Il est ressuscité !

N° 208 – Avril 2020

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


L’Église humiliée

LORSQUE Paul VI n’était encore qu’archevêque de Milan, il ne cachait pas qu’à son avis l’Église d’Amérique latine avait besoin de prêtres mariés. C’est pourquoi le troisième Synode (1971) – institution créée pour prolonger perpétuellement la “ Réforme ” de l’Église entreprise par le concile Vatican II (1962-1965) – avait pour objectif d’arracher au Pape le mariage des prêtres, soit directement, soit par le biais de l’ordination d’hommes mariés ou de la réintégration dans le ministère des prêtres réduits à l’état laïc, en attendant l’accession des femmes au ministère pastoral.

Or, en conclusion de ce Synode, les votes firent apparaître 169 oui pour le maintien du célibat dans toute sa vigueur, contre 22 non et 4 abstentions.

Notre Père exultait, en éditorial de la CRC numéro 51, de décembre 1971 :

« Quelle émotion, quelle joie, quelle espérance ! Depuis le 8 décembre 1965 (depuis six ans !) jour de clôture du Concile, nous avions l’impression que l’Église du Christ était tout entière poussée dans la voie de la réforme permanente (instituée par le synode) et de l’autodémolition, par un “ Collège épiscopal ” (lui aussi institué par le Concile) unanime et exalté, de cette “ exaltation qui mène à la ruine ”. C’était une angoisse, c’était une pierre d’achoppement pour la foi des humbles. D’où viendrait le salut, si dans le monde entier les évêques étaient acquis aux idées nouvelles et “ démolissaient la baraque ” ? Comment croire encore à l’assistance du Saint-Esprit quand jamais la voix d’aucun Pasteur ne s’élevait pour défendre le troupeau qu’on égorge ? »

C’était il y a cinquante ans, six ans après la clôture d’un Concile qui devait être une “ nouvelle Pentecôte ” au dire du pape Jean XXIII, dans son discours d’ouverture, le 11 octobre 1962. Ces lignes décrivent très exactement notre « angoisse » présente.

Notre Père continuait :

« “ Bienheureux ceux qui croient sans avoir vu. ” Sans rien voir, nous croyions cependant, à cause de la promesse de Jésus-Christ, en l’Église. Nous refusions de désespérer du Pape et des évêques de l’univers, nous attendions de l’Église elle-même le salut de l’Église. Nous n’avions aucun signe qui nous rassure mais nous gardions confiance. »

Ainsi de nous, au lendemain de ce synode sur l’Amazonie où la question à l’ordre du jour était, comme en 1971 : « Le pape François va-t-il ouvrir la voie à des prêtres mariés ? » Telle fut en effet la « proposition phare, numérotée 111 » du document final voté à la majorité des deux tiers, le 26 octobre 2019. Eh bien ! le pape François dans l’exhortation apostolique postsynodale publiée le 12 février 2020 à Rome, ne fait pas la moindre allusion à l’ordination d’hommes mariés, sauf pour souligner en note qu’il y a davantage de prêtres d’origine amazonienne aux États-Unis et en Europe qu’en Amazonie ! L’effectif manquant est donc là !

« J’attire l’attention sur le fait que dans certains pays du bassin amazonien, il y a plus de missionnaires pour l’Europe ou pour les États-Unis que pour aider leurs propres vicariats de l’Amazonie. » (note 132)

Voilà comment nous revivons la joie exprimée jadis par notre Père, et son jugement nous éclaire : « Le miracle a eu lieu, qui est pour nous le signe manifeste de l’assistance du Saint-Esprit à son Église », devenu invisible depuis le 7 décembre 1965 !

LE RÊVE AMAZONIEN

Cependant, sous le titre « Chère Amazonie », Querida Amazonia, François renouvelle toutes les erreurs et les illusions de l’Instrumentum laboris et du Document final du synode sur l’Amazonie qu’il ne cite pas dans son Exhortation, non pas pour le réprouver, mais « parce que j’invite à le lire intégralement », écrit-il (n° 3).

Il invite chaleureusement non seulement « le peuple de Dieu », mais aussi « toutes les personnes de bonne volonté » à « réveiller l’affection et la préoccupation pour cette terre qui est aussi la nôtre... à l’admirer et à la reconnaître comme un mystère sacré » (n° 5).

Nous restons loin de la dévotion au Cœur Immaculé de Marie que Dieu veut établir dans le monde !

« Si nous entrons en communion avec la forêt, notre voix s’unira facilement à la sienne et deviendra prière » (n° 56) sic !

« C’est pourquoi les croyants trouvent dans l’Amazonie un lieu théologique, un espace où Dieu lui-même se montre et appelle ses enfants » (n° 57), sic !

Tandis que « l’eau est la reine en Amazonie » (n° 43), et non pas la Vierge Marie. « L’eau est éblouissante dans le grand Amazone » (n° 43), le fleuve « père patriarche, mystérieuse éternité des fécondations » (n° 44). Citation de Pablo Neruda, prix Nobel de littérature et membre du parti communiste chilien ! Le thème du fleuve mâle et fécondant éclaire le symbolisme de la jeune femme transportée en barque, symbole du sexe féminin, dans l’église de Santa-Maria-in-Traspontina à Rome !

« Seule la poésie, de sa voix humble, pourra sauver ce monde. » (n° 46) Cette parole ferme clairement la porte au seul Sauveur et Rédempteur.

