Enquête sur la monarchie

MaurrasEn 1900, Maurras entreprend une Enquête sur la Monarchie, d’abord auprès des représentants du Prince pour apprendre de bonne source ce que serait une monarchie française moderne, puis auprès de ses amis nationalistes pour savoir ce qu’ils y objecteraient.

Il va voir les monarchistes et les républicains, ceux qui le sont et ceux qui ne le sont pas, il leur pose la question : la monarchie traditionnelle, dynastique, antiparlementaire et décentralisée ne serait-elle pas le remède, le salut de la France ? Il écoute la réponse avec beaucoup de courtoisie, écoute tout ce qu’ils disent et ensuite, il reprend très clairement, très charitablement, il critique la critique et il les convertit. (Toussaint fondatrice de la Phalange, 1984)

RETOUR À LA MONARCHIE

Éditée en 1900, rééditée en 1909, 1924, 1928, L’Enquête a l’immense et rare mérite de la clarté, de la logique, de la simplicité des preuves ; elle a aussi le charme convaincant d’une suite de dialogues honnêtes, intelligents, poursuivis pendant des années, et dont les éditions ultérieures font connaître l’aboutissement. C’est le récit passionnant du réveil nationaliste monarchiste en France au XXe siècle, sous l’impulsion d’un esprit vraiment royal et d’un cœur ardent.

Les événements, et souvent les aveux du personnel républicain, n’ont cessé d’en enrichir la preuve. La restauration de la monarchie, selon le mot du marquis de la Tour du Pin, « c’est la voie du salut bien repérée ». Maurras inlassable en reprendra la démonstration avec toujours plus de précision et de clarté, mais aussi avec des formules chaque fois plus heureuses.

Maurras, observant la France, a vu que la République la tenait la tête en bas, les pieds en l’air, la Liberté en haut, l’Autorité en bas : anarchie dans l’État, tyrannie dans la vie des particuliers. Et il a voulu que la Monarchie restaure l’Autorité dans l’État et rende au peuple ses Libertés. C’est vrai, et c’est sauveur...

« La révolution rédemptrice », le mot est de Maurras au Congrès de la Ligue d’Action française de 1907. Il désigne l’action vigoureuse qui doit libérer « la Patrie et l’Église » des forces occultes et du système politique qui les asservissent et les corrompent. Pour revenir à un ordre, à une paix, à un bonheur de vivre qui étaient dans notre tradition catholique et française, depuis toujours. Restaurer « le gouvernement sain et moralisateur nécessaire à notre peuple pour demeurer sain et moral » (Enquête sur la Monarchie).

Il reste que le Pouvoir est tenu par une oligarchie qui n’entend pas s’en laisser dépouiller. Le premier but nationaliste est donc tracé : chasser cette oligarchie de l’État et, pour ce faire, abattre le système républicain. Tel est le sens premier du politique d’abord.

« LE ROI EN SES CONSEILS »

« Le premier Bien Public de la France », c’est « la sécurité ». Il lui faut donc d’abord un État qui l’assure « de ne point être envahie », un État qui soit au mieux réglé et agencé pour traiter convenablement et souverainement, selon le seul intérêt national, les questions hautes, délicates, difficiles, explosives, de la Paix et de la Guerre, et qui en détienne seul les instruments, Diplomatie et Armée... Car dans ces affaires se trouvent engagés l’avenir et la vie même de la Nation.

Or la démocratie, républicaine ou plébiscitaire, s’avère incapable d’assurer cette première fonction vitale. L’Histoire de France le prouve assez. De 1636 à 1792, sous la monarchie des Bourbons, la guerre se déroule toute hors des frontières, le territoire français est épargné, grâce à cette diplomatie royale qui a pour elle le secret, l’unité et la continuité des vues et leur proportion au seul intérêt national. Mais dès la proclamation de la Révolution commence la série noire des invasions étrangères. Aux dates fatidiques de 1792, 1814, 1815, 1870, Maurras ajoutera, le cœur broyé, 1914 et plus tard 1940, 1944. Par quelle fatalité ? Aucune ! Par l’absurdité et l’impéritie du régime républicain.

