit, il serait possible de me conduire par la brèche jusqu’aux ouvertures de Vatican II et de me les faire admettre. Grâce à Dieu, comme je n’avais pour seule ambition que de connaître et de suivre la grande Tradition de l’Église enseignante, sur tous ces points j’exposai la doctrine classique dans sa précision et son équilibre magnifique. Point d’erreurs ni même d’incertitudes en tout cela non plus !

Mon Contre-Réformisme n’impliquait-il pas un fixisme condamné ? Lentement, nous en arrivions au débat central. Je passe sur une accusation ridicule : suivant le Synode schismatique de Pistoie, je prétendrais n’accepter pour vrais que les seuls dogmes définis infailliblement. Je me fâchai. Ce libéralisme, aujourd’hui vanté par Rahner et autres modernistes, était aux antipodes de ma pensée. Je déclare tout accepter de la Tradition. Mais si les Réformateurs, Pape ou Concile, prétendent détruire quelque point de notre antique croyance, je n’admettrai leurs négations et altérations que s’ils y engagent leur infaillibilité ! On n’insista pas...

La question décisive fut celle du développement des dogmes. Ne prétendrais-je pas arrêter la réflexion et la vie de l’Église à Pie IX, Pie X ou Pie XII ? Je paraissais suspendre l’assistance du Saint-Esprit promise par Jésus-Christ aux temps d’avant le Concile... Non, là non plus je ne professais pas d’autre doctrine que celle de mes examinateurs, celle de saint Vincent de Lérins et du cardinal Newman, mais avec la précision antimoderniste bien actuelle : nous reconnaissons un développement logique de la Tradition, allant de l’implicite à l’explicite, mais nous rejetons la théorie blondélienne d’une évolution vitale, créatrice, toute soutenue et orientée par l’expérience immanente du divin dans l’infaillible conscience humaine.

Enfin, mon opposition à la Réforme me conduisant à contester certaines innovations disciplinaires ou liturgiques, il me fallut exposer ma notion de l’obéissance et faire constater qu’elle n’avait rien d’original, étant celle de saint Thomas d'Aquin par exemple, illustrée par l’exemple des saints. Si j’affirmais la possibilité de la désobéissance dans l’Église, ce n’était pas une contestation, un refus de l’Autorité hiérarchique ni une limitation arbitraire de son Pouvoir sacré, mais la prévision d’une irrecevabilité de fait d'ordres mauvais et donc nuls.

D’erreurs doctrinales donc, il ne s’en trouve pas dans mes écrits. Qui l’a dit en a menti.

ACCUSATIONS MAINTENUES.

D’accusé je devins accusateur. Mes examinateurs se muaient alors en défenseurs, voire en accusés. En vertu de notre foi catholique exacte et ferme, je m’élevai contre les présupposés dogmatiques d’une Réforme dite pastorale. Les Consulteurs, ne m’ayant pas moi-même surpris en faute, cherchaient à réfuter mes critiques de la nouvelle religion réformée.

Controverses dans le brouillard. Ils voulurent me montrer la conformité de l’aggiornamento avec la vraie Tradition de l’Église que je paraissais, disaient-ils, ignorer. Je confondais “ les ” traditions, la poussière des siècles, avec “ LA ” Tradition qui, elle, se trouvait merveilleusement retrouvée, restaurée et enfin présentée au monde ébahi dans toute sa magnificence ! Ce furent là-dessus des discussions confuses. Sur le sens des mots et la portée des slogans conciliaires ou pontificaux, l’accord était loin d’être fait. Collégialité, Église servante, liberté religieuse, ouverture au monde, œcuménisme, paix, culture, etc. C’était une logomachie. Alors mes examinateurs perdaient la clarté, l’objectivité, la sécurité du Catholicisme éternel. Leur calme, leur assurance le cédait à l’impatience, à l’agressivité. Ces savants enfonçaient à pleines bottes dans la vase des équivoques, ambiguïtés et confusions conciliaires dont on ne les sentait pas encore revenus. Pour s’en tirer, ils m’accusaient de ne voir les Actes du Concile et les Discours de Paul VI qu’à travers les interprétations des autres. Ils opposaient les Textes promulgués à tout l’appareil des discussions et commentaires qui les avaient préparés et suivis. Ils soutenaient un Concile irréel, contre le para et le post-Concile.