Le pape François invoque bien « Marie, l’unique Mère de tous », en conclusion, pour lui demander « de régner dans le cœur palpitant de l’Amazonie », mais au titre de déesse de la terre et des eaux :

« Montre-toi comme mère de toutes les créatures, dans la beauté des fleurs, des rivières, du grand fleuve qui la traverse et de tout ce qui vibre dans ses forêts. » (n° 111)

Il est vrai que la création matérielle, végétale et animale, souffre elle-même de la privation de la vie surnaturelle de la grâce, conséquence du péché ­originel de nos premiers parents selon saint Paul dans l’Épître aux Romains :

« Aussi la créature attend d’une vive attente la manifestation des enfants de Dieu... En effet, la créature aussi sera elle-même délivrée de cet asservissement à la corruption, pour participer à la glorieuse liberté des enfants de Dieu. Car nous savons que toute créature gémit et est dans le travail de l’enfantement jusqu’à cette heure. Et non seulement elle, mais nous aussi, qui avons les prémices de l’Esprit, nous aussi nous gémissons en nous-mêmes, attendant l’adoption des enfants de Dieu, la rédemption de notre corps. Car c’est en espérance que nous sommes sauvés. » (Rm 8, 19-24)

Le pape François le sait bien, mais Querida Amazonia offre l’exacte application de ce que notre Père a appelé la « surnaturalisation du naturel » qui aboutit à la « naturalisation du surnaturel », dans son analyse de la “ Réforme ” du Concile. Ainsi, le Pape se frappe la poitrine :

« À cause de nous, des ­milliers d’espèces ne rendront plus gloire à Dieu par leur existence et ne pourront plus nous communiquer leur propre message. Nous n’en n’avons pas le droit. » (n° 54)

Et les âmes des pauvres pécheurs ? Il n’en a point souci ! « Priez, priez beaucoup et faites des sacrifices pour les pécheurs, car beaucoup d’âmes vont en enfer parce qu’elles n’ont personne qui se sacrifie et prie pour elles », suppliait Notre-Dame aux Valinhos, le 19 août 1917. De fait ! Aujourd’hui, le Pape lui-même n’y songe pas. La prière qu’il adresse à Marie « Mère de la vie » pour conclure, laisse voir qu’il n’entendra pas cet appel, à moins d’une conversion qu’il nous faut obtenir à force de multiplier prières et sacrifices demandés par Notre-Dame... à l’intention du « pauvre Saint-Père », intention primordiale de toutes les prières et de tous les sacrifices de sainte Jacinthe de Fatima.

L’AMAZONIE RÉELLE

La forêt amazonienne est un espace naturel de 6 700 000 km 2, qui tient son nom du fleuve qui le traverse, l’Amazone, qui prend sa source dans la cordillère des Andes péruviennes et se jette au Brésil dans l’océan Atlantique. Partagé entre neuf pays. Mais le Brésil est le grand pays de l’Amazonie avec 62 % de la forêt amazonienne.

La réalité est loin du « rêve » du pape François. Cet espace grand comme dix fois la France est peuplé de 35 millions d’habitants, dont dix millions vivent sous le seuil de la pauvreté. C’est que la vie est soumise aux mouvements des rivières et du fleuve chantés par les poètes cités par le Pape. Les crues empêchent le développement de l’agriculture et la construction de ponts : il n’y a pas de pont pour franchir l’Amazone !... L’espérance de vie est au-dessous de la moyenne des pays d’Amérique latine. Le paludisme, la dengue, le chikungunya font des ravages. La morsure d’un serpent venimeux tue un homme en trois heures. Si c’est le temps qu’il faut pour se rendre au dispensaire le plus proche... l’homme est mort !

Querida Amazonia ?... C’est l’Enfer ! L’enfer vert. La civilisation n’a pas encore pénétré en Amazonie. Cette terre vierge cache un trésor de ressources qui promet un développement aux pays concernés : Brésil, Bolivie, Pérou, Équateur, Colombie, Vénézuela, Guyane et Guyane française... Mais objet de la convoitise du monde entier... dont l’ingérence se déguise en ONG se présentant comme soucieuses de porter remède à la prétendue incapacité des États souverains propriétaires de gérer le prétendu « poumon vert » de la planète, mis à mal par la déforestation et l’exploitation des ressources minières qui mettent en danger la sécurité écologique du monde entier. C’est le mythe du « point de non-retour » de la déforestation, au-delà duquel la forêt amazonienne risque « l’apoplexie », la mort subite...

BRÉSIL.

Ça ne tient pas debout ! D’abord le Code forestier de 2012 encadre le rythme de la “ déforestation ” dont le vrai nom est « défrichement »... point de départ de la civilisation en Europe, il y a quinze siècles ! Comme ce fut en Europe l’œuvre des moines... Hélas ! l’Église, loin de prêter main-forte au gouvernement brésilien actuel de Bolsonaro, prêche encore pour la politique « indigéniste » du gouvernement socialiste de son prédécesseur Lula. Aujourd’hui le gouvernement de Bolsonaro se heurte aux ONG qui font tout pour que les Indiens dépendent d’elles, avec l’idée héritée de Lula : mettre les communautés indigènes dans un cocon pour préserver leur culture... En faire des « zoos humains ».

Ces ONG sont devenues la bête noire du président Bolsonaro. Le 24 septembre, il a déclaré à l’ONU que « des leaders indigènes comme le cacique Raoni, sont utilisés pour avancer les intérêts des commanditaires de ces ONG en Amazonie ». Par exemple la Fondation Amazonie Durable (FAS) est particulièrement représentative de cet interventionnisme des États-Unis par ONG interposées, dont l’objectif est de promouvoir les intérêts des États-Unis en Amérique latine par l’établissement de régimes démocratiques soumis à Washington... comme au Moyen-Orient !

L’échec global de l’expansionnisme des USA au Moyen-Orient pourrait bien entraîner une recrudescence de leur interventionnisme en Amérique latine. Le fait que John Bolton ait parlé, il y a un an, en mars 2019, de la « doctrine de Monroe » comme d’actualité est significatif : « l’Amérique aux Américains » !

Hier, c’était au nom de la lutte contre le communisme. Aujourd’hui, c’est pour la défense du climat menacé, par l’intermédiaire d’ONG environnementales – Green peace ! – La « mafia verte » comme dit Bolsonaro.

