L'abbé Kurt Hruby

EXPERT AU CONCILE Vatican II 
UN AMI FIDÈLE ET COURAGEUX DE LA CONTRE-RÉFORME CATHOLIQUE

LA MORT D’UN PRÊTRE PAUVRE ET PIEUX.

L'abbé Kurt HrubyLe soir du vendredi 4 septembre 1992, l’abbé Hruby donna la conférence aux hommes du Sacré-Cœur pour la veillée du premier vendredi du mois, dans l'église de Vulaines. Il parla longuement de saint Claude de la Colombière et de la dévotion au Sacré-Cœur. Samedi matin, premier samedi du mois, la Vierge Notre-Dame est venue le chercher. Déjà, il y a deux mois, par suite d'un malaise cardiaque, il était tombé de sa mobylette, sur le chemin d'une de ses paroisses. Cette fois, après une nouvelle chute, les pompiers l'ont relevé mort. (…)

Je voudrais dévoiler l'itinéraire singulier d'une grande âme, demeurée extraordinairement secrète, sous les apparences d'un abord facile et d'une ouverture universelle, sans exclusive et sans haine.

DU JUDAÏSME AU CATHOLICISME... ET RETOUR.

Kurt Hruby est né à Krems-sur-Danube, en basse Autriche. Son père répondait au prénom de Maximilien, et sa mère, d'origine juive, du nom de Rosa Rohn, s'était convertie au catholicisme pour se marier. L'enfant fut donc baptisé.

En 1938, lors de l'Anschluss, il échappa à la persécution nazie en partant avec sa mère pour la Palestine. Là, il fut un pionnier du Qibbûs religieux de Elijahv, dans la vallée du Jourdain, et il suivit le cursus de l'académie rabbinique, ou yeshiva. Puis il se fit embaucher dans un restaurant pour gagner sa vie et celle de sa mère. À vingt ans, il décide d'entrer au séminaire. Il devient correspondant de l'agence France-Presse lors de la naissance du nouvel État d'Israël. En 1948, il est de retour en Europe, à Vienne d'abord puis à Louvain, où il fait ses études de théologie. Il est ordonné prêtre le 18 mars 1956 par Mgr Kerkhofs, dont il ne parlait qu'avec les accents d'une dévotion filiale comparable à celle qu'il vouait à sa mère.

Incardiné au diocèse de Liège, il fut chargé de cours à l'Institut catholique de Paris où il entra en 1961. C'est là que je l'ai connu. J'étais entré en 1956 au séminaire des Carmes. Je suivis aussitôt les cours d'hébreu biblique que donnait monsieur Cazelles, et en 1957 je m'inscrivis au cours d'arabe classique de l'abbé Moubarac, pour me préparer à traduire et commenter le Coran par une application rigoureuse des méthodes scientifiques en usage dans les études bibliques. À mon retour du Sahara, des amis me présentèrent à l'abbé Hruby. (…) Je suivis assidûment ses cours sur la langue et la tradition rabbiniques, à la recherche des sources de la langue coranique. Et je commençais à moissonner les contacts littéraires et philologiques capables d'expliquer non seulement les idées présentes dans le Coran, mais encore la genèse de la langue coranique, encore absolument inconnue.

EXPERT AU CONCILE Vatican II.

Vint la tourmente conciliaire. L'abbé de Nantes, chassé de ses paroisses de Villemaur, Pâlis et Planty, entrait en Contre-Réforme, de notre Maison Saint-Joseph à Saint-Parres-lès-Vaudes. (…) Pendant ce temps, à l'extrême opposé, l'abbé Hruby, mettait toute sa science au service de la Réforme du XXe siècle, fille de celle du XVIe. La nouvelle attitude de l'Église, toute d'ouverture et de sympathie à l'égard de la religion de sa mère, répondait trop à ses amours pour qu'il n'y entrât pas à fond et de toutes ses forces.

Il partit pour Rome. Chargé de cours à l'Institut biblique pontifical, il préparait les interventions de certains évêques au Concile sur la question du judaïsme en rédigeant des notes à leur intention. (…) Il soutenait par exemple, à la suite de Joseph Klausner dans son livre Jésus von Nazareth, que « tout ce que l'Évangile dit à propos de l'amour du prochain est également présent dans la tradition juive, et cela sans exception aucune ».