« On peut définir la vraie République par la domination des intérêts, passions, volontés des partis sur l’intérêt majeur du peuple français, son intérêt national tel qu’il résulte des conditions de la vie du monde. Quel est cet intérêt ? La défense de la paix, la garantie du territoire l’emportent sur tout. » (Enquête)

Après les événements lourds de menaces de Fachoda et d’Agadir, Maurras démontra l’incohérence de la diplomatie républicaine entre 1895 et 1905 dans Kiel et Tanger. Dans ce maître ouvrage de politique extérieure, il y avertit la France d’avoir à choisir sa voie et de s’y tenir, au lieu d’aller d’une Angleterre qui convoite l’empire des mers et lui raflerait volontiers ses colonies, à une Allemagne qui réarme en vue d’écraser la France une nouvelle fois pour ensuite dominer l’Europe. (CRC n° 160)

Les brasiers, les flots de sang de 1914-1918, de 1940-1944, et la suite de nos désastres coloniaux vérifieront ses analyses. Cette diplomatie qui varie au gré des ministères, qui provoque l’Angleterre au-delà des mers sans penser à se donner une marine, et qui affronte l’Allemagne au même moment où l’armée de terre est amoindrie, affaiblie et discréditée, cette diplomatie ne peut conduire qu’à de sanglants désastres.

Le nationalisme intégral de l’Action française conclut dès 1900 à la nécessité de la monarchie pour sauver la France de la guerre, pour sauver la paix.

La République c’est le règne de l’étranger. La République est « le régime des six invasions »

« LE PEUPLE EN SES ÉTATS »

« Le second Bien Public de la France », ce sont « les libertés ». « Notre essentiel vital qui est de ne pas être envahis, nous a contraints à concentrer les pouvoirs confédéraux et fédéraux, disons mieux nationaux, dans l’enceinte de l’unique État royal. Alors décentrons tout le reste. Que tout ce qui n’est pas essentiel à cette autorité protectrice de la sûreté nationale revienne donc à chacun de ses maîtres normaux : provinces, villes, pays, villages, métiers, associations, corps, compagnies, communautés, églises, écoles, foyers, sans oublier la personne de chacun de nous, citoyens et hommes privés. Tout domaine que l’État s’est approprié indûment doit être redistribué entre tous, dans la hiérarchie de la puissance et des compétences de chacun. » (Enquête).

L’habitude nous fait perdre de vue et ne ressentir qu’aux moments où nous sommes personnellement et douloureusement atteints, l’état de dépendance mentale, morale et religieuse, physique même, où le régime républicain tient les Français. Ils ne peuvent bouger pied ni poing sans la permission de ce système aux cent mille bureaux qui les réduit à un esclavage si constant, si enveloppant qu’ils ne songent même pas à s’en indigner, à se révolter. Il leur est devenu impensable de refuser l’impôt, la sécurité sociale, le régime scolaire et jusqu’à l’instituteur que l’État a choisi pour leurs enfants. Selon sa pente naturelle, l’État républicain régit les chemins de fer, l’électricité, les tabacs ! il se fait propriétaire terrien, accapareur, banquier monopolistique, tout ce pour quoi il n’est pas fait et qu’il gère mal par une nuée de fonctionnaires mal payés, mécontents.

Régime électif, l’État démocratique doit tenir les citoyens, dont la souveraineté est à la source de son pouvoir, dans la plus étroite sujétion. Régime métaphysique, il doit tenir les consciences et les façonner à son idéal, contre toute pensée libre et contre toute Église capable de le fronder. Régime alimentaire, il doit être la Providence et le fournisseur de tout et de tous. « L’État démocratique tend à devenir l’échanson et le panetier universel » (Enquête)

Il faut retrouver l’ordre : l’autorité en haut, les libertés en bas ; la Monarchie au sommet de l’État, les Républiques à la base, « le Roi en ses Conseils, le Peuple en ses États ». Alors les Français découvriront comme il fait bon vivre librement mais en sécurité, fraternellement mais en dehors des vaines luttes de partis et de classes, protégés en haut contre les immenses périls qui guettent continuellement toute nation heureuse, et en bas rendus à leurs intérêts, à leurs initiatives, à la gestion de leurs affaires.

DICTATEUR ET ROI

Il faut donc renverser la République et rappeler le Roi. En 1900, le Prétendant existe, il est reconnu sans discussion par l’ensemble des monarchistes et la République, en le contraignant à l’exil, achève de le désigner à l’attention des Français. Bonheur suprême, le duc d’Orléans est « légitimiste » convaincu. Maurras et ses amis mènent donc, pleins d’espoir, leur « complot à ciel ouvert » contre la République, et avec d’autant plus de vigueur qu’ils ont vu et démontré au long de l’Affaire Dreyfus que la République constituait, à toute heure du jour et de la nuit, un perpétuel et sanglant complot contre la France et les français au bénéfice de l’Etranger et des quatre États Confédérés.

