Il est ressuscité !
N° 269 – Septembre 2025
Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard
Camp Notre-Dame de la Phalange 2025
Saint Maximilien-Marie Kolbe
chevalier de l’Immaculée
Commentaire de l’oratorio de frère Henry de la Croix
par frère Bruno de Jésus-Marie
INTRODUCTION :
LA PHALANGE DE L’IMMACULÉE
COMMENÇONS par renouveler une résolution que prit notre Père, l’abbé de Nantes, le 22 août 1997, en la fête du Cœur Immaculé de Marie, au Canada :
« Je veux tout simplement placer dorénavant la Sainte Vierge Marie absolument au-dessus de toutes mes affections de cœur, de toutes mes convictions et pensées, de toutes mes œuvres extérieures et de tous mes désirs. Qu’on n’objecte pas l’amour de Dieu Lui-même qui devrait de toute manière passer tout premier et prendre toute la place. C’est précisément dans le rejet de cette objection que consiste le caractère nouveau, surprenant, bouleversant de cette dévotion qu’enfin je ne boude plus, que je veux faire mienne parce que c’est ce que notre doux Seigneur et Maître veut et attend de notre génération pour la sauver ! Oui, depuis Grignion de Montfort, depuis Notre-Dame de La Salette, depuis saint Maximilien-Marie Kolbe et depuis Fatima... ce Dieu dont l’Amour infini se porte de toute éternité sur Elle, veut enfin que nous commencions par nous consacrer à Elle si nous voulons lui plaire à Lui en entrant dans ses préférences. Quel Mystère, infiniment sage et sauveur ! »
Qu’arrivait-il donc au théologien de la Contre-Réforme catholique ? au redoutable polémiste de la Mutualité ? au champion du traditionalisme ? Mais « il sombre dans la dévotion », me disait le Père Trinquet, son ami.
« Je déménage... » confiait-il comme pour donner raison à ses adversaires qui le disaient méchamment depuis longtemps, en ajoutant : « Je déménage... chez la Sainte Vierge ! » Cela changeait tout.
En quoi consiste cette nouveauté ? À « craquer une allumette », celle de la dévotion au Cœur Immaculé de Marie, au Cœur de l’Immaculée Conception.
Notre bienheureux Père a toujours eu une immense dévotion pour la Sainte Vierge, il n’y a qu’à recenser toutes ses prédications mariales pour s’en persuader. Le rôle de l’Immaculée a pris de plus en plus de place dans la doctrine que notre Père constituait au fur et à mesure de la découverte du dessein de Dieu pour nos temps d’apostasie. L’étude approfondie de Fatima qu’il entreprit pour la récollection mariale de Josselin, en 1981, par exemple, marqua une avancée significative. À partir de ce moment-là, tout était vu, analysé, pesé à la lumière de Fatima.
L’année 1993 vit une autre avancée, plus qu’une avancée, un envahissement de tout l’être de notre Père. Au Canada, le 22 août, pour la fête du Cœur Immaculé de Marie, une inspiration lui fit dire le chapelet d’une manière très tendre, jusqu’à changer la formule traditionnelle du “ Je vous salue, Marie ” en “ Je vous aime, ô Marie ”. Non seulement cette innovation réchauffa les cœurs, y allumant une intense dévotion envers l’Immaculée, mais encore elle offrit le moyen de consoler notre Mère pour tant d’injures que lui font ceux qui ne l’aiment pas.
Cela ne faisait pas les affaires du diable. Notre Père continuant de se livrer à ce culte “ envahissant ” de Notre-Dame, le démon frappa un grand coup : l’accusation d’hérésie prononcée par Mgr Daucourt dans une déclaration rendue publique le 27 juillet 1996. Notre Père puisa alors dans son pèlerinage à La Salette l’espérance certaine de la Victoire du Cœur Immaculé sur toutes les forces contraires. Et de fait, en douze mois, tout s’est apaisé, nonobstant les croix et les persécutions toujours avantageuses à notre salut.
Des cent jours de son exil, notre Père est revenu comme saint François descendant de son Alverne, blessé d’un “ je ne sais quoi ”. L’allumette produisit un départ de feu devenu dans l’épreuve un véritable incendie. Cette sainte ardeur d’amour pour l’Immaculée, passée en un instant au sommet de ses affections et au plus fort de ses volontés, lui enjoignant de se faire le pur instrument de cette Mère incomparable.
Ce qu’on n’a pas su faire, à soi seul pendant toute une vie, on sait qu’en nous l’amour de Marie saura l’obtenir de sa grâce, en un instant, par une inspiration soudaine, céleste. Voilà pourquoi nous sommes aujourd’hui appelés par la Bienheureuse Vierge Marie à nous consacrer à Elle, pour obtenir de Jésus notre Sauveur le salut du monde en perdition, exactement comme frère Maximilien-Marie Kolbe et ses six premiers compagnons le firent en 1917.
Cette consécration totale de nos êtres à l’Immaculée n’est pas une “ spiritualité ” nouvelle, mais c’est une conversion au tout de la Religion, une interpellation actuelle à entrer dans un mouvement dont la Vierge Marie est la Mère et la Reine. La Cité de l’Immaculée du Père Kolbe doit nous être un paradis sur terre et le vestibule du Ciel, soit que nous vivions, soit que nous mourrions comme lui en est mort !
