Contre-révolution mariale

LA deuxième apparition de Notre-Dame de  Fatima, du 13 juin 1917, est la révélation de son Cœur Immaculé. Après avoir dit à Lucie : « Mon Cœur Immaculé sera ton refuge et le chemin qui te conduira jusqu’à Dieu », Notre-Dame « ouvrit les mains et nous communiqua, pour la deuxième fois, écrit Lucie, le reflet de cette lumière immense. En Elle, nous nous vîmes comme submergés en Dieu...

« Récitez le chapelet tous les jours. »

« Devant la paume de la main droite de Notre-Dame se trouvait un Cœur entouré d’épines qui semblaient s’y enfoncer. Nous avons compris que c’était le Cœur Immaculé de Marie, outragé par les péchés de l’humanité, qui demandait réparation.

« Il me semble que ce jour-là, ajoute Lucie, ce reflet avait pour but principal d’infuser en nous une connaissance et un amour spécial envers le Cœur Immaculé de Marie ; de même que les deux autres fois, il avait eu ce même but, mais par rapport à Dieu et au mystère de la très Sainte Trinité. Depuis ce jour, nous sentîmes au cœur un amour plus ardent envers le Cœur Immaculé de Marie. »

Douze ans plus tard, le 13 juin 1929, Lucie se trouvait au noviciat des sœurs de sainte ­Dorothée, à Tuy, petite cité espagnole. « Ce fut à cette époque que Notre-­Seigneur m’avertit que le moment était venu où il voulait que je fasse connaître à la sainte Église son désir de la consécration de la Russie et sa promesse de la convertir. »

Le « moment venu » était celui de l’irrésistible ascension de Staline au sommet de l’État soviétique. Épuration, persécutions, famines firent quinze millions de victimes entre les années 1929 et 1933. En outre, le goulag comptait alors des dizaines de millions de condamnés aux travaux forcés de l’industrialisation à outrance décrétée par le plan quinquennal de 1928.

« De la Russie tourmentée, exténuée, écrit l’abbé de Nantes, la Vierge Marie est établie gardienne. Elle saura l’exorciser, la délivrer par la Puissance divine dont elle est Médiatrice. Il lui suffit que cette possédée lui soit consacrée, officiellement, par le Pape et les évêques du monde libre. Libre, mais infesté par Satan. Là est le point noir, le seul point noir dont dépendent l’avenir du monde et le salut de millions d’âmes. »

Quatre-vingt-dix ans ont passé, et le « point noir » s’étend désormais jusqu’à aveugler Pape et évêques de l’Église catholique romaine : « On ne peut se consacrer qu’à Dieu créateur, non à une créature, car ce serait de l’idolâtrie », écrit l’abbé Laurentin dans sa préface à l’encyclique Redemptoris Mater, de Jean-Paul II.

C’est vrai, à moins que la « Mère du Rédempteur » soit la Mère de « Dieu Créateur » lui-même, et qu’elle soit donc de la famille de Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit ! Le Père Céleste considère la Vierge Marie comme sa fille. Bien entendu, elle est sa créature. Elle ne “ procède ” pas de son sein comme le Fils, mais “ Immaculée Conception ”, elle jaillit de la commune Toute-Puissance du Père, du Fils et du Saint-Esprit, comme une projection à l’extérieur d’eux-mêmes de ce que les trois Personnes divines ont pu concevoir de plus saint, étant eux-mêmes trois fois Saints. Elle est vraiment leur enfant.

Elle n’est pas l’épouse du Père, mais le Père lui donne son Fils à enfanter tout d’abord. « Ecce ancilla Domini. » Voici la servante du Seigneur. Son « service » consiste à donner une chair semblable à la sienne au Fils de Dieu, à le former de son propre être. Elle est Mère de Dieu. Mais quand cet enfant né de son sein prend stature d’adulte, c’est un homme à l’image et ressemblance de son Père, nouvel Adam venu épouser l’humanité tout entière, et donc, au premier chef, celle qui en est la personnification la plus parfaite, la Vierge Marie. Ces épousailles se célèbrent sur la Croix où Jésus donne son sang pour la Vierge Marie, lui méritant plus excellemment qu’à nous tous, non pas d’être purifiée, mais « achetée » de tout péché, Immaculée. Selon le langage mystique des psaumes, du Cantique des cantiques, de l’Apocalypse, c’est alors qu’elle devient réellement l’Épouse de Jésus-Christ, du Fils de Dieu, du Verbe, Nouvelle Ève et Reine : « Astitit Regina a dextris Regis in vestitu deaurato, circumdata varietate. » Elle est là qui se tient à la droite de son Fils, « toute vêtue de brocards d’or aux mille couleurs » (Ps 44, 10).

