VII. L'Ordre

Le sacerdoce est l’institution choisie par Dieu pour communiquer à ses élus de manière tangible, au sein de la vraie religion, sa Vérité, sa Vie, sa Loi, et les conduire à faire société avec lui pour l’éternité. Ainsi tout prêtre, investi du divin sacerdoce, est constitué médiateur entre Dieu et les hommes.

LE SACERDOCE ANCIEN

Déjà dans les temps d’ignorance et de malice du paganisme, abondaient prêtres, devins et sorciers qui prétendaient assumer un tel rôle dans le service et le culte des idoles, voire du « Dieu inconnu ». Ce sacerdoce était sans pouvoirs réels, il constituait un mensonge permanent. Les juifs, ayant reçu de Dieu une première Révélation, une Alliance sainte et une Loi, des prophètes leur furent envoyés pour leur transmettre les oracles divins, des prêtres leur furent désignés pour présenter à Dieu leurs sacrifices et en recevoir les dons et bénédictions, enfin des juges et des rois pour les gouverner théocratiquement. Ainsi Yahweh choisit-il la tribu de Lévi pour le service du Temple et la race d’Aaron pour le sacerdoce. L’autorité et les pouvoirs sacerdotaux venaient ainsi de Dieu aux hommes de son choix, qui agissaient en son Nom auprès des hommes, et en représentants qualifiés de leur peuple en sa Présence.

Ils n’étaient pourtant que l’annonce du sacerdoce futur. Melchisédech, que la Bible qualifie de « prêtre du Dieu Très Haut »(Gen. 14, 18), qui offre un sacrifice de « pain et de vin » en faveur d’Abraham et auquel celui-ci donne « la dîme de tous ses biens », annonce de façon beaucoup plus parfaite le Prêtre de la nouvelle et éternelle Alliance, dont le psaume 110 prophétise qu’il sera le Messie, fils de David ! Aussi l’Épître aux Hébreux n’hésite pas à voir en lui la figure prophétique de Jésus, Souverain Prêtre (Héb. 5-7).

LE SACERDOCE DE JÉSUS-CHRIST

Notre-Seigneur Jésus-Christ est, de fait, le parfait mé­diateur entre Dieu et les hommes, ce Souverain Pontife et Prêtre que célèbre l’Épître aux Hébreux (8-9). Fils de Dieu, il a en lui la vie divine, qu’il a reçu mission de communiquer aux hommes. Il devient par son Incarnation l’un d’entre eux et leur représentant le plus qualifié. Par son Sacrifice rédempteur, il devient leur Sauveur et sa propre vie offerte devient source de grâces pour tous ceux qui s’approchent de lui avec foi.

Lui-même, constitué par sa mort et sa résurrection Souve­rain prêtre de l’Alliance nouvelle et éternelle, revendique « tout pouvoir au ciel et sur la terre », comme lui étant donné par son Père. C’est alors qu’il ordonne à ses Apôtres d’aller prêcher l’Évangile à toutes les nations, de les baptiser, de lier et de délier les âmes soumises à leur autorité, de célébrer le sacrifice eucharistique qu’il a institué en leur présence et qu’il leur a recommandé de refaire après lui. Autant il leur a ordonné de ministères à accomplir, autant il leur a donné de pouvoirs, car que seraient des ordres sans pouvoirs correspondants ? C’est pourquoi le sacrement qui constitue le sacerdoce chrétien a-t-il reçu le nom de « sacre­ment de l’Ordre », et son rite le nom d’« ordi­nation ».

Remplis de l’Esprit-Saint le jour de la Pentecôte, les Apôtres, avec Pierre à leur tête selon l’ordre voulu par Jésus-Christ, deviennent les prédicateurs de sa Parole, les prêtres de son sacrifice, les chefs et les juges de son Peuple saint. Et ils se connaissent le pouvoir de se choisir des successeurs, à qui ils légueront leur charge et leurs pouvoirs de docteurs, de sancti­ficateurs et de chefs des églises, à l’exception de leurs charismes intransmissibles de “ fondateurs ” de l’Église. C’est ainsi qu’avant même la Pentecôte, sur l’initiative de Pierre, ils investissent un certain Matthias du « ministère de l’apostolat »... « qu’a délaissé Judas » (Act. 1, 25). Et Matthias, fait exceptionnel, prend place parmi les Apôtres, comme bientôt Paul, fait plus singulier encore, et non parmi leurs successeurs !