Lorsqu’en 1997 notre Père se mit à étudier plus en profondeur la vie et l’œuvre de saint Maximilien-Marie Kolbe, il redécouvrit en ce saint, qu’il connaissait pourtant déjà, un véritable frère d’âme. Son cœur battait à l’unisson du sien.
Lors d’un triduum de l’Immaculée-Conception 1997, notre Père nous dit : « Toute vie comporte une énigme, mais il y a des vies particulièrement prédestinées qu’on ne peut lire sans être pris d’un saint zèle, d’une sainte jalousie. On voudrait ressembler au saint qui nous est proposé, on voudrait l’aimer, le suivre. C’est bien le cas pour saint Maximilien-Marie Kolbe.
« Il s’est dit le “ chevalier de l’Immaculée ” ; on pourrait dire de lui qu’il est aussi le prophète de l’Immaculée, le précurseur de la Vierge Marie. L’Immaculée remplissait toutes ses pensées, tous ses projets, tout son apostolat. Son amour pour Elle est le cœur qui anime toutes ses œuvres et le point de convergence de toutes ses fondations.
« On trouve une sorte de délire d’amour semblable chez saint Louis-Marie Grignion de Montfort, chez saint Jean Bosco. Les enfants de Fatima aussi brûlaient de cet amour et ils étaient “ en Dieu ” lorsqu’ils voyaient la Sainte Vierge. Avant l’âge de dix ans !
« Or, il y a là un secret capital. Cette “ expérience ” d’une telle présence et tendresse de l’Immaculée en lui n’était que le premier signe de l’envahissement de ce même amour dans l’humanité ainsi conquise pour le Règne universel de Celle-ci. Quand on regarde l’état du monde actuel, on peut se dire que c’est du rêve. Le monde est perdu, inguérissable... comment fera-t-on ? Eh bien ! un feu va tout dévorer ! Ce feu a dévoré le cœur de notre saint et, par là même, il est vraiment le précurseur de ce règne de la Vierge Marie. Quand Elle reviendra, Elle réchauffera la terre et, dans son règne ainsi restauré, Elle offrira à son Fils le cadeau de toutes nos âmes. »
S’inscrivant dans le sillage de saint Louis-Marie et de saint Maximilien-Marie, l’un conduisant à l’autre, notre Père « passa la main à l’Immaculée » en consacrant « la Phalange “ à de Nantes ” » comme on disait, en la consacrant à l’Immaculée Conception, le 8 décembre 1997. Telle qu’il l’a formée, la Phalange est vraiment prédestinée à recueillir l’héritage de la Milice de l’Immaculée de saint Maximilien-Marie, martyr de l’Immaculée, martyr de la foi, de l’espérance et de la charité. Ces vertus théologales découlent immédiatement de la consécration inscrite à jamais dans les cœurs phalangistes. Foi franciscaine, totale, scotiste, en la « Divine Marie ». Espérance surnaturelle, non pas de construire un monde nouveau ici-bas, mais espérance d’aller « La voir un jour » au Ciel ! Charité conquérante : non pas par le “ dialogue ”, mais par la controverse pour la conversion des hérétiques, des schismatiques, des francs-maçons, des juifs, des musulmans ; par la croisade eucharistique et mariale, incluant la très nécessaire reconquête qu’il faudra bien entreprendre, sous l’égide de Notre-Dame du Rosaire.
Le but de notre oratorio est de comprendre et nous approprier, grâce à cet instrument merveilleux qu’est la musique de frère Henry, cet héritage du Père Kolbe, d’ouvrir la porte de son cœur pour y voir, autant qu’il nous est permis, l’ardent brasier qui y brûle et à son contact, y réchauffer, y enflammer nos pauvres cœurs !
Dans cette nouvelle œuvre de notre frère Henry, l’objectif n’est pas de raconter la vie de notre héros, beaucoup trop vaste et trépidante pour tenir en un peu plus d’une heure !
Je vous recommande de lire pour cela le remarquable article de notre Mère Lucie du Précieux Sang paru en novembre 1997 dans la Contre-Réforme catholique au XXe siècle n° 340. Toute sa vie s’y trouve admirablement exposée.
L’oratorio est constitué de cinq actes encadrés d’un prologue et d’un épilogue qui ne forment qu’une seule scène. Elle se déroule après la mort du Père Kolbe, vers la fin de l’année 1941, chez les religieuses féliciennes de Cracovie où demeure Maria Dabrowska, épouse Kolbe, la mère de notre saint. À l’horreur qui saisit des religieuses apprenant la mort du Père Kolbe, madame Dabrowska répond qu’elle fut en réalité une mort d’amour. Dans l’épilogue, elle fait le récit du martyre de son fils chéri, faisant inclusion avec le prologue, pour en expliquer le sens mystique qui marque l’existence de saint Maximilien-Marie d’un sceau divin. « Oui, toute sa vie, il fut le chevalier de l’Immaculée », chante-t-elle en conclusion du prologue.
