Il est ressuscité !

N° 234 – Juillet 2022

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


Le rêve du pape

NOTRE Saint-Père le pape François répond paternellement à nos interrogations par une Lettre  apostolique adressée « aux Évêques, Prêtres et Diacres, aux personnes consacrées et aux fidèles laïcs, sur la formation liturgique du Peuple de Dieu ».

« Très chers frères et sœurs,

« par cette lettre, je désire vous rejoindre tous – après avoir déjà écrit uniquement aux évêques après la publication du Motu proprio Traditionis custodes – et je vous écris pour partager avec vous quelques réflexions sur la liturgie, dimension fondamentale pour la vie de l’Église. Le sujet est vaste et mérite d’être examiné attentivement sous tous ses aspects ; toutefois, dans cette lettre, je n’ai pas l’intention de traiter la question de manière exhaustive. Je souhaite plutôt offrir quelques pistes de réflexion qui puissent aider à la contemplation de la beauté et de la vérité de la célébration chrétienne. » ( n° 1)

LA LITURGIE : « L’AUJOURD’HUI » DE L’HISTOIRE DU SALUT.

Sous ce titre, suit une magnifique « contemplation de la beauté et de la vérité » de ce “ Mysterium Fidei ” :

« “ J’ai désiré d’un grand désir manger cette Pâque avec vous avant de souffrir !  (Lc 22, 15) Ces paroles de Jésus par lesquelles s’ouvre le récit de la Dernière Cène sont la fissure par laquelle nous est donnée la surprenante possibilité de percevoir la profondeur de l’amour des Personnes de la Sainte Trinité pour nous. » ( n° 2)

« Fissure » perçue à Fatima par Lucie, François et Jacinthe, dès 1916, par le ministère de l’Ange du Portugal, après sa troisième apparition. Les enfants avaient récité, agenouillés et le visage contre terre, la prière que cet Ange leur avait apprise lors de sa première apparition : « Mon Dieu, je crois, j’adore, j’espère et je vous aime. Je vous demande pardon pour ceux qui ne croient pas, qui n’adorent pas, qui n’espèrent pas, qui ne vous aiment pas. » Soudain, raconte Lucie, « nous vîmes briller au-dessus de nous une lumière inconnue. Nous nous sommes relevés pour voir ce qui se passait et nous avons revu l’Ange qui tenait dans sa main gauche un calice sur lequel était suspendue une Hostie de laquelle tombaient quelques gouttes de Sang dans le calice.

« Laissant le calice et l’Hostie suspendus en l’air, il se prosterna près de nous jusqu’à terre et répéta trois fois cette prière :

« Très Sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, je vous adore profondément, et je vous offre les très précieux Corps, Sang, Âme et Divinité de Jésus-Christ, présent dans tous les tabernacles de la terre, en réparation des outrages, sacrilèges et indifférences par lesquels il est lui-même offensé. Par les mérites infinis de son très Saint Cœur et du Cœur Immaculé de Marie, je vous demande la conversion des pauvres pécheurs.

« Puis, se relevant, il prit de nouveau dans ses mains le calice et l’Hostie. Il me donna la sainte Hostie et partagea le Sang du calice entre François et Jacinthe en disant :

« Mangez et buvez le Corps et le Sang de Jésus-Christ horriblement outragé par les hommes ingrats. Réparez leurs crimes et consolez votre Dieu. » C’était une “ première communion ” qui offrait à ces enfants « la surprenante possibilité de percevoir, comme écrit le Saint-Père, la profondeur de l’amour des Personnes de la Sainte Trinité » pour eux.

L’année suivante, lors de sa première apparition, le 13 mai 1917, « Notre-Dame ouvrit les mains pour la première fois et nous communiqua, comme par un reflet qui émanait d’elles, une lumière si intense que, pénétrant notre cœur et jusqu’au plus profond de notre âme, elle nous faisait nous voir nous-mêmes en Dieu, qui était cette lumière, plus clairement que nous nous voyons dans le meilleur des miroirs. » Nouvelle “ fissure ” donnant accès au Très Saint-Sacrement par la Très Sainte Trinité :

« Alors, par une impulsion intime qui nous était communiquée, nous tombâmes à genoux et nous répétions intérieurement : “ Ô Très Sainte Trinité, je Vous adore. Mon Dieu, mon Dieu, je Vous aime dans le Très Saint-Sacrement. ” »

Le Saint-Père continue :

« Pierre et Jean avaient été envoyés pour faire les préparatifs nécessaires pour manger la Pâque, mais, à y regarder de plus près, toute la création, toute l’histoire – qui allait finalement se révéler comme l’histoire du salut – est une grande préparation à ce repas. »

Ce numéro 3 de la Lettre apostolique s’accorde avec le numéro 9 de nos 150 Points, selon lequel : « L’ordre naturel n’a été créé que pour être le piédestal de l’ordre surnaturel. »

Le Pape poursuit : « Pierre et les autres se tiennent à cette table, inconscients et pourtant nécessaires : tout don, pour être tel, doit avoir quelqu’un disposé à le recevoir. Dans ce cas, la disproportion entre l’immensité du don et la petitesse du destinataire est infinie et ne peut manquer de nous surprendre. Néanmoins, par la miséricorde du Seigneur, le don est confié aux Apôtres afin qu’il soit apporté à tout homme et à toute femme. » (ibid.) C’est ici la pensée maîtresse du Saint-Père, que fonde une tradition immémoriale, rappelée par l’abbé de Nantes :

« Dans le climat de l’Ancien Testament comme aussi dans celui du paganisme antique, le symbolisme de ce repas sacrificiel était accessible et parfaitement clair à tous. À Pâques, les Juifs ne mangeaient-ils pas l’Agneau immolé ? et, faisant mémoire des bienfaits innombrables de leur Dieu, ne célébraient-ils pas le don de la manne dans le désert ? Rien ne leur était donc plus familier que cette sorte de repas commémorant l’Alliance du Dieu Unique et Vrai avec Israël, la célébrant comme un événement passé mystérieusement rendu présent, et renouvelant cet engagement solennel pour en recevoir en retour les bénédictions de Dieu. » (Georges de Nantes, Les saints mystères du Corps et du Sang du Seigneur, nouvelle théologie de l’Eucharistie, CRC n° 116, avril 1977, p. 14)

Le Pape insiste : « Personne n’avait gagné sa place à ce repas. Tout le monde a été invité. Ou plutôt : tous ont été attirés par le désir ardent que Jésus avait de manger cette Pâque avec eux : Il sait qu’il est l’Agneau de ce repas de Pâque, il sait qu’il est la Pâque. C’est la nouveauté absolue de ce repas, la seule vraie nouveauté de l’histoire, qui rend ce repas unique et, pour cette raison, ultime, non reproductible : la Dernière Cène ”. »

Pourtant, Jésus donnera l’ordre de le reproduire : « Faites ceci en mémoire de moi », pour une raison que le Pape explique aussitôt :

« Cependant, son désir infini de rétablir cette communion avec nous, qui était et reste son projet initial, ne sera pas satisfait tant que tout homme, de toute tribu, langue, peuple et nation (Ap 5, 9) n’aura pas mangé son Corps et bu son Sang : c’est pourquoi ce même repas sera rendu présent, jusqu’à son retour, dans la célébration de l’Eucharistie. » ( n° 4)

Afin d’y renouveler son sacrifice rédempteur en faveur de toute âme, de toute tribu, langue, peuple et nation.

D’où le souci du Pape de réunir tous les hommes, tous, si c’est possible : « Le monde ne le sait pas encore, mais tous sont invités au repas des noces de l’Agneau (Ap 19, 9). Pour être admis au festin, il suffit de porter l’habit de noces de la foi, qui vient de l’écoute de sa Parole (cf. Rm 10, 17) : l’Église taille ce vêtement sur mesure, avec la blancheur d’un tissu lavé dans le Sang de l’Agneau (cf. Ap 7, 14). »

Le pape François dévoile ici la pensée qui commande toute cette longue Lettre apostolique : « Nous ne devrions pas nous permettre ne serait-ce qu’un seul instant de repos, sachant que tous n’ont pas encore reçu l’invitation à ce repas, ou que d’autres l’ont oubliée ou se sont perdus en chemin dans les méandres de la vie humaine. »

Il manque, dans cette énumération, ceux qui refusent de se rendre à cette invitation, en toute connaissance de cause, désignés et condamnés sévè­rement par Jésus, dans la parabole évangélique (Mt 22, 1-14) et aujourd’hui renouvelé par nous-mêmes, qui sommes catholiques et français de père en fils depuis quinze siècles, et qui ne nous déplaçons plus pour nous rendre aux noces de l’Agneau le dimanche. C’était la hantise de notre Père. Cependant, le pape François poursuit sa chi­mère unanimiste, en se citant au n° 27 d’Evangelii gaudium : « “ J’imagine un choix missionnaire capable de transformer toute chose, afin que les habitudes, les styles, les horaires, le langage et toute structure ecclésiale [catholique ou non !] devienne un canal adéquat pour l’évangélisation du monde actuel, plus que pour l’auto-préservation ” [le Pape désigne sous ce terme la défense de la foi catholique jadis assurée par le Saint-Office aboli par le pape Paul VI] : afin que tous puissent s’asseoir au repas du sacrifice de l’Agneau et vivre de Lui » sachant que « toute réception de la communion au Corps et au Sang du Christ a déjà été voulue par Lui lors de la Dernière Cène » (nos 5 et 6).