« Dum esset Rex in accubitu suo, quand le Roi était dans mes bras, nardus mea dedit odorem suavitatis, mon parfum a exhalé son odeur suave. » (Ct 1, 12) Tandis que la Mère de Dieu tient l’Enfant Jésus en ses bras, après sa naissance à Bethléem, après sa descente de croix au Calvaire, il est son Fils selon le « service » de la chair, mais il est son Époux selon l’onction de l’Esprit : ce Fils la remplit de l’Esprit du Père et du Fils, vivifiant et fécondant, afin qu’elle devienne un même esprit avec son Jésus, disant “ Abba ”, Père, sur le Cœur de Jésus, dans le sein de son Époux, ne faisant plus qu’un même Cœur avec Lui, sous le regard tendre et bon du Père Céleste qui se réjouit de leur union.

Elle est comblée de l’Esprit-Saint par Jésus, son Époux, afin de devenir Mère de génération en génération, Mère comme Dieu est Père. Et Reine parce que son Époux et Fils est le Roi, Seigneur des seigneurs.

« Déjà, le Ciel nous est révélé, c’est le Cœur de Marie où réside la Sainte Trinité qu’elle adore, contemple, aime. Aussi bien le Ciel c’est Dieu dans ses relations avec la Vierge. Dans ce foyer d’amour et de gloire, la Vierge très Sainte dans son corps et son âme, toute sa personne vivante, est l’objet d’un triple amour, d’une triple contemplation du Père, du Fils et du Saint-Esprit, se récréant dans leur œuvre commune, chacun s’appropriant le Cœur de Marie. Le Père la considère comme sa fille ; le Fils la considère comme sa mère, sa sœur et son épouse ; le Saint-­Esprit la considère comme sa colombe, son temple, sa propriété. » Elle est divinisée (abbé de Nantes, 1er novembre 1982).

C’est pourquoi se consacrer à Dieu, c’est entrer dans cette famille divine de la Sainte Trinité par la divine porte de ce Cœur Immaculé. C’est l’antidote du « culte de l’homme » proclamé par le pape Paul VI au concile Vatican II. Pour nous guérir de cette autolâtrie, « Dieu veut établir dans le monde la dévotion au Cœur Immaculé de Marie » (13 juin 1917).

L’abbé Laurentin ne lisait pas l’abbé de Nantes, son confrère de séminaire. Ce “ mariologue ” patenté réprouvait le zèle de saint ­Maximilien-Marie Kolbe exhortant ses fils à se consacrer à l’Immaculée : « Agissons en sorte que notre consécration à l’Immaculée soit de plus en plus totale. » (6 novembre 1937) « Chaque âme qui se donne sans limite à l’Immaculée témoigne ainsi que c’est en elle et par elle qu’elle désire trouver le Seigneur Jésus et par Jésus parvenir à Dieu le Père. » (20 juin 1937) « Sois sûr que celui qui appartient à l’Immaculée ne sera jamais perdu, mais que plus il sera à Elle, plus il sera à Jésus et au Père. » (10 novembre 1935)

Or, Notre-Dame l’a dit dans son grand Secret du 13 juillet 1917 : « Le Saint-Père me consacrera la Russie... » Promesse irrévocable, prophétie certaine qui s’accomplira à l’heure de Dieu.

En attendant... revenons au Synode, qui doit commencer par une « phase diocésaine ». Nous allons donc recevoir des questionnaires sur nos “ doléances ” comme en 89 ! Eh bien, une seule demande instante : celle de la consécration de la Russie au Cœur Immaculé de Marie, qui attend toujours, depuis bientôt cent ans. Or, il n’y a pas d’autre programme de renouveau pour l’Église en vue du salut du monde que d’obéir aux demandes du Ciel, transmises par Lucie, François et Jacinthe, les trois saints enfants de Fatima.