Les cinq actes qui forment le corps de l’oratorio ne sont que la démonstration de cette dernière affirmation de Maria Dabrowska, dans un retour en arrière qui nous permet de voir dans ses fondations de la “ Milice de l’Immaculée ” (Acte I) et du monastère de Niepokalanów (Acte II), dans ses ultimes enseignements (Acte III), dans son arrestation (Acte IV) et sa condamnation à mort à Auschwitz (Acte V), les divines préparations qui ont fait de lui le martyr incomparable de l’Immaculée.
Pour nous guider dans la compréhension du mystère de saint Maximilien-Marie Kolbe, l’acte de consécration à l’Immaculée Conception, que notre Phalange a adopté pour sien, introduira chaque acte. Cette consécration totale et sans réserve à l’Immaculée est le cœur de cette vie prodigieuse.
En tant que phalangistes, ou appelés à le devenir, cet oratorio nous dicte notre résolution :
« S’user jusqu’à la corde, aimés des bons, haïs des ennemis de Jésus-Christ et de sa sainte Mère, prêts à toutes les croix, pour l’amour de l’Immaculée. À Elle l’amour de tous, l’admiration adorante, la confiance, les longues prières. À Elle de commander aux âmes qui lui sont dévouées, consacrées. À Elle d’être seule en vue, à la tête de nos Phalanges. À Elle de faire la conquête miraculeuse des âmes et de les conserver. À Elle qui fit danser le soleil le 13 octobre 1917 pour que tous croient, de faire le miracle que nous ne nous lassons pas de lui demander : écraser l’enfer et ses armées de démons et attirer les cœurs sincères, les convertir et les attacher irrévocablement à son divin Fils, Notre-Seigneur Jésus-Christ. » (CRC n° 342, janvier 1998)
PROLOGUE :
LES DEUX COURONNES
À l’ouverture du prologue, des bribes de mélodies se font entendre timidement et de plus en plus affirmées aux instruments, préparant l’entrée du thème principal : « J’irai La voir un jour » sur l’air polonais. Les entrées vont crescendo avec l’addition des instruments, puis un retour à l’intimité laisse la place à une femme qui entre sur scène, un panier au bras. C’est Maria Dabrowska, la mère de saint Maximilien-Marie Kolbe.
À peine ses fils partis pour le couvent, madame Kolbe entendit à nouveau le premier appel qui la poussait, étant jeune fille, à devenir religieuse. En accord avec son mari, Julius Kolbe, elle s’installa provisoirement chez les bénédictines de Lviv, en Ukraine. Toutefois, elle ne supporta pas de renoncer à l’idéal de saint François d’Assise qu’avaient embrassé deux de ses fils, le Père Maximilien-Marie et le Père Alphonse, et qui enflammait son propre cœur de tertiaire franciscaine. Lorsque ses deux fils se rendirent à Cracovie, en 1913, Maria les suivit et trouva enfin le lieu de son repos : la maison mère des Sœurs de Saint-Félix-de-Cantalice, dites “ féliciennes ”. Ces religieuses appartenaient à l’immense famille franciscaine.

La supérieure provinciale des féliciennes écrivait au sujet de cette admirable mère d’un saint : « Maria Dabrowska, épouse Kolbe, née le 25 février 1870, a été reçue dans notre Congrégation en 1913, en qualité de tertiaire, attachée aux services hors de la clôture [...] et fut en cela d’une grande utilité pour notre Congrégation. Elle a vécu dans notre maison mère de Cracovie jusqu’à la fin de sa vie, le 17 mars 1946. C’était une personne aux vertus éminentes qui édifiait ceux qui l’approchaient. Elle avait une dévotion particulière pour la Vierge Immaculée ; elle avait dans sa chambre deux petits autels de l’Immaculée, toujours ornés de fleurs fraîches. »
Deux petits autels : un pour le Père Maximilien et l’autre pour le Père Alphonse, ses deux fils cadets et préférés. L’aîné, François, était lui aussi entré chez les franciscains en même temps que notre saint, y avait fait profession, mais il en sortit pour s’engager dans l’armée polonaise lors de la Grande Guerre. Bien qu’il l’aurait voulu, François ne put revenir dans l’Ordre et se maria donc en 1917.
Continuons la relation de la supérieure félicienne : « Tard le soir, elle chantait à voix basse des cantiques, et le matin, elle se levait à quatre heures pour avoir plus de temps à consacrer à la prière. »
C’est ainsi que nous la voyons sur scène, murmurant « J’irai La voir un jour » sur sa mélodie polonaise, puis le chantant en polonais : « Wkrótce już ujrzę Ją », accompagnée discrètement au piano pour le premier couplet dont voici la traduction française :
« Bientôt je La verrai
Dans l’azur de ma patrie :
Ma joie, mon amour, ma vie,
Marie, ma Mère ! »
Le chœur reprend à sa suite le refrain, toujours en polonais :
« W niebie, w niebie, w niebie ! Wkrótce już ujrzę Ją !
Au Ciel, au Ciel, au Ciel ! Bientôt, je La verrai ! »
Pendant que madame Kolbe chantait, quelques religieuses se sont approchées sans se faire remarquer, admirant la sérénité de cette femme qui s’occupe humblement à former de petits bouquets pour l’autel de l’Immaculée.