Il abolissait ainsi l'antagonisme traditionnel entre l’Église et la Synagogue en “réduisant à néant”, comme disait saint Paul (1 Co 1, 17), toute la nouveauté de l'Évangile. (…) Marcel Neusch dans un article de La Croix a parfaitement exprimé son dessein : « À ses yeux, le judaïsme du passé, mais aussi celui d'aujourd'hui, faisaient partie du plan de Dieu. Rien ne justifie donc la “théorie de la substitution” selon laquelle le christianisme serait la “relève” du judaïsme. »

Les besoins de sa démonstration l’avait forcé à passer sous silence les nombreux textes rabbiniques foncièrement antichrétiens, ou du moins à en excuser la virulence, faisant porter tout le poids de la faute aux chrétiens eux-mêmes : saints Pères, Docteurs et Pontifes de l’Église confondus dans une même réprobation avec Luther ! (…) On touche du doigt, une nouvelle fois, sur le chapitre particulier des “relations de l'Église avec les Juifs”, la formidable imposture de la “ Réforme de l'Église ” entreprise par le Concile Vatican II. (…) Vingt ans plus tard, il n’en sera plus très fier. (…)

L'EXÉGÈSE DU CORAN.

En 1980 l’abbé de Nantes décida de commencer la publication de notre traduction du Coran et de notre commentaire systématique. Je repris donc contact avec l'abbé Hruby. Il me reçut avec sa bonté ordinaire, me prodigua tous les encouragements, me consacrant des journées entières pour répondre à mes questions en me fournissant toutes les références savantes désirables.

Souvent, j'arrivais tôt matin pour me confesser à lui, entendre sa messe et communier de sa main. Puis nous travaillions dans la bibliothèque réunie par ses soins et, pour une part considérable, de ses propres deniers, chez les Pères de Notre-Dame de Sion où il avait son bureau. Il écoutait mes questions en prenant des notes. Puis il se levait lentement, gêné par sa corpulence, s'en allait choisir sur les rayons l'un des douze volumes du Talmud de Babylone de Goldschmidt2 ; à moins que le trait coranique à élucider ne nous renvoyât au Talmud de Jérusalem de Cracovie3. Il lisait l'un et l'autre dans le texte avec une aisance insurpassable qui me remplissait d'admiration… (…)

Je lui soumis enfin un train d'épreuves en vue de l'impression du premier tome de notre traduction du Coran. Il nous invita, l'abbé de Nantes et moi, à une séance de travail, dans sa maison de campagne de Vulaines, à quarante kilomètres de Saint-Parres-lès-Vaudes. Rendez-vous pris, il m'écrivait : « Je me réjouis de votre visite, jeudi prochain, en compagnie de M. l'abbé de Nantes. Venez quand vous voulez, la maison est à votre disposition et tout le monde pourra travailler d'une manière indépendante. Dans la perspective de votre visite, je m'abstiens de vous renvoyer les pages d'épreuves que vous m'avez envoyées, et que j'ai examinées avec soin pendant la retraite. Vous savez bien que, dans l'intérêt de la cause, je ne vous cacherais pas d'éventuelles réserves mais il n'y a pas lieu d'en faire. Bien au contraire : ce que j'ai lu jusqu'à présent me semble solide, équilibré, bien présenté et suffisamment irénique pour qu'on ne vous fasse pas un procès d’intention. Vous savez hélas quelle est la mentalité de la plupart des gens: ils demandent moins ce que les choses valent mais plutôt d'où elles émanent... Toutefois, il ne faut pas s'en préoccuper outre mesure ; tout le monde a le droit de porter fièrement son “étiquette” ! Bien sûr, je ne suis pas un arabisant et n'ai donc aucune compétence dans ce domaine. Mais il est vrai également que des générations d'arabisants de métier n'ont pas fait avancer d'un pouce la question de fond, celle portant sur les origines du Coran. Et il est grand temps qu'on brise enfin ce mur de silence. Ne vivant pas en “ Terre d'Islam ” et n'étant pas intéressé à ce que l'El-Azhar vous décerne un satisfecit, vous êtes suffisamment indépendant pour dire les choses sans prendre des gants. » (…)

Voulant nous voir aboutir, et sans retard, à une traduction intégrale du Coran, il ne ménageait pas ses encouragements : « Je souhaite sincèrement que vous puissiez donner à cela une priorité absolue, car personne d'autre ne le fera. »

L' “IDENTITÉ JUIVE” EN QUESTION

Quel homme singulier ! D'autres ont fait des théories livresques, en “experts”, en intellectuels, sur les relations de l'Église avec les Juifs. Lui, c'était différent.