Les grands projets “ synodaux ” du pape François s’écroulent avant d’avoir vécu. Mais nos humbles prières et sacrifices sont peut-être en train de satisfaire à la justice de Dieu et de gagner ses miséricordes pour tout le genre humain. C’est ce que sainte Thérèse appelait « jeter des fleurs » :

« Mes peines et mes joies, mes petits sacrifices, voilà mes fleurs ! »

Que sont donc ces « fleurs » ?

D’abord la récitation quotidienne du chapelet. À chacune de ses apparitions, Notre-Dame insiste.

Le 13 juillet 1917 : « Dites-le avec l’intention d’obtenir la fin de la guerre. Seule l’intercession de la Sainte Vierge peut obtenir cette grâce. »

Ensuite, faire des sacrifices. Dès sa deuxième apparition, l’ange prépare les enfants à leur vocation de victimes réparatrices : « Offrez sans cesse au Très-Haut des prières et des sacrifices ! » Cet appel s’adresse à tous ceux qui entrent profondément dans l’esprit de Fatima. Le grand élan qui les anime est celui d’un amour consolateur et réparateur. Dieu souffre de tant d’outrages, de sacrilèges et d’indifférences ! Consolons son Cœur... Tant de pécheurs sont en péril de tomber en enfer ! Réparons pour eux.... « Tant de monde dans l’enfer ! Tant de monde, s’exclamait Jacinthe... Ah ! si nous pouvions, avec nos sacrifices, fermer pour toujours les portes de cette terrible fournaise ! Si nous pouvions faire que tous les pécheurs prennent le chemin du Ciel ! »

« Consoler Notre-Seigneur qui est si affligé à cause de tant de péchés », s’attendrir sur le Cœur Douloureux et Immaculé de Marie apparue le 13 juin 1917 entouré et blessé d’une couronne d’épines, voilà notre vocation.

Moyennant quoi, Dieu ne peut rien refuser à ses enfants qui cherchent à consoler son Cœur de si touchante et méritante manière. À cette vue, sa justice se change en miséricorde et le châtiment décrété fait place au salut du monde.

Enfin, se consacrer au Cœur Immaculé de Marie. « Vous verrez saint Joseph et l’Enfant-Jésus prêts à donner la paix au monde », avait promis Notre-Dame le 19 août. Mais à la condition annoncée aux enfants le 13 juillet : « Je viendrai demander la consécration de la Russie à mon Cœur Immaculé et la Communion réparatrice des premiers samedis. Si l’on écoute mes demandes, la Russie se convertira et l’on aura la paix. »

Tel est le bon plaisir de Dieu, qui décide souverainement du culte que l’Église doit lui rendre pour lui être agréable et obtenir ses grâces. Ainsi, Dieu veut l’exaltation de la Vierge Marie, sa Mère. Il veut qu’un culte lui soit rendu, magnifique et multiple, populaire, traditionnel, public et universel.

Notre-Dame a aimé les rubans qui ornaient le chêne-vert, l’arc rustique dressé par la brave Maria Carreira, et ses lanternes qui y brûlaient nuit et jour. Elle a demandé qu’on élève « une chapelle et qu’on fasse deux brancards de procession pour solenniser la fête de Notre-Dame du Rosaire ». Elle a fait jaillir une source abondante sur le plateau désert où il lui plaisait de voir se rassembler de grandes foules en son honneur.

La Mère et son Fils ont les mêmes pensées, les mêmes goûts ! Elle désire une dévotion toute semblable à celle que le cœur de Jésus demandait à Paray-le-Monial il y a trois cent cinquante ans : que les chrétiens marquent cinq premiers samedis du mois par une confession et une communion réparatrice, et d’abondantes grâces leur seront données au moment de la mort. Qu’on lui consacre la Russie, et on aura la paix !

C’est tout le “ secret ” de la restauration d’une Église aujourd’hui « à moitié en ruine ». À moitié seulement signifie qu’elle reste la sainte Église catholique indestructible, à laquelle Jésus a promis que les « portes de l’Enfer ne prévaudront pas contre elle ».