L’espèce de champ de bataille que nous parcourions au galop était à leurs yeux éblouis le chantier d’une nouvelle et radieuse Cité humaine en construction. Ils voulaient croire au mirage. C’était pour moi, à perte de vue, les ruines de la Cité sainte, dévastée par un cyclone.

Si nous évoquions tel Acte, tel Discours, ils m’en faisaient goûter le sucre et la tisane ; ils ne sentaient pas l’arsenic qui en faisait le poison. Ils m’émurent, ces serviteurs de la Papauté, ces fonctionnaires de Curie, vêtus de probité candide et de lin blanc. Le monde entier exploitait la nouveauté, en grand, pour la ruine de la foi et des mœurs ; eux s’accrochaient au discours du Pape du 12 janvier 1966, qui affirmait ou imposait le sens traditionnel dans lequel devait s’entendre la Réforme de Vatican II. Peu importait pour eux l’univers en folie. Ils ne jugeaient que moi, l’insolent, puisque moi seul je l’avais demandé, et ils réprouvaient mon opposition conservatrice, plus criminelle encore que l’autre, la révolutionnaire, à laquelle elle portait renfort, disaient-ils, pour le plus grand dommage de l’Autorité romaine.

Je tentai de reprendre quelqu’une de mes preuves. Inutilement. On ne tire pas au clair en vingt heures, ce que des centaines de théologiens malins ont rendu inextricablement confus en cinq ans de byzantinisme conciliaire. Parfois nous nous arrêtions, tout égarés dans ce maquis. Je voyais le Président de séance, débordé, en sueurs, à bout d’arguments, sous le grand portrait qui, dans toutes les salles du Palais domine, de Paul VI énigmatique et triomphant.

Adjurations pathétiques. Ils n’avaient plus rien d’autre à me dire que leur conviction, leur humaine, désespérée persuasion de grands personnages secrètement inquiets et désolés comme nous. Je recopie, telles que je les ai notées au vol, des adjurations qui sont des aveux : « Oui, le Masdu existe, mais pas dans le Concile, pas dans les actes du Pape, n’ayez pas peur... Prenez-vous-en à Cardonnel, on ne vous dira rien, mais pas au Pape... À la longue, on arrivera à résorber les aberrations, les désordres postconciliaires mais, ayez confiance, le Concile est l’œuvre du Saint-Esprit... Non, le Pape n’est pas hérétique, il ne peut l’être... Non, il n’y a pas d’hérésie dans le Concile, il ne peut pas y en avoir... Au lieu de les critiquer, vous devriez avec tout votre talent et votre influence montrer qu’ils n’ont pas dit, qu’ils n’ont pas voulu ce qu’on leur fait dire et vouloir... »

Pauvres admirables théologiens romains, comme j’aurais voulu partager votre bonne foi ! Mais quand vous en arriviez à me croire entraîné par votre exemple ou convaincu par votre autorité, j’étais seulement à mesurer l’abîme qui vous séparait du reste de l’Église et du Pape même. Et je restais endolori mais inerte à votre appel : « Dites-nous simplement que vous acceptez le Concile et que vous faites confiance au Saint-Père, d’une adhésion pure, simple et sans réserve, on ne vous demandera rien d’autre ! » II fallait en finir. Je dictai au greffier italien : « Est, est. Non, non. » - « Qu’est-ce que cela veut dire, me demanda le Président ? - Cela veut dire que ce qui est, est et demeure, indépendamment de mes accusations. - ...Vous persistez donc dans vos critiques des Actes du Pape et du Concile ? - Oui. »

SCHISMATIQUE ?

Je m’envolai de nouveau pour Rome le 1er juillet. Les Frères, devinant la gravité de l’événement, m’accompagnèrent tous à Orly en priant. Nous nous quittâmes le cœur serré. Au Saint-Office, l’atmosphère avait changé. L’instruction menée par les Consulteurs était close. La décision appartenait aux Cardinaux membres de la Sacrée Congrégation. Moins au fait de la question sans doute et décidés à en finir, l’obstacle doctrinal ne devait guère les arrêter. La veille, S.S. Paul VI avait prononcé sa ferme Profession de foi. Cela leur paraissait suffire à apaiser mes scrupules et à prouver la vanité de mes critiques. D’ailleurs, il ne s’agirait plus de discussion doctrinale mais d’une rétractation générale, sans précision, et d’une soumission religieuse au Pape et aux Évêques. Il fallait obéir sans plus réfléchir. La Notification évoque cette décision romaine comme des plus normales ; mon refus n’en paraît que plus aberrant :