Dans le Discours sur le Pain de vie que Jésus prononça à Capharnaüm, au lendemain de la multiplication des pains, cette invitation est présentée par Jésus comme une question de vie ou de mort... éternelle : « Je suis le Pain de vie. Qui vient à moi n’aura jamais faim ; qui croit en moi n’aura jamais soif. » (Jn 6, 35) La Parole de Dieu, descendue du Ciel et qui donne la vie éternelle à ceux qui la reçoivent avec foi, c’est Jésus lui-même. C’est pourquoi « si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous » (Jn 6, 53).

« “ Mais il en est parmi vous qui ne croient pas.  Jésus savait en effet dès le commencement qui étaient ceux qui ne croyaient pas et qui était celui qui le livrerait. Il ajoutait : Voilà pourquoi je vous ai dit que nul ne peut venir à moi, si cela ne lui est donné par le Père.  Dès lors, beaucoup de ses disciples se retirèrent, et ils n’allaient plus avec lui. » (Jn 6, 64-66)

Le pape François leur trouve une excuse : « Le contenu du Pain rompu est la croix de Jésus, son sacrifice d’obéissance par amour pour le Père. Si nous n’avions pas eu la dernière Cène, c’est-à-dire si nous n’avions pas eu l’anticipation rituelle de sa mort, nous n’aurions jamais pu saisir comment l’exécution de sa condamnation à mort a pu être l’acte d’un culte parfait, agréable au Père, le seul véritable acte de culte. »

Pourtant saint Pierre, dont François est le successeur, n’a pas attendu « la dernière Cène » pour croire : « Jésus dit alors aux Douze : Voulez-vous partir, vous aussi ?  Simon-Pierre lui répondit :  Seigneur, à qui irons-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. Nous, nous croyons, et nous avons reconnu que tu es le Saint de Dieu.  Jésus leur répondit : N’est-ce pas moi qui vous ai choisis, vous, les Douze ? Et l’un d’entre vous est un démon.  Il parlait de Judas, fils de Simon Iscariote ; c’est lui en effet qui devait le livrer, lui, l’un des Douze. » (Jn 6, 67-71)

Et Judas accomplira son forfait après avoir pris part à la “ dernière Cène ”.

« Quelques heures seulement après la Cène, les Apôtres auraient pu voir dans la croix de Jésus, s’ils avaient pu en supporter le poids, ce que signifiait pour Jésus de dire : corps offert ”, “ sang versé ”. C’est de cela que nous faisons mémoire dans chaque Eucharistie. Lorsque le Ressuscité revient d’entre les morts pour rompre le pain pour les disciples d’Emmaüs, et pour ses disciples qui étaient retournés pêcher des poissons et non des hommes sur la mer de Galilée, ce geste de rompre le pain leur ouvre les yeux. Il les guérit de l’aveuglement infligé par l’horreur de la croix, et les rend capables de voir  le Ressuscité, de croire en la Résurrection. » Mais pas Judas !

« Si nous étions arrivés d’une manière ou d’une autre à Jérusalem après la Pentecôte et que nous avions ressenti le désir non seulement d’avoir des informations sur Jésus de Nazareth, mais plutôt le désir de pouvoir encore le rencontrer, nous n’aurions eu d’autre possibilité que celle de rechercher ses disciples pour entendre ses paroles et voir ses gestes, plus vivants que jamais. Nous n’aurions pas d’autre possibilité de vraie rencontre avec Lui que celle de la communauté qui célèbre. C’est pourquoi l’Église a toujours protégé comme son trésor le plus précieux le commandement du Seigneur : Faites ceci en mémoire de moi ”.

« Dès le début, l’Église était consciente qu’il ne s’agissait pas d’une représentation, aussi sacrée soit-elle, de la Cène du Seigneur. Cela n’aurait eu aucun sens, et personne n’aurait pu penser à “ mettre en scène ” – surtout devant les yeux de Marie, la Mère du Seigneur – ce moment le plus élevé de la vie du Maître. Dès le début, l’Église avait compris, éclairée par l’Esprit-Saint, que ce qui était visible en Jésus, ce qui pouvait être vu avec les yeux et touché avec les mains, ses paroles et ses gestes, le caractère concret du Verbe incarné, tout de Lui était passé dans la célébration des sacrements (saint Léon le Grand). » (nos 7-9)

LA LITURGIE : LIEU DE RENCONTRE AVEC LE CHRIST.

Sous ce titre, le Pape montre que la communion au Corps et au Sang du Christ est le fruit des sacrements institués par Jésus :

« C’est là que réside toute la puissante beauté de la liturgie. Si la Résurrection était pour nous un concept, une idée, une pensée ; si le Ressuscité était pour nous le souvenir du souvenir d’autres personnes, même si elles faisaient autorité, comme par exemple les Apôtres ; s’il ne nous était pas donné aussi la possibilité d’une vraie rencontre avec Lui, ce serait comme déclarer épuisée la nouveauté du Verbe fait chair. Au contraire, l’Incarnation, en plus d’être le seul événement toujours nouveau que l’histoire connaisse, est aussi la méthode même que la Sainte Trinité a choisie pour nous ouvrir le chemin de la communion. La foi chrétienne est soit une rencontre avec Lui vivant, soit elle n’existe pas. » ( n° 10)

« La liturgie nous garantit la possibilité d’une telle rencontre. Un vague souvenir de la Dernière Cène ne nous servirait à rien. Nous avons besoin d’être présents à ce repas, de pouvoir entendre sa voix, de manger son Corps et de boire son Sang. Nous avons besoin de Lui. Dans l’Eucharistie et dans tous les Sacrements, nous avons la garantie de pouvoir rencontrer le Seigneur Jésus et d’être atteints par la puissance de son Mystère Pascal. La puissance salvatrice du sacrifice de Jésus, de chacune de ses paroles, de chacun de ses gestes, de chacun de ses regards, de chacun de ses sentiments, nous parvient à travers la célébration des sacrements. Je suis Nicodème et la Samaritaine au puits, l’homme possédé par des démons à Capharnaüm et le paralytique dans la maison de Pierre, la femme pécheresse pardonnée et la femme affligée d’hémorragies, la fille de Jaïre et l’aveugle de Jéricho, Zachée et Lazare, le bon larron et Pierre pardonnés. Le Seigneur Jésus qui, immolé sur la croix, ne meurt plus, et qui, avec les signes de la passion, vit pour toujours, continue à nous pardonner, à nous guérir, à nous sauver avec la puissance des sacrements. C’est la manière concrète, par le biais de l’incarnation, dont il nous aime. C’est la manière dont il assouvit sa propre soif de nous qu’il avait déclarée sur la croix (Jn 19, 28). » (nos 10-11)

« Notre première rencontre avec sa Pâque est l’événement qui marque la vie de nous tous, croyants dans le Christ : notre baptême. Il ne s’agit pas d’une adhésion mentale à sa pensée ou l’acceptation d’un code de conduite imposé par Lui. » ( n° 12)

Cette expression du « choix missionnaire » de François efface les frontières entre confessions « chrétiennes », après avoir qualifié d’ « auto-préservation » la profession de foi et de mœurs « catholiques » prononcée par les parrain et marraine du nouveau-né, renouvelée lors de la communion solennelle de l’adolescent. « Il s’agit plutôt d’être plongé dans sa passion, sa mort, sa résurrection et son ascension. » C’est bien l’enseignement de saint Paul, en effet. Mais en quoi le baptême est-il contraire à « l’auto-préservation » du « dogme de la foi » promise au Portugal jusqu’à la fin du monde, par Notre-Dame de Fatima, et à l’ « adhésion mentale » de l’acte de foi, d’adoration, d’espérance et de charité à la pensée du Christ et à son « code de conduite » évangélique que sont les Béatitudes ? Notre Père partageait ce souci du Saint-Père sans les exclure, en “ frère universel ”, disciple de saint Charles de Foucauld :

« J’aimerais dire que le païen, le juif, le mu­sulman, bref l’homme universel, dans sa condition historique, va au baptême comme on se jette à l’eau n’en pouvant plus. Pour quitter la vie, le monde, pour en finir. Les Pères, dans leurs catéchèses baptismales, insistaient sur cet aspect mortifiant de l’eau dans laquelle devaient être immergés les catéchumènes. Comme le Pharaon avec ses cavaliers est englouti par la mer qui se referme sur eux. Comme les eaux du Nil sur lesquelles fut exposé Moïse en détresse, comme la mer en furie où est jeté Jonas... Mais ainsi suicidé à une intenable vie, le baptisé est retiré des fonts comme un noyé sauvé des eaux, comme Moïse sauvé du Nil, comme Jonas que le mystérieux Poisson recueillit et rejeta sur la plage, surtout comme le peuple hébreu sortant de la mer Rouge libéré de la captivité, échappé à ses poursuivants, sauvé : cette eau est vivifiante parce que la horde des malheureux Hébreux, soumis aux corvées, à la servitude et à l’idolâtrie en terre égyptienne, passent à pied sec à travers la mer et se retrouvent de l’autre côté constitués en peuple nouveau, en peuple de Dieu. Ce sont là des figures du Mystère ; elles révèlent son sens d’une mort volontaire au passé et d’une résurrection miraculeuse à une vie donnée d’en haut.