La supérieure enchaîne sur le deuxième couplet, accompagnée cette fois-ci à l’orgue léger :
« Bientôt je La verrai !...
Ce chant est plein d’espoir :
Dans la douleur terrestre,
Ses sons vibrent de bonheur. »
Surprise dans sa tendre dévotion, Maria sourit et, accompagnée par le chant, dépose ses petites fleurs au pied de l’Immaculée. Toutes entonnent alors le dernier couplet rehaussé par les arpèges au piano et imitations aux autres instruments :
« Bientôt je La verrai !...
J’irai devant son trône
Et la splendeur de sa couronne
Illuminera aussi mon front. »
Après une dernière reprise du refrain avec tout le chœur et l’orchestre, la supérieure s’étonne : « Vous paraissez toute joyeuse, Pani Dabrowska. » Pani signifie Madame en polonais. Elle répond : « Pourquoi serais-je triste, ma mère ? » Dans ces dialogues, le piano et l’orgue alternent pour distinguer entre les intervenantes le niveau de compréhension où elles se trouvent. La réponse de Maria empreinte d’un calme souverain surprend toutes les religieuses qui croyaient trouver une mère effondrée à la suite de la dernière nouvelle parvenue au couvent.
« La mort de votre fils chéri ne semble pas vous affecter !
– Votre Raymond.
– Le Père Maximilien-Marie.
– Mort à Auschwitz le 14 août dernier. »
Et toutes s’écrient avec un haut-le-cœur : « Quelle horrible fin ! – Et vous ne pleurez pas ? »
Toujours avec le même air paisible et calme, Maria Dabrowska leur dit : « Oh ! mes sœurs, j’y étais préparée. Je savais qu’il mourrait martyr.
– Vous saviez ? Comment cela ? demandent les religieuses stupéfaites.
– Je le savais à la suite d’un événement extraordinaire survenu dans son enfance... »
De plus en plus intriguées, les sœurs s’exclament toutes : « Racontez-nous, Pani ! »

Maria Dabrowska était la seule à connaître le secret intime de son fils Raymond, devenu le Père Maximilien-Marie Kolbe. Elle conserva et médita ce secret toute sa vie, caché au fond de son cœur maternel, et ce n’est que deux mois après la mort du Père Kolbe qu’elle se résolut à le dévoiler le 12 octobre 1941 dans une lettre adressée aux frères de Niepokalanów. Sur scène, elle raconte l’événement aux religieuses, sur un fond de longs et doux accords aux cordes qui manifeste sa sainte émotion :
« Une fois, quelque chose en lui m’avait déplu, et je lui dis : “ Mon petit Raymond, que deviendras-tu plus tard ? ” Après cela, je n’y pensai plus, mais j’observai qu’il changeait de telle manière qu’on ne le reconnaissait plus. Quand il priait, il était en larmes. Inquiète, je lui dis alors : “ Qu’est-ce qui t’arrive ? Tu dois tout raconter à ta petite maman ! ” Tremblant d’émotion, il me dit. »
Le chœur prête sa voix à l’enfant qui lui répond sur une mélodie enfantine soutenue par l’orgue et les violoncelles pizzicato, des imitations aux bois ainsi que des batteries douces au piano, créant un climat de tendre mystère :
« Oh ! comment le décrire ? L’autre jour, je priais
La Vierge de me dire ce que je deviendrais ;
Cette aimable Madone m’est apparue soudain,
En montrant deux couronnes qu’elle avait dans ses mains.
L’une était blanche et belle, l’autre d’un rouge sang.
“ Les veux-tu ? ” me fit-elle. J’acceptai à l’instant. »
« Et la Vierge pleine de douceur disparut... » conclut la mère encore émue d’une telle grâce. Elle ajoute ce que l’enfant en comprit : « La couronne blanche signifiait la persévérance dans la pureté et la rouge le martyre. C’est ainsi que j’y fus préparée, poursuit-elle, comme la Vierge Marie après la prophétie de Siméon... »
Une religieuse en fait aussitôt l’application : « Vous n’avez donc pas été étonnée de sa vocation religieuse.
– C’était la couronne blanche, explique madame Dabrowska.
– Et la couronne rouge ? demande une sœur.
– Nul doute, chante la mère du martyr, qu’à l’instant où l’Immaculée la lui présenta, mon petit Raymond l’a saisie avec ardeur. » Elle conclut : « Oui, toute sa vie, il fut le Chevalier de l’Immaculée. »
« Cette vision de 1904 où l’Immaculée lui offre deux couronnes, explique notre Père dans le triduum de 1997, marqua toute sa vie, même s’il n’en fit confidence à personne d’autre qu’à sa mère, et encore l’a-t-elle forcé. Ce secret est stupéfiant ! C’est tout de même un peu rare qu’un enfant de dix ans voie la Vierge lui apparaître et qu’il garde ce secret toute sa vie. Il ne faudra quand même pas s’étonner que cela ait fait impression sur sa jeune âme et qu’il ait gardé cette impression toute la vie. Dès le départ, c’est un grand saint, un prédestiné, c’est indiscutable. »
Après la vision de l’Immaculée lui dévoilant son avenir, sa vocation, un incendie d’amour s’alluma dans le cœur du petit Raymond pour ne plus s’éteindre et, enfin, le consumer tout entier dans ce bunker de la faim où son âme pure s’envola dans une véritable mort d’amour, d’amour pour l’Immaculée.