Or, l’Église catholique a pris le parti de cette mafia à l’occasion du synode panamazonien. C’est évident. Il suffit de lire le pape François. Par exemple à propos du Brésil : « Nous sommes affectés par les commerçants de bois, les éleveurs et autres. Nous sommes menacés par les acteurs économiques qui mettent en œuvre un modèle étranger à nos régions. Les entreprises forestières entrent sur le territoire pour exploiter la forêt ; nous autres prenons soin de la forêt pour nos enfants, nous avons de la viande, du poisson, des médicaments à base de plantes, des arbres fruitiers [...]. La construction d’installations hydroélectriques et les projets de voies navigables ont un impact sur le fleuve et sur les territoires [...]. Nous sommes une région aux territoires volés. » (n° 11)

À vrai dire, ce ne sont pas des arbres que les nations occidentales prennent la défense sous la plume du Pape, mais c’est plutôt de ce qui est... en dessous. Par le biais de Mgr Marcelo Sanchez Sorondo, chancelier de l’Académie pontificale des sciences. Cet évêque argentin, bien connu pour avoir dit que « la Chine était un modèle d’application de la doctrine sociale de l’Église », a pour principal collaborateur Virgilio Viana, président de l’ONG “ Fondation Amazonie Durable ” (FAS), membre de l’American Society fondée en 1965 par la famille Rockefeller pour promouvoir les intérêts des États-Unis en Amérique latine, c’est-à-dire s’opposer à la montée en puissance du Brésil par le développement des ressources de l’Amazonie. Contrairement aux insinuations du document pontifical, les Brésiliens n’ont aucunement l’intention de détruire le principal éco­système de leur propre pays et ils ont une expérience unique de ­l’exploitation des ressources de l’Amazonie, ainsi que de l’intégration de ses peuples autochtones.

Pour l’année 2020, trois grands projets sont an­noncés par le gouvernement de Bolsonaro : un pont sur le fleuve Amazone, le renforcement de la route BR-163 qui va au Surinam, et la construction d’une usine hydroélectrique. De bonnes infrastructures de communication permettront au Brésil d’augmenter sa production agricole, moteur principal de son économie de premier producteur mondial de soja et de viande bovine.

À Leticia, en Colombie, en septembre dernier, les pays amazoniens ont signé un pacte dans lequel ils réaffirment leurs souverainetés nationales sur la forêt amazonienne et leur volonté de mener de grands projets en commun pour le développement de la région. Par exemple le corridor ferroviaire « Biocéanico » long de 3 800 km, qui relierait pour la première fois l’Atlantique au Pacifique avec des connexions dans tous les pays amazoniens. Coût du chantier : 14 milliards de dollars. Ce sera un progrès énorme pour l’intégration physique et économique du continent qui se tournera ainsi davantage vers l’Asie avec une réduction des temps de transport de marchandises vers la Chine de vingt à trente jours par rapport aux itinéraires classiques par le Cap Horn ou le canal de Panama. Le Brésil, comme la Chine et la Russie, fait partie du groupe des BRICS, les principales puissances émergentes du Sud, et l’augmentation des échanges commerciaux avec ces pays fait partie de sa stratégie de développement.

VENEZUELA.

L’Amazonie, c’est aussi le Venezuela et la catastrophe humanitaire qui le menace depuis la mort de Hugo Chavez en 2013.

Celui-ci avait construit le développement et les réformes sociales de son pays sur le seul pétrole dont le Venezuela est l’un des principaux producteurs mondiaux. Mais cette dépendance au pétrole a été la ruine du pays lorsque les cours ont baissé...

Aujourd’hui, après plusieurs années de pénurie et de guerre civile la « révolution bolivarienne » de Chavez n’est plus qu’un lointain souvenir et les États-Unis sont en train d’y placer leur pion, en la personne du néolibéral Juan Guaido qui s’est autoproclamé président. Pour hâter la chute du président légitime Nicolas Maduro, Washington impose aujourd’hui un embargo sur le pétrole vénézuélien. Malgré les sanctions américaines, que Moscou considère comme « illégales », le géant russe Rosneff continue ses investissements et gère actuellement 60 à 70 % des exportations de brut vénézuélien, donnant un peu d’air à ce régime très menacé.

COLOMBIE.

En Colombie voisine, le prétendu processus de paix avec les FARC qui avait valu le prix Nobel de la paix au président Santos en 2016 est plus fragilisé que jamais. Le Vatican s’était beaucoup impliqué dans les négociations de La Havane (de 2012 à 2016) et le pape François avait salué la conclusion des accords de paix entre le gouvernement et les FARC. Les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie devenaient officiellement « la Force Alternative de Révolution Commune » : un parti politique « normal ».

Or, « quatre ans après, on peut faire un premier bilan du processus. Les accords avec les “ FARC ” n’ont pas ramené la paix dans le pays. » Mais aussi quelle illusion de croire qu’on pourrait réintégrer 13 000 terroristes par la seule force de la démocratie et de l’amnistie inconditionnelle. Résultat : « L’un des responsables de l’ex-guérilla, Jésus Santrich, a été soupçonné d’avoir continué le trafic de drogue après la signature des accords. Il a fini par retourner en août 2019 dans la clandestinité, en compagnie de l’ancien numéro deux, Ivan Marquez, qui avait participé aux négociations de La Havane. Avec quelques dizaines de guérilleros, ils seraient actuellement au Venezuela. »

L’ancien président, Alvaro Uribe, le principal opposant aux accords de La Havane, avait pourtant prévenu des menaces que cette fausse paix faisait peser sur la Colombie. Aujourd’hui, il constate à quel point, il a, hélas ! raison : « Il n’y a pas eu de processus de paix, mais une soumission de l’État au narco­­terrorisme » ; « le pays doit avoir conscience qu’il n’y a pas eu de processus de paix, mais une amnistie pour certains responsables de crimes atroces, aux prix de graves conséquences institutionnelles. Quelles difficultés énormes a laissées Santos à la Colombie ! Pourvu que nous puissions seulement les surmonter, chers amis... » Car « l’impunité absolue donne un mauvais exemple, et le manque d’autorité stimule le crime ». Résultat, le narcotrafic prospère : entre 2012 et 2018, la surface cultivée de coca a triplé, de 78 à 208 milliers d’hectares. Une partie des FARC est retournée au narcotrafic, en concurrence avec les groupes para­militaires, d’autres guérillas... La violence est omniprésente et le nombre de règlements de compte est en hausse. Ces groupes profitent tous de la faiblesse de l’État contigu du Vénézuela pour s’y retrancher et échapper aux interventions de l’armée colombienne. Patrick Bèle conclut son article par cette sombre perspective : « L’émigration massive des Vénézuéliens fuyant les pénuries dans leur pays a créé de nouveaux désordres permettant aux groupes clandestins de trouver d’autres modes de financement et des sources de recrutement, exploitant la détresse des réfugiés de la catastrophe humanitaire vé­nézuélienne. » Tous les pays amazoniens, aux frontières perméables, sont absolument liés les uns aux autres.

