L'Évangile de saint Marc

XV. Conclusion mystique

DANS cette dernière conférence, il s’agit d’entrer dans le mystère du Christ, de comprendre quelle est la leçon essentielle de l’Évangile de saint Marc.

Notre-Seigneur était venu instaurer son règne qui est le règne de Dieu sur terre. Il est sorti pour cela, pour établir le règne de Dieu à la place du règne du démon et ce règne ici-bas doit engrener sur le règne éternel, sur le royaume de Dieu préparé pour les anges et les saints. Seulement, il n’y a pas que cela. Le Père a envoyé son Fils pour une chose plus compliquée.

Dans un premier temps, nous sommes saisis par le mystère de l’Incarnation. Jésus est le Christ, le Fils de Dieu et la pénitence par laquelle l’homme doit se retourner pour entrer dans ce règne est tout à fait primordiale. Au moment où l’homme se convertit, il reconnaît en Jésus le Fils de Dieu en qui Dieu se complaît. Les eaux du baptême sont comme purifiées par sa présence. En descendant dans les eaux du Jourdain, c’est comme si nous y descendions après Jésus, profitant de son passage pour être sanctifiés nous-mêmes par les eaux qu’il a consacrées. Ainsi nous devenons quelque peu membres de Jésus, nous devenons ses amis.

Dieu a voulu qu’il prenne une chair humaine pour avoir précisément ce contact avec nous. Ce toucher de la main du Christ qui apaise, qui guérit, est très impressionnant. [...] Ce sont les doigts que Jésus enfonce dans les oreilles du sourd pour qu’il entende, qu’il charge de sa salive pour toucher sa langue muette, les lèvres qui embrassent les enfants, son regard qui bouleverse les âmes. Il a pris un corps précisément pour nous atteindre, nous communiquer sa vie, pour nous adresser sa Parole. Et sa Parole, il en fait comme le sacrement des sacrements. Il s’est fait homme pour être ce semeur qui sème sa semence dans nos âmes. Le règne de Dieu arrive par cette parole installée dans nos âmes.

Cette parole, c’est son règne. Si cette parole survit, trouve ses racines, s’implante et grandit dans nos âmes, c’est son règne qui grandit. Tout est sauvé pour nous et en même temps, le salut de l’humanité se réalise par cette parole, de telle manière que saint Marc donne à cette parole une sorte d’existence comme sacrée, comme indépendante. Cependant, il nous dit que Jésus enseignait la parole sans nous dire ce qu’elle est.

Cette parole a un sens caché, on ne sait pas ce qu’elle veut dire, elle est comme dissimulée sous une enveloppe. La parabole est cette enveloppe brillante qui fait réfléchir mais qui empêche de voir précisément le germe qui est caché au fin fond de cette semence, qui n’apparaîtra que plus tard. La parole est comme le Corps vivant de Notre-Seigneur devenu notre propre existence. Voilà le mystère le plus profond de l’Incarnation. Par ses mains, par son regard, Jésus nous touche, nous séduit, nous attire. Par sa parole, il prend place en nous ; c’est une présence, une action du Fils de Dieu fait homme en nous. Cette parole constitue son règne mais elle n’a pas encore révélé ce qu’elle devait être. [...]

Quand saint Pierre dit : « Tu es le Christ », il semble que l’œuvre de Jésus a réussi, son programme est achevé, nous sommes à ses pieds et nous l’adorons : « Tu es le Christ, tu es le Sauveur ».

A ce moment-là, la semence dans nos cœurs éclate, le noyau même de la parole va se révéler à nous produisant en nous une grande déflagration. Jésus nous révèle ce pour quoi il a été envoyé. C’est tout à fait un mystère nouveau, c’est la Rédemption. Jésus est venu pour s’enfoncer dans la terre et y pourrir afin d’y donner du fruit.