Une comparaison fera peut-être comprendre cette différence. Jean-Marie Aaron Lustiger, cardinal archevêque de Paris, se réclame très certainement de la “double appartenance”, comme dit le R.P. Dupuy. Il en a même fait un livre au titre provocant : “ Le choix de Dieu ”. Il se trouve que c'était en réponse à l'appel interjeté par Georges de Nantes, appel au jugement de Dieu. Réponse pleine d'arrogance, en même temps que d'erreurs sur la foi catholique.

Rien de tel chez Hruby. Je lui communiquai l'étude que notre Père a consacrée au livre du cardinal, Judaïsme ou catholicisme : Aaron Jean-Marie Lustiger doit choisir. Non sans crainte, m'attendant à une sévère remontrance, peut-être à une brouille ! C'était mal connaître cet ami imprévisible. Voici sa réponse : « Cher ami, je vous remercie de votre aimable lettre et de votre bulletin, consacré cette fois-ci, en grande partie, aux relations judéo-chrétiennes. C'est manifestement une question complexe à l'intérieur de laquelle je tâche de voir clair depuis de longues années, sans que, de mon côté, j'aie à présenter des thèses. Il s'agit plutôt d'un certain nombre de réflexions, de “pistes”, comme on dit maintenant. Il y a, dans ce que dit M. l'abbé de Nantes, des choses très justes qu'il est incontestablement utile de rappeler à une époque où la confusion règne aussi dans ce domaine. En revanche, il y en a d'autres où, à mon humble avis, il y aurait lieu d'être beaucoup moins catégorique. En ce qui concerne la position de l'archevêque de Paris, je ne crois pas qu'on puisse mettre en cause sa foi catholique. Le problème est plus complexe et d'ailleurs fort ancien : en quoi consiste au juste la fameuse “identité juive” et pourquoi un Juif qui reconnaîtrait le message de l'Évangile devrait-il y renoncer ? Mais nous parlerons de tout cela, Dieu voulant, à tête reposée lors de notre prochaine rencontre. »

Nous en reparlâmes en effet. L'abbé Hruby convenait aisément que le cardinal Lustiger ne connaissait rien à la “question manifestement complexe” qui le hantait, lui Hruby. Sur ce point, son jugement était aussi sévère que celui de l'abbé de Nantes, lui-même en accord, d'ailleurs, avec les autorités officielles du judaïsme, tel le grand rabbin de Lyon Wertenschlag, par exemple. (…)

Mais « en quoi consiste au juste la fameuse “identité juive” ? » Pour répondre à cette question, il suffit de considérer Kurt Hruby à Rome pendant le Concile et l'immédiat après-Concile. Il resplendit de toute son “identité juive”, et celle-ci est antichrist. Il répète à l'encontre de Jésus-Christ avec les rabbins du IIe siècle et avec le concile Vatican II : « Un seul homme a été constitué l'ancêtre du genre humain, Adam » ; c'est en Adam que « tous les hommes sans distinction sont frères, enfants d'un même Père céleste ». Il a oublié l'enseignement de saint Paul, selon lequel ce qui est « entré dans le monde par un seul homme », Adam, « c'est le péché, et par le péché la mort » (Rm 5, 12) : cascades de meurtres, sang répandu « depuis le sang d'Abel le juste jusqu'au sang de Zacharie, fils de Barachie, que vous avez assassiné, disait Jésus aux Juifs, entre le sanctuaire et l'autel » (Mt 23, 35 ; Lc 11, 51) ! Mais Adam n'était que la « figure de celui qui devait venir » (Rm 5, 14), qui par son obéissance a fait surabonder la grâce, qui « en sa personne a tué la haine » (Eph 2, 16), fondant une nouvelle solidarité, un nouveau genre humain en son alliance nouvelle et éternelle, Jésus-Christ Notre-Seigneur.