« Tu diras au monde entier que le Bon Dieu veut accorder ses grâces par le Cœur Immaculé de Marie, recommandait Jacinthe à Lucie, avant de mourir. Qu’on ne doit pas hésiter à les lui demander. Que le Cœur de Jésus veut être vénéré avec celui de sa Mère. Que les hommes doivent demander la paix à ce Cœur Immaculé parce que Dieu la lui a confiée. »

Le pape François tient en main la paix et le salut du monde. Notre Père le disait déjà du pape Paul VI en 1967, au lendemain du pèlerinage, ou plutôt : du voyage médiatique de ce Pape à Fatima pour le cinquantenaire des apparitions, où il avait demandé la paix aux « hommes », et le lendemain éclatait la guerre des Six Jours ! Notre Père écrivait dans la Lettre à mes amis du 5 juin 1967 :

« L’Église détient dans sa main la paix et le salut du monde. Il suffit qu’elle développe immensément le culte et la dévotion aux Saints Cœurs de Jésus et de Marie au lieu de se profaner dans le service, le culte et l’amour de l’Homme et du Monde. Si elle se convertissait de cette maladie qui la dévore, si elle allait à Fatima pour y méditer et pour y suivre le Message que la Reine du Ciel lui adressait il y a cinquante ans, mon Dieu, que l’avenir serait beau ! Du moins, sans attendre, prions, faisons pénitence, consacrons-nous et dévouons-nous à la Vierge Immaculée. Et si nous sommes dans la peine, pensons aux petits voyants de Fatima !

« Mais mon cœur s’en va, mon cœur s’en va dans la lumière, car j’entends le chant d’une voix très pure. C’est la voix de sœur Lucie dans son carmel [aujourd’hui dans le Ciel], bienheureuse au milieu de nos tristesses qu’elle partage. Elle chante un couplet des bergères portugaises, un couplet qui évoque pour elle ce qu’elle n’a pu oublier, ce à quoi “ elle ne cesse pas un instant de penser ”, Fatima, l’ange du Portugal, la Dame si belle et la gloire de Dieu entrevue, et maintenant retrouvée :

« “ Je suis une pauvre pastourelle. – Je prie sans cesse Marie. Je marche au milieu du troupeau – Comme le soleil de midi. ” » Telle est la vocation de nos petites sœurs, à jamais ! frère Bruno de Jésus-Marie.

« JE CROIS L’ÉGLISE SAINTE »

LA seule pensée d’appartenir  à l’Église suffit à renouveler la jubilation de notre âme, car l’Église est sainte, semblable à son Époux Jésus-Christ dont elle a reçu une telle ressemblance qu’il n’y a rien au monde d’aussi beau, d’aussi sage, d’aussi majestueux que son visage et tout son être. Elle est notre Mère, et j’ajoute : elle est l’Épouse unique, incomparable, elle seule est sainte, sage, su­blime, laissant loin dans leurs ténèbres dé­cevantes fausses religions et philosophies. En elle se trouve réuni et prospère tout ce que le monde a de meilleur. Les divers biens qui composent la civilisation et la culture, la prospérité et la science, les techniques et les arts mêmes nous viennent d’elle qui les a créés ou, dans une moindre mesure, sauvés des sociétés éphémères où d’abord ils avaient paru. De quelque côté que je me tourne, je ne trouve d’assurance et d’espérance qu’en elle. Ses deux mille ans de gloire, son expansion merveilleuse jusqu’aux extrémités de la terre répondent à mes doutes et calment mes inquiétudes. Il y a là une force divine, mais c’est trop peu dire...

En cette Épouse vit l’Esprit de son Époux, Jésus, “ cet homme que Dieu a accrédité auprès de nous par les miracles, prodiges, et signes qu’Il a opérés par lui au milieu de nous ” (Ac 2, 22), homme comme jamais n’en a paru ni n’en paraîtra sur terre, tendre, sage et fort. L’Église en tout elle-même rayonne de la vie, de la santé, de la splendeur de Jésus-Christ et l’enfant revient sans cesse en ses bras, boire aux mamelles gonflées du lait de sa doctrine et de sa charité.