LA SUCCESSION APOSTOLIQUE

Partout où les Apôtres fondent des églises, ils leur désignent des chefs s’inspirant de l’organisation syna­gogale juive, ils instituent des « conseils d’anciens », les « presbytres », et des « surveillants », des « épis­copes », chargés de diriger les communautés en leur nom. Des Anciens gouvernent l’Église de Jérusalem, selon les Actes. Saint Paul en nomme partout où il passe. Disant adieu à l’Église d’Éphèse, il adresse un discours pathétique aux Anciens, comme son testament pas­toral : « Soyez attentifs à vous-mêmes et à tout le troupeau dont l’Esprit-Saint vous a établis gardiens pour paître l’Église de Dieu. »(Act. 20,28) Saint Pierre, de son côté, souligne dans quel esprit d’humilité, de pauvreté, de charité il leur convient de s’acquitter de leurs sublimes fonctions, dans sa première Épître (5, 1).

Quelle véhémence dans les recommandations de saint Paul à ses disciples Timothée et Tite : « Enseigner la pure doctrine, condamner les faux docteurs, garder le dépôt », c’est sa hantise pour eux ! Fortifier les bons, punir les méchants, veiller à la bonne tenue de tous, tel doit être leur souci, et nous savons par l’Épître aux Corinthiens (I, chap. 11) qu’il s’agit en particulier de conserver le bon ordre de l’assemblée où ils célèbrent le mémorial du Seigneur, la « fraction du pain », la messe.

Eux-mêmes, ces délégués apostoliques, doivent à leur tour désigner des presbytres et des épiscopes : qu’ils choisissent des « sujets capables et irréprochables » ! « Ne te hâte pas d’imposer les mains à n’importe qui ! » (I Tim. 5, 22) L’imposition des mains est donc le rite de ces “ ordinations ”. Elle procure les pouvoirs sacerdotaux et, pour les bien remplir, une grâce d’état permanente, nous dirons : un “ caractère ”. « Je t’invite à raviver le don que Dieu a déposé en toi par l’imposition de mes mains », dit l’Apôtre à son cher et faible Timothée (II ; 1, 6)... « Ne néglige pas le don spirituel qui est en toi ! » (I ; 4, 14)

Dès la fin du premier siècle, l’Évêque est le chef de communauté investi de la succession apostolique, ainsi que l’atteste saint Clément de Rome. Il est entouré d’un presbyterium dont les membres sont ses aides et ses délégués. Saint Ignace d’Antioche est une magnifique figure d’évêque des premiers âges. Dans ses lettres célèbres, il recommande aux chrétiens de rester « unis et soumis à l’évêque comme Jésus-Christ dans sa chair le fut à son Père et comme les Apôtres le furent au Christ »... « Partout où paraît l’évêque, que là aussi soit la communauté, de même que partout où est le Christ-Jésus, est l’Église catholique. Il n’est permis ni de baptiser, ni de célébrer l’agape en dehors de l’évêque, mais de cette façon tout ce qui se fera dans l’Église sera sûr et valide. »

Chose curieuse, la création des ministères par les Apôtres semble s’être faite à partir des moindres, et cela a contribué plus tard à en comprendre injustement la distribution et les degrés. Leur premier soin avait été de s’aider de « diacres »pour le service matériel de la communauté de Jérusalem, en particulier le soin des pauvres (Act. 6, 4-8). Puis les « presbytres », les prêtres, apparaissent dans les églises nouvellement créées, et plus tard, à mesure que les Apôtres doivent faire face à des tâches plus étendues et plus lourdes, des « épiscopes » ou évêques sont désignés par eux pour prendre la tête de chaque église en l’absence de l’Apôtre... ou de son délégué. Car des envoyés comme Timothée ou Tite sont, au-dessus de tout ce clergé local, les véritables successeurs des Apôtres, itinérants comme eux, et munis de leurs pleins pouvoirs.