Il n’est entré parmi nous que pour faire naufrage avec nous. C’est peut-être écrit dans les prophètes mais les Apôtres croyaient trouver en lui un Sauveur qui les ferait échapper au châtiment universel. Dans ce chapitre 8, Jésus les dissuade, et leur révèle la leçon intime de son Incarnation, c’est une Incarnation rédemptrice : il a reçu du Père l’ordre de se faire homme mais pour aller à la Croix, pour se faire arrêter, pour se faire trahir par Judas, livrer aux Grands Prêtres et être livré par eux à la mort.

C’est catastrophique. À partir du moment où Jésus l’a enseigné, il ne va plus se reprendre, sauf peut-être après cet instant de tentation que saint Pierre lui fait subir, tentation qu’il voulait éprouver dans son cœur d’homme, qui est en résonance avec la tentation des Apôtres et d’ailleurs celle de tout le genre humain : désirer implanter le royaume de Dieu, là tout de suite, afin que les âmes soient sauvées tout de suite et en grand nombre.

La volonté de son Père est contraire. Il faut que toute la pesanteur de l’être humain pèse sur lui, il faut qu’il échoue et qu’il nous entraîne dans sa perte. Personne ne peut le suivre sans prendre sa Croix. Voilà le mot lancé. Jésus a épousé la courbe déclinante de l’humanité et il va participer à la catastrophe. Pire que cela, il nous entraîne derrière lui comme implacablement dans cette catastrophe.

Pour se faire le disciple de Jésus il faut que nous allions jusqu’à mourir avec lui. Peut-être, dit-il, ressusciter après trois jours, mais cela nous ne le comprenons pas, il ne nous l’explique pas. C’est au-delà de l’horizon. Ce que nous voyons, c’est la chute, la passion et la mort, la sienne et la nôtre.

Là, vraiment, Jésus a épousé notre condition de pécheurs, il s’est fait l’un d’entre nous, il en a pris nos faiblesses. « Je suis humain comme vous, nous dit-il, je suis Fils de l’homme. Et l’homme que je suis est entraîné dans la grande chute universelle ». Cette espèce de fatalité vient de plus haut que lui, d’un ordre du Père ! Les Écritures qui l’annoncent, le prouvent. Voilà pourquoi Jésus ne va rien faire pour échapper à cet échec, il y va tout droit et nous montre que c’est notre destinée aussi.

Cette parole se révélant à nous dans sa substance, nous avons à choisir ou la révolte ou la soumission. Et si nous sommes orgueilleux, si notre esprit n’est pas le sien, comme celui de saint Pierre lorsqu’il était inspiré par Satan pour s’opposer à Jésus, nous l’abandonnons. Nous sommes de ces gens dont la semence est tombée sur trop peu de terre, elle a germé et elle a séché au premier soleil de l’adversité et de la persécution. Soit les hommes l’abandonnent parce qu’ils voulaient un succès, une victoire du Messie, et qu’ils n’acceptent pas la loi de Dieu qui est la Loi de l’échec, de la souffrance et de la mort, soit ils prennent le parti de le suivre et Jésus leur dit très clairement : il faut prendre sa croix.

C’est donc cela la loi de l’Évangile vraiment capitale, et si saint Pierre et les autres Apôtres ont prêché qu’eux-mêmes sont restés incrédules jusqu’au bout, c’est pour nous montrer quelle était la grande menace de l’humanité. Lorsque le Christ instaure son royaume par la souffrance et par la mort, il devient absolument catastrophique de refuser cette grande loi du châtiment du péché, de refuser de souffrir et de mourir et de nous séparer de lui, parce qu’alors il n’y aura plus de salut. Le Royaume de Dieu passe par ce chemin. Jésus passe par ce chemin et si maintenant nous n’acceptons plus cette loi, nous ne sommes plus disciples de Jésus mais nous serons en dehors du Royaume : « Celui qui croira sera sauvé, celui qui ne croira pas sera condamné. » Croire en quoi ? Croire en la Croix.

Alors il faut se faire le dernier, renoncer à soi-même, s’amputer même des membres, pour entrer dans le Royaume de Dieu et pour cela, il faut fuir l’ambition, les richesses, les voluptés. « On ne peut gagner sa vie à quelque prix que ce soit » « que sert à l’homme de gagner l’univers s’il vient à perdre son âme  », Ces deux versets sont savoir par cœur, c’est cela l’Évangile.