« La Congrégation a tenté une fois... une nouvelle fois... une dernière fois de le convaincre de se soumettre à la décision officielle du dicastère compétent. À cette demande solennelle qui lui était adressée, l’abbé a répondu, en date du 16 juillet 1969, par un refus catégorique. Il y récuse le droit de la Congrégation sacrée pour la doctrine de la foi d’exiger de lui une soumission... La Congrégation ne peut que prendre acte de ce refus opposé à sa légitime autorité. En se révoltant de la sorte contre le magistère apostolique, en donnant l’exemple de la révolte contre l’épiscopat de son pays et contre le pontife romain lui-même, etc... » Voilà le monde entier pris à témoin de mon insoumission, de ma révolte contre l’Autorité de l’Église.

DOULOUREUSE INCERTITUDE.

La vérité est bien différente. J’ai vécu jusqu’au dernier moment la plus dramatique alternative, sous le regard de Dieu, mon Maître et mon Juge. J’allais prier dans les Basiliques et églises romaines ; les lumières que j’y recevais étaient contradictoires. La controverse doctrinale était terminée, j’étais certain d’avoir raison. Mais dans l’Église il ne suffit pas d’avoir raison. Il faut encore que la volonté se soumette, par obéissance, aux lois et préceptes imposés par l’autorité légitime en vue du bien commun. Ne devais-je pas obéir ? N’étant pas infaillible, ne devais-je pas faire abstraction de mes certitudes pour écouter Rome ? Je tâtonnais dans une obscurité que les consultations des membres du Saint-Office ne firent qu’accroître.

Les Actes du Concile et du Pape actuel, tels qu’ils sont reçus, ou plus exactement tamisés, rectifiés, purifiés presque inconsciemment par les théologiens et fonctionnaires de la Curie, ne pourraient-ils être acceptés par moi de la même manière ? Ils admettent le cours nouveau de l’Église, à vrai dire sans en retenir presque rien. Ne pourrais-je me soumettre ainsi ? Ne fallait-il pas me plier à la loi commune ? Il me venait alors la résolution de me rétracter et de rentrer ainsi dans la discipline. Oui, mais ! Mais les Actes de cette Réforme, tels qu’ils sont entendus et exploités sans frein partout dans le monde et même à Rome, ces nouveautés dans leur sens obvie, leur logique, leur dynamique, demeuraient inacceptables sans déloyauté. À la place où j’étais, celle d’accusé, dans la persécution que nous subissons, nous les traditionalistes, je ne pourrai me soumettre à cette Réforme par voie d’autorité sans au moins paraître me renier et abandonner mes frères. Alors, dans cette contradiction de l’obéissance et de la foi, dans cette opposition de la discipline à la charité, derechef je décidai de refuser la signature escomptée de ma faiblesse. Je ne regrette pas, je bénis maintenant cet épuisant soliloque.

Mais la veille encore du jour de la décision, j’étais résolu à une soumission aveugle, entière, définitive. J’y voyais une volonté de Dieu exprimée par son Vicaire sur terre. Il me paraissait surnaturel d’abandonner le combat, de me renoncer sans limites, dans une obéissance qui irait à l’encontre même de mes certitudes les plus fondées, remettant à d’autres et à Dieu le souci de la doctrine et le soin du troupeau. Ce grand acte me paraissait doux, libérateur, il m’attirait par sa grandeur même. Mais ce jour-là, j’obtenai une audience dont j’attendais la plus sûre des directives. J’y fis part à mon auguste interlocuteur de ma résolution bien arrêtée de signer. Il m’interrompit fermement : « Vous ne le pouvez pas. Vous n’en avez pas le droit. » C’était clair, c’était formel et ce fut aussitôt motivé par les plus invincibles raisons qu’appuyaient l’autorité et l’exemple de Celui que j’écoutais : « Nous-mêmes l’avons écrit en son temps au Souverain Pontife : la cause de tout le mal est dans les Actes du Concile. Soyez ferme dans la vérité. »

En sortant, traversant la Place Saint-Pierre, j’eus l’impression que mon fardeau, un instant rejeté, pesait de nouveau sur mon épaule, et aussi que j’avais de nouveau retrouvé ceux que dans ma glorieuse soumission j’allais abandonner...