En connaissance de ce secret originel, c’est donc sans surprise que nous voyons le jeune garçon, mû par son ardente dévotion, entrer dans l’Ordre franciscain. Le Poverello d’Assise l’attire pour sa vie chevaleresque et généreuse. Le 4 septembre 1910, au pied de l’autel de l’Immaculée, il revêt la bure franciscaine, ceint ses reins de la corde et reçoit le nom de frère Maximilien. Il a seize ans et huit mois.
La veille de sa profession, il avait été pris de doutes sur sa vocation : la carrière militaire l’attirait. Lui-même révélera qu’ayant compris que sa vie devait être entièrement consacrée à l’Immaculée, il priait avec instance sa « petite Mère » pour qu’elle lui fasse connaître le champ de bataille où il aurait à lutter. À ce moment, il commença à penser que la bataille serait peut-être matérielle et sanglante ; c’est pourquoi la carrière militaire lui semblait l’unique voie dans laquelle il pourrait se montrer fidèle à sa « Céleste Dame ».
Comment Notre-Dame répondit-elle à son ardent chevalier ? « La Providence divine, écrit le Père Kolbe à sa mère, le 20 avril 1919, dans sa miséricorde infinie à travers l’Immaculée, t’a envoyée vers moi, maman, pour me faire visite à ce moment-là. C’est ainsi que Dieu a déjoué toutes les ruses du démon... et j’y pense encore avec reconnaissance envers l’Immaculée, instrument de la miséricorde divine. »
Qu’a pu dire cette sage mère pour sauver la vocation de son fils lors de sa visite impromptue ? Ne lui aurait-elle pas simplement rappelé la vision de la couronne blanche qui signifiait la persévérance dans la pureté ?
Et comment conserver plus sûrement cette angélique vertu que par le vœu de chasteté ? Le secret demeure...
Ce désir chevaleresque de lutter pour l’Immaculée ne le quittera jamais, jusqu’à sa mort. Les armes ne furent pas seulement matérielles, mais surtout spirituelles, et il mourra les armes à la main, le cœur brûlant d’amour.
L’ACTE DE CONSÉCRATION À L’IMMACULÉE CONCEPTION
Après sa profession, le 5 septembre 1911, ses supérieurs envoyèrent ce jeune profès remarqué pour ses qualités éminentes poursuivre ses études à Rome, au Collège séraphique international. Conduit par la sollicitude de la Vierge Marie, il fut placé sous la direction du Père Stéphane Ignudi, confesseur de saint Pie X et son disciple fidèle. Le frère Maximilien recevra de ce maître incomparable son amour pour la Vierge Immaculée, son esprit romain et sa vénération pour le Pape, sa volonté de lutter contre le mal et pour la défense de l’Église. C’est au cours de la cruciale année 1917 que deux événements antagonistes vont le jeter dans la lutte.
1917 marquait deux “ jubilés ” diaboliques : le quatrième centenaire de la Réforme protestante (1517) et le bicentenaire de la fondation de la franc-maçonnerie (1717). Les outrages contre l’Église et la Papauté atteignirent alors leur paroxysme. Le jeune franciscain, indubitablement guidé par son maître, vit en toutes ces manifestations anticléricales et en ce mouvement politique aux mille ramifications qui sévissait à Rome même, un programme de combat contre la foi et l’Église. En 1939, le Père Kolbe écrivait en évoquant cette époque : « Cette haine mortelle pour l’Église de Jésus-Christ et pour son Vicaire n’était pas une simple gaminerie d’individus dévoyés, mais une action systématique découlant du principe de la franc-maçonnerie : “ Détruisez toute religion quelle qu’elle soit, surtout la religion catholique ”. »
Or, au début de cette année 1917, le 20 janvier, le Père Ignudi lut et commenta aux séminaristes rassemblés le récit de l’apparition de la Vierge Immaculée à Alphonse Ratisbonne et la conversion fulgurante du jeune juif... c’est alors que frère Maximilien-Marie conçut l’institution de la “ Milice de l’Immaculée ” qui devait prendre, comme signe de ralliement et de protection de ses “ chevaliers ”, la Médaille miraculeuse.