L’Église ! aussitôt que nous parlons d’elle ou que nous sommes réunis pour chanter les louanges de Dieu, nous éprouvons la joie d’une pure fraternité. La race, la couleur, le rang, les dons, la richesse, toutes ces distinctions s’effacent dans la mesure même où s’exprime notre foi en elle, notre culte, notre soumission. Sa maternité nous donne de communier jusqu’à l’intime de nos êtres et, ne faisant plus qu’un cœur et qu’une âme, de nous sentir agrégés à ce même Corps dont Jésus est la Tête, dont l’Esprit-Saint est la Vie. Alors, tous, nous vibrons à l’unisson, d’une ineffable harmonie sous la touche suave de cette Auguste Personne divine. C’est la Charité, amour spirituel et parfait.

L’Église est dans toutes les fibres de notre cœur, c’est ce que nous aimons sur terre le plus ; de notre mémoire, c’est le trésor de ses dogmes, de ses liturgies, de ses hymnes et de ses images saintes, de ses édifices merveilleux ; de notre volonté, ce sont ses commandements et toute sa discipline séculaire, ordonnance révérée qui nous guide infailliblement sur la voie du Ciel ; de notre intelligence enfin car la sagesse de sa Parole nous enivre nuit et jour de son “ vin aromatisé ”, faisant germer en notre être la pureté des vierges et la fécondité des mères, par l’effet d’une grâce intime qui accepte et vivifie ce que du dehors cette auguste Mère nous donne.

Tant que cette émotion sainte me saisira tout entier, comme une conviction absolue, un attachement souverain, un amour qui passe l’entendement, une volonté de mourir s’il se peut un jour martyr d’amour pour cette Mère admirable, qui me contesterait ce caractère d’être enfant de l’Église Catholique, Apostolique et Romaine ? Il m’appartient et nul ne peut me le ravir ! Est-il un sacrement, une liturgie, un seul de ses gestes maternels qui me trouve rebelle ou seulement rétif ? Je pleure plutôt d’admiration et d’extase à la moindre de ses caresses.

Même si elle me frappe, j’y trouve ma joie car elle me corrige et m’éprouve pour mon bien. Est-il un de ses dogmes qui ne soit imprimé dans mon esprit de manière irréformable maintenant, avec la grâce de Dieu ? Chaque fois que je prends dans la bibliothèque immense de ma Mère l’œuvre d’un de ses docteurs ou de ses saints, je demeure sous le charme et dans l’éblouissement de ces cascades de splendeurs.

Mon âme est celle du disciple qui boit avec avidité, sans lassitude, les eaux vivifiantes de ses Écritures. Je consens aussi dans ma volonté à tous ses désirs ; ses lois et ses vertus sont près de moi, tels des pédagogues savants et exigeants, que j’aime et respecte.

Ah ! ce n’est pas dire que je suive leurs conseils, leurs ordres même ! Sans cesse, je le confesse le cœur navré de douleur, humblement, sans cesse je blesse et bafoue par ma conduite exécrable ces servantes et ces maîtres que ma Mère me donne. Mais je le regrette. Jamais cependant je n’ai discuté, aux pires moments de mes péchés même, l’opportunité, le bien-fondé, la sagesse de ce qu’ils m’enseignent et me prescrivent en son Nom.

Seul cet amour violent que j’ai pour ma Mère me porte à déchirer, arracher de sur son visage et son corps magnifiquement ornés par Dieu même, les oripeaux infâmes, les voiles souillés et sacrilèges dont le Monde et le Siècle prétendent les recouvrir. Ah ! c’est bien volontiers que je souffre, que j’excuse les défauts et les manquements de mes frères comme je prie Dieu chaque jour et les prie eux-mêmes de me pardonner les miens, pires à coup sûr. Mais les souillures de ses petits enfants n’atteignent en aucune manière la pureté parfaite de leur mère et ce n’est point de cela que souffre l’Église. Ses mains qui sans cesse lavent les pécheurs demeurent toujours lumineuses d’une douce blancheur. Les millions de misères de ses milliards de fils à travers les temps n’ont en rien altéré la splendeur immense de ce Temple Saint de Dieu, tandis que leurs millions de prières, d’œuvres bonnes et de pénitences la rehaussent à mes yeux de coloris nouveaux, de miroitements éclatants. Admirable elle a été, elle est, elle sera, en ses pauvres membres humains, parce qu’elle n’a conservé d’eux et rendu immortelle que la part de vérité et de bonté que Dieu avait fait naître en eux et fortifiée.