NI INSOUMISSION NI RÉVOLTE : UNE PLUS HAUTES OBÉISSANCE.

Le 6 juillet, l’âme en paix, je retournai au Palais du Saint-Office pour y apprendre la sentence de cette Cour Suprême de la Foi. Quelqu’un me transmit l’assurance des prières du Pape à mon intention et ajouta que Sa Sainteté avait elle-même atténué et approuvé la formule qui allait m’être proposée. Le Président lut ces quatre articles, puis chacun des Consulteurs me recommanda la confiance en l’Église et la soumission à son Magistère. J’obtins de me retirer une demi-heure dans la chapelle voisine pour prier. Là, mon devoir m’apparut clairement. II n’avait pas été rendu de jugement doctrinal sur mes écrits, mais les Cardinaux le donnaient à croire en m’infligeant comme une sanction la rétractation et la soumission qui devraient normalement suivre une condamnation. Me prêter à une telle parodie de Magistère serait me faire complice, contre l’Église, de l’injustice des hommes.

Je déclarai donc que je ne pouvais souscrire en conscience aucun des trois premiers articles ; je pouvais en revanche accepter le quatrième qui concernait le respect des personnes et ne touchait qu’à la forme - discutable, j’en conviens - de mes écrits. Je n’étais plus devant des hommes libres et bienveillants. Malgré qu’ils en aient, ils incarnaient la contrainte d’un Pouvoir supérieur qui exigeait obéissance et sujétion au-delà des limites sacrées de sa divine institution. Je dis : au-delà. En effet, sans qu’il ait été établi que les Actes de Paul VI et de Vatican II portant réforme de l’Église étaient couverts par l’infaillibilité de leur Magistère ni garantis par l’Assistance du Saint-Esprit, car cela n’est pas ; sans qu’on ait su davantage en établir l’accord avec la Vérité révélée ni la convenance avec la Sainteté de l’Église, ce dont on aurait été bien en peine, le Pouvoir romain, hors de lui, exigeait que je les tienne pour infailliblement vrais et saints, à l’encontre de ma raison, de ma conscience et de mon cœur ! Sans prisons ni bûcher c’était toujours l’Inquisition, mais dans l’injustice. Un catholique ne peut que protester à ce commandement exorbitant : « NON VOBIS LICET. NON POSSUM ! » II ne vous est pas permis d’exiger cela et je ne puis l’accepter !

Je n’entendis qu’à demi les plaintes que chacun fit sur moi, mêlées de sourdes menaces touchant mon avenir dans l’Église et mon salut éternel. Déjà parti, je revins sur mes pas, pour promettre de nouveau par écrit le plus rigoureux secret sur tous ces événements jusqu’à leur conclusion. J’espérai ainsi la conjurer, non pour moi ni pour les pauvres âmes broyées des fidèles, mais pour l’Église. Mon excommunication, pensai-je, aurait pour immanquable effet de canoniser d’une sorte d’infaillibilité subséquente et d’une nécessité irrévocable ce maudit Concile comme toute parole tombée de la bouche du Pape actuel. Comment, après la ruine, théologiens et historiens pourraient-ils alors excuser et justifier de cette faillite l’infaillible Magistère romain ? Cela n’était certes pas de ma responsabilité. À d’autres d’y penser avec l’assistance du Saint-Esprit. Du moins voulai-je en ce qui me concernait ne rien aventurer.

Dans cette séance dramatique, je n’avais pu que formuler un refus pur et simple : un refus du texte imposé, non de l’Autorité qui l’imposait, une désobéissance à un ordre particulier, non une révolte contre tout ordre venu d’En-haut. Ne parlons pas de l’intermède du 23 mai auquel fait allusion la Notification. Quand on m’envoya ce Cardinal Lefebvre qui se montre homme de doctrine à Rome et garant de tous les chambardements en France, pour me parler de soumission, je lui demandai d’abord s’il s’obstinait à soutenir de son autorité le Nouveau Catéchisme et la Note Pastorale française ; sur sa réponse affirmative, je le récusai comme mon juge et l’envoyé du Saint-Office. II ne faut tout de même pas exagérer !