BOLIVIE.

En Bolivie, le retrait forcé d’un autre leader charismatique socialiste auquel le Pape avait rendu visite en 2015, Evo Morales, a jeté le pays dans un début de guerre civile cet hiver. Comme Chavez, il avait profité d’une hausse du prix des matières premières pour lancer de grandes réformes sociales et financer la lutte contre les injustices. Il prétendait s’opposer à l’interventionnisme états-unien et semblait bien réussir : la croissance était en hausse et les indicateurs de pauvreté en baisse. Mais l’effondrement du pays après son éviction en novembre 2019 est le résultat de graves problèmes irrésolus. Selon le journaliste Lorenzo Carrasco du MSIA, « en dépit du progrès économique, il manquait un projet de cohésion nationale ; celui d’établir des institutions qui renforcent les valeurs fondamentales de l’identité culturelle la plus précieuse pour toute la population, c’est-à-dire la matrice culturelle catholique. Car en Bolivie, c’est cela qui unit la nation, et c’est l’héritage qu’elle partage avec le reste du continent ibéro-américain. »

« Le projet du gouvernement était tout autre : exalter une identité poli-ethnique, diviser le pays entre les blancs et les métis d’un côté (considérés comme colonisateurs et oppresseurs) et les indigènes (les opprimés). » Telle était ­l’idéologie de l’ethno-socialisme, aux relents de lutte des classes, inscrite dans la Constitution de 2009, signée par Evo Morales, qui substituait à l’État national un État plurinational. Cette Constitution commençait par une exaltation de la divinité Pachamama (une idole de la Terre Mère) et une dénonciation du racisme colonial. « Cette division ethnique manichéenne a détruit l’identité nationale, généré une accumulation de haine et de ressentiment. Inéluctablement, ce sera un terreau de séparatismes qui risque d’aboutir à la “ balkanisation ” de la Bolivie. » Les émeutes dans le quartier populaire de La Paz « El Alto » font écho à cette menace. De même, dans la région la plus riche et la plus blanche du pays – Santa Cruz de la Sierra – un groupe de l’élite politique entre­preneuriale a milité pour ­l’autonomie lors de la dernière réforme constitutionnelle. Fernando Camacho, l’homme qui a pris la tête de l’opposition contre Evo Morales, est issu de ce milieu d’extrême-droite de Santa Cruz. Évangéliste, il apparaît avec le ­chapelet à la main. Son entrée triomphale dans La Paz en novembre, brandissant le drapeau national bolivien, plutôt que le drapeau multicolore des communautés andines que privilégiait Morales, est tout un symbole... Il venait dans la capitale pour se rendre au palais présidentiel et y déposer, à genoux, une Bible sur un drapeau bolivien et une lettre exigeant la démission de Morales. On le présente déjà comme le Bolsonaro bolivien... à condition toutefois qu’il ne soit pas l’homme des États-Unis, placé là pour reprendre ce pays stratégique en main... ni que le socialisme bolivien ne revienne au pouvoir lors des toutes prochaines élections.

Mais c’est, d’ores et déjà, un autre symbole de la faillite générale de la gauche en Amérique latine, et de toute son idéologie fondée sur le culte de la Terre Mère, exaltation des valeurs autochtones, l’appel à la lutte sociale... Ces thèmes sont pourtant les thèmes privilégiés du pape François pour l’avenir de son continent d’origine. Mais comme nous le montrent les échecs de Chavez et Morales, il ne pourra pas redonner au continent la paix, l’ordre et la prospérité, en s’appuyant sur des “ valeurs ” païennes à l’opposé de celles de la mission et de la colonisation espagnole et portugaise... L’âme du continent est catholique. Et seule la charité chrétienne peut refaire la paix au sein des nations d’Amérique du Sud, faire l’union entre tant de tribus, de races et de cultures différentes. Seule l’Église catholique peut tisser une union pacifique entre les nations, pouvant tirer parti de tous les progrès techniques et économiques. Le seul ferment d’unité qui permette au continent de trouver sa propre voie en dehors de la tutelle américaine et protestante, c’est le catholicisme. Lorenzo Carrasco conclut : « Sur tout le continent, de vieilles fractures ont fait surface, appelant à un changement de direction vers un avenir plus digne, un nouveau projet continental, qui puisse trouver ses racines ­chrétiennes cristallisées dans un système politique et économique compatible avec elles. » Derrière tant de crises et d’échecs lamentables, c’est la Chrétienté que ces peuples chrétiens aspirent à retrouver. Et nous savons que le retour de la Chrétienté passe par la consécration de la Russie au Cœur Immaculé de Marie. Seule “ mondialisation ” qui tienne.

CORONAVIRUS

Xi Jinping n’est pas le maître du monde, mais c’est Dieu ! Et la volonté de bon plaisir de notre très chéri Père Céleste est d’établir la dévotion au Cœur Immaculé de Marie, la Très Sainte Mère de son Fils, par le ministère du Pape et de tous les évêques en communion avec lui, en consacrant la Russie à ce Cœur Immaculé, et non pas en concluant un pacte avec le pharaon de Pékin, héritier des « erreurs de la Russie », comme vient de le faire le Vicaire du Christ. Une “ plaie d’Égypte ” va peut-être nous le faire comprendre.

Le bilan du fléau du coronavirus ne cesse de s’alourdir. Parti de Chine en janvier, il a déjà atteint l’Italie, la France, l’Espagne. Mais surtout, il conduit à une conséquence providentielle :

« La dislocation progressive des chaînes d’approvisionnement des entreprises occidentales démontre que le terme même de mondialisation ne semble plus adapté au processus entamé au début des années 2000. »

Le rêve de “ saint ” Jean-Paul II ! Anéanti !

« Le virage du millénaire nous promettait l’émergence des “ Brics ”, Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. Vingt ans après, la performance relative de la Chine écrase les résultats de ses concurrents. Tandis que la Chine passait de 3 à 16 % du PIB mondial entre 2000 et 2018, aucun des autres pays considérés n’a pu dépasser le seuil de 4 %. Le mot de mondialisation ne cache plus la réalité de la sinisation quasi exclusive de l’économie mondiale depuis l’an 2000, et de l’extrême concentration (près de 30 %) de la production manufacturière mondiale en Chine. » (Le Figaro du 28 février 2020)

La crise ouverte par le krach sanitaire du Covid-19, remet en cause la stratégie économique de Bruxelles, Berlin et Paris : produire des biens à bas coûts dans la plus grande “ démocratie ” du monde, alimentée à 60 % au charbon, et affichant ouvertement ses objectifs géopolitiques... « mondiaux », oui ! est clairement aberrant, tant au point de vue politique qu’économique... non ?

Telle est la soudaine actualité... de nos 150 Points ! Pour que survive la France, communauté historique, catholique et nationale, « la nécessité impérative de relocaliser un certain nombre d’activités et d’être plus indépendant sur un certain nombre de chaînes de production », s’impose de l’aveu même de Bruno Le Maire, ministre de l’Économie. “ Reloca­liser ” où ? sinon chez nous, sur la terre de nos pères, sur la mère patrie souveraine sur son pré carré.

Hélas ! Pour l’heure, la Belgique n’a pas de gouvernement depuis un an. En France, notre Premier ministre est en campagne électorale pour se faire réélire en tant que maire de la ville du Havre. Agnès Buzyn, elle, vient d’abandonner sa fonction de ministre de la Santé pour ravir la mairie de Paris à Anne Hidalgo. Et il serait question d’un remaniement ministériel à l’issue des prochaines élections municipales. De cette cuisine électorale, l’intérêt de la France est totalement exclu, pendant que la panique gagne la planète et oblige à réviser non seulement l’économie libre-échangiste planétaire – dont les productions dépendent largement de la Chine – mais aussi l’immigration de peuplement et le tourisme de masse qui l’accompagnent.

L’ouverture à l’Autre, la non-discrimination et la libre circulation, ces préceptes de la pensée pontificale, sont des facteurs aggravants de la crise sanitaire, et peut-être aussi financière. Promettre le paradis sur terre grâce à l’abolition des frontières, des nations et des peuples, c’est préparer un monde brutal, perméable aux concurrences déloyales, aux dumpings sociaux, aux conflits multiculturels, et maintenant aux épidémies fulgurantes.

« Pauvre Saint-Père ! » C’était l’obsession de sainte Jacinthe, il y a cent ans. Elle était prophète !

Le monde de demain sera un retour aux géographies humaines avec leurs limites historiques, ou ne sera pas. Le ­repliement, c’est-à-dire le retour à la maison ! cet interdit, est un impératif de survie, quitte à subir les anathèmes de SOS racisme actuellement en campagne contre le racisme... anti­asiatique en France !

LA RUSSIE

À vrai dire, Vladimir Poutine n’a pas attendu l’alerte virale !

Après avoir annoncé une réforme majeure de la constitution russe de 1993, lors de son discours annuel prononcé le 15 janvier dernier devant l’Assemblée fédérale, Vladimir Poutine, le jour même, a accepté la démission de l’ensemble des membres du gouvernement qu’il avait formé en 2018, après sa réélection. Pourquoi ce changement ?

Après soixante-dix années de régime communiste et une décennie désastreuse au cours de laquelle Boris Eltsine a littéralement démantelé toute l’économie nationale, la Russie a encore de grands retards à ­rattraper. Tâche rendue encore plus difficile par l’immensité de son territoire, le plus vaste du monde, habité par une trop petite population de 146 millions d’habitants. De surcroît, Vladimir Poutine, dès son accession au pouvoir, a posé comme principe inconditionnel de rétablir et de maintenir la souveraineté de son pays et dans tous les domaines y compris économique. Non pas que le pays, depuis, ait vécu sur lui-même en autarcie. C’est d’ailleurs tout le contraire. Mais cela a imposé à la Russie une gestion prudente (mot clef de notre écologie) de ses ressources financières qui ne sont pas illimitées et de renoncer à des financements extérieurs, qui certes auraient accéléré son développement mais qui auraient aliéné son indépendance.

Le gouvernement formé en 2018 avait reçu de Vladimir Poutine la charge d’élaborer une série de projets nationaux. Cela a consisté à identifier de grandes priorités, à définir des objectifs et les outils nécessaires pour les atteindre.

« Certains de ces projets nationaux sont-ils sous votre contrôle permanent ­ ? » lui a demandé le 25 février dernier un journaliste de l’agence TASS. « Ils le sont tous ! » lui répond Poutine. Mais un plus que les autres : l’espérance de vie qui est, selon lui, le principal facteur d’intégration. « Il reflète toutes les autres questions. Le taux de mortalité devrait ­diminuer et l’espérance de vie devrait augmenter. D’ailleurs nous avons obtenu certains résultats dans le traitement de ces questions – les maladies ­cardio-vasculaires, la tuberculose, les accidents de la route – le nombre de victimes a diminué, le nombre de morts, de personnes tuées dans des accidents, a sensiblement diminué. »

Et pour toutes ces tâches, le chef de l’État pousse à l’action ceux qui en sont chargés.

« Ils doivent être soumis à une pression administrative constante. Sinon, comme je l’ai constaté par une expérience suffisamment significative, dès que cette pression baisse les gens généralement finissent par se relâcher. »

Toujours sur cette question des projets nationaux, Vladimir Poutine poursuit : « À un moment donné, j’ai compris qu’une nouvelle équipe gouvernementale devait prendre le relais pour travailler dans de nouveaux domaines d’une importance cruciale, une équipe composée de personnes présentant une formation moderne et capables d’assumer cet engagement, celui d’atteindre l’objectif global sur les questions clefs du développement. Et il m’a semblé logique que les personnes qui avaient pris une part active dans l’élaboration de ces projets nationaux et la définition des objectifs que nous sommes censés atteindre soient désormais directement en charge de les mettre en œuvre. Et c’est pourquoi certaines personnes de ­l’Administration présidentielle ont rejoint le gouvernement pour réaliser ce travail. »

Ainsi le 15 janvier, démission générale du gouvernement et, quelques jours plus tard, une nouvelle équipe était en place avec à sa tête Mikhaïl ­Mishustin, ancien directeur des Services fiscaux, en remplacement de Dmitri Medvedev. Ce dernier a aussitôt pris ses fonctions en tant que vice-président du Conseil national de sécurité, pour seconder directement ­Vladimir Poutine sur toutes les questions prioritaires où sont en jeu les domaines de la sécurité du pays. Et si le noyau dur du gouvernement a été conservé (Sergueï Lavrov aux Affaires étrangères, Sergueï Choïgou à la Défense, Vladimir Kolokoïtsev à l’Intérieur, Anton Siluanov à l’Économie, Alexander Novak à l’Énergie et Denis Manturov à l’Industrie), les ministres démissionnaires ont soit rejoint l’Administration présidentielle, soit définitivement quitté leurs fonctions gouvernementales pour rejoindre notamment le secteur privé. Tout cela minutieusement réfléchi, pensé, préparé, décidé et annoncé dans le seul souci du bien supérieur du pays et pour assurer une parfaite continuité, une parfaite stabilité du pouvoir.