« Nous avons l’impression que dans les temps de la Rome païenne et décadente cette liturgie se comprenait très bien. Le dégoût des vices les plus odieux, universellement répandus (croyons-nous !) dans le paganisme, l’avortement, l’esclavage, la violence, et la répulsion pour un monde décadent dont les fêtes et les jeux du cirque respiraient une férocité ou une luxure bestiales, il nous semble que tout cela manifestait trop fortement “ le démon, ses pompes et ses œuvres ”, sa puissance d’illusion, ses prestiges et sa tyrannie, pour que les catéchumènes ne veuillent s’en délivrer par la mort sacramentelle et le changement total dont elle était le signal et le ressort profond. » (CRC n° 113, janvier 1977)

L’admirable lecture “ franciscaine ” de la Bible du n° 13 de la Lettre apostolique est de même “ eau ”, c’est bien le cas de le dire. Le Pape écrit :

« Comme c’est émouvant, la manière dont cela se passe ! La prière pour la bénédiction de l’eau baptismale nous révèle que Dieu a créé l’eau précisément en pensant au baptême. Cela signifie que lorsque Dieu a créé l’eau, il pensait au baptême de chacun d’entre nous, et cette pensée l’a accompagné tout au long de son action dans l’histoire du salut, chaque fois que, avec un dessein précis, il a voulu se servir de l’eau. C’est comme si, après l’avoir créée, il voulait la perfectionner pour en faire l’eau du baptême. C’est ainsi qu’il a voulu la remplir du mouvement de son Esprit planant sur la surface des eaux (cf. Gn 1, 2) afin qu’elle contienne en germe le pouvoir de sanctifier ; il s’en est servi pour régénérer l’humanité lors du Déluge (cf. Gn 6, 1-2, 29) ; il l’a dominée en la séparant pour ouvrir un chemin de libération dans la mer Rouge (cf. Ex 14) ; il l’a consacrée dans le Jourdain en immergeant la chair du Verbe imprégnée de l’Esprit (cf. Mt 3, 13-17 ; Mc 1, 9-11 ; Lc 3, 21-22). Enfin, il l’a mélangée au sang de son Fils, don de l’Esprit inséparablement uni au don de la vie et de la mort de l’Agneau immolé pour nous, et de son côté transpercé il l’a répandue sur nous (Jn 19, 34). C’est dans cette eau que nous avons été immergés afin que, par sa puissance, nous puissions être greffés dans le Corps du Christ et qu’avec Lui, nous ressuscitions à la vie immortelle (cf. Rm 6, 1-11). »

Le Déluge est un des premiers événements qui a marqué l’histoire de l’humanité. On en trouve trace dans quantité de religions païennes, mais le récit biblique témoigne d’une catastrophe qui a frappé l’humanité et d’un salut miraculeux accordé à la famille de Noé. Après cette terrible épreuve, les fils et filles de Noé, débarquant avec lui sur la terre ferme, commencent par dresser un autel et offrir à Dieu un sacrifice. Alors, paraît dans la nue l’arc-en-ciel et la voix de Dieu se fait entendre, pour nouer une alliance avec cette humanité encore païenne, qui a perdu totalement le souvenir de la première alliance en Adam. Cette fois, elle sera sauvée dans la mesure où elle observera la loi naturelle, chacun obéissant à la voix de sa conscience. Cette première alliance en Noé n’a jamais été abolie depuis. Plus tard, Dieu décida de reprendre son œuvre en élisant un homme, Abraham, auquel il donna une postérité dont naquit un peuple. La libération de ce peuple élu, sorti d’Égypte en passant par un chemin de libération miraculeuse, la mer des Roseaux improprement dénommée « mer Rouge », dont le récit biblique, appuyé par l’archéologie, nous donne une connaissance très certaine. Pendant des siècles, jusqu’à la venue du Christ, dans la veillée de Pâques, les Juifs ont célébré cet événement comme la manifestation de la Providence divine qui les conduisait dans l’attente du Sauveur. Mais à son avènement parmi eux, ils l’ont rejeté et mis à mort.

Eh bien ! au moment où Jésus paraissait vaincu et s’anéantissait devant les hommes et devant son Père, Il obtenait en fait la Victoire et méritait d’arracher au péché et de purifier l’humanité tout entière. Le Pape en arrive à cet acte de Foi :

« Comme nous l’a rappelé le concile Vatican II (cf. Sacrosanctum Concilium, n. 5) en citant l’Écri­ture, les Pères et la Liturgie – les piliers de la Tradition authentique – c’est du côté du Christ endormi sur la croix qu’est né l’admirable sacrement de toute l’Église. » Nombreuses références à saint Augustin.

« Le parallèle entre le premier et le nouvel Adam est étonnant : de même que du côté du premier Adam, après l’avoir plongé dans un profond sommeil, Dieu a tiré Ève, de même du côté du nouvel Adam, endormi dans le sommeil de la mort sur la croix, naît la nouvelle Ève, l’Église. L’étonnement pour nous réside dans les paroles que nous pouvons imaginer que le nouvel Adam s’est appropriées en regardant l’Église : Cette fois, c’est l’os de mes os, la chair de ma chair.  (Gn 2, 23) Pour avoir cru en sa Parole et être descendus dans les eaux du baptême, nous sommes devenus l’os de ses os et la chair de sa chair. »

Puisque le Pape se réfère au concile Vatican II, il n’est pas étonnant de le voir négliger « les paroles » qu’il n’est pas nécessaire d’  imaginer ” puisque Jésus les a prononcées distinctement, d’abord à l’adresse de sa Mère :

« Voici votre fils ! »

Puis à saint Jean :

– Voici ta Mère ! »

L’omission de cette Médiation maternelle n’empêche pas François de poursuivre : « Sans cette incorporation, il n’y a aucune possibilité de vivre la plénitude du culte rendu à Dieu. En effet, il n’y a qu’un seul acte de culte parfait et agréable au Père, à savoir l’obéissance du Fils dont la mesure est sa mort sur la croix. La seule façon de participer à son offrande est de devenir des fils dans le Fils . C’est le don que nous avons reçu. Le sujet qui agit dans la Liturgie est toujours et uniquement le Christ-Église, le Corps mystique du Christ. » (nos 14-15)

« La seule façon de participer à son offrande est de devenir des fils dans le Fils ”. » Vraiment ? Alors, la seule façon de communier à la divine Victime est de devenir « fils dans le Fils » de Dieu, et enfants de Marie, sa divine Mère, non ? D’ailleurs, le Pape a consacré tout son peuple, en même temps que la Russie et l’Ukraine orthodoxes, au Cœur Immaculé de Marie, le 25 mars, dans un acte solennel et explicite. Comment se fait-il que cette Lettre apostolique adressée à ce même peuple, en date du 29 juin, n’y fasse pas la moindre allusion ?

Nous lisons la réponse à cette question au n° 31 : « Il serait banal de lire les tensions, malheureusement présentes autour de la célébration, comme une simple divergence entre différentes sensibilités envers une forme rituelle. La problématique est avant tout ecclésiologique. Je ne vois pas comment on peut dire que l’on reconnaît la validité du Concile – bien que je m’étonne qu’un catholique puisse prétendre ne pas le faire – et ne pas accepter la réforme liturgique née de Sacrosanctum Concilium, un document qui exprime la réalité de la liturgie en lien intime avec la vision de l’Église admirablement décrite par Lumen Gentium. » Avec « cette goujaterie », dénoncée avec indignation par notre Père, de reléguer la Sainte Vierge au dernier chapitre en affirmant : « “ Ce rôle subordonné (sic !) de Marie (tout court, sans titre ni couronnes), l’Église le professe sans hésitation ; elle ne cesse d’en faire l’expérience ; elle le recommande au cœur des fidèles ”, etc. Dites ce que vous voudrez, ajoutait notre Père, mais ceux qui parlent en ces termes, se donnant comme l’Église, ont envers la Très Sainte Vierge Marie une absence de tact, de vénération, de respect, d’amour qui est ici, scandaleux. » (Autodafé, p. 128-129) Et qui constitue précisément l’injure, indifférence et blasphème dont Elle a demandé réparation à Pontevedra, sous peine de terribles châtiments d’un Fils de Dieu jaloux du culte qu’il veut nous voir rendre à Marie, profané en “ culte de l’homme ”.

Je l’ai écrit à Mgr Joly : depuis la Pentecôte jusqu’au concile Vatican II que Jean XXIII voulait être une nouvelle Pentecôte, « la liturgie était œuvre sacerdotale, du Christ et de l’Église, plus divine qu’humaine, de prédication, de sacrifice sacramentel et de louange divine, célébrée pour le bien spirituel des fidèles, mais non sans leur pieux concours.