Mais à l’ultimatum du Cardinal Seper que l’Évêque de Troyes me remit le 11 juillet, je répondis non par un acte de rébellion mais par une Profession de foi catholique qui manifeste ma soumission et mon obéissance à la Hiérarchie Apostolique dans toute l’immense étendue de ses Pouvoirs. Ceux qui prétendent y lire une “ révolte ” et “ un refus opposé à la légitime autorité de la Congrégation sacrée pour la doctrine de la foi ” en ont menti. Et la formule indélébile de leur mensonge est dans cette affirmation que mon texte contredit, comme la démentent toutes mes œuvres, toute ma vie : « L’abbé de Nantes, en date du 16 juillet 1969, récuse le droit de la Congrégation Sacrée pour la doctrine de la foi d’exiger de lui une soumission. » Oh ! je n’aurai garde de répéter à celui qui me frappe l’invective de saint Paul au Grand Prêtre : « Dieu te frappera, toi-même, muraille décrépie ! Eh quoi ! tu sièges pour me juger selon la Loi et, au mépris de la Loi tu me fais frapper ? » (Ac 23, 3). Non, je ne maudirai pas le Chef du Peuple de Dieu. Mais je ne puis que conclure : c’est un mensonge. Je ne suis pas un schismatique !

EXCOMMUNIÉ ?

Je rentrai en France. Ma mère même ne sut rien. Il me fallut alors décider d'une commande urgente de 7 tonnes de papier, et les Frères comprirent que la Contre-Réforme continuerait. Nous étions en pleine bataille du Catéchisme. Je riais vert en me rappelant les assurances que m'avait données le Saint-Office : jamais Rome ne laisserait publier un catéchisme hérétique ! Le français passait bel et bien tandis que le hollandais était répandu en tous pays. Le Credo de Paul VI était mort-né ; l'Encyclique restait discutée. Ce fut une furieuse année de lutte pour la foi catholique, marquée par la retentissante réunion de la Mutualité et le début de notre Croisade contre le Catéchisme hérétique. En me présentant à des salles combles, le Père Barbara soulignait que l'Orthodoxie de ma doctrine n’avait jamais été contestée par personne. Je songeais à la menace suspendue sur ma tête. J'espérais que la sagesse et la prudence romaines différeraient indéfiniment la sanction. Il fallut sans doute une forte pression de l’Épiscopat français, voulant briser notre Croisade. Entre lui et nous autres, le Pape dut choisir et ce fut l'ultimatum. Que je me soumette ou que je me révolte, je serais disqualifié...

Nous attendions une condamnation suivie de ces censures terribles dont presque personne ne s'est relevé dans l'histoire. Ce fut une “ Notification ” sans autre conclusion, après les plus graves accusations, que celle-ci : « La Congrégation constate avec une extrême tristesse qu'en se révoltant de la sorte contre le magistère de la hiérarchie catholique, l'abbé de Nantes disqualifie l’ensemble de ses écrits et de ses activités par lesquels il prétend servir l'Église, tout en donnant l’exemple de la révolte. » Le style, c’est l’homme. Au style je reconnais le Cardinal Lefebvre. La pensée s’y dérobe pour insinuer le sentiment outré de mon indignité.

DISQUALIFIÉ, DÉSAVOUÉ...

Ce “ désaveu ” unilatéral est, comme disait Bainville d’un autre diktat, “ trop fort pour ce qu’il a de faible, trop faible pour ce qu’il a de fort ”. Et c’est connu, les mauvais traités ne mettent jamais fin aux hostilités. Ils les enveniment et les font bientôt rebondir.

Trop fort pour ce qu’il a de faible, c’est sur des accusations vagues et sans preuves que ce communiqué me signale à l’attention de toute l’Église, moi le premier et jusqu’à présent le seul, comme un prêtre déshonoré. L’Auteur collectif de cette diffamation s’efforce d’ailleurs d’en éluder la responsabilité. À l’en croire, ce n’est pas l’arbitre qui endosse la responsabilité de cette décision singulière, inouie, c’est le joueur qui en est l’objet : ce prêtre révolté se disqualifie lui-même en prétendant servir l’Église tout en se révoltant. Admettons évident son crime. Ce n’est pas lui, c’est Rome qui l’en accuse et le proclame à la face de l’univers ! Même vrai, le fait lamentable ne devient que par la Note romaine un crime public, indiscutable, universel. Et que les Juges du Saint-Office n’accusent pas mais constatent, et qui plus est, avec une infinie tristesse, ajoute encore à l’odieux du crime qu’ils rapportent. Médisance ou calomnie, la puissance de déflagration de cette imputation officielle est incalculable.