Mais ce qui n’est pas bon, ce qui n’est pas juste, c’est que ses fils se dégoûtent de leur Mère et parlent d’en changer. Comment les suivre en une telle voie ? Le nouveau inventé à l’encontre de l’ancien et de l’immuable, le particulier forgé à l’encontre de l’universel est impie. “ Quod ubique, quod semper, quod ab omnibus teneamus ”, le vieux principe de saint Vincent de Lérins chante dans nos cœurs après avoir été la lumière de quinze siècles. Main courante à laquelle nous nous accrochons, après tant d’autres qui lui ont demandé dans les grandes vicissitudes de l’Histoire leur sécurité ! “ Ce qui est partout, ce qui a toujours été, et de la part de tous, voilà ce que nous tenons pour notre foi ! ” Hérétique, novateur ou apostat celui qui refuse cette maxime sacrée ! Fils de l’Église, celui qui y tient. Mais aussi, qu’ils sachent, ceux qui trouvent cet “ intégrisme ” risible, dépassé, stérile et ennuyeux, qu’ils ont fait naufrage dans la foi car le mépris de l’Église de toujours est une insulte à Jésus-Christ. Au contraire, elle est inexpugnable, cette fidélité, et nul ne pourrait, pas même un Ange, chasser de l’Église celui qui s’y tient avec amour.

De siècle en siècle ont paru d’étranges docteurs et prophètes de Mensonge. Peut-être jamais comme en notre temps ils n’ont répandu à grand bruit et grands gestes des doctrines, des liturgies, des méthodes nouvelles, inspirées ou imposées par le Siècle présent et le Monde d’où ils venaient. Ils se disent l’Église, et qui ne les croit pas se voit déclaré schismatique. Ils dominent parfois quelque temps et dans quelque nation. Alors leur propagande couvre le murmure des eaux calmes de Siloé, prières et gémissements des saints ; alors ils ne connaissent plus de mesure. Ils prétendent choisir au Seigneur une épouse nouvelle, une fille bien en chair et provocante, qu’ils préfèrent cent fois à la Mère incomparable, dont le visage reflète cependant la beauté céleste et la sagesse ineffable de son Époux. Mais ils en ont perdu l’affection. Jésus doit, pour se justifier devant la génération présente, répudier l’Épouse de deux millénaires “ féodaux ” et “ obscurs ”, mais ce qu’ils lui ont préparé pour nouvelle épouse n’est qu’une fille publique, déjà connue, et soutenue encore par les hommes arrogants de ce Monde satanique.

J’irai maintenant jusqu’au bout de mon cri. Je plaiderai pour ma Mère. Il y a chez nous trop de petits enfants qui crient et trépignent parce qu’on leur a enlevé leur Mère et qu’on veut les jeter dans les bras d’une prostituée. À cette marâtre qui ne les aime point il faudrait qu’ils sourient et lui disent “ maman ”, mais ils pleurent et réclament celle qui leur a donné la vie de leur âme et les a nourris, veillés, soignés, éduqués et chéris. Tant de gens qui entrent dans la chambre nuptiale et n’ont que mépris pour l’Épouse légitime, la Mère sainte et sans tache, sont à bafouer Jésus-Christ. S’il avait pensé changer d’épouse au cours de l’histoire, il nous en aurait avertis ! Mais certes la conduite et les propos de cette “ Église nouvelle ” nous donnent bien à entendre qu’à un si monstrueux échange nous n’aurions rien gagné. Elle ne cesse d’insulter, d’accabler l’Église Virginale et Maternelle parce qu’au long des âges elle n’a voulu et n’a su plaire, environnée de chasteté, qu’à son seul Époux ! Elle prétend faire adopter par le Fils de Dieu les enfants de ses prostitutions qu’elle a eus des idoles après lesquelles elle courait... Elle ignore et ses courtisans avec elle, de quel amour profond, sûr, secret, le Christ et l’Église, l’Époux et l’Épouse s’aiment mutuellement et combien leurs enfants sont heureux auprès d’eux, sans rêver de meilleur bonheur, éprouvant aux moindres alarmes la terreur de voir surgir l’Étranger, le Ravisseur !

Abbé Georges de Nantes.
(Lettre à mes amis no 134,
19 mars 1963)