« Après le Concile, elle est devenue le plus souvent soit insipide soit une création spontanée, à prétention esthétique, moderne, de l’homme qui se rend un culte à lui-même. Insoucieuse de plaire à Dieu et de mériter ses grâces, la liturgie postconciliaire est tout occupée de plaire à l’homme comme un art, et de mériter qu’il s’y intéresse et participe.

« C’est pourquoi le concile Vatican II, en lui-même, n’a pas défini la liturgie de l’avenir. Il a été une étape décisive dans l’ouverture de l’Église aux nouveautés. Cette étape fut bientôt dépassée et il fut admis que “ l’obéissance au Concile ” consistait à “ dépasser ” ce qu’il autorisait et à “ développer ” ce qu’il contenait en germe. Et depuis plus de cinquante ans, il n’est pas un hérésiarque qui ne se soit réclamé du Concile pour mener son action au grand jour, en pleine immunité, spécialement dans le domaine liturgique par les orientations, les libertés, la créativité ouvertes par la réforme conciliaire, et plus spécialement dans le bouleversement de la messe et la suppression de toutes les cérémonies et dévotions du culte eucharistique et marial.

« Le vrai problème n’est pas le rite en lui-même. Nous ne demandons pas qu’on nous accorde quelques cérémonies en latin, à l’écart, et le droit de faire trois génuflexions au lieu d’une. Nous avons toujours reconnu que la messe dite selon le nouvel ordo de 1970 était valide.

« Non, il s’agit, pour nous réconcilier, de se réconcilier d’abord avec Dieu en réparant les injures qui lui sont faites officiellement dans le sacrement de son Corps et de son Sang par des théologiens hérétiques et des prêtres parjures.

« On ne peut plus rester insensible à la tristesse de Dieu qui a bouleversé François de Fatima, ni à la requête pressante de l’Ange de Fatima en 1916 : “ Mangez et buvez le Corps et le Sang de Jésus-Christ horriblement outragé par les hommes ingrats. Réparez leurs crimes et consolez votre Dieu. ” » (Il est ressuscité n° 229, février 2022, p. 16)

Le 13 juillet 1917, les enfants ont vu la cause du chagrin de Dieu : « Une grande ville » figurait l’état à venir de l’Église : elle était « à moitié en ruine ». Qu’est-ce que l’Église ? Selon la lumineuse définition catholique, « nous professons qu’elle est l’organisme humain créé par lequel Dieu appelle tous les hommes au salut et leur donne, s’ils y adhèrent par la foi, la justification et la grâce pour la vie éternelle. L’Église est donc le moyen et le lieu de la vraie religion, union des hommes avec l’Unique Dieu. L’Église est une mère qui engendre, par une nouvelle naissance, les fils d’Adam à la grâce retrouvée. Elle est une famille où se transmet la vie divine, depuis le Christ, de génération en génération. L’Église est humaine et divine. La Révélation seule nous le fait connaître en deux vérités liées et complémentaires. Tout d’abord le mystère de l’Église est celui d’une société humaine dont le Fils de Dieu est le fondateur humain et demeure le Chef Souverain toujours vivant et glorieux. Il la gouverne en effet Lui-même, à l’aide d’une hiérarchie qu’il a fondée et munie de ses propres Pouvoirs divins et de ses droits. C’est par Lui-même, puis par ses Apôtres comme par leurs successeurs, que le Christ crée et organise son Église comme un Corps social, vivant et vivifiant, saint et parfait. La hiérarchie est la cause efficiente, cause créée, humaine, historique et visible.

« Cependant, l’union de l’Église humaine à son Chef divin n’est pas physique, comme dans l’Incarnation, mais morale. Elle suppose dans l’Église une volonté sainte, une énergie divine, un principe de fidélité qui la tienne indéfectiblement unie à son Chef. Cette “ Âme incréée ” de l’Église est la Personne du Saint-Esprit, qui lui a été envoyée au jour de la Pentecôte par le Père et le Fils. Âme divine de ce Corps unique et particulier, le Paraclet a une affinité profonde avec cette Église, l’Église catholique seule.

« Même quand il sollicite tous les hommes à la Vie divine, c’est en dépendance et en vue de son Église unique. Cette œuvre de l’Esprit-Saint est la “ cause formelle ” ou le “ principe immanent d’organisation ” de ce Corps social dont le Christ est le Chef : c’est dire que son Énergie descend et se communique hiérarchiquement de la Tête aux membres selon les degrés des Pouvoirs institués par le Christ. Même là où l’Esprit-Saint agit en toute liberté par le don de “ charismes ”, ce n’est ni en contradiction ni en division d’avec l’institution hiérarchique et sa discipline apostolique.

« La Constitution Lumen gentium a perverti cette lumineuse définition catholique de l’Église.

« Tout d’abord en la faisant lumière du monde, l’Église ne se suffit plus à elle-même. Elle n’est plus tournée vers le service de Dieu, attirant tous les hommes à cette vie supérieure dont elle détient seule les clefs. Elle est occupée, passionnée du monde, de sa réussite, lui donnant vaguement une énergie dite divine, une lumière d’Esprit, une onction christique, pour lui permettre de s’achever pleinement sur terre. On aura vite fait de déduire que partout où il y a “ animation spirituelle ” ou “ culturelle ”, générosité, lutte libératrice parmi les hommes, sous une forme neuve, l’Église est là.

« Ensuite, la Constitution a procédé à une révolution en présentant d’abord l’Église comme “ peuple de Dieu ” avant de traiter de la question de la hiérarchie dont la pyramide se trouve du coup renversée. Il y aurait donc d’abord le Peuple et ce Peuple est donné tout vivant, tout illuminé, tout sanctifié, rassemblé avant qu’intervienne le moins du monde la hiérarchie, par l’action directe, invisible, gratuite, inattendue, illuminée de... l’Esprit-Saint ! Et voilà toute la structure de l’Église renversée, ses frontières abattues. Ce peuple de Dieu déborde largement les étroites limites du catholicisme et, plein d’Esprit, il est revêtu de toutes les perfections : tous y sont prophètes, prêtres, et rois. Quand on songera à parler de la hiérarchie, on n’aura plus à lui donner qu’un rôle accessoire et vaguement antagoniste. On la mettra “ au service ” de ce peuple de dieux !

« Par ailleurs, et malgré une Nota prævia vite oubliée, la Constitution Lumen gentium a donné l’apparence de faire triompher l’idée de collégialité en faisant du Collège épiscopal le fait premier, dépositaire du “ don spirituel ” accordé par l’Esprit-Saint au collège des Apôtres. Ainsi sont affirmés “ le caractère et la nature collégiale de l’ordre épiscopal ”. Et c’est ce collège que, dans une phrase extraordinairement équivoque, le Concile fait “ le sujet d’un pouvoir suprême et plénier sur toute l’Église ”... cela dit avec mille ménagements pour l’autorité du Pape ! Et avec le décret Optatam totius ecclesiæ renovationem, les évêques qui jouissaient jusqu’alors d’une autorité réelle et personnelle sur un territoire limité, exercent désormais sur d’immenses régions et sur un univers illimité une apparence de pouvoir sans autorité réelle, à l’encontre même de la constitution divine de l’Église telle que l’a prévue son Fondateur, Notre-Seigneur Jésus-Christ.

« Enfin, de ce renversement de la hiérarchie, de ce nouveau service du monde, il est logiquement résulté la promotion du laïcat au détriment du prêtre qui n’a plus de fonction propre où il serait irremplaçable, sauf pour la validité de certains sacrements.

« Le travail réel est aux laïcs dont il est seule­ment et vaguement l’animateur, le conseiller, le porteur de la Parole. Résultat : il n’y a plus de prêtres, les évêques n’ayant cessé de les livrer au diktat des laïcs, lesquels se retrouvent avec toujours plus de nouveaux ministères, jusqu’à conduire les enterrements, donner la communion, prêcher, et un beau jour présider l’Eucharistie... ! » (ibid., p. 16-17)

D’UNE RÉFORME À L’AUTRE

Mgr Joly ne m’a rien répondu. Pas même un accusé de réception. Mais le Saint-Père a répondu, lui, que j’ai supplié de daigner obéir à la demande de l’Enfant-Jésus et de sa Très Sainte Mère. En effet, le 10 décembre 1925, ils apparurent ensemble à Lucie, l’Enfant à côté d’Elle, porté sur une nuée lumineuse. Elle mit la main sur l’épaule de Lucie et lui montra, en même temps, un Cœur entouré d’épines qu’elle tenait dans l’autre main. Alors, l’Enfant lui dit : « Aie compassion du Cœur de ta très Sainte Mère, entouré des épines que les hommes ingrats lui enfoncent à tout moment, sans qu’il y ait personne pour faire acte de réparation afin de les en retirer. »

« Ensuite, la très Sainte Vierge lui dit : “ Vois, ma fille, mon Cœur entouré d’épines que les hommes ingrats m’enfoncent à chaque instant par leurs blasphèmes et leurs ingratitudes. Toi, du moins, tâche de me consoler et dis que tous ceux qui, pendant cinq mois, le premier samedi, se confesseront, recevront la sainte Communion, réciteront un chapelet, et me tiendront compagnie pendant quinze minutes en méditant sur les quinze mystères du Rosaire, en esprit de réparation, je promets de les assister à l’heure de la mort avec toutes les grâces nécessaires pour le salut de leur âme. ” »

À ces demandes que je me suis permis de lui rappeler dans une lettre parvenue sur son bureau, le pape François oppose un refus formel, public, dans son homélie du 29 juin 2022, rejetant, à la suite du Père de Lubac, « une religion de cérémonies et de dévotions ». Au profit de quelle “ religion ” ? La religion du concile Vatican II, fruit de la troisième Réforme.

