1er NOVEMBRE 2018 - TOUSSAINT

La communion des saints

JE détourne encore les yeux de Toi, ô Soleil éblouissant de mon éternité, Jésus ! pour m’émerveiller de la couronne charmante que forment en Ta présence les saints. Car j’ai été saisi d’une intense allégresse, ce matin, quand nous traversions le jardin pour les Rogations, aspergeant d’eau bénite les jeunes pousses, les plants vigoureux de ce printemps, et chantant les Litanies des saints. Sancte Bernarde, ora pro nobis ! Sancte Francisce, ora pro nobis ! Sancta Agnes, ora pro nobis ! Sancta Lucia... Nous les interpellions familièrement et pour un peu, dans ce soleil roux perçant le brouillard, il nous aurait semblé naturel que les saints descendent du Ciel pour se mêler à notre procession et chanter avec nous. Connaissant leur vie, imaginant leurs visages, à mesure que la litanie les faisait passer devant les yeux de notre cœur je songeai, je songe encore, au bonheur chargé d’intelligence et d’immense affection que nous aurons à les voir, à les connaître enfin de nos yeux, à les entendre nous enseigner leur sagesse et à entrer dans leurs chœurs.

D’autant plus vif est ce désir que la compagnie des humains nous est lourde, parfois insupportable, oh ! non, je ne dis pas cela de mes frères et de mes sœurs, mon Dieu je ne le dis véritablement de personne ou alors je devrai le dire de moi premièrement en pitié pour mes frères et mes sœurs. Comment pourrais-je mépriser ce cher prochain sur la face duquel subsiste encore quelque vestige de l’antique image et ressemblance, et parfois perce et rayonne la Lumière de votre Présence, votre Grâce ? Non, je ne méprise ni ne hais personne. Et pourtant, Seigneur, Seigneur, combien en ces temps difficiles, dans cette société brutale où tant de péchés si grands, si laids se commettent, j’ai envie de m’écrier avec le psalmiste : Mon âme a trop longtemps vécu parmi les gens qui haïssent la paix ; je ne veux que la paix, vivre tranquille en solitude, et ce sont des combats, des discordes, des ennuis sans fin (Ps 119) !

Alors, c’est une consolation, une joie immense, une espérance renouvelée, innombrable comme les invocations de ces Litanies, que de songer au Ciel où nous entrerons dans la communion des saints et des saintes. Je m’en réjouis pour les malheureuses vies qui n’ont été abreuvées que de méchancetés et d’horreurs, de tristesses et d’épreuves. Courage, mes enfants ! au Ciel nos récréations seront meilleures et nos échanges spirituels seront exaltants ! Nous verrons sainte Cécile et nous converserons avec saint Grégoire, nous connaîtrons saint Louis et nous aimerons sainte Jehanne d’Arc Lorraine. Nous dénouerons enfin bien des énigmes de leurs chères vies et nous apprendrons tout ce que nous voulions tant savoir de leurs honneurs et de leurs mérites ! Ce n’est rien encore. Nous contemplerons leurs visages, nous découvrirons le constant amour qu’ils nous portaient dans nos combats, nous respirerons dans l’océan de leur parfaite tendresse.

Leur vie n’est pas si loin de la nôtre, ascensions et descentes incessantes nous les rendent bien proches et la communion des saints de la terre me donne, sauf aux jours d’ennui et de détresse, la chaude prégustation du bonheur que j’aurai dans la compagnie sublime des élus.

Oui, mes frères, mes sœurs, tandis que notre petit cortège avance au rythme de ses litanies sous nos charmilles, dans les allées de ce jardin clos, vos jeunes voix alternées sont belles et ce que vous chantez est d’une poignante et haute vérité. Vous allez bien, comme vous êtes, en procession avec votre Père vers les jardins du Ciel. Alors je vous connaîtrai mieux et je saurai mieux estimer le trésor de grâce et de flamme que vous portez en vos vases d’argile. Déjà soyons ici comme nous espérons être au Ciel. Levant légèrement les yeux nous contemplons sous le voile des images et des statues tant de saints que nous aimons. Vivons en leur compagnie, inspirons nos paroles des leurs, modelons nos gestes sur les leurs et vénérons-nous mutuellement comme si nous étions les uns pour les autres des saints promis au vitrail !

Ainsi me voilà guéri de ma détresse passagère, guéri par la foi, dans l’espérance et dans l’Amour. Je continue à méditer cette présence vivante de tous les saints mais non plus pour ma seule joie. Je les vois venir au milieu de nous, nous inviter dans leurs chœurs, nous transformés en eux, eux devenus semblables à nous, tous beaux et purs, tous spirituels et ardents, tous heureux, apprenant timidement à mêler nos voix à leurs voix pour l’ineffable louange de ta gloire immortelle, Jésus !

Abbé Georges de Nantes Pages Mystiques tome 2, n° 89, p. 215 (juin 1976)