SAINTE MARGUERITE-MARIE

III. Profession religieuse

LE 20 juin 1671, Marguerite entre au monastère et s’écrie pleine de joie : « C’est ici où Dieu me veut ! ». Depuis son enfance prédestinée, Notre-Seigneur n’a cessé de la combler de grâces extraordinaires, qu’Il poursuit après son entrée au postulat :

« Tous les matins pendant quelques jours, l’on me réveillait avec ces paroles que j’entendais distinctement sans les comprendre : “ dilexisti justitiam ”, et le reste du verset ; et d’autre fois : “ Audi filia et vide ”. » Ce qui signifie : « Écoute, ma fille, et prête l’oreille, quitte la maison de ta mère, oublie la maison de ton père et le Roi sera ravi de ta beauté. »

Visitation de Paray-le-Monial
Visitation de Paray-le-Monial

Par obéissance, elle va répéter cela à sa mère Supérieure et à sa Maîtresse des novices, les plongeant dès le premier jour dans la perplexité à son égard. Toute brûlante du désir d’apprendre à faire oraison, sœur Marguerite demande à sa Maîtresse de le lui enseigner. La Mère s’étonna que, « à 23 ans, je ne la susse point faire », et lui répond :

« Allez vous mettre devant Notre-Seigneur comme une toile d’attente devant un peintre. »

Notre sainte n’ose demander plus d’explication :

« Et d’abord que je fus à l’oraison, mon Souverain Maître me fit voir que mon âme était cette toile d’attente sur laquelle Il voulait peindre tous les traits de sa vie souffrante. »

Le 25 août 1671, en la fête de saint Louis, roi de France, Marguerite-Marie revêt l’habit de la Visitation :

« Mon divin Maître me fit voir que c’était là le temps de nos fiançailles. (…) Il me fit comprendre, qu’à la façon des amants les plus passionnés, Il ne me ferait goûter pendant ce temps que ce qu’il y avait de plus doux dans la suavité des caresses de son amour qui, en effet furent si excessives qu’elles me mettaient souvent toute hors de moi-même et me rendaient incapable de pouvoir agir. »

Ces dons extraordinaires la laissent tout étourdie et cela se voit. Sainte Marguerite-Marie devient donc, du même coup, l’objet d’une conduite très sévère de la part de ses Supérieures, qui vont s’employer vigoureusement à la ramener à la voie commune de la Visitation, toute de docilité et de discrétion. On mortifie surtout son grand attrait pour la contemplation en l’envoyant balayer le cloître à l’heure de l’oraison.

« On me faisait rendre compte de mon oraison, ou plutôt de celle que mon souverain Maître faisait en moi et pour moi. »

Le conflit s’aggrave : même durant le travail, il lui arrive d’être transportée en extase… Sa Supérieure cherche continuellement à éprouver la vertu de cette jeune novice, d’une trop ostensible perfection. Et c’est la fameuse “ affaire du fromage ” :

« C’est une chose pour laquelle toute notre famille avait une si grande aversion naturelle que mon frère retint, en passant le contrat de ma réception, que l’on ne me contraindrait jamais à faire cela ». Mais « mon Souverain voulait ce sacrifice », et Il permet qu’une sœur, probablement mal intentionnée, lui en serve une portion…

« Mon Seigneur voulant pousser à bout la fidélité de mon amour envers lui (…), prenait plaisir de voir combattre en son indigne esclave l’amour divin contre les répugnances naturelles. Mais enfin, Il fut victorieux », et « sans autre consolation ni armes que ces paroles “ il ne faut point de réserve à l’amour ” (…), je le fis quoique je n’aie jamais senti une telle répugnance, laquelle recommençait toutes les fois qu’il me fallait le faire, ne laissant de le continuer pendant environ huit ans. »

Jésus-Christ, l’auteur de ce “ psychodrame ”, conduit les personnages de telle manière que le déroulement du drame mène à l’avantage de Marguerite-Marie, lui enseignant le détachement des choses terrestres afin de pratiquer à la perfection son vœu de pauvreté. Il en sera de même pour le vœu de chasteté, avec le sacrifice qu’elle devra faire d’une affection naturelle, et pour le vœu d’obéissance.

C’est alors que « l’on m’attaqua encore, proche le temps de ma profession, me disant que l’on voyait bien que je n’étais pas propre à prendre l’esprit de la Visitation. ». Ses Supérieures, hésitent à la recevoir à la profession, à cause de tout ce qu’il y a d’extraordinaire dans sa vie. Sainte Marguerite-Marie s’en plaint à son Époux divin :

Apparition du Sacré-Coeur à sainte Marguerite-Marie« “ Hélas ! Mon Seigneur, vous serez donc la cause que l’on me renverra ? ” Sur quoi il me fut répondu : “ Dis à ta Supérieure, qu’il n’y a rien à craindre pour te recevoir, que je réponds pour toi et que, si elle me trouve solvable, je serai ta caution. (…) Désormais, j’ajusterai mes grâces à l’esprit de ta règle, à la volonté de tes supérieures et à ta faiblesse. ” »

Les effets en paraissent si sensiblement que sa Supérieure, Mère de Saumaise, admirablement formée et qui fit toujours preuve d’une sagesse remarquable, finit par l’accepter à la profession religieuse.

Durant la Retraite qui précède sa profession, la jeune novice est tenue de garder un ânon et une ânesse ; et tout en courant après ses bêtes, elle reçoit de Notre-Seigneur de grandes confidences, la préparant à la mission qui lui sera donnée et au sacrifice qui va lui être demandé en victime.

Elle émet ses vœux perpétuels le 6 novembre 1672 :

« Mon divin Maître (…) me parait et me traitait comme une épouse du Thabor, ce qui m’était plus dur que la mort, ne me voyant point de conformité avec mon Époux, que j’envisageais tout défiguré et déchiré sur le Calvaire. Mais il me fut dit : “ Laisse-moi faire chaque chose en son temps… ” »

Tandis que le Sacré-Cœur l’attire peu à peu à sa grande vocation par des communications incessantes, sainte Marguerite-Marie est en butte à des contradictions et des humiliations de la part de ses sœurs et de ses supérieures. Ces amertumes la disposent à l’immolation qui la configurera à Jésus souffrant.