LA RÉFORME DU PAPE FRANÇOIS.

Première Réforme : Luther, Calvin, Zwingli. Deuxième Réforme : Congar, Rahner, de Lubac. Troi­sième Réforme : François, « un Évêque vêtu de Blanc », qui marche « d’un pas vacillant, affligé de douleur et de peine ».

« La non-acceptation de la réforme, ainsi qu’une compréhension superficielle de celle-ci, nous détournent de la tâche de trouver les réponses à la question que je reviens à répéter : comment pouvons-nous grandir dans la capacité de vivre pleinement l’action liturgique ? Comment continuer à nous laisser surprendre par ce qui se passe dans la célébration sous nos yeux ? Nous avons besoin d’une formation liturgique sérieuse et vitale. » ( n° 31, § 2)

« Revenons encore une fois au Cénacle de Jéru­salem. Au matin de la Pentecôte naît l’Église, cellule initiale de l’humanité nouvelle. Seule la communauté des hommes et des femmes – réconciliés parce que pardonnés, vivants parce qu’Il est vivant, vrais parce qu’habités par l’Esprit de vérité – peut ouvrir l’espace étroit de l’individualisme spirituel. » ( n° 32) Qu’est-ce que « l’individualisme spirituel » ? S’il s’agit de “ sauver son âme ”, c’est quand même le souci premier : « Je n’ai qu’une âme, qu’il faut sauver ! »

En quoi consiste donc cette communauté nouvelle, à laquelle le pape François veut conformer son Église ? « C’est la communauté de la Pentecôte qui est capable de rompre le Pain dans la certitude que le Seigneur est vivant, ressuscité des morts, présent par sa parole, par ses gestes, par l’offrande de son Corps et de son Sang. » ( n° 33)

« Rompre le Pain » n’est pas encore célébrer le Saint-Sacrifice de la Messe. « La certitude que le Seigneur est vivant », ne suffit pas à transformer ce « pain » en Corps du Christ. Dès lors, que signifie « l’offrande de son Corps et de son Sang » ? Rien d’autre que ceci :

« Dès lors, la célébration devient le lieu privilégié – mais pas le seul – de la rencontre avec Lui. » Notre religion catholique d’avant la triple “ réforme ”, considérait la « communion » comme une “ rencontre ” certes, « rencontre de l’homme-chrétien avec Dieu comme tous les autres sacrements », mais l’Eucharistie est leur sommet à tous parce que celle-ci s’effectue non par quelque matière ou personne interposée, servant d’instrument de communication mais par le propre corps “ instrument conjoint de la divinité ”, comme dit saint Thomas, dans la Personne même vivante et agissante du Fils de Dieu fait homme, Verbe incarné.

Tandis que, selon le pape François, « nous savons que c’est seulement par cette rencontre que l’homme devient pleinement homme ». Qu’est-ce que devenir « pleinement homme » et comment cela se fera-t-il ? « Seule l’Église de la Pentecôte peut concevoir l’être humain comme une personne, ouverte à une relation pleine et entière avec Dieu, avec la création et avec ses frères et sœurs. »

Qu’est-ce que « l’Église de la Pentecôte » ? Ça n’est pas l’Église catholique et nous allons comprendre pourquoi. C’est une question de “ formation ”. Le Pape cite Guardini indiquant que la première tâche pratique à accomplir consiste, « portés par cette transformation intérieure de notre époque, nous devons réapprendre à vivre comme hommes en un rapport religieux ».

« C’est ce que la Liturgie rend possible, ajoute le Pape. Pour cela, nous devons être formés. Guardini lui-même n’hésite pas à affirmer que sans formation liturgique, les réformes des rites et des textes ne seront d’aucune aide ”. Je n’ai pas l’intention de traiter maintenant de manière exhaustive le thème très riche de la formation liturgique. Je voudrais seulement proposer quelques pistes de réflexion. Je pense que nous pouvons distinguer deux aspects : la formation pour la liturgie et la formation par la liturgie. La première est fonctionnelle par rapport à la seconde qui est essentielle. » ( n° 34) La seconde est en effet capitale selon l’adage qui la résume : « Lex credendi, lex orandi », c’est la foi qui dicte la liturgie, et non pas l’inverse.

C’est pourquoi le Pape parle d’abord de « formation pour la liturgie »... réformée, afin d’aider « tous et chacun à acquérir la capacité de comprendre les textes euchologiques, les dynamiques rituelles et leur signification anthropologique » ( n° 35).

En particulier, le « culte de l’homme » sous-jacent, instauré par le pape Paul VI dans son discours de clôture du concile Vatican II.

Le pape François commence par rappeler que « le jour de son ordination, chaque prêtre entend l’évêque lui dire : Réalise ce que tu vas faire, imite ce que tu vas célébrer, conforme ta vie au mystère de la croix du Christ Seigneur ”. » ( n° 36) C’est pourquoi « la compréhension théologique de la liturgie ne permet en aucun cas de comprendre ces paroles comme si tout était réduit à l’aspect cultuel. Une célébration qui n’évangélise pas n’est pas authentique, de même qu’une annonce qui ne conduit pas à une rencontre avec le Seigneur ressuscité dans la célébration n’est pas authentique. Et puis l’une et l’autre, sans le témoignage de la charité, ne sont qu’un cuivre qui résonne, une cymbale retentissante (cf. 1 Co 13, 1). » ( n° 37)

« Puisque le don du mystère célébré dépasse notre capacité de le connaître » ( n° 38), le but de tous nos travaux de séminaire doit être « vivre une véritable communion avec Dieu » ( n° 39). Ce qui conduit à « réfléchir sur le deuxième sens que nous pouvons comprendre dans l’expression formation liturgique ”. Je me réfère au fait que nous sommes formés, chacun selon sa vocation, à partir de la participation à la célébration liturgique. Même la connaissance qui vient des études, dont je parlais tout à l’heure, pour qu’elle ne devienne pas une sorte de rationalisme, doit servir à réaliser ­l’action formatrice de la Liturgie elle-même en chaque croyant dans le Christ. » ( n° 40) Toutes “ confessions ” réunies.

Qu’est-ce à dire ? « La pleine mesure de notre formation est notre conformation au Christ. Je le répète : il ne s’agit pas d’un processus mental abstrait, mais de devenir Lui. C’est dans ce but qu’est donné l’Esprit, dont l’action est toujours et uniquement de façonner le Corps du Christ. Il en est ainsi du pain eucharistique, et de chacun des baptisés appelés à devenir toujours plus ce qui a été reçu comme don au Baptême, à savoir être membre du Corps du Christ. » ( n° 41)

Qu’est-ce que le « pain eucharistique » ? C’est du pain !

Saint Léon le Grand que cite le pape François, ne parle pas ainsi : « Notre participation au Corps et au Sang du Christ n’a d’autre fin que de nous faire devenir ce que nous mangeons. » ( n° 41)

Mais François s’explique : « Cet engagement existentiel se produit – en continuité et en cohérence avec la méthode de l’Incarnation – de manière sacramentelle. La liturgie se fait avec des choses qui sont l’exact opposé des abstractions spirituelles : le pain, le vin, l’huile, l’eau, les parfums, le feu, les cendres, la pierre, les tissus, les couleurs, le corps, les mots, les sons, les silences, les gestes, l’espace, le mouvement, l’action, l’ordre, le temps, la lumière. Toute la création est une manifestation de l’amour de Dieu, et à partir du moment où ce même amour s’est manifesté dans sa plénitude dans la croix de Jésus, toute la création a été attirée vers lui. C’est toute la création qui est assumée pour être mise au service de la rencontre avec le Verbe : incarné, crucifié, mort, ressuscité, monté vers le Père. C’est ce que chantent la prière sur l’eau des fonts baptismaux, mais aussi la prière sur l’huile du saint chrême et les paroles pour la présentation du pain et du vin – tous fruits de la terre et du travail de l’homme. » ( n° 42)... Et de « l’amour de Dieu... manifesté dans sa plénitude dans la croix de Jésus », non ? Non ! parce que l’Incarnation n’est pas un « mystère », c’est une « méthode ».