Le véritable sacerdoce, la plénitude de l’autorité et des pouvoirs des “ prêtres ” de Jésus-Christ doivent donc être bien placés là où ils sont : d’abord dans les Apôtres, de toute évidence ! Puis dans leurs délégués itinérants et, par eux, puis après eux, dans les Évêques nommés de manière permanente à la tête des Églises locales. La plénitude du sacrement de l’Ordre est donc – comme l’a retrouvé le Concile Vatican II – non dans les prêtres mais dans l’Évêque. L’imposition des mains pour la consécration épiscopale est donc la source permanente du sacerdoce, dont celui des prêtres puis les divers ministères des ordres inférieurs sont des participations.

L’EXALTATION DU SACERDOCE

Célébration de la messeC’est quand la théologie exaltera presque exclusivement, parmi les pouvoirs du sacerdoce catholique, celui de la célé­bration de la messe, et plus précisément encore, le pouvoir de consacrer ou transsubstantier le pain et le vin au Corps et au Sang du Christ, que le sacerdoce du prêtre paraîtra premier, jusqu’à effacer la supériorité de celui de l’évêque considérée comme une pure primauté d’honneur et non d’ordre et de pouvoirs sacrés !

Parallèlement, un foisonnement de rites secondaires envahit la collation liturgique des saints ordres, cherchant tous à exprimer par leurs symboles naïfs et puissants les pouvoirs cultuels des sept degrés du sacerdoce. Le signe du sacrement devient l’objet sur lequel s’exerce le pouvoir qu’il confère : les clefs de l’église pour l’ostiariat, le chandelier et la burette (vide) pour l’acolytat, etc. Au prêtre, on ne se contente plus d’imposer les mains, mais encore on pratique une onction d’huile sur ses paumes qui doivent toucher le Corps du Christ ! et on lui fait toucher le calice plein de vin et la patène portant l’hostie, comme signes efficaces du pouvoir qu’il recevrait ainsi de consacrer les oblats ! Les scolastiques considéreront longtemps cette « porrection des instruments » comme le rite essentiel du sacrement, nécessaire sous peine d’invalidité ; et encore le pape Eugène IV dans son Décret aux Arméniens (1439).

Vint le moment où l’imposition des mains n’apparut plus que comme un rite secondaire. L’épiscopat perdait simultanément son caractère de ministère sacerdotal plénier pour n’être plus qu’une dignité conférée par un sacre, plus mondain que saint, et non par une ordination sacramentelle. Parce que la messe, isolée de ce qui la précède, l’enseignement de la foi, et de ce qui la suit, le gouvernement des âmes, accaparait toute l’attention. L’ancien catéchisme sur ce point est étroitement tributaire de cette conception : l’Ordre y est défini comme le sacrement qui confère au prêtre le pouvoir de dire la messe, et le reste paraît accessoire (quest. 270-271). Quant à l’évêque, son seul pouvoir remarquable est... d’ordonner les prêtres (quest. 272).

RESTAURATION DU SACERDOCE DE L’ÉVÊQUE

Si le Concile de Trente a sauvé le sacerdoce de la ruine où le précipitait l’hérésie protestante, en maintenant son caractère sacramentel de collation d’un Pou­voir sacré par un rite visible institué par Jésus-Christ. Si, en face des “ ministres de la Parole ” et “ prédicants ”, délégués de la communauté réformée pour le prêche et la cène, il a maintenu heureusement l’ordination sacerdotale dans toute sa puissance divine de consacrer l’hostie et le calice du sacrifice de la messe, ainsi que de remettre les péchés, il n’a pas pu tout faire, et l’avenir devait rééquilibrer cette vision trop fragmentaire du Sacerdoce catholique.

Devaient venir les temps providentiels de la restauration plénière du sacrement de l’Ordre. Après que le Concile Vatican I eut garanti définitivement la structure monarchique de l’Église par la primauté de Pierre et son infaillibilité plénière personnelle, le Concile Vatican II était appelé à définir la « sacramentalité de l’Épis­copat », et à replacer ce saint Ordre au sommet des sept ordres mineurs et majeurs, comme la source dont ils proviennent, et non plus comme l’aboutissement d’une carrière dont ils seraient les degrés !