Pour ne pas déplaire au Pape d'un jour et à son Concile, l'abbé Hruby consentit un moment à mettre entre parenthèses cet enseignement éternel de saint Paul. Ce ne fut jamais chez lui un reniement véritable, mais plutôt un laisser-aller, une désorientation, “dans l'esprit du Concile”, et dans l'esprit de son atavisme rabbinique, l'un et l'autre étonnamment concertés. Mais il me reste à raconter comment il s'est dégagé du piège, par la grâce de quelques événements providentiels. Sans ruptures dramatiques ni abjuration solennelle, il effectua un revirement complet, passant du prétendu “amour du prochain” selon “la pensée juive” à la charité chrétienne par la dévotion au Sacré-Cœur.

SOUS L'ÉGIDE DU SACRÉ-CŒUR

Le premier choc est venu des suites du Concile. Une lettre fait le bilan, vingt ans après, de la douloureuse expérience vécue par l'abbé Hruby jour après jour chez les Pères de Notre-Dame de Sion, rue Notre-Dame-des-Champs, à Paris, où il avait son bureau et sa bibliothèque. Cette congrégation avait été fondée au siècle dernier par les deux frères Ratisbonne « pour travailler à la conversion d’Israël » et non pas pour « promouvoir le dialogue entre Juifs et chrétiens », comme on le prétendit à partir du Concile. L'abbé Hruby vit les religieux quitter les uns après les autres pour prendre femme, et un métier. Bientôt, lui qui n'appartenait pas à la congrégation, demeura seul sur la brèche… (…)

Un jour, il apprit que certaines de ces mêmes religieuses de Notre-Dame de Sion, fondées comme les Pères pour travailler à la conversion des Juifs, s'étaient rendues à la synagogue pour participer à la cérémonie d'une circoncision. Il qualifia cette initiative d'enfantillage, m'expliquant que si ces bonnes sœurs croyaient plaire ainsi aux Juifs, c'était raté : elles n'y avaient gagné que leur mépris, en montrant le peu de foi qu'elles avaient en leur propre baptême. (…)

Aussi, à partir de 1978, à cause des chambardements qui bouleversaient la maison des Pères de Sion, et contre lesquels il était fatigué de batailler ne voulant pas avoir « l’air de lutter contre les moulins à vent, comme feu don Quichotte… », l'abbé Hruby mit-il sa joie à quitter Paris pour venir aider l'abbé Grossin, curé de Rigny-le-Ferron, dans son ministère paroissial. (…)

DÉVOT DU SACRÉ-CŒUR ET DU CŒUR IMMACULÉ DE MARIE.

C'était en 1978, année tournante : mort de Paul VI, avènement de Jean-Paul Ier, ostension solennelle du Saint Suaire à Turin. L'abbé Hruby, pour sa modeste part, prêta son concours à cette renaissance de l'Église en devenant le pilier de l'œuvre des “veillées du Sacré-Cœur”. Fondées en 1952 par l'abbé Besançon, prédécesseur de l'abbé de Nantes à Villemaur, ces veillées du premier vendredi du mois ont maintenu dans tout le doyenné d'Estissac une foi solide et éclairée, une pratique religieuse fidèle. (…)

Telle est l'œuvre à laquelle l'abbé Hruby, se posant fièrement en successeur de l'abbé de Nantes, a consacré le meilleur de ses forces pendant quatorze ans. En 1986, il prit pour thème des conférences doctrinales “Les apparitions de la Sainte Vierge aux XIXe et XXe siècles”. Pour le premier vendredi du mois de septembre, la veillée eut lieu à Villemaur. Il m'écrivit : « Je me suis permis de dire que je ne serai pas très long en ce qui concerne Fatima, l'excellent livre du frère Michel de la Sainte Trinité contenant tout ce qu'il faut savoir. Après la cérémonie, le desservant de Villemaur, M. Jean Lunardini, curé d'Estissac, m'a fait part de sa “gêne” à cause de cette remarque car, semble-t-il, il ne faut pas parler dans le diocèse et, à plus forte raison (et pour cause !) à Villemaur, de M. l'abbé de Nantes et de la communauté de Saint-Parres-lès-Vaudes. C'est dommage que je n'ai pas pu enregistrer ma réponse. Je ne me suis pas gêné de faire remarquer que je considérais une telle attitude comme une parfaite hypocrisie, comme une politique d'autruche et comme un ostracisme absolument indu. » (…)

DÉFENSE COURAGEUSE DE L’ABBÉ DE NANTES FACE À MGR DAUCOURT.