Pendant neuf mois, le frère Maximilien-Marie, mûrissant son projet, s’en ouvrit à six confrères. L’un d’eux, le Père Pal, raconte : « Frère Maximilien présentait le rêve qui lui remplissait l’esprit et le cœur d’une manière si persuasive et si vivante que le programme qu’il nous proposait pour lui semblait déjà se réaliser. Et vraiment, par la bonté de la Vierge, déjà on obtenait les fruits voulus par Dieu. Les colloques de ces jours-là s’entremêlaient, dans la ferveur des cœurs, à un chant que nous avait enseigné le Père Glowinski : “ J’irai la voir un jour ”. Au rythme de ce chant, frère Maximilien semblait redevenu enfant, tout souriant et comme en extase, et la douceur que le nom et l’amour pour notre Mère du Ciel lui mettait dans le cœur, il la manifestait en demandant plusieurs fois dans la même soirée que ce cantique soit rechanté. »
C’est ainsi que le soir du 16 octobre 1917 – trois jours après la dernière apparition de Notre-Dame à Fatima et la chute du soleil, mais cela, il ne le savait pas ! – ce soir-là, les six premiers candidats à la nouvelle “ chevalerie ”, guidés par frère Maximilien-Marie, prononçaient leur consécration à Marie devant l’autel de l’Immaculée dans la chapelle du Collège séraphique et recevaient, comme insigne, la Médaille miraculeuse. La “ Militia Immaculatæ ” était ainsi fondée, avec l’approbation du Père Ignudi.
L’acte de consécration qu’ils récitèrent ce soir-là porte en germe toute la doctrine du Père Kolbe, et résume avec une extraordinaire concision sa vocation chevaleresque de service de sa Dame. Cette formule, écrit-il, « contient tout l’esprit de la “ Milice de l’Immaculée ” ». Il ne cessa, sa vie durant, d’approfondir cette intuition originelle qu’il reçut par une grâce de la Céleste Médiatrice.
Divisée en cinq parties, cette prière chantée par le chœur introduit chaque acte. Nous commenterons ici l’ensemble de l’acte de consécration, avec les mots mêmes du Père Kolbe, puisqu’en 1940, l’année qui précéda son martyre, il rédigea un commentaire de cet acte.
Il le présente ainsi : « Cet acte se compose de trois parties : une invocation, une demande qu’Elle daigne nous accepter comme siens, et une demande qu’Elle daigne se servir de nous pour lui gagner d’autres âmes. »
Un exergue, tiré de la liturgie du commun de la Sainte Vierge, ouvre cette prière avec solennité :
« Daignez recevoir ma louange, ô Vierge bénie ! Donnez-moi la force contre vos ennemis ! »
« On raconte, écrit le Père Kolbe dans son commentaire, que Duns Scot, un frère franciscain, se rendant à Paris pour une dispute au cours de laquelle il devait défendre le privilège de l’Immaculée Conception à l’Université de la Sorbonne, passa devant une statue de la Vierge Marie et la pria en prononçant ces mots. La Sainte Mère inclina la tête en signe d’acceptation. Dans la première partie de cette prière, “ Daignez recevoir ma louange ”, Duns Scot s’adressait humblement à la Mère de Dieu en lui demandant de lui permettre de la louer, reconnaissant ainsi sa grande indignité pour une œuvre aussi élevée que la louange de la Mère de Dieu. Il savait que cette grâce dépendait d’Elle et qu’il suffisait qu’Elle le permît pour que ses efforts fussent couronnés de succès.
« La deuxième partie est forte, absolue, courageuse : il demandait “ la force contre vos ennemis ”, la puissance de vaincre le Serpent en tant qu’instrument dans les mains de la Vierge. »
C’est tout le cœur chevaleresque du Père Kolbe ! Et le rythme du chant s’en ressent...
Il poursuit : « Nous disons d’abord : “ Ô Immaculée Conception ! ” Nous nous adressons à Elle par ce Nom, parce qu’Elle-même, à Lourdes, s’est nommée de cette manière : “ Je suis l’Immaculée Conception ” [...]. Ce Nom recèle bien des mystères qui seront révélés avec le temps, puisqu’il indique que l’Immaculée Conception fait partie intégrante de la nature même de l’Immaculée. » C’est trop peu ! Si elle dit « Je suis », elle révèle bien plus que sa seule nature, c’est son Être même. Il fallut attendre notre Père pour le comprendre.
Cette invocation sera reprise avec ravissement et affection au début de chaque partie dans l’oratorio, car cette révélation est au cœur de la doctrine de notre saint, et toute sa vie, il a cherché à en percer le mystère.
« Reine du Ciel et de la terre. »
« Dans la famille, des parents qui aiment leurs enfants veulent combler leurs désirs, dans la mesure du possible et à condition qu’ils ne leur soient pas nuisibles. À plus forte raison, Dieu Notre-Seigneur, Créateur et Père des parents terrestres, veut accomplir la volonté de ses créatures, pour autant qu’elle soit conforme à la Sienne. Or, l’Immaculée ne s’est écartée en aucun cas de la volonté de Dieu. En tout, Elle a aimé la volonté de Dieu et c’est pourquoi on l’appelle à juste titre la “ Toute-Puissance suppliante ” : elle exerce son pouvoir sur Dieu même, sur tout l’univers, elle est la Reine du Ciel et de la terre.