Quand nous en sommes à ce point, quand Jésus a bien expliqué à ses Apôtres qu’il fallait accepter cela avec une âme d’enfant, quand il leur a bien expliqué qu’ils ne pourraient pas le suivre s’ils étaient le moins du monde ambitieux, Jésus leur répète sa consigne qui est à la fois son mystère et donc leur vocation à eux : il ne faut pas venir pour être servi mais pour servir, il ne faut pas être le premier mais le dernier car « le Fils de l’homme lui-même », « l’homme que je suis » « est venu pour servir et pour donner sa vie en rançon pour la multitude  ».

C’est le sommet de l’instruction de Jésus sur sa Parole, sur son règne, sur son propre mystère, sur sa propre vocation et donc sur les nôtres. Il est venu pour servir, et pour donner sa vie, en faveur de la multitude, en rançon payant pour le péché de la multitude et payant par son propre sang. Alors après cette parole très mystérieuse, il entre à Jérusalem et il va accomplir ce qu’il a enseigné et révélé à ses Apôtres.

Il faut expier. Il n’y a que deux phrases de saint Marc qui présentent ce grand mystère, le mystère des mystères à savoir que Jésus, Fils de Dieu, s’est fait homme, Fils de l’homme, pour expier en rançon en faveur de la multitude. Aussi, il donne son Sang à boire et dit que c’est le Sang de l’Alliance ou du testament « qui est versé pour la multitude  ». Là se trouve la clé de voûte de tout le kérygme pétrinien

Donc c’était le Sang de Jésus dont était déjà aspergé figurativement le peuple de Dieu au Sinaï. Mais tant que le Sang de Jésus n’a pas coulé, la rançon reste à verser ; tout cet ancien ordre de chose était suspendu au sacrifice qu’il fallait que Jésus accomplisse. C’est en prévision de la Croix que Dieu donnait déjà sa grâce à tous ces sacrifices. Mais quand Jésus arrive, il porte le péché du monde et il porte déjà la responsabilité de toutes les grâces que Dieu a distribuées en voyant d’avance le sacrifice de son Fils. Jésus explique à saint Pierre qu’il n’est pas question, même si sa nature humaine est tentée d’éviter le sacrifice, de suivre la voie glorieuse parce que s’impose à lui quelque chose qui devient absolument le total de l’Évangile. Quand Jésus se met à remettre les péchés, lui aussi ajoute à la dette. Et quand il le fait sans aucune difficulté, d’une seule parole, d’un seul geste, il augmente la charge de ce qu’il va avoir à payer, parce qu’il faut qu’on paye !

Lorsque Dufour nous dit : « Non, ces deux paroles ne sont pas en situation, il faut les effacer de l’Évangile ! » À ce moment-là, tout l’Évangile perd sa signification. [...] Donc, pesait sur Jésus non pas une fatalité, mais une justice divine, et cette justice divine avait produit ses fruits excellents parce que depuis des siècles, les péchés de l’humanité étaient payés en vertu de cet accord, de de ce traité inégal selon lequel Dieu disait : « Je fais alliance avec vous et je vous pardonne vos péchés à condition cependant que vous fassiez ces sacrifices d’animaux, ces prières d’Eucharistie, d’holocauste, qui vous vaudront mon amitié. » Mais ces sacrifices d’animaux eux-mêmes n’étaient qu’un acompte sur ce qui devait être versé un jour et qui était le sang même du Fils de Dieu.

Pourquoi alors Notre-Seigneur ne l’a pas dit plus tôt ? Parce qu’il ne pouvait pas, il n’aurait pas été compris du tout. Il fallait qu’on commence par savoir que le règne de Dieu arrivait, qu’il était le Fils de Dieu fait homme. Après, à ce moment-là, il prépara ses Apôtres à ce châtiment qui allait arriver, parce que c’était lui qui devait connaître cet échec et cette catastrophe. Et c’est seulement quand ils ont été prêts à prendre ce même chemin, à être assez dociles pour accepter de ne pas être les premiers mais les derniers, de souffrir et de mourir, que Jésus a dit le mot d’une richesse formidable : « C’est par là que je vais sauver le monde et vous en me suivant ».