L’abbé Hruby ne réservait pas ces considérations à notre correspondance privée, Je n'en veux pour preuve que le récit de sa conversation avec notre nouvel évêque de Troyes en mai 1991 :

« Mgr Daucourt est donc venu déjeuner chez moi comme prévu, après avoir rendu visite à l'abbé Grossin à Rigny. (…)

« J'ai alors dit que je venais juste de recevoir une lettre de vous et lui ai parlé longuement de votre travail remarquable sur le Coran et le Saint Suaire. Il m'a alors demandé des précisions sur votre personne. C'est alors que j'ai enchaîné en faisant remarquer que je trouvais inadmissible l'ostracisme dont “on” faisait preuve à l'égard de votre communauté, attitude que je devais considérer comme anti-chrétienne, ajoutant qu'il fallait chercher longtemps de nos jours pour trouver une communauté qui, en ce qui concerne le sérieux de vie, était comparable à la vôtre. Je n'ai pas non plus manqué de faire remarquer que j'appréciais au plus haut degré l'élévation spirituelle et théologique des conférences de M. l’abbé de Nantes… (…)

« Ce dialogue assez long se terminait par la question de Mgr Daucourt : “ Que puis-je faire ? ” ajoutant que, pour qu'une réconciliation devienne possible, M. l'Abbé de Nantes devait cesser d'attaquer le Pape et reconnaître le Concile. J'en fais simplement état pour vous rendre compte aussi fidèlement que possible de l'évolution de la conversation. (…)

« Je crois que, grâce aux explications que vous m'avez données en diverses circonstances, j'ai finalement bien saisi la nature du combat de M. l'Abbé de Nantes. Et que, finalement, vous étiez plus libres dans la situation actuelle, malgré les inconvénients qu'elle présente (ordinations, etc.). Je me suis donc permis de dire à Mgr Daucourt qu'à mon humble avis, il ne fallait absolument pas envisager votre situation dans l'Église sous l'angle d'un “repêchage” quelconque, comme les anciens lefebvristes honorés dernièrement à Chartres par la présence, au milieu d'eux, de Mgr Mayer. Mais que tout devait être vu dans une perspective de vraie charité chrétienne, dont on fait officiellement état à l'égard de tous ceux qui sont hors de l'Église et à laquelle avaient néanmoins droit aussi ceux qui, malgré tout, sont d'Église. Et qu'il fallait donc cesser de jeter l'anathème, officiellement ou sournoisement, sur tout ce qui sortait de Saint-Parres-lès-Vaudes, en appliquant des critères de justice et en reconnaissant les éléments valables à leur juste valeur. » (…)

L'AMI FIDÈLE.

Aucune de nos activités ne le laissait indifférent, et il proposa même sa participation comme aumônier : « Ces “récollections” dans un milieu de foi sont tellement importantes à une époque où cela craque de tous les côtés. »

Quant à notre fondation au Canada, elle le remplit de joie : « J'ai été très content d'apprendre que votre fondation au Canada se développe si bien. Il faut en effet préparer l'avenir quand, avec la grâce de Dieu, on sera sorti du marasme actuel dans l'Église où les mesures les plus contradictoires se suivent sans qu'on sache à quoi s'en tenir. »

II annonçait dans la même lettre : « Depuis la fin du semestre, je suis libéré d'un poids : j'ai pris enfin ma retraite à l'Institut catholique. Le 2 juillet, la Faculté a organisé une “soirée d'adieu” en mon honneur. C'était une sorte d'enterrement de troisième classe. J'avais peur que cela m'oblige à revoir certaines gens que j'évite soigneusement depuis des années mais ils ont eu la bonne idée de ne pas venir. »