« Pain eucharistique » ou « Corps et Sang du Christ » ? À lire le pape François, on ne saisit pas la différence. Le premier est « le fruit de la terre et du travail de l’homme ». Le second est le fruit béni des entrailles de Marie. J’ai écrit à Mgr Joly pour lui demander comment il fallait entendre le « culte de l’homme », il ne m’a pas répondu. Le pape François répond dans cette Lettre que le culte de l’homme est la même chose que le culte de Dieu parce que « nous sommes la gloire de Dieu. C’est par la grâce que nous avons été sauvés (cf. Ep 2, 5). Irénée, doctor unitatis, nous le rappelle : La gloire de Dieu est l’homme vivant, et la vie de l’homme consiste dans la vision de Dieu. ” »

Saint Irénée fut le “ docteur de l’Unité ” en combattant les hérésies sous la forme du gnosticisme. Le pape François y revient.

SYMBOLISME.

Le Pape cite Guardini : « C’est ainsi que s’ébau­che la première tâche du travail de formation liturgique : l’homme doit retrouver sa puissance symbolique » ( n° 44), particulièrement celle du « symbole de notre corps. Il est un symbole parce qu’il est une union intime de l’âme et du corps ; il est la visibilité de l’âme spirituelle dans l’ordre corporel ; et en cela consiste l’unicité humaine, la spécificité de la personne irréductible à toute autre forme d’être vivant. Notre ouverture au transcendant, à Dieu, est constitutive : ne pas la reconnaître nous conduit inévitablement non seulement à une méconnaissance de Dieu mais aussi à une méconnaissance de nous-mêmes. Il suffit de regarder la manière paradoxale dont le corps est traité, à un moment soigné de manière presque obsessionnelle, inspiré par le mythe de l’éternelle jeunesse, et à un autre moment réduisant le corps à une matérialité à laquelle on refuse toute dignité. Le fait est que l’on ne peut pas donner de valeur au corps en partant uniquement du corps lui-même. Tout symbole est à la fois puissant et fragile. S’il n’est pas respecté, s’il n’est pas traité pour ce qu’il est, il se brise, perd sa force, devient insignifiant.

« Nous n’avons plus le regard de saint François qui regardait le soleil – qu’il appelait frère parce qu’il le sentait ainsi – le voyait bellu e radiante cum grande splendore, et, émerveillé, chantait : de te Altissimu, porta significatione. Le fait d’avoir perdu la capacité de saisir la valeur symbolique du corps et de toute créature rend le langage symbolique de la liturgie presque inaccessible à la mentalité moderne. Et pourtant, il ne peut être question de renoncer à ce langage. On ne peut y renoncer parce que c’est ainsi que la Sainte Trinité a choisi de nous atteindre à travers la chair du Verbe. » ( n° 44)

Le mystère de l’Incarnation... un symbole ? Oui ! dès lors la question n’est pas de retrouver la foi, de faire des actes de foi dans le mystère d’un Dieu fait homme, mais de « redevenir capables de symboles. Comment pouvons-nous à nouveau savoir les lire et être capables de les vivre ? Nous savons bien que la célébration des sacrements, par la grâce de Dieu, est efficace en soi (ex opere operato), mais cela ne garantit pas le plein engagement des personnes sans une manière adéquate de se situer par rapport au langage de la célébration. » ( n° 45)

Comment y parvenir ? « Avant tout, nous devons retrouver la confiance dans la création », parce que « dès le début, les choses créées contiennent le germe de la grâce sanctifiante des sacrements » ( n° 46). Avant l’Incarnation ? Malgré le péché originel ? Bien plus : avant la Rédemption ! Sans la Croix du Christ !

Le Pape prend un exemple pour illustrer « l’éducation nécessaire pour pouvoir acquérir l’attitude intérieure qui nous permettra d’utiliser et de comprendre les symboles liturgiques. Permettez-moi de l’exprimer d’une manière simple. Je pense aux parents, ou plus peut-être, aux grands-parents, mais aussi à nos pasteurs et catéchistes. Beaucoup d’entre nous ont appris d’eux la force des gestes de la liturgie, comme, par exemple, le signe de la croix, l’agenouillement, les formules de notre foi. Peut-être n’avons-nous pas de souvenir réel de cet apprentissage, mais nous pouvons facilement imaginer le geste d’une grande main qui prend la petite main d’un enfant et l’accompagne lentement en traçant pour la première fois sur son corps le signe de notre salut. Des paroles accompagnent le mouvement, elles aussi dites lentement, presque comme si elles voulaient s’approprier chaque instant du geste, prendre possession de tout le corps : Au nom du Père... et du Fils... et du Saint-Esprit... Amen.  Et puis la main de l’enfant est laissée seule, et on la regarde répéter toute seule, avec une aide toute proche en cas de besoin. Mais ce geste est maintenant consigné, comme une habitude qui va grandir avec lui, en lui donnant un sens que seul l’Esprit sait lui donner. » Parce que ni papa, ni maman, ni grand-père, ni grand-mère ne lui ont expliqué la mort de Jésus sur la Croix ? Non, surtout pas ! Parce que « ce geste, ajoute le Pape, sa force symbolique, est à nous, il nous appartient, ou mieux, nous lui appartenons. Il nous donne une forme. Nous sommes formés par lui. Il n’est pas nécessaire de faire beaucoup de discours ici. Il n’est pas nécessaire d’avoir tout compris dans ce geste. Ce qu’il faut, c’est être petit, à la fois dans l’envoi et dans la réception. Le reste est l’œuvre de l’Esprit. C’est ainsi que nous sommes initiés au langage symbolique. » ( n° 47) Le Nom du “ Père ”, “ langage symbolique ” ? Même expliqué par papa ? Le récit de la Passion du Fils, “ langage symbolique ” ? même représenté en sa cruelle vérité sur le crucifix ? Et la Sagesse, premier don du Saint-Esprit, langage symbolique ? Pas pour un enfant “ sage ” ! Encore moins pour celui qui ne l’est pas et que son papa punit de sa sottise !

À l’école de Guardini, tous les mystères historiques de notre sainte religion s’évanouissent dans le “ symbolisme ”, une manière de parler, jusque dans le catéchisme, Pierres Vivantes en particulier. Cet Italien publiait en 1923 que l’Écriture sainte était anthropomorphique.

Ainsi, l’Ascension du Christ était-elle figurative, et non pas historique parce que physiquement impossible. C’était une image sans réalité. Cela nous revient aujourd’hui ! dans l’enseignement du pape François. Désormais, il en va de notre Credo comme d’un tricot dont toutes les mailles se défont à partir d’une négation ponctuelle : depuis le mystère de la Sainte Trinité, jusqu’à celui de la mort et de la résurrection du Christ, de sa descente aux Enfers et de son Ascension dans le Ciel.

Sous le titre d’Ars celebrandi, le Pape efface la notion de Lex credendi : « L’action de la célébration est le lieu où, par le biais du mémorial, le mystère pascal est rendu présent afin que les baptisés, par leur participation, puissent en faire l’expérience dans leur propre vie. » Qu’est-ce que le « mystère pascal rendu présent » ? Pour le célébrer « il est nécessaire de comprendre la dynamique du langage symbolique, sa nature particulière, son efficacité », en évitant « l’invasion d’éléments culturels assumés sans discernement et qui n’ont rien à voir avec une compréhension correcte de l’inculturation » ( n° 49).

UNE GNOSE QUI S’IGNORE.

Sous le titre La liturgie : un antidote contre le venin de la mondanité spirituelle, le Pape écrit au début de la Lettre apostolique : « J’ai mis en garde à plusieurs reprises contre une tentation dangereuse pour la vie de l’Église, la mondanité spirituelle ” : j’en ai longuement parlé dans l’Exhortation Evangelii gaudium ( n° 93-97), en identifiant le gnosticisme et le néo-pélagianisme comme les deux modes reliés entre eux qui alimentent cette mondanité spirituelle.

« Le premier réduit la foi chrétienne à un subjectivisme qui enferme l’individu dans l’immanence de sa propre raison ou de ses propres sentiments ” » (Evangelii gaudium, n° 94). »

Faut-il l’appeler par son nom ? C’est le modernisme, condamné par saint Pie X sous ces deux chefs de “ rationalisme ” et d’  “ immanence ” comme contraire à la foi non pas “ chrétienne ” mais catholique, apostolique et romaine. Cette précision manque aux condamnations de François.

« Le second annule la valeur de la grâce pour ne compter que sur ses propres forces, donnant lieu à un élitisme narcissique et autoritaire où, au lieu d’évangéliser, on analyse et on classe les autres, et au lieu de faciliter l’accès à la grâce, on consomme de l’énergie à contrôler ” (Evangelii gaudium, n° 94). »

Ce qui est visé ici est précisément la différence que je viens de rappeler entre Église “ catholique ” et Église “ chrétienne ”. La première dénomination relève d’ « un élitisme narcissique – “ catholique et Français toujours ” – et d’un autoritarisme » qui condamne toutes les formes de schisme et d’hérésie, selon lequel « au lieu d’évangéliser, on analyse et on classe les autres » – les protestants, luthériens, calvinistes, anglicans, les orthodoxes. « Au lieu d’évangéliser »... qui ? Les mêmes !

Qu’est-ce qu’évangéliser ? C’est consacrer toute son énergie à faciliter l’accès à la grâce plutôt qu’à « contrôler » la foi et les mœurs d’un chacun.