Alors, deux phrases suffisent, parce qu’il y a Isaïe chapitre 53. [...] Tout le chapitre d’Isaïe répète cette idée de rançon à plusieurs reprises et de bien des manières afin que cela reste gravé dans l’esprit du peuple de Dieu. Jésus mettait ses Apôtres sur le chemin de relire ce vieux texte :

Is. 52, 13 : « Voicique mon serviteur prospérera, s’élèvera et grandira beaucoup. »

Premier enseignement de Jésus, c’est le règne de Dieu qui va grandir, croître et s’étendre à toute la terre.

Is. 52, 14 -53, 3 « [...] Car nous l’avons vu [...] Homme de douleur et connu de la souffrance Comme ceux devant lesquels on se voile la face Tellement il était méprisé et déconsidéré. »

C’est le Jésus de l’agonie, c’est le Jésus de la Passion, ce Jésus que Pierre n’accepte pas.

Is. 53, 4- 53, 10 « [...] Yahweh s’est plu à l’écraser par la souffrance. »

Les Apôtres n’ont pas voulu accepter, tout d’abord, que Dieu se plaise à écraser son Fils par la souffrance. Jésus a dû les convaincre de lui donner leur foi et d’accepter eux-mêmes ce qui était tellement contre leur nature. Et voici le demi-verset qui est le plus important de la Bible :

« S’il pose ce sacrifice d’expiation, Il verra une postérité, il prolongera ses jours, Et ce qui plaît à Yahweh s’accomplira par lui. Après les épreuves de son âme, il verra la lumière et sera comblé.

« Par ses souffrances, mon Serviteur justifiera des multitudes »

C’est la parole même de Notre-Seigneur en faveur des multitudes, pour le grand nombre.

« En s’accablant lui-même de leurs fautes. »

C’est l’agonie. Il a pris le péché du monde sur lui, c’est prédit six siècles auparavant.

« C’est pourquoi je lui attribuerai des foules Et avec les puissants, il partagera les trophées de la victoire Parce qu’il s’est livré lui-même à la mort »

Ce mot livré revient dans saint Marc au moins vingt fois. Il est livré par Judas, par les Grands Prêtres, par les Romains, il livré comme saint Jean-Baptiste lui-même a été livré. Mais c’est lui-même qui s’est livré ici, en même temps que les autres l’ont livré, lui-même s’est livré quand repoussant saint Pierre, il a voulu prendre ce chemin marqué pour lui par les Écritures, parce que lui seul pouvait payer.

« Et a été compté parmi les pécheurs, Alors qu’il supportait les fautes de multitudes Et qu’il intercédait pour les pécheurs. »

Voilà le kérygme, voilà le message de saint Pierre et de saint Marc à Rome. Il est mort pour nos péchés parce que Dieu a voulu que son destin soit intimement lié à l’humanité, qu’il ne s’en sépare pas sous prétexte de la sauver, mais qu’il entre dans cette humanité, qu’il gémisse avec elle, qu’il porte son péché, qu’à lui seul il en fasse plus que tous afin de les sauver tous. Nous n’avons d’autre loi que de suivre Jésus dans sa Croix pour participer à son Royaume. Le Royaume de Dieu passe par ce chemin, c’est déjà le règne de Dieu dans l’âme de Jésus qui l’accepte et dans les Apôtres qui ne fuient pas et suivent Jésus. Le règne d’aujourd’hui est d’accepter les tribulations, les persécutions, la Passion et la mort parce que c’est la loi de Dieu et qu’elle est adorable. Ensuite viendra le Royaume.

C’est dans Isaïe et dans deux petites phrases de saint Marc, comme nous venons de le voir. Les modernistes qui sont gens pervers disent : « Ces deux petites phrases, Marc les a dites parce qu’il avait été longtemps compagnon de saint Paul et que c’était de la théologie de saint Paul ! » [...]