« Au Ciel, tous reconnaissent la souveraineté de son amour et les mauvais anges qui n’ont pas voulu reconnaître son Règne, de ce fait, ont perdu leur place au Ciel. »
« Elle est aussi Reine de la terre, en tant que Mère de Dieu Lui-même. Cependant, Elle désire – Elle en a le droit – être reconnue volontairement par chaque cœur, être aimée comme Reine de chaque cœur, afin que, par Elle, chaque cœur devienne de plus en plus purifié, immaculé comme son Cœur, et de plus en plus digne de s’unir à Dieu, à l’Amour de Dieu, au Sacré-Cœur de Jésus. »
« Refuge des pécheurs. »
« Notre-Seigneur est miséricordieux, infiniment miséricordieux, il est aussi juste, infiniment juste, de sorte qu’il ne supporte pas même le plus petit péché et en exige la pleine réparation. La dispensatrice du Très Précieux Sang du Seigneur Jésus, qui seul a la vertu d’effacer les péchés, est la Miséricorde divine personnifiée en Marie Immaculée. C’est pourquoi nous l’appelons très justement le “ Refuge des pécheurs ”, de tous les pécheurs, même si leurs crimes sont aussi graves et nombreux que possible, même s’il leur semble qu’il n’y a plus de miséricorde pour eux. »
Le Père Kolbe explicite la mission de l’Immaculée : « Chaque purification d’une âme est pour Elle une nouvelle preuve de son titre d’Immaculée Conception, et plus l’âme est plongée dans le péché, plus elle manifeste la grande puissance de son privilège d’Immaculée Conception en redonnant à cette âme-là une pureté de neige. » C’est la leçon de la conversion d’Alphonse Ratisbonne.
« Et Mère très aimante. »
L’Immaculée est la Médiatrice des grâces, ne cesse-t-il de répéter, et de ce fait, Elle nous enfante à la vie divine. Marie est donc notre Mère, une Mère encore plus vraie que notre mère charnelle. « Et elle est la Mère la plus aimante, car il n’y a pas de Mère si tendre, si aimable, si divine, que l’Immaculée toute divine. »
« À qui Dieu voulut confier tout l’ordre de la Miséricorde. »
« Au sein de la famille, le père est parfois satisfait lorsque la mère intercède, retenant sa main prête à châtier l’enfant, parce qu’alors la justice est rendue et la miséricorde aussi, car ce n’est pas sans raison que la justice est suspendue. » En effet, si le père renonce au châtiment à l’intercession de la mère, c’est qu’il a jugé que l’intervention maternelle était juste. La miséricorde est toujours exécutée dans la justice.
« De même, Notre-Seigneur, pour ne pas nous punir, nous donne une Mère spirituelle à l’intercession de laquelle il ne résiste jamais. C’est pourquoi les saints disent que le Seigneur Jésus a gardé pour lui l’ordre de la justice, en donnant à l’Immaculée tout l’ordre de la miséricorde. »
Nous sommes parvenus à la deuxième partie de l’acte de consécration à l’Immaculée.
« Me voici à vos pieds, moi, pauvre pécheur, âme pécheresse. »
« Nous reconnaissons ainsi que nous ne sommes pas immaculés comme Elle, mais pécheurs. Aucun d’entre nous ne peut se vanter d’avoir vécu sans commettre de péché jusqu’à ce jour, au contraire, nous sommes tous conscients d’être coupables de nombreuses infidélités. » La musique souligne cette triste condition de la nature humaine : le ton est devenu plus sombre et grave.
Nous ne sommes pas que “ pécheurs ”, mais “ pauvres pécheurs ”, et pour bien insister sur cette indignité foncière, notre Père a voulu ajouter les mots de sœur Marie-Bernard Soubirous qui, au moment de mourir, se qualifiait de « pauvre pécheresse ». C’est tout à fait l’esprit du Père Kolbe : « Il y a, en effet, une différence infinie entre un être immaculé et un être entaché par le péché. C’est pourquoi, en toute vérité, nous nous estimons indignes de nous tourner vers Elle, de La prier même, de nous jeter à ses pieds, de peur de devenir comme l’orgueilleux Lucifer. »
Dans la phrase suivante, la mélodie monte en supplication et cette formule musicale est reprise plusieurs fois avec des nuances pour correspondre au texte : « Je vous en supplie, acceptez mon être tout entier comme votre bien et votre propriété. »
« Par ces mots, nous demandons à l’Immaculée de bien vouloir nous accepter et nous nous offrons à Elle complètement [...], comme un “ bien ” et une “ propriété ” à sa libre disposition, pour nous utiliser et nous consumer jusqu’à l’anéantissement complet. »
« Agissez en moi selon votre volonté, en mon âme et mon corps, en ma vie et ma mort et mon éternité. »
« Ici, nous lui remettons tout notre être, toutes les facultés de l’âme et du corps. Nous lui remettons toute notre vie en tous ses moments, qu’ils soient heureux, pénibles ou indifférents. Nous lui remettons notre mort, quand, où et de quelque manière qu’elle nous arrive. Et même notre éternité, car nous avons la ferme espérance que c’est seulement dans l’éternité que nous pourrons lui appartenir plus parfaitement. Nous exprimons donc le désir qu’elle nous permette de devenir de plus en plus parfaits à tous égards » pour mériter enfin d’entrer dans l’éternité bienheureuse.
Voici à présent la troisième partie de l’acte de consécration.