Malgré bien des éléments contestables et même dommageables de cette Constitution Lumen Gentium de Vatican II, le ministère apostolique de l’Évêque y apparaît dans toute son étendue, dans ses fonctions d’enseignement, de culte et de gouvernement dont il reçoit les pouvoirs directement de Jésus-Christ en vertu de la succession apostolique, quitte à ne les exercer validement que par le mandat du Souverain Pontife lui attribuant un peuple particulier. Le Pasteur est ainsi envoyé par le Christ au peuple qui lui est désigné par le Pape, pour en être le gardien et comme l’époux mystique.

De lui donc viennent aux prêtres par l’ordination les pouvoirs de prêcher, de sacrifier et de gouverner dans les limites de la juridiction qu’il leur attribue.

Mais c’est à Pie XII qu’on doit la courageuse décision d’en revenir, nonobstant toute conception, toute définition et tout droit contraire, à la spécification du rite de l’imposition des mains comme le rite essentiel, seul nécessaire et suffisant, de toute ordination. On regrette cependant que la réforme postconciliaire ait poussé plus loin le retour à l’antique en supprimant certains ordres mineurs et majeurs, comme aussi toutes les cérémonies du rituel séculaire, d’origine médiévale, qui illustraient aux yeux du peuple le sens et la grandeur des divers pouvoirs conférés à chaque degré du sacrement de l’Ordre.

DEMAIN RENAÎTRA LE SACERDOCE

Un saint Pape, Pierre II ? un Concile de contre-réforme et de renaissance catholiques, Vatican III ? auront facile de revenir à la grande tradition chrétienne et catholique, contre les aberrations humanistes et démocratiques actuelles. Cette œuvre tirera profit de la féconde restauration du sacrement de l’Ordre épiscopal opérée par Vatican II, et relèvera cette institution dans toute son autorité et sa splendeur mystique et hiérarchique.

L’Évêque, Père et Pasteur de son Église diocésaine, dont il a reçu du Pape la charge particulière, pour en être spiri­tuellement l’« époux », a le pouvoir sur cette portion du Corps du Christ, l’enseignant, la gouvernant, la nourrissant du Corps et du Sang eucharistiques de ce même Christ et Seigneur dont il tient la place magnifiquement quand il “ pontifie ” dans sa cathédrale, église de son trône épiscopal, et célèbre les saints mystères de notre foi.

Les prêtres sont ses auxiliaires dans toutes ses tâches si vastes, si grandes, si sublimes d’enseigner, de catéchiser ! de célébrer le Saint-Sacrifice en tous lieux, de conférer les sacrements ou de veiller à leur valide, licite et digne distri­bution, enfin de régir et gouverner les communautés plus restreintes, à l’échelle humaine, que sont les paroisses, les collèges, les hôpitaux, les institutions religieuses, en toutes choses spirituelles et souvent, par suppléance, temporelles.

Alors, fort probablement, les degrés inférieurs des ordres majeurs, diaconat, sous-diaconat, avec leurs obligations à la récitation de l’office divin et au célibat ecclésiastique, et des ordres mineurs traditionnels, de portier, lecteur, exorciste, acolyte, eux aussi seront restaurés, non plus comme des étapes factices vers la prêtrise, mais comme des participations des laïcs et des religieux à des ministères ecclésiastiques précis, utiles et méritoires.

Ce qui est certain, ne serait-ce que par les leçons de l’histoire millénaire, c’est qu’alors l’Esprit-Saint infatigable suscitera les innombrables vocations sacerdotales appelées par les immenses nécessités intérieures et missionnaires de l’Église. Pour qu’abondent les vocations, petit conseil donné à notre Saint-Père et aux évêques... il n’y a qu’à laisser faire l’Esprit-Saint et non lui barrer le passage, cesser d’embêter ceux qui viennent, poussés par lui, d’exiger d’eux qu’ils gâtent leur foi, leur piété, leur vie surnaturelle pour rentrer dans vos idéologies et pastorales postconciliaires, décléricalisées, sécularisées, mondanisées... déchristianisées.

Laissez souffler l’Esprit-Saint, Seigneur Pape, Messeigneurs, et les ouvriers seront nombreux pour une moisson abondante ! Car les vrais « fils de Dieu » sont avides de se faire les média­teurs et prêtres de la « grâce du Christ » auprès des hommes.