Au contraire, il faut dire que nous avons là un contact entre les paroles mêmes de Jésus dont témoignent Pierre et son rédacteur Marc, et d’autre part, que saint Paul exploite depuis vingt ans parce que cela fait la joie de son esprit théologique. Lagrange explique cela tellement bien dans son introduction à la page 145-146.

« Ce qui appartient en propre à Paul, c’est la théorie de la justification par la foi. » À cette théorie de l’expiation, saint Paul a ajouté quelque chose qui lui est tout à fait propre, et qu’on ne trouve pas dans l’Évangile : une fois que Jésus a accompli son sacrifice, nous ne pouvons chacun de nous en tirer les fruits que si nous avons foi en lui, et c’est par la foi que le sacrifice opère ses fruits en nous. « Voilà bien le paulinisme, c’est bien lui le premier qui a expliqué comment chacun devait s’approprier par sa foi individuelle, le bienfait propitiateur de la mort du Christ. Mais cette pensée précisément n’est pas dans saint Marc. »

Donc, ce qui est tout à fait propre à saint Paul, on ne le trouve pas dans saint Marc, ce n’est pas Jésus qui a dit que c’est par la foi que chacun pourra bénéficier du Sang du Christ. « Avant de concevoir cette théorie », de la foi par laquelle on puise dans les mérites du Christ, « il fallait admettre la valeur rédemptrice de la mort de Jésus. [...] »

« Marc insiste beaucoup sur les miracles et exorcismes de Jésus dont Paul ne parle jamais. Qu’au contraire, Marc ne fait pas à la résurrection la place qu’elle a dans la pensée de Paul ». Et voici une phrase qui est merveilleuse : « Sans doute cela tient à ce que Marc s’arrête où Paul commence. [...] »

Ma conclusion sera, que l’Évangile de saint Marc donne un kérygme extrêmement sévère. Malgré la finale, nous en restons dans le marasme, un peu comme dans ces psaumes, le psaume 38, qui se terminent dans le désespoir de l’homme qui invoque Dieu sans réponse. Nous en restons un peu dans cette parole, la dernière du Christ sur la Croix selon Marc, « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’avez-vous abandonné ».

Comment l’expliquer ? Cet Évangile contient quelque promesse d’un avenir merveilleux et éternel. Il est promis à Jésus-Christ : après trois jours, il ressuscitera ; il est promis aux fidèles du Christ. Ses disciples auront le centuple en ce monde, dit Jésus, avec des persécutions, et la vie éternelle. Ce sont comme les pierres d’attente de l’autre édifice, c’est-à-dire du deuxième tome que Marc n’a pas pu écrire.

A-t’il regretté de ne pas pouvoir l’écrire ? [...] Si j’en crois Lagrange, Marc s’arrête là où Paul commence et saint Paul va exploiter ce mystère du sacrifice rédempteur, pour expliquer aux chrétiens comment, même s’ils souffrent ici-bas, ils touchent déjà le salaire du Sang du Christ. C’est en leur faveur que le Christ a donné son Sang et les Apôtres aussi. Nous vivons de la grâce qui provient de ce sacrifice, et l’Église en vivra jusqu’à la fin des temps. Le deuxième tome, ce sont les Actes des Apôtres où l’on voit se relever cette l’Église qui a suivi le Christ jusqu’à son anéantissement.

Il était mieux que nous restions avec cette leçon qu’il nous faut mourir avec Jésus-Christ et porter notre Croix avec lui. Saint Paul a prêché la mort avec le Christ et l’ensevelissement avec le Christ pour être incorporé au Christ et ainsi vivre. On a retenu du message de saint Paul, cette joie formidable de la résurrection, Dieu l’a voulu. On ne peut pas vivre toujours avec un horizon de souffrance, de torture et de mort.