« Disposez avant tout de moi comme vous le désirez, pour que se réalise enfin ce qui est dit de vous : “ La Femme écrasera la tête du serpent ” et aussi : “ Vous seule vaincrez les hérésies dans le monde entier. ” »
Le ton change subitement et la mélodie descend, accompagnant le pied virginal de l’Immaculée qui écrase la tête du Serpent.
« Dans les statues et les images de l’Immaculée, nous voyons toujours le Serpent entourant le globe, la tête écrasée par le pied de l’Immaculée. Lui, Satan, auteur du péché, tente de souiller les âmes de la terre et il hait Celle qui a toujours été sans souillure. Dieu dit à Satan : “ Elle t’écrasera la tête et tu l’atteindras au talon ” (Gn 3, 15). Le Serpent atteint l’Immaculée au talon dans ses enfants qu’il entraîne, mais dans ce combat, Elle lui écrase la tête en chaque âme qui a recours à Elle. Nous lui demandons donc de se servir de nous aussi, si Elle le veut bien, comme d’un instrument pour frapper la tête orgueilleuse du Serpent lorsqu’il s’en prend aux âmes des pauvres pécheurs. »
Soyons vigilants : « L’esprit malin guette particulièrement ceux qui se consacrent à l’Immaculée, car Satan cherche à l’atteindre, Elle, en eux. Cependant, ses tentatives dans les âmes sincèrement dévouées se soldent toujours par une défaite cuisante, d’où sa rage encore plus violente.
« La phrase “ Vous seule vaincrez les hérésies dans le monde entier ” est tirée de la liturgie et l’Église ordonne de la répéter à son sujet. L’Église dit “ hérésies ” et non “ hérétiques ”, car elle aime ceux-là et c’est par amour qu’elle veut les libérer de l’erreur de l’hérésie, de toutes les hérésies sans exception. L’Église dit “ seule ”, car l’Immaculée seule suffira : Elle a pour Elle Dieu Lui-même et tous les trésors de grâces pour la conversion des pauvres pécheurs et leur sanctification. “ Dans le monde entier ”, aucun coin de la terre n’est exclu.
« À ce stade de l’acte de consécration, nous La supplions de se servir de nous pour détruire tout le corps du Serpent qui enlace le monde, c’est-à-dire les hérésies les plus diverses. » Et la mélodie y atteint son sommet :
« Qu’en vos mains toutes pures, si riches de miséricorde, je devienne un instrument de votre amour capable de ranimer et d’enthousiasmer tant d’âmes tièdes ou égarées. »
« Dans le monde, nous voyons tant d’âmes malheureuses et égarées, ne connaissant même pas le but de leur vie et s’attachant à des biens insignifiants plutôt qu’au seul bien, qui est Dieu. Beaucoup d’âmes sont aussi indifférentes à l’amour de Dieu. Nous désirons que l’amour de l’Immaculée ranime et enthousiasme ces âmes et nous la supplions de faire de nous d’utiles instruments entre ses mains toutes pures et miséricordieuses, de telle sorte qu’elle ne permette pas que nous nous opposions, et qu’elle nous contraigne si nous ne voulons pas lui obéir. » Qu’Elle règne « despotiquement » sur nous, écrit-il ailleurs, et tant pis si nous rechignons, nous aurons tort !
« Ainsi, s’étendra sans fin le Règne du Divin Cœur de Jésus. »
« Le Divin Cœur de Jésus brûle d’amour envers ses créatures. Son Règne est la domination de cet amour sur les âmes, amour que le Seigneur Jésus a manifesté dans la crèche, tout au long de sa vie, jusque sur la Croix et dans l’Eucharistie, et en nous donnant l’Immaculée pour mère ; cet amour, il désire l’infuser dans les cœurs humains. Insuffler et accroître la gloire de l’Immaculée, lui gagner des âmes, c’est gagner des âmes à la Mère de Jésus qui établira le Règne de Jésus dans les âmes. »
« Votre seule présence attire les grâces qui convertissent et sanctifient les âmes, puisque la grâce jaillit du Divin Cœur de Jésus sur nous tous, en passant par vos mains maternelles. »
Cette phrase est chantée dans un mouvement paisible à trois temps, évoquant la douceur de l’attrait de l’Immaculée sur les âmes. « L’Immaculée est la “ Toute-Puissance suppliante ”. Chaque conversion, chaque sanctification est l’œuvre de la grâce dont elle est la Médiatrice. C’est pourquoi elle seule suffit pour obtenir et distribuer toutes les grâces. Dans l’apparition de la Médaille miraculeuse, sainte Catherine Labouré a vu des rayons jaillir des anneaux précieux que l’Immaculée portait à ses doigts : ces rayons signifient les grâces dont sont comblés ceux qui ont recours à Elle. Et Ratisbonne aussi, dans sa vision, parle des rayons de la grâce. »
La fin du commentaire de saint Maximilien-Marie est un résumé de tout l’ensemble : « Qui est l’ennemi de l’Immaculée ? Tout ce qui est souillé, tout ce qui ne mène pas à Dieu, tout ce qui n’est pas amour, c’est-à-dire tout ce qui vient du Serpent menteur et homicide, et de lui seul ; toutes nos fautes