Or cette accusation inouïe, unique, conclut un exposé des motifs trop faible pour la soutenir. Prêtre révolté : révolté par quoi ? Condamné pour ses erreurs : quelles erreurs ? Le terrible Saint-Office, jadis, définissait les erreurs sur lesquelles il condamnait leurs auteurs s’ils les reconnaissaient et maintenaient. La foi du peuple en était éclairée et les âmes demeuraient en repos. La dite Congrégation réformée déclare sa victime disqualifiée et la diffame mondialement sans citer ses erreurs. Déjà la médisance est forte et ses preuves trop faibles. Que sera-ce si l’on en croit la victime qui crie à la calomnie !

Trop faible pour ce qu’il a de fort, ce désaveu cloche des deux pieds : il n’en dit pas assez sur les accusations portées contre moi et que je nie. Il en dit trop sur les accusations que je porte et que je réitère contre ses auteurs à la fois juges et partie. Comme le boomerang, l’effet immédiat et certain de cette Notification sera de revenir frapper ceux qui l’ont lancée. L’incontesté, l’incontestable de l’affaire est d’abord ceci : un prêtre français se déclare publiquement et résolument opposé à l’Aggiornamento de l’Église et à ses Fauteurs. Dans le concert discordant des mille critiques journellement proférées contre la religion, celle-là seule fait l’objet d’une mise en garde des cardinaux approuvée par le Pape. Voilà un opposant, comme on dit, de classe internationale. Le texte, en six phrases, revient à trois reprises sur son opposition au Pape, et deux fois en mettant en cause la foi personnelle de Paul VI. C’est vraiment la proclamer urbi et orbi : « ... ses graves accusations d’hérésie portées contre le Pape Paul VI et le Concile. Les hérésies de Paul VI et l’appel au clergé romain en vue de sa déposition canonique... Sa révolte contre l’épiscopat de son pays et contre le Pontife romain lui-même. » Ainsi, par décision de la Sacrée Congrégation et du consentement de l’Intéressé, voilà le monde entier prévenu du litige : un prêtre signale les “ hérésies ” de Paul VI et rappelle qu’il appartient au clergé romain de déposer un pape hérétique ! Voilà qui est fort !

Or voici le faible : ce prêtre n’est ni excommunié, ni interdit, ni condamné à une suspense d’un mois ou d’une année. Rien. Aucune sanction canonique. La “ décision ” de l’Autorité Suprême tourne à l’indécision. Le rappel de l’accusation grave, très grave, la plus grave qu’il soit possible d’articuler contre la plus haute Autorité de l’Église sombre dans “ l’extrême tristesse ”, et laquelle ? celle que manifeste la Personne ainsi attaquée de voir disqualifiés par une telle accusation les minces écrits et menus travaux du prêtre son accusateur ! Ainsi déjà tournait court le communiqué de l’Épiscopat français du 8 mars 67 : « II n’y a donc pas lieu de prendre en considération ce qui est affirmé et développé dans ses lettres et on ne doit pas les faire circuler. » Déconsidérer, disqualifier, ce n’est pas rendre justice, c’est la refuser... ou la fuir !

JE SUIS DIFFAMÉ MAIS NON PAS EXCOMMUNIÉ.

J’ai cru à l’infaillibilité du Souverain Pontife et, dans cette épreuve décisive, je ne suis pas confondu. En effet, la conclusion de ce mauvais procès est, comme toute la vie de l’Église actuelle, en partie double. Il y a la Nouvelle Réforme et la Religion Catholique, le fort et le faible, l’humain et le divin. Malgré mes adversaires, à l’encontre peut-être de ses désirs, le Pape, Juge Suprême de toutes les causes ecclésiastiques, n’a pas voulu, ou n’a pas pu m’excommunier. Mais il a pu et il a voulu me dénoncer à l’opinion mondiale comme un ennemi.