Mais il faut tout de même revenir à saint Marc avec saint Pierre qui nous donnent cette rude leçon de ce premier temps, c’est là le trésor caché du Sacré-Cœur de Jésus. Notre-Seigneur a eu son moment d’hésitation tragique, chapitre 8 de Marc. Quand Pierre lui proposait une voie facile, qui était en consonance avec tous ses désirs humains naturels, Jésus l’a écarté. Jésus n’a pas voulu être assisté à ce moment-là spécialement par l’Esprit Saint et Dieu ne l’a pas voulu non plus, il a connu cette chute dans l’agonie. Quand il s’en est relevé, il était tout glorieux et fort pour affronter ses ennemis comme un souverain et pour aller à la mort sans aucune faiblesse. C’est très beau.

Seulement, à ses intimes par la suite des siècles, Jésus ne parlera pas du triomphe et de sa force athlétique. Jésus les ramènera à l’agonie avec Lui. C’est là que se révèle son Cœur. Le Cœur de Dieu ne se révèle pas tellement dans les moments heureux. L’amour ne se prouve pas par des caresses et des baisers, l’amour se prouve par le sacrifice de la vie, par le don de soi, par le Cœur éclaté. Et il suscite un amour aussi profond, c’est l’amour de celle qui se brise pour ainsi dire elle-même pour répandre tout son parfum sur la Face de celui qu’elle aime. Et ainsi l’amour du Père est satisfait par le sacrifice de son Fils. Ce n’est pas tellement la colère et la justice de Dieu qui sont satisfaites, c’est l’amour du Père pour le Fils car le Fils lui manifeste le plus grand amour qu’il est possible à un Fils de Dieu fait homme, il donne son Sang, il donne toute sa vie par obéissance à son Père et pour celle que Dieu lui a donnée pour épouse, l’humanité pécheresse personnifiée par Marie-Madeleine, c’est le secret de son Cœur.

Mais lorsque Jésus se révélera à sainte Mechtilde, à sainte Gertrude, à sainte Marguerite-Marie et à tous les autres, lorsqu’il révélera son Cœur, et son Cœur souffrant toutes les amertumes qu’il a souffertes dans son agonie, Jésus n’inventera pas quelque chose de nouveau, ce ne sera pas une révélation nouvelle par rapport à l’Évangile, cette révélation se trouve déjà au centre de l’Évangile. Jésus attendait que le monde ait besoin de cette Révélation pour porter l’attention de son Église au point focal de tout le mystère de l’Évangile. Et on se rappellera à ce moment-là qu’il avait annoncé qu’il était venu pour servir et donner sa vie en rançon pour la multitude. Et qu’en répandant son Sang dans la coupe de bénédiction, il le fait boire à ses Apôtres en leur disant que c’est le Sang de la Nouvelle et Éternelle Alliance, du Testament par lequel l’humanité est rassemblée autour de lui et réconciliée avec Dieu par son Sang, c’est-à-dire par son sacrifice très pénible, mortel.

La conclusion donnée à sainte Gertrude, sainte Mechtilde, sainte Marguerite-Marie et les autres est qu’on ne peut pas aimer Jésus sans aller à sa suite. On ne peut pas prendre un chemin différent comme le signifie le vase d’albâtre brisé : Marie-Madeleine ne peut pas vivre quand Jésus meurt. Et par derrière Marie-Madeleine, la pudeur des Apôtres laisse dans le secret la Vierge Marie qui ne peut pas être à une autre place, même si Marc ne la nomme pas par précaution. Elle ne peut pas être à une autre place qu’au pied de la Croix, unissant sa compassion à la Passion du Christ. Tels sont les mystères d’agonie, de charité du Cœur de Jésus et du Cœur Immaculé de Marie et du Cœur très aimant de Marie-Madeleine et de tous les saints.

L’Évangile de Marc se termine donc par une seule leçon : il faut que nous ayons le courage de prendre notre Croix, de suivre Jésus-Christ. Si nous sommes des disciples, pour être crucifiés avec lui et si nous sommes de saintes femmes, pour répandre tout le sang de notre cœur en compassion et en amour à Jésus qui nous sauve par sa sainte Croix. Que ce soit la grande résolution de notre vie. Ainsi soit-il !

Abbé Georges de Nantes
S 90 : L'Évangile selon saint Marc, retraite automne 1986