« Ces formes déformées de christianisme », qui ont sévi particulièrement lors de la Contre-Réforme catholique aux XVIe et XXe siècles « peuvent avoir », encore au XXIe siècle, des conséquences désastreuses pour la vie de l’Église. Par exemple si je « contrôle », à l’aide d’un ordinateur, que la Lettre apostolique Desiderio desideravi ne prend pas appui sur la Présence réelle de Jésus au Saint-Sacrement, pas plus que du Cœur Immaculé de Marie qui lui est conjoint. Pour une raison explicitée aussitôt par le pape François : « Il est évident, d’après ce que j’ai rappelé ci-dessus, que la Liturgie est, par sa nature même [entendez : symbolique], l’antidote le plus efficace contre ces poisons. » Le Père Congar disait, de la dévotion à la Sainte Vierge : ce “ cancer ” ( n° 18).

« La liturgie ne dit pas je  mais nous  et toute limitation de l’étendue de ce nous  est toujours démoniaque. » ( n° 19) Or, la « limitation » vient du fait que « l’homme moderne – pas dans toutes les cultures au même degré – a perdu la capacité de s’engager dans l’action symbolique qui est une caractéristique essentielle de l’acte liturgique » ( n° 27).

Sans oublier le « lourd héritage que nous a laissé l’époque précédente – avant le Concile –, fait d’individualisme et de subjectivisme (qui rappellent à nouveau le pélagianisme et le gnosticisme). Elle consiste aussi en un spiritualisme abstrait qui contredit la nature humaine elle-même, car la personne humaine est un esprit incarné et donc, en tant que tel, capable d’action et de compréhension symboliques. » ( n° 28)

Nous sommes maintenant en état de comprendre la portée de cette Lettre apostolique, véritable encyclique, cependant dénuée de toute infaillibilité. Heureusement ! Son objectif est « de comprendre la dynamique du langage symbolique, sa nature particulière, son efficacité » ( n° 49), ressort de l’institution du sacrement de l’Eucharistie.

Guardini écrivait en 1923 : « Nous devons comprendre à quel point nous nous sommes profondément enlisés dans l’individualisme et le subjectivisme ; à quel point nous nous sommes maintenant affaiblis et combien étroite est devenue la dimension de notre vie religieuse. » Le pape François applique ces lignes à notre actualité... soixante ans après le Concile ! Celui-ci n’aurait-il donc porté aucun remède à cet “ enlisement ” ? Il semble bien, car le pape François poursuit la citation de ce texte de Guardini presque centenaire : « L’ardent désir de cultiver un grand style de prière doit à nouveau s’éveiller ; la volonté d’essentialité doit aussi revivre dans la prière. La voie à suivre pour y arriver est celle de la discipline ; du renoncement aux satisfactions faciles et sans effort ; du travail rigoureux, accompli dans l’obéissance à l’Église, pour notre conduite et notre être religieux. »

« Obéissance à l’Église » : nous y voilà ! « C’est ainsi que l’on apprend l’art de célébrer », ajoute le pape François ( n° 50). En obéissant à l’Église qui a parlé par le concile Vatican II.

Première application : « Il s’agit d’une attitude que tous les baptisés sont appelés à vivre », et pas seulement « les ministres ordonnés qui exercent le service de la présidence ». Par exemple, « le silence liturgique... symbole de la présence et de l’action de l’Esprit Saint qui anime toute l’action de la célébration », depuis « l’acte pénitentiel » du début où il conduit à la douleur du péché et au désir de conversion, jusqu’à « la prière eucharistique, après la communion », où il « nous dispose à adorer le Corps et le Sang du Christ » et suggère à chacun « ce que l’Esprit veut opérer dans nos vies pour nous conformer au Pain rompu » ( n° 52), symbole du Corps et du Sang du Christ.

Surtout, « le ministre ordonné est lui-même l’un des modes de présence du Seigneur qui rendent l’assemblée chrétienne unique, différente de toute autre assemblée (cf. Sacrosanctum Concilium, n° 7). Ce fait donne une profondeur sacramentelle  – au sens large – à tous les gestes et paroles de celui qui préside. L’assemblée a le droit de pouvoir sentir dans ces gestes et ces paroles le désir que le Seigneur a, aujourd’hui comme à la dernière Cène, de continuer à manger la Pâque avec nous. C’est donc le Seigneur Ressuscité qui est le protagoniste, et certainement pas nos immaturités qui cherchent, en assumant un rôle et une attitude, une présentabilité qu’elles ne peuvent avoir. Le prêtre lui-même devrait être submergé par ce désir de communion que le Seigneur a envers chacun. C’est comme s’il était placé au milieu entre le cœur brûlant de l’amour de Jésus et le cœur de chaque croyant, objet de son amour. »

« Présider l’Eucharistie », ce n’est pas célébrer le Saint-Sacrifice, « c’est être plongé dans la fournaise de l’amour de Dieu », c’est exprimer « le désir que le Seigneur a aujourd’hui comme à la dernière Cène, de continuer à manger la Pâque avec nous. C’est donc le Seigneur Ressuscité qui est le protagoniste », déjà ressuscité... avant de souffrir Mort et Passion ! Exit Jésus crucifié ! ( n° 57)

« Lorsque la première communauté rompt le pain en obéissant au commandement du Seigneur, elle le fait sous le regard de Marie qui accompagne les premiers pas de l’Église : – Tous étaient assidus à la prière, avec des femmes, avec Marie la mère de Jésus – (Ac 1, 14). La Vierge Mère veille  sur les gestes de son Fils confiés aux apôtres. Comme elle l’a fait après les paroles de l’ange Gabriel, elle protège à nouveau dans son sein, ces gestes qui font/forment le corps de son Fils. Le prêtre, qui répète ces gestes en vertu du don reçu dans le sacrement de l’Ordre, est lui-même protégé dans le sein de la Vierge. Avons-nous vraiment besoin ici d’une règle pour nous dire comment nous devons agir ? » ( n° 58) Exit le “ Cœur Immaculé de Marie ” et la “ dévotion réparatrice ” des premiers samedis et son “ règlement ” pour consoler Notre-Dame en grand chagrin !

François l’a dit avec colère dans son homélie du 29 juin : pas de « dévotions et de cérémonies » ! Mais déjà... à Fatima, le 13 mai 2017 ! Le Pape n’a pas à recevoir de leçon de la Sainte Vierge. Cela dit en toute humilité : « Devenus des instruments pour allumer le feu de l’amour du Seigneur sur la terre, protégés dans le sein de Marie », et non pas consacrés à son Cœur Immaculé ! « Vierge faite Église (comme le chantait saint François), les prêtres doivent laisser l’Esprit-Saint agir sur eux, pour mener à bien l’œuvre qu’il a commencée en eux lors de leur ordination. L’action de l’Esprit leur offre la possibilité d’exercer leur ministère de présidence de l’assemblée eucharistique avec la crainte de Pierre, conscient d’être pécheur (Lc 5, 1-11), avec la puissante humilité du serviteur souffrant (cf. Is 42 sq), avec le désir d’être mangé  par les personnes qui leur sont confiées dans l’exercice quotidien du ministère. » ( n° 59)

Si tel est vraiment le fruit des acquis du concile Vatican II, « comment une si intelligente restauration des rites des ordinations, dans leur pleine vérité et leur symbolisme le plus expressif, a-t-elle coïncidé avec la plus grave crise que le clergé ait connue dans son histoire, crise d’identité du sacerdoce catholique, crise des vocations catastrophique, sans les enrayer le moins du monde ? » L’abbé de Nantes posait la question dix ans après le Concile (CRC n° 117, mai 1977, p. 11). Elle ne trouve qu’aujourd’hui une réponse, soixante ans après l’ouverture de ce “ funeste Concile ” dans la Lettre du pape François : « Le prêtre se forme en présidant les paroles et les gestes que la liturgie met sur ses lèvres et dans ses mains. » ( n° 60)

Le pape François biaise, comme le pape Paul VI dans son Discours de clôture du Synode de 1971, donnant des gages à la nouvelle conception œcuménique en parlant du prêtre uniquement comme « Prédicateur de l’Évangile ». Ici le titre de “ Président ” laisse le prêtre (et l’Évêque) au niveau d’un quelconque pasteur ou ministre réformé ! Sans la moindre allusion à son Pouvoir sacerdotal, au contraire : « Il n’est pas assis sur un trône, car le Seigneur règne avec l’humilité de celui qui sert. »

Comment sortir de cette antinomie ?