Faire la Royauté, il le faut mais comment ? Par le roi lui-même. Maurras se souvient de Monsieur Thiers, assurant que lorsque tout serait bien en ordre et la France relevée de sa défaite, lui, Thiers, rappellerait le Roi. Eh ! quoi, comme une potiche précieuse à ne replacer sur la table qu’après la lutte ? Or Monsieur Thiers avait conservé le Pouvoir tant qu’il avait pu, il avait fait fusiller 7000 communards, creusant un fossé entre le pays, compromis avec la bourgeoisie d’affaires, et le prolétariat. Mais il n’avait pas ramené le Roi. Au contraire, il avait installé la République des Partis. Celui donc qui devait prendre le Pouvoir et rétablir l’ordre, ce devait être le plus tôt, le plus vite, le plus complètement possible, le Roi lui-même. Pour faire le grand nettoyage ? certainement. Pour courir le grand risque ? sans aucun doute. Ou alors, que le dictateur d’occasion le cède dès que possible au Roi ! Le Roi ferait le dictateur ? Oui !

Car tel peut être, dans un temps de crise, « le rôle momentané du régime traditionnel. » (Enquête) Pour sauver l’ordre français, une opération chirurgicale, rude, violente, sanglante si nécessaire, doit être menée d’abord. Les royalistes le savent parfaitement. À moins que quelque grand désastre n’en joue le rôle purificateur, mais à cette idée nul d’entre eux ne peut se résoudre. Il faut neutraliser l’Anti-France, il faut priver les États Confédérés de leur pouvoir sur l’armée, la police, les journaux ; il faut chasser les politiciens de la Chambre et mettre fin au parlementarisme. Proclamer la déchéance de la République, prendre en mains les rênes de l’État.

Maurras étudie en 1907 Si le Coup de Force est possible, et en examine les diverses solutions praticables. « Ce coup apparaît à tous les patriotes sensés, à ceux qui savent ce qu’ils veulent et qui le veulent sérieusement, la condition première de la monarchie nationale, comme la monarchie est elle-même la condition première de tout ordre et de tout bien public. » (Enquête) Il est possible. Il faut y travailler.

Cependant, il faut le rappeler parce que c’est tout à son honneur, et qu’il faut l’inscrire au crédit de sa sagesse, Maurras a toujours subordonné ce complot contre l’État Républicain, l’État incapable et funeste, aux intérêts supérieurs de la Patrie elle-même. Contre « la politique du pire » il n’a jamais admis, à l’encontre des hommes de parti, qu’on se réjouisse et accentue et alourdisse les malheurs de la Patrie pour aider au renversement du régime. C’est sa fameuse doctrine de « l’union sacrée » qui a ramené l’Action française, lors des guerres étrangères et dans tout péril moral, au service loyal de l’État, même républicain. Non pas pour sauver la République, mais pour sauver la France ; car s’il n’y avait plus de France, si nous étions allemands ou russes, ou si la France était définitivement livrée à l’anarchie, alors nous ne serions plus rien et il deviendrait inutile d’être royalistes.

La question de Maurras demeure : Oui ou non, l’institution d’une monarchie traditionnelle, héréditaire, antiparlementaire et décentralisée est-elle de salut public ?

« Quand Maurras, en 1900, posait dans son Enquête sur la monarchie, à des représentants qualifiés du pays réel, sa Fameuse question : “ Oui ou non, l’institution d’une monarchie traditionnelle, héréditaire, antiparlementaire et décentralisée est-elle de salut public ? ” la qualification primordiale de traditionnelle ne pouvait, ne devait rien dire d’autre que religieuse, catholique, sacrale, car la Monarchie française est née, n’a vécu et ne revivra que du sacre de Reims, de l’Église mère et de Dieu. » Point 82 de l'ancienne version des 150 points de la phalanage.

C’est pour la France et non contre elle qu’il faut lutter. Contre le laïcisme et la centralisation républicaine, au nom de la Vraie religion, pour qu’elle reprenne sa grande mission dans le monde de « Fille aînée de l’Église », de « Tribu de Juda de la Nouvelle Alliance », de « Royaume du Christ qui aime les Francs », véritables paroles inspirées de saint Pie X à la France, qui raniment notre courage. (CRC n° 107)

Abbé Georges de Nantes
Extraits de la CRC 102, 160

  • PC 63 : La France, de 1900 à 1914, Camp d'août 2001, 17 h (aud./vid.)
    • 2e conférence : Charles Maurras avant l'Action Française

Références complémentaires :

  • PC 22 : Maurras, de A jusqu'à Z, Camp N-D de France, 1983, 20 h30, (aud.)
    • 7e conférence : L'enquête sur la monarchie
  • À qui appartient Maurras ?, CRC tome 8, n° 102, février 1976 (En audio : D 4 : Les grands débats de ce temps, 1 h 30)
Un bon exemple de politique maurrassienne actualisée par l'abbé de Nantes :
  • Pour un nationalisme catholique, CRC Tome 7, n° 100, Dec 1975, p. 1-19 (en audio : D 2, grande réunion de la mutualité)
  • Authenticité française, CRC Tome 8, n° 112, Decembre 1976, p. 1-22 (en audio : AF 1)