C'était il y a un an. Il avait achevé sa course. (…) Une “course de géant”, comme dirait sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus de la Sainte-Face, qui a ramené Kurt Hruby du plus loin au plus près de nos convictions et de nos amours. Afin d'établir la preuve définitive de cette adhésion profonde, cordiale et sainte, je citerai encore la lettre qu'il nous adressa à l’heure de l'épreuve :

« Merci de votre mot, de la note explicative et de votre confiance. L'expérience douloureuse par laquelle passe votre communauté m'a beaucoup touché car vous n'ignorez pas combien je considère un grand nombre de vos activités comme un élément indispensable de la vie de l'Église dans la situation actuelle. (…) Pour moi, vous êtes dans l'Église. Mais je souhaiterais de tout mon cœur que vous puissiez y œuvrer sans entraves, sans qu'on puisse vous marginaliser. » [lettre du 10 octobre 1989]

LE SAINT SUAIRE.

Dans la même lettre, il ajoutait avec ferveur : « Quelle bonne chose que toute cette ignoble cabale contre le Saint Suaire ait avorté lamentablement ! J'attends avec impatience votre nouvelle publication. » (…)

L’abbé Hruby avait noué des liens d'amitié avec l'abbé Ratzinger au temps du Concile. Mais depuis, les deux “experts” avaient suivi des itinéraires si divergents que tout les séparait. Il décida pourtant d'agir par personne interposée mais le cardinal répondit que : “ Tant que cette affaire est continuellement montée en épingle par des 'milieux extrémistes, il ne peut pas être question qu'on y revienne. ” et notre ami de conclure : « Je vous laisse faire l'exégèse de cette remarque lapidaire. La valeur de vos “découvertes” n'est évidemment pas en cause mais “les choses étant ce qu'elles sont”, comme disait un personnage de la France presque contemporaine, il faudrait qu'elles soient assumées et présentées par des milieux “mieux en cour”, non soupçonnés d'“extrémisme”. »

L'ENTERREMENT À RIGNY-LE-FERRON.

Nous nous rendîmes à ses funérailles, frère Christian et moi, à Rigny-le-Ferron. Belle église champenoise, accueillante et bien tenue dans son ordonnance traditionnelle jalousement conservée. Une modeste assistance remplit le chœur, étonnamment vaste, et ses bas-côtés : paroissiens de Rigny, Vulaines et Bérulle, fidèles des veillées du Sacré-Cœur, parmi lesquels d'anciens paroissiens de l'abbé de Nantes. (…) Imaginez l'étonnement des fidèles serrés autour du corps comme les brebis d'un petit troupeau autour de son bon berger, lorsque le R.P. Dupuy prendra à son tour la parole : Kurt Hruby, s'entendent-ils expliquer, c'était un “miracle” sans précédent et qui ne se reverrait sans doute jamais, parce qu'il vivait en toute vérité, simplicité, sincérité, une “double appartenance”, au judaïsme de sa mère et au catholicisme de son père... Prévoyant le scandale, et pour le prévenir, l'abbé Hruby avait exprimé à l'abbé Grossin sa volonté d'être enterré “sans homélie”, au chant de la messe traditionnelle de Requiem. Mais le curé de Rigny n'était plus le maître. Il ne put que lancer d'un ton rogue : « On chantera le Sanctus et l’Agnus, le Libera et l’In Paradisum. Il faut respecter la volonté des défunts ! » Ce qui jeta un froid sur les concélébrants qui l'entouraient, parmi lesquels avait pris place le pasteur Willi, de la fondation suisse protestante Église-Judaïsme, de Bâle. (…)

Nous traverserons une bonne partie du village, suivant la rue montante du cimetière. Dernier voyage. Finis les “séminaires”, sessions, colloques œcuméniques et interreligieux auxquels il ne cessa de courir jusqu'à la fin, ne sachant refuser, bien qu'il se sentît “utilisé”, comme il disait. Mais il s'arrangeait aussi toujours pour revenir à temps, fût-ce de Jérusalem, de Prague ou de Zurich, pour rejoindre son troupeau et faire avec lui les exercices du premier vendredi du mois. C'est là que le Sacré-Cœur est venu le chercher, comme promis à sainte Marguerite-Marie : « Mon Cœur se rendra leur asile assuré à l'heure dernière. » (…)

frère Bruno Bonnet-Eymard
Extraits de la CRC n° 285, octobre 1992, p. 3-12