En comprenant, à l’école de l’abbé de Nantes, la nature profonde du pouvoir sacerdotal : l’Évêque principalement, et les prêtres sous ses ordres, n’ont pas un pouvoir sur les choses pour agir sur les âmes par leur symbolisme, mais un pouvoir filial, amical, sur la Volonté de Dieu qui s’est lié à eux, à leur œuvre, qui s’est engagé avec eux. « Ainsi Dieu veut ce qu’ils veulent, il parle par leurs paroles mêmes, il fait ce qu’ils disent. Selon les rites qu’ils accomplissent, c’est Dieu qui justifie les infidèles, c’est le Christ qui se saisit du pain et du vin pour les faire son Corps et son Sang, c’est Lui qui pardonne les péchés et bénit les mariages, envoie son Esprit-Saint selon les dons que demande et donne la Prière consécratoire. Le serviteur de Dieu, au moment de son élévation sublime au rôle de coopérateur de Dieu, s’efface et disparaît. Ce qu’il est alors ? Un médiateur, le déclencheur infaillible de l’œuvre divine et son instrument. Il est nécessaire. Cette œuvre se fait bien à son geste et à sa parole puissante, par sa parole et dans son geste, mais c’est le Christ qui opère et non plus Pierre, Paul ou Apollos.

« Ainsi conçu, le Sacerdoce est, sans contradiction, tout à la fois Pouvoir et Ministère, Service et Autorité, Don de l’Esprit et Caractère de l’homme consacré, l’établissant au-dessus des hommes et le plus petit d’entre eux. » (CRC n° 117, p. 13) 

(À suivre)

Frère Bruno de Jésus-Marie

SACERDOS, ALTER CHRISTUS

MON Dieu, c’est aujourd’hui que  je dois écrire cette louange de votre Sacerdoce parce qu’aujourd’hui mon être est rompu, disloqué : ici le prêtre, là l’homme. L’homme ne vaut rien, n’a jamais rien valu. Vous l’avez pourtant appelé dès l’enfance afin qu’il se garde du mal et vive dans le monde comme n’en étant pas. Dans les desseins de sainteté de votre Cœur, la sublime vocation devait tout de suite prendre toute la place pour que ma réponse à vos volontés grandisse avec l’âge et que l’arbre sauvage soit prêt, au temps marqué, pour la greffe attendue. Je le savais, j’en étais infatué et je dissipais comme un fou les biens que vous m’aviez donnés, et les années. Au matin de mon ordination, l’être humain qui entrait dans ce sanctuaire où il allait être investi du sacerdoce était un misérable pécheur, il le savait bien et, à bien peu près, il l’est resté jusqu’à ce jour. Il ne mériterait pas une seule de vos grâces, ô Jésus, et pourtant des trésors de vie passent par ses mains. S’en attribue-t-il la gloire ? Il n’est pas longtemps sans que sa sottise, sa malice, son impuissance à tout bien viennent lui rappeler jusqu’en son ministère sacré qu’il n’est rien. L’homme, oui, le fumier est toujours là, sous votre munificence, dans cette dignité sublime dont le voilà à jamais revêtu.

Ce contraste aujourd’hui me torture jusqu’à me disjoindre les os. Comment est-il possible que votre Voie, votre Vérité, votre Vie passent à travers cet être de mensonge, de lâcheté, de bassesse, au point de le faire agir et être sur terre, pour les siens, comme un autre Vous-même, un autre Christ ! Et non seulement cette grâce coule de mes mains, mais elle meut et lie tout mon être. Vous me colonisez lentement depuis ce Samedi saint et vous exigez tout pour vous. C’est un Caractère nouveau qui supplante l’ancien et me fait prêtre d’abord et non plus homme. La Majesté divine commande sa créature en son propre cœur, non par ses mérites comme il eût été beau, mais malgré elle, par la puissance de votre investiture, et c’est plus beau encore !

Alors, sortant de cette église où les mains de mon évêque m’avaient créé votre prêtre, je n’étais pas transformé, non, j’étais le même, digne de la haine et du mépris des saints – s’ils avaient de tels sentiments – mais j’étais comme doublé, habité, dépassé par un Autre qui ne pouvait en moi qu’être vénéré et aimé pour le bien divin qu’il ne cessait de faire, Vous, Jésus-Christ Souverain Prêtre. Les saints l’ont raconté mieux que je ne saurais dire. La soif de prêcher l’Évangile était en moi, qui ne s’est jamais apaisée. Le monde me semblait un immense auditoire avide d’écouter votre Parole. Expulsé des églises, je prêchai dans les théâtres et les cinémas. Les plus grandes salles me parurent petites parce que je pensais aux foules qui restent dehors. Il est si facile de Vous raconter, votre délicieuse naissance, votre douloureuse passion, votre résurrection et votre Présence actuelle dans nos sanctuaires. L’enfant comprend et le savant écoute, avide, toute cette révélation que le plus borné des hommes peut prêcher si votre sacerdoce lui en donne le pouvoir. J’avais reçu ce Pouvoir de prêcher et je ne me suis jamais arrêté, non jamais. Comme Abel, mort je parlerai encore car votre Parole ne meurt plus. Veritas Domini manet in æternum !

Si ce n’était que prêcher ! Mais prêcher opère la conversion des âmes et conduit à la rémission des péchés. De Vous entendre, Vous dans le prêtre parler de Vous, les cœurs sont transpercés et ils demandent la vie, la pureté, la grâce retrouvée. Ils se jettent à genoux et réclament de rentrer en grâce avec Notre Père du Ciel qu’ils ont offensé. Vous m’avez établi, après tant d’autres qui m’ont donné l’exemple afin que je fasse comme eux, juge des âmes et leur libérateur. Hier encore, près de son camion écrasé, un homme caché sous une couverture expirait. Je passai. Et sur cette route, la venue providentielle du prêtre était comme une apparition de Vous. J’ai prononcé les paroles uniques qui, invoquant votre Corps transpercé et votre Sang répandu, lui ouvrirent les portes de l’éternité bienheureuse. Jeune camionneur inconnu, mon frère, ce prêtre qui passait est devenu pour toujours ton plus proche prochain, il te nomme son fils, en vérité tu es son enfant. Ce Pouvoir divin meut mes lèvres et mes mains. Mais d’abord il emplit mon esprit qui écoute, aide l’aveu, excite la contrition, prépare l’âme et puis l’arrache par son jugement de rémission à sa captivité infernale et la jette toute palpitante dans l’océan d’amour de votre Cœur ! À tout moment, toujours, ce pouvoir est en moi et je ne peux plus dire : éloignez-vous de moi pécheur, car vous êtes greffé dans la fibre profonde de mon être.

Parler de Vous, pardonner en votre Nom et vous réconcilier les âmes pénitentes seraient de bien grands pouvoirs si un autre plus grand ne m’avait été donné. C’est le premier qui m’est échu, et de grâce que ce soit le dernier qui me reste ! Dire la messe, célébrer le Saint-Sacrifice. Seul le prêtre catholique a reçu de l’Épouse ce droit exorbitant sur le Corps et le Sang de l’Époux. Combien est méconnu ce mystère ! Je sais que mes paroles seules suffisent à changer l’hostie et le calice en votre Substance même, vivante, présente et distribuée à tous les frères en nourriture et breuvage. Mais ce n’est pas que cela, cette sorte d’automatisme que déclencherait ma parole, non ! Notre évêque, pour ce peuple fidèle auquel il m’ordonnait, m’a confié le mystérieux et divin Pouvoir, quand je voudrais, pour ceux qui me le demanderaient, de vous appeler au milieu de nous. Alors, vous livrant mon corps, ma tête, mes yeux, ma langue, mon esprit pour vous servir d’instrument, je vous ferais renouveler pour nous le sacrifice de votre Croix. Alors, perdu en vous, moi l’ignoble, moi l’insensé, je réitère votre Sacrifice. La grâce de votre Sang, la vie de votre Corps jaillissent de mes lèvres, coulent de mes mains. Parce qu’il y a là un prêtre qui célèbre Sa Messe, il y a là Jésus-Christ à nouveau jeté dans le paroxysme de son Amour, et son cri vers le Père, et les sept Paroles de sa miséricorde. Quand l’action s’achève, il m’est donné de communier à la Victime sainte pour lui devenir une humanité de surcroît et je Vous donne en nourriture à tous ceux qui ont faim de Vous, en breuvage à ceux qui ont soif.

Cette vie-là devrait absorber l’autre, et le prêtre n’être plus que prêtre. Mais déjà cette vie l’emporte sur la première qui n’est plus qu’un songe. Ah ! chaque jour prêcher et prêcher encore par la parole et par l’écrit, mais dans le désir de prêcher par tout l’être livré et peut-être un jour par le sang répandu ! Chaque jour, à toute heure, remettre les péchés, relever les âmes accablées, délivrer les prisonniers, rendre la joie aux cœurs flétris, passant par nos chemins semblable à Vous sur les routes de Galilée, faisant le bien. Chaque jour célébrer votre sacrifice rédempteur non en paroles mais en acte, m’écraser de bonheur et de gloire devant l’Hostie Sainte, l’Hostie sans tache, le Calice de la vie éternelle et du salut définitif !

Si je n’étais pas, si je ne pouvais pas être prêtre, je crois que je viendrais à un prêtre, n’importe lequel, même le plus misérable, et je le prierai et supplierai à genoux de me prendre, de me joindre à son hostie et de me jeter comme une minime parcelle dans son calice pour n’être du moins qu’une seule victime avec Vous, offerte par le ministère de votre unique sacerdoce continué jusqu’à nous. Oh ! oui, le Prêtre... un autre Christ !

Abbé Georges de Nantes
(Page mystique n° 40, décembre 1971).