Paul VI, Vicaire du Christ et Successeur de saint Pierre, n’a pas condamné l’abbé de Nantes, prêtre français traditionaliste. Il n’a pas jugé devoir retenir contre lui l’accusation d’“ erreurs ” ni de “ révolte ” et de “ refus catégorique de toute soumission ” que la Congrégation Sacrée pour la Doctrine de la foi retenait, au mépris de toute vérité, contre lui. Le Juge infaillible a dû constater la faiblesse voire l’inconsistance de ces imputations. Sans aller jusqu’à dire, comme nos Évêques nous le serinent à propos du Nouveau Catéchisme : il n’est pas condamné donc il est approuvé, nous devons conclure : dans les liens de la foi, de la vie sacramentelle et de la charité, le Souverain Pontife conserve l’abbé de Nantes uni à Lui comme un membre actif du Sacerdoce Catholique. En l’un comme en l’autre, l’Église vit et continue...

Paul VI, Pionnier de l’Aggiornamento, Prince de la Seconde Réforme et Docteur du Masdu, a voulu discréditer l’abbé de Nantes, pilier de la Contre-Réforme et ennemi farouche du Masdu. Il n’a pu accepter sans réagir les critiques publiques, continuelles et toujours plus violentes que ce prêtre multipliait contre le cours nouveau de l’Église, et en particulier contre sa mentalité et ses desseins personnels déclarés suspects d’hérésie. Le Pape Montini a évité de laisser cette controverse sur le terrain doctrinal et canonique des Lois et de la Foi de l’Église, ne s’y sentant assurément pas en position forte, même contre un simple prêtre. La forme de réprobation choisie, celle de la Notification d’un désaveu plus impressionnant que démonstratif, indique que l’animadversion du Pape et de son entourage pour le prêtre contre-réformiste est d’ordre personnel et privé. Le monde saura que le Pape Montini ne tolère pas d’être taxé d’hérésie dans ses idées et ses projets de Réformateur et qu’il exige d’y être suivi en tout et par tous. Ce n’est pas une décision d’Église, c’est une directive du Chef du Parti au pouvoir.

DEUX RELIGIONS, LA CATHOLIQUE ET LA RÉFORMÉE, EN UNE SEULE ÉGLISE

C’est la conclusion qui s’impose. N’ayant pas commis d’hérésie contre la Foi, je suis accusé d’erreurs contre la Réforme. N’ayant point fomenté de schisme contre l’Église, je suis accusé d’insoumission catégorique envers les Réformateurs. N’étant point excommunié par le Vicaire du Christ, je suis diffamé dans l’opinion mondiale par la réprobation de Paul VI, fondateur de l’Église Nouvelle pour le Monde Nouveau de ses rêves.

Il est certainement très pénible d’être ainsi réprouvés et persécutés pour des crimes imaginaires par nos Pères et nos Frères dans la foi. Ils ne nous supportent plus dans leur communion que par contrainte de l’Esprit-Saint et bien à contrecœur. Mais leur fureur sectaire nous persécute tant que nous ne voulons pas embrasser les idées et les desseins de la Réforme.

Mais, comme sainte Jehanne d’Arc dans les affres de son jugement et de ses prisons nous gardons, avec la grâce de Dieu, l’honneur et la joie de rester vrais fils de l’Église.

Abbé Georges de Nantes
Extraits de la CRC n° 24, septembre 1969, p. 1-9

  • Dans le tome 5 de La Contre-réforme Catholique au XXe siècle :
    • Procès au pape ?, n° 69, juin 1973, p. 3-12.
    • (en audio : Th 4bis : Le cas du pape hérétique, mutualité 1973, 2 h)
  • Dans le tome 1 de Resurrection :
    • Le cri de l'Église en péril d'apostasie, n° 16, avr 2002, p. 11-18 (En audio : A 96 : La succession du pape. 7 avril 2002. 1 h)
    • Enfants perdus de l'Église, n° 9, p. 2-5 : Détournement de pouvoir ; Soustraction d'obédience
  • L’appel du pape au pape  : la « ?grande affaire ?» de l’abbé de Nantes, Il est ressuscité ! tome 17,  n° 181, octobre 2017, p. 3-15

Références complémentaires :

  • Bilan d'une année folle… j'en appelle à Rome. Lettres à mes amis, tome 4, n° 240, janvier 1967, p. 1-8
  • Dans le tome 7 de La Contre-réforme Catholique au XXe siècle :
    • L'excommunier, n° 91, avril 1975
    • Si ton frère vient à pécher contre toi, avertis l’Église, n° 93, juin 1975
    • « Qu'il soit pour toi comme un excommunié », n° 94, juillet 1975