« Habemus Papam ! »
QUE faut-il penser du pape Léon XIV ? Voilà une question capitale qui sans doute habite vos esprits comme elle habite les nôtres depuis le 8 mai, date de l’élévation au souverain pontificat du cardinal Prevost. Le Pape est le Vicaire du Christ qui lui a confié son Église pour la gouverner en son nom et cette qualité presque surhumaine interdit a priori à quiconque d’avoir à donner un avis sur le Saint-Père. Il est le Pape et ce devrait être la seule réponse qu’un fidèle catholique soit digne de donner. En temps ordinaire, la personne du Saint-Père n’est pas un sujet de discussion sur lequel chacun est autorisé à donner un avis que le Saint- Esprit de toutes les façons n’écoutera pas.
Mais les temps sont très mauvais.
Or le Pape n’est pas un dieu. Il se peut que dans certaines circonstances il tombe dans l’erreur. Notre Père a joui d’une grâce tout à fait particulière pour comprendre dans toute sa profondeur et son étendue l’erreur formidable commise lors du concile Vatican II, celle de poser en principe une réforme possible et permanente de l’Église. C’est la connaissance et l’intelligence surhumaine de cette erreur qui a interdit à notre Père de s’en faire le complice par son silence. Il se fit un devoir de la désavouer pour prêcher dans sa plénitude la Vérité de la foi catholique, il n’a cessé de parler pour éclairer les âmes en expliquant les erreurs des faux prophètes, fut-ce en la personne du Pape, et sa parole ne fut jamais prise en défaut. Et nous ne voulons pas qu’elle le soit par notre faute.
Le pape Léon XIV est né aux États-Unis en 1955. Il est entré dès l’âge de quatorze ans au petit séminaire de Chicago de l’Ordre de Saint-Augustin et, une fois religieux, il a fait une incroyable carrière qui l’a conduit à exercer des charges de plus en plus importantes jusqu’à être élu provincial, puis supérieur général de son Ordre, pour être ensuite nommé évêque au Pérou et enfin rejoindre Rome en tant que Préfet de la Congrégation des évêques. On peut affirmer sans la moindre hésitation qu’il a reçu toute sa formation intellectuelle et spirituelle d’une Église “ réformée ”, de surcroît au sein d’une société catholique américaine par définition extrêmement libérale... À moins d’un miracle de la grâce, mais que nous ne pouvons présumer, il est impossible que le pape Léon XIV n’ait pas reçu et accepté de son Ordre, de ses supérieurs, de l’Église à laquelle il doit tout, l’ensemble des tares d’une religion “ réformée ” que notre Père n’a eu de cesse de dénoncer pour conserver la pureté du dogme de la foi.
Malheureusement, les toutes premières interventions officielles du pape Léon XIV, à quelques exceptions près, n’ont fait que confirmer ce premier sentiment.