L’ARMÉE.

On comprend ainsi comment et pourquoi la ré­forme des forces armées conduites par un tel chef a été une telle réussite de l’avis de tous les spécialistes.

C’est en 2010, après le constat de graves dysfonctionnements de l’armée russe lors de son intervention en Géorgie, sous la présidence de Dmitri Medvedev, que la Russie a adopté un programme très ambitieux d’armement et de réforme de ses forces pour la période 2011-2020, programme évalué à 600 milliards de dollars, qui s’est accompagné d’un plan de modernisation de beaucoup d’entreprises d’armement.

Cela s’est traduit par un renforcement de son armement stratégique et en particulier de son arsenal nucléaire, au point de faire de la dissuasion une priorité. À partir de l’année 2004, pour répondre à la décision unilatérale des États-Unis de se retirer du traité sur les missiles antibalistiques (abm), la Russie a lancé des programmes de développement d’une nouvelle génération de missiles dont le planeur hypersonique Avanguard qui vient d’être mis en service et que Vladimir Poutine avait présenté comme invulnérable à tout système de défense antiaérienne et antimissile.

Ainsi que le note Isabelle Facon dans le dernier numéro de la revue Questions internationales : « L’industrie russe a surpris les observateurs étrangers en capitalisant avec un certain succès sur d’anciens programme soviétiqueshypersoniques par exemple –, en développant des capacités de guerre électronique sophistiquées et en accroissant considérablement la flotte de drones. Les opérations de Syrie ont été l’occasion pour les forces russes de faire la démonstration de l’efficacité de certains de leurs matériels les plus récents tels les missiles Kalibr et Kh-101, l’avion de chasse Su-35 et l’avion de cinquième génération Su-57. » Il faut mentionner également les systèmes antiaériens S-300 et surtout S-400 lequel présente, entre autres caractéristiques, celle de posséder une excellente protection contre les moyens ennemis de guerre électronique.

L’institution militaire a, par ailleurs, beaucoup revalorisé l’entraînement des forces avec des exercices de tous niveaux. Leur nombre a augmenté de près de 30 % entre 2012 et 2017 permettant ainsi de travailler la mobilité stratégique et les opérations interarmées. Les troupes aéroportées considérées comme essentielles tout comme les capacités des forces spéciales ont été renforcées. Les opérations en Syrie font l’objet d’un retour d’expérience opérationnel très minutieux. Selon Sergueï Choïgu, ministre de la Défense, presque 90 % du personnel volant y a participé mais aussi bon nombre des personnels de commandement, des personnels techniques et de l’enseignement supérieur.

Cette réforme militaire gigantesque a également nécessité une réorganisation complète des vingt-trois divisions de l’armée de terre, une révision des chaînes de décision, de commandement, révision rendue possible grâce à une réduction massive, douloureuse mais bien nécessaire du corps des officiers. Le service militaire de deux années a été réduit à une année avec augmentation corrélative des personnels professionnels. Les effectifs des forces armées russes représentent actuellement environ 800 000 militaires.

Alexandre Golz, expert militaire, observe que « l’armée russe a acquis une mobilité et une efficacité sans précédent ». Son intervention en Syrie en est une preuve sans appel. « Aujourd’hui, c’est l’expérience syrienne qui compte », relève Alexandre Khramtchikhine, expert à l’Institut d’analyses politiques et militaires.

Il est nécessaire de rappeler que la Russie dépense pour sa défense un peu moins que la France, alors qu’elle possède un territoire vingt-cinq fois plus étendu. « Son budget, comparable à celui de la France, fait remarquer Jean-Bernard Pinatel, n’est que le dixième du budget militaire des États-Unis. Elle n’a pas les moyens pour intervenir militairement dans le monde entier comme les Américains. Son budget est essentiellement défensif avec une capacité de projection du même ordre que celui de la France, de l’ordre de quatre mille hommes aux approches de ses frontières (distance Moscou-Damas : 2 500 km). » Il est donc inconcevable de lire de la part des Américains dans leur nouvelle Stratégie nationale de défense, rendue publique en 2018, que la Russie est une puissance révisionniste et un rival stratégique.

Vladimir Poutine pouvait, au contraire, déclarer en toute vérité dans son discours du 1er mars 2018 devant l’Assemblée fédérale, après avoir présenté les nouveaux systèmes de missiles : « Nous ne menaçons personne, nous n’attaquerons personne et nous ne saisirons rien de qui que ce soit sous la menace des armes. Nous n’avons besoin de rien. C’est exactement le contraire. J’estime nécessaire de souligner (et c’est très important) que la puissance militaire croissante de la Russie est une garantie solide de la paix mondiale, car cette puissance préserve et maintiendra la parité stratégique et l’équilibre des forces dans le monde, qui, comme on le sait, a été et reste un facteur clef de la sécurité internationale après la Seconde Guerre mondiale et jusqu’à nos jours. »

L’intervention de la Russie en Syrie en septembre 2015 illustre très bien la vérité d’une telle déclaration. Elle a permis d’éviter la désintégration de l’État syrien et de circonscrire le prétendu “ État islamique ” dont les dernières forces sont actuellement retranchées dans la poche d’Idlib. Déjouant certes les plans des États-Unis qui s’étaient fixé, comme objectif, le renversement de Bachar el-Assad, la Russie a réussi jusqu’à présent à éviter toute confrontation avec ses “ partenaires ” américains et même turcs. Elle a su profiter de cette intervention pour inten­sifier ses relations diplomatiques désormais très étroites avec tous les acteurs stratégiques de la région, Iran, Liban, ­Jordanie et même Arabie saoudite pourtant alliée traditionnelle des États-Unis, tout en préservant ses bonnes relations avec Israël où vivent plus d’un million de russophones.

Même Bruno Tertrais, directeur adjoint de la Fondation pour la recherche stratégique, dans un article publié dans le dernier numéro de Questions internationales où il développe une diatribe implacable contre la Russie et Vladimir Poutine, est contraint, aux toutes dernières lignes, de reconnaître à ce dernier un « extraordinaire opportunisme géopolitique » qui lui a permis, au Moyen-Orient, de se présenter comme « une alternative possible à une Amérique prompte aux revirements ».

Dans ces conditions, quelles sont les raisons profondes du maintien depuis 2014 par les États-Unis et leurs satellites européens des sanctions économiques contre une Russie qu’elles ne font qu’inciter à se rapprocher de la Chine ? Mais qu’en est-il précisément de ce partenariat avec ce bastion communiste ?

LA CHINE.

Il faut d’abord rappeler que la Russie partage avec la Chine, à l’Est de la Mongolie, une frontière de 4195 km qui fut par le passé à l’origine de nombreux litiges entre les deux pays. Mais la différence de densité démographique de part et d’autre de cette frontière est colossale : un habitant au kilomètre carré du côté russe contre cent du côté chinois. On comprend mieux que le peuplement par des Russes ou des russophones... de la Sibérie fasse partie des grandes priorités politiques menées par le gouvernement russe.

Les échanges économiques entre les deux pays ont beaucoup augmenté, ces dernières années, en partie du fait des sanctions infligées par les États-Unis et ses satellites. Mais ils demeurent très déséquilibrés. « La Russie constitue pour la Chine un fournisseur important de matières premières et d’énergie, avec notamment la mise en œuvre de projets d’exploitation de gaz en Sibérie », écrit Valérie Niquet dans le numéro de janvier-février de la revue Questions internationales. « En 2018, la Russie est devenue le premier fournisseur de pétrole de la Chine, devant l’Arabie saoudite et l’Angola, avec une augmentation de plus de 61 %. » Mais l’asymétrie dans les échanges économiques entre les deux pays est flagrante : si la Chine est le premier partenaire économique de la Russie, la Russie n’est que le dixième partenaire économique de la Chine, loin derrière l’Union européenne, les États-Unis, la Corée du Sud ou le Japon.

Au niveau stratégique, la coopération entre les deux pays semble très active. « La Chine et la Russie sont opposées à la politique d’ingérence des États-Unis et du monde occidental. Depuis 2014, la Russie a repris ses fournitures d’armes à la Chine, en lui vendant des systèmes sophistiqués que Moscou avait longtemps hésité à vendre à Pékin. Des exercices militaires conjoints sont régulièrement organisés entre les deux puissances. En 2017, les ventes d’armes russes à la Chine, dont les avions Su-35 et les systèmes de défense antimissiles ont atteint 15 milliards de dollars, ce qui représente 6 % du total des exportations d’armes russes. » Mais les deux puissances se gardent bien de soutenir pleinement leurs revendications territoriales réciproques.

Et Vladimir Poutine insiste : « La Russie et la Chine ne dirigent leurs politiques contre personne. Nous nous contentons de mettre en œuvre de manière cohérente nos plans de développement et de coopération. Nous le faisons depuis le traité d’amitié signé en 2001, et nous ne faisons que mettre en œuvre ces plans. » Bref, la Russie a placé un certain nombre de ses œufs dans le panier chinois. Elle est toute prête à en placer d’autres dans les paniers de ses partenaires du G 7 tout en leur rappelant ceci : « La part des pays du G 7 dans le PIB mondial est passée de 58 % à 40 %. Cela devrait également se refléter d’une manière ou d’une autre dans les institutions internationales. C’est la position commune de la Russie et de la Chine. C’est juste, cela n’a rien d’anormal. »

Voilà ce qu’il en est de ce qu’il faut bien appeler un « partenariat de circonstance » entre la Chine et une Russie dont le peuple, objet d’une mystérieuse prédestination, d’une préférence inexplicable du Cœur de Dieu qui l’a confié au Cœur Immaculé de Marie, demeure « profondément chrétien », comme le soulignait notre Père. Donc plutôt que la Chine qui « n’occupe qu’un bas-côté de l’Histoire, comme l’Amérique d’ailleurs », la Russie est d’abord tournée vers l’Europe. Pourtant une frontière nous sépare de ce pays. Apparemment infranchissable, son tracé passe par l’Ukraine.

L’UKRAINE.

Il faut d’abord rappeler le rôle prépondérant des États-Unis joué dans cette affaire ukrainienne qui empoisonne les relations internationales depuis l’année 2004. Rôle annoncé par Zbignew Brezinski, ancien conseiller de Jimmy Carter, dans un ouvrage publié en 1997 : « Les États-Unis s’emploient à détacher de l’empire russe ce qu’on dénomme aujourd’hui à Moscou “ l’étranger proche ”, c’est-à-dire les États qui, autour de la Fédération de Russie, constituaient l’Union soviétique. » Or le premier pays cité par l’intéressé n’était autre que l’Ukraine « essentielle avec ses cinquante-deux millions d’habitants et dont le renforcement de l’indépendance rejetterait la Russie à l’extrême Est de l’Europe et la condamnerait à n’être plus, à l’avenir, qu’une puissance régionale... »

Cela ne fait aucun doute dans l’esprit de Vladimir Poutine. « Certains veulent diviser l’Ukraine et la Russie. Ils pensent que c’est un objectif très important. Parce que toute intégration de la Russie et de l’Ukraine conduirait à l’émergence d’un rival pour l’Europe et le monde. Personne n’en veut. Et c’est pourquoi ils feront tout pour nous séparer. » Mais il met bien en évidence la complicité des dirigeants ukrainiens qui se sont succédé au pouvoir dans un seul but : celui de préserver leurs seuls intérêts, non pas tant « pour gagner plus en volant le peuple ­ukrainien, mais pour conserver ce qui a été pillé auparavant » en se mettant tout simplement au service de la ploutocratie internationale. Alors que beaucoup de raisons président au rapprochement entre l’Ukraine et la Russie : une intégration industrielle dans plusieurs domaines de pointe et surtout une histoire commune de plusieurs siècles.

Mais le chef de l’État russe n’ignore pas les causes de division entre les deux pays : d’abord l’émancipation de l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou. « En fait, elle a toujours été totalement indépendante. Il n’y a eu qu’une unité spirituelle et la mention du Patriarche de Moscou dans les églises. C’est tout ! C’est la seule chose qui a uni l’Église orthodoxe russe et l’Église orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Moscou. Mais pour le reste ils ont dû couper les liens. Pourquoi ? » Parce que le schisme appelle le schisme et les divisions infinies, comme notre Père nous l’a bien expliqué. Et cet esprit de division fait contraste avec l’unité de l’Église catholique de Rome qui attire inexorablement les âmes qui s’en approchent... « Et le temps a passé. Petit à petit, des populations partageant la frontière avec le monde catholique, avec l’Europe, est née une communauté de personnes ressentant une certaine indépendance vis-à-vis de l’État russe. » Peut-être Vladimir Poutine fait-il ici allusion à ce qu’écrivait notre Père à propos de l’Ukraine au dix-septième siècle : « Au moment où les démons de l’Allemagne protestante et rationaliste se jetaient sur Moscou, la “ Petite Russie ”, comme voulut qu’on l’appelât Pierre le Grand, l’Ukraine connaissait un merveilleux réveil religieux sous l’influence des universités catholiques de Pologne. Quantité de jeunes moines kiéviens franchissaient la frontière et, soit à Vilna, soit à Cracovie, passaient au catholicisme et faisaient d’excellentes études dans le climat triomphal de la Contre-Réforme catholique romaine et française du dix-septième siècle. Revenus en Ukraine et... retournés à l’Orthodoxie, leur intelligence et leur piété les faisaient désigner pour évêques ou higoumènes des métropoles et des monastères de la Grande Russie, même par Pierre Ier l’Allemand. »

Vladimir Poutine pose donc clairement le doigt sur la raison profonde de la séparation de l’Ukraine de la Russie : le schisme de Moscou. Mais il n’est pas au bout de ses peines avec un monde catholique, une Europe catholique ralliée aujourd’hui à la religion, car c’en est une, des Droits de l’homme.

En effet, lors d’une interview accordée le 27 juin 2019 au Financial Times, Vladimir Poutine s’en était pris au libéralisme, qualifiant cette doctrine comme « dépassée », « obsolète », « entrée en conflit avec l’écrasante majorité de la population » constatant l’inertie de ses partenaires européens face aux immenses mouvements migratoires qui ont déferlé sur leur pays. « J’en ai parlé avec beaucoup de mes collègues mais personne n’a de réponse. Ils disent qu’ils ne peuvent pas mener une politique intransigeante pour diverses raisons. Mais pour quelle raison précisément ? Parce que c’est comme cela. “ Nous avons la loi, disent-ils. Alors changez la loi ! ” » Et Poutine de porter ce jugement : « L’idée libérale présuppose que rien ne doit être fait. Les migrants peuvent tuer, piller et violer en toute impunité parce que leurs droits en tant que migrants doivent être protégés. Mais quels sont ces droits ? » Les Droits de l’homme que tout pouvoir doit déclarer « dans l’absolu et veiller à ce que rien ne s’y oppose », et ainsi se trouver « armé d’une formidable puissance et d’un rôle universel d’intervention constante dans la vie publique et privée, pour tout soumettre, actions, intérêts, convictions, à l’idéologie destructrice... de l’ordre chrétien. » (Point 63) Mais ­Vladimir Poutine comprend-il cela ?

Sans doute non. Il comprend seulement que les prétendus droits des migrants, des homosexuels, des tenants de la théorie des genres ne doivent pas « occulter la culture, les traditions et les valeurs familiales des millions de personnes qui constituent l’essentiel de la population ».

« Et la religion ? » lui demande alors le journaliste britannique. « Diriez-vous que la religion doit jouer un rôle important en termes de culture nationale et de cohésion ? » Poutine répond prudemment qu’ « elle doit jouer son rôle actuel. Elle ne peut pas être poussée en dehors de cet espace culturel. Nous ne devons abuser de quoi que ce soit. » Et il enchaîne : « La Russie est une nation chrétienne orthodoxe, et il y a toujours eu des problèmes entre la chrétienté orthodoxe et le monde catholique. C’est pourquoi je vais dire maintenant quelques mots sur les catholiques. Y a-t-il des problèmes ? Oui il y en a mais on ne doit pas les exagérer ni les utiliser pour détruire l’Église catholique romaine elle-même. On ne doit pas le faire. Parfois j’ai le sentiment que ces milieux libéraux commencent à utiliser certains éléments et problèmes de l’Église catholique comme un moyen pour la détruire. C’est ce que je considère comme mauvais et dangereux.

« Avons-nous oublié que nous vivons tous dans un monde fondé sur les valeurs bibliques ? Même les athées et tous les autres vivent dans ce monde. Nous n’avons pas besoin d’y penser tous les jours, d’aller à l’église et de prier, montrant ainsi que nous sommes de fervents chrétiens, musulmans ou juifs (sic !). Cependant, au fond de nous-mêmes, il doit y avoir des règles humaines et des valeurs fondamentales. En ce sens les valeurs traditionnelles sont plus stables. »

Vladimir Poutine, de façon intuitive et pragmatique, entrevoit bien la division profonde qui demeure entre son pays et le reste de l’Europe, ce qu’il appelle le « monde catholique » qui, en réalité, ne l’est plus du tout. La nature de cette division est religieuse et le remède ne peut donc être que religieux. Il faut que la Russie, même profondément chrétienne, se convertisse et revienne de son erreur qu’est le schisme. Et cela dépend exclusivement du Pape. Lorsque le Saint-Père daignera consacrer la Russie au Cœur Immaculé de Marie, elle se convertira. « Ce sera prodigieux, écrit notre Père, la Russie par son étonnante conversion sera un objet de stupéfaction et un instrument de salut pour tous les autres peuples, tombés dans l’anarchie, l’immoralité, l’apostasie. » Et alors le monde connaîtra un temps de paix, car la Russie convertie sera médiatrice de paix mondiale parce que la Russie convertie évangélisera le monde entier.

Frère Bruno de Jésus-Marie