Le 16 mai 2025, le Saint-Père a prononcé un discours aux membres du corps diplomatique accrédité près le Saint-Siège et dans lequel, à première vue, l’ensemble des religions, et le dialogue interreligieux, sont appelés à jouer un rôle dans des relations internationales apaisées. « Dans cette optique, je considère que la contribution que les religions et le dialogue interreligieux peuvent apporter pour favoriser des contextes de paix est fondamentale. Cela exige naturellement le plein respect de la liberté religieuse dans chaque pays, car l’expérience religieuse est une dimension fondamentale de la personne humaine, sans laquelle il est difficile, voire impossible, d’accomplir cette purification du cœur nécessaire pour construire des relations de paix. »
Trois jours plus tard, le 19 mai, Léon XIV réunit l’ensemble des représentants d’autres confessions et religions qui s’étaient déplacés la veille pour assister à sa messe d’inauguration. Il introduit son propos par ce qu’il considère être le point fort du pontificat de François, à savoir la fraternité universelle, tandis que nous avons, nous, la lucidité de le considérer comme l’un des pires, l’un des plus injurieux à Notre-Seigneur : « Sur ce point, le Saint-Esprit l’a vraiment “ poussé ”, déclare Léon XIV, à faire avancer à grands pas les ouvertures et les initiatives déjà entreprises par les Papes précédents, surtout à partir de saint Jean XXIII. Le Pape de “ Fratelli tutti ” a promu tant le chemin œcuménique que le dialogue interreligieux, et il l’a fait surtout en cultivant les relations interpersonnelles, de manière à ce que, sans rien enlever aux liens ecclésiaux, l’aspect humain de la rencontre soit toujours valorisé. Que Dieu nous aide à tirer profit de son témoignage ! »
Et quelques jours plus tard, lors de l’audience générale du 28 mai, d’ailleurs dans une certaine logique des idées, Léon XIV présente la parabole du bon Samaritain comme une leçon sur la compassion, comme une leçon d’humanité « avant d’être religieuse ». Comme l’avait fait François dans son encyclique Fratelli tutti pour démembrer la prestigieuse charité fraternelle catholique, en la coupant de son Auteur – Jésus-Christ, son Sacré-Cœur et la Croix – et en la détournant de sa fin – la conversion et le salut des pauvres pécheurs par la Médiation universelle du Cœur Immaculé de Marie – pour en faire une fraternité universelle laïque et maçonnique, au service de laquelle serait cantonnée une Église dont il n’est sérieusement question qu’à la toute extrême fin du document.
Le Saint-Père aurait-il l’intention de faire un document sur la Doctrine sociale de l’Église ? C’est le sens du nom qu’il a choisi. Le 17 mai 2025 devant les membres de la fondation Centesimus annus pro pontifice il a déclaré que « la Doctrine sociale de l’Église est appelée à fournir des clés de lecture permettant d’établir un dialogue entre la science et la conscience, apportant ainsi une contribution fondamentale à la connaissance, à l’espérance et à la paix ». Mais sur quels fondements ? « Sur les principes moraux fondamentaux tels que la dignité de la personne, le bien commun, la solidarité, la liberté de conscience, parmi tant d’autres principes fondamentaux. »
Et le plus accablant fut sans doute cette déclaration d’adhésion « au chemin que l’Église universelle suit depuis des décennies dans le sillage du concile Vatican II » faite le 10 mai 2025 en présence de tout le collège cardinalice. Et Léon XIV de se référer à l’exhortation apostolique Evangelii gaudium en général et à la réforme “ synodale ” de l’Église en particulier, fondée sur des principes que nous pensons être hérétiques.
Tout cela est à première vue bien accablant. Nous n’avons détecté aucun signe d’une nette rupture dans la succession entre François et Léon XIV. Certes, ils ont des tempéraments bien différents, mais force est de constater que le Père Prevost, nommé à la tête du diocèse de Chiclayo, dans le nord du Pérou, en 2014, semble avoir parfaitement correspondu à l’évêque idéal selon le pape François au point pour ce dernier de lui avoir confié la charge redoutable de sélectionner pour l’Église universelle les candidats à l’épiscopat.
En fait, il est prématuré de porter aujourd’hui un vrai jugement sur le pape Léon XIV. Comme notre Père le fit pour Paul VI avec son encyclique Ecclesiam suam (6 août 1964) et Jean-Paul II avec Redemptor hominis (4 mars 1979), il faut attendre un texte majeur inaugural que le Saint-Père produira certainement et dans lequel il donnera toute sa mesure pour exposer ce qu’il veut faire pour le service de l’Église. Alors il sera possible de donner un avis prudent sur sa pensée. En tout cas, c’est très net, il semble avoir déjà beaucoup réfléchi à la question de la doctrine sociale de l’Église. Une société américaine jouissant d’une incroyable et incontestable réussite matérielle dans laquelle le Bon Dieu est totalement absent serait-elle l’objet de ses réflexions ?
Un trait saillant de la spiritualité du pape Léon XIV est son amour de l’Église, son amour de son ordre religieux auquel il est très fidèle. Il semble que cela soit la grâce de sa consécration religieuse scellée par les trois vœux d’obéissance, de chasteté et de pauvreté. Lors d’un entretien publié par l’Ordre de Saint-Augustin en septembre 2023, lorsqu’il fut créé cardinal par François, il expliqua lui-même : « Quand je pense à saint Augustin, à sa vision et à sa compréhension de ce que signifie appartenir à l’Église, l’une des premières choses qui me vient à l’esprit est ce qu’il dit sur le fait qu’on ne peut pas se dire disciple du Christ sans faire partie de l’Église. Le Christ fait partie de l’Église. Il en est le chef.
« Ainsi, ceux qui pensent pouvoir suivre le Christ “ à leur manière ” sans faire partie du corps, vivent malheureusement une expérience déformée de ce qui est réellement authentique. Les enseignements de saint Augustin touchent tous les aspects de la vie et nous aident à vivre en communion. L’unité et la communion sont des charismes essentiels de la vie de l’Ordre et constituent un élément fondamental pour comprendre ce qu’est l’Église et ce que signifie y appartenir. » Ces paroles sont pour nous un grand réconfort. Jésus aime l’Église, la Sainte Vierge aime l’Église et Léon XIV aime l’Église, on peut espérer qu’il en connaît bien les frontières.
Or l’Église détient encore aujourd’hui, intact, le dépôt sacré de la foi car toute cette prétendue “ tradition ” humaine produite par les hommes d’Église depuis le concile Vatican II, aussi incroyable que cela puisse paraître d’affirmer une pareille chose, ne jouit d’aucune garantie d’infaillibilité et demeure infailliblement provisoire, faillible et réformable. Ainsi malgré les tares de cette réforme conciliaire qui entravent son esprit, nous avons la ferme espérance que Léon XIV est l’objet des prédilections de Jésus et de la Sainte Vierge qui ne cessent de l’assister de leurs conseils. D’où cette divine et inattendue surprise de son message daté du 28 mai et adressé aux évêques de France pour les engager à solenniser dans un surnaturel élan d’évangélisation le centenaire de la canonisation de saint Jean-Eudes, de saint Jean-Marie Vianney, de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus : « Nos trois Saints sont assurément des maîtres dont je vous invite à faire sans cesse connaître et apprécier la vie et la doctrine au Peuple de Dieu. Saint Jean Eudes n’est-il pas le premier à avoir célébré le culte liturgique des Cœurs de Jésus et de Marie ? Saint Jean-Marie Vianney n’est-il pas ce curé passionnément donné à son ministère qui affirmait : “ Le sacerdoce, c’est l’amour du Cœur de Jésus ” ? Et enfin, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte Face n’est-elle pas le grand Docteur en scientia amoris dont notre monde a besoin, elle qui “ respira ” à chaque instant de sa vie le Nom de Jésus, avec spontanéité et fraîcheur, et qui enseigna aux plus petits une voie “ toute facile ” pour y accéder ? »
Au Pérou, comme dans toute l’Amérique latine, les dévotions populaires, manifestations du sensus fidei mais dans l’acception traditionnelle du terme, sont d’une grande importance dans la transmission de la foi, dans la fidélité à l’Église face aux attaques des sectes protestantes qui bien que très entreprenantes ne peuvent offrir, dans leur prosélytisme, le culte des saints et surtout la dévotion à la Sainte Vierge, victorieuse de toutes les hérésies. Voilà une expérience déterminante, bien comprise par Mgr Prevost durant toutes ces années passées au Pérou où même encore aujourd’hui 80 % de la population demeure catholique, et qui l’a poussé, le 6 janvier 2019, dans la cathédrale de Chiclayo au milieu de tout son peuple, à prononcer un magnifique et solennel « acte de repentir, de pardon et de réparation à Dieu » et à renouveler « la consécration du Pérou au Sacré-Cœur de Jésus et au Cœur Immaculé de Marie, uni aux diocèses, aux paroisses, aux prêtres, aux diacres, aux séminaristes, aux religieux et religieuses et aux laïcs ». Voilà une expérience déterminante avec laquelle Mgr Prevost est revenu à Rome et qui explique sans doute son souci exprimé aux cardinaux lors de son discours du 10 mai 2025 : « L’attention au sensus fidei (cf. nos 119-120), en particulier dans ses formes les plus authentiques et les plus inclusives, comme la piété populaire (cf. no 123). »
C’est toute notre espérance que le pape Léon XIV recommande un jour, pour l’Église universelle, la dévotion réparatrice au Cœur Immaculé de Marie bien adaptée à toutes les nations, qu’elles soient française, péruvienne ou même américaine. C’est vraiment le salut des nations, des âmes et de l’Église avec cette dévotion d’Église où laïcs, religieux et prêtres jouent chacun son rôle pour ensemble se sacrifier pour les pauvres pécheurs et les empêcher de tomber en enfer, et prier et consoler le Cœur Immaculé de Marie. C’est toute l’économie du salut et du mystère de la Rédemption, aujourd’hui totalement ignorée par la hiérarchie, qui serait d’un coup rétablie dans l’Église par cette petite dévotion. Et ce serait un admirable acte à la fois d’autorité et d’humilité, de la part du Saint-Père, de soumettre son magistère à une volonté de Dieu, exprimée en personne par la Sainte Vierge et transmise par une religieuse. Si seulement le cœur du pape Léon XIV voulait bien se laisser mouvoir.
En attendant, pour nous, ce sera difficile, ce sera très difficile avec cette œuvre de Contre-Réforme qu’il nous faut poursuivre dans la fidélité à la vocation que nous a laissée notre Père, en attendant l’heure de la renaissance de l’Église.
Œuvre de Contre-Réforme c’est d’abord prier pour le Saint-Père. Il faut beaucoup prier pour le Saint-Père. C’est Notre-Dame de Fatima et l’Église qui nous y engagent.
Œuvre de Contre-Réforme, c’est aussi nous prémunir contre un schisme qui ne dirait pas son nom et qui consisterait à ne plus s’intéresser, à ne plus prêter la moindre attention à ce que dit, à ce qu’écrit le Saint-Père sous prétexte d’être totalement dans l’erreur, en prenant d’emblée des positions trop générales, trop à “ l’emporte-pièce ”. Le Saint-Père écrira des erreurs... c’est hélas ! trop certain, surtout avec cette réforme synodale qui va être appliquée dans tous les diocèses. Il faudra alors le dire en interprétant évidemment avec exactitude ses paroles, ses écrits, en conformité avec ses intentions. Ce n’est pas manquer au respect dû à son autorité que de faire une telle critique, bien au contraire, mais à la condition, d’une part, que celle-ci soit présentée dans le souci de servir l’Église et non pas de la déchirer et, d’autre part, qu’elle soit toujours étayée par une démonstration qui doit être posée dans la suite très exacte et logique de ce que notre Père a lui-même écrit. Son œuvre est gigantesque, il a lui-même dressé la liste des douze hérésies majeures qui gangrènent les enseignements des hommes d’Église depuis le concile Vatican II. Il faut s’y référer sans cesse pour être certain nous-mêmes de ne pas nous égarer. Cela nous oblige à beaucoup étudier et à travailler dans le sens d’une réconciliation que notre Père avait toujours à la pensée.
Et d’ici « le retour du Seigneur qui ne saurait tarder » (article 1er de la Règle provisoire des Petits frères du Sacré-Cœur de Villemaur), sous la vigilance du Cœur Immaculé de Marie « nous attendrons fidèlement, sans sédition, sans mouvements désordonnés, mais en tenant ferme dans notre foi, que l’Église se retrouve elle-même, telle qu’elle nous vient du fond des âges, après ce temps d’étourdissement et d’illusion », et nous ferons nôtres les paroles écrites par notre Père à Mgr Le Couëdic le 19 décembre 1965 : « Nous ne sommes pas la foi de l’Église, mais nous en sommes la Fidélité. » (Lettre à mes amis no 220, 6 janvier 1966, p. 9) Ainsi soit-il !
frère Bruno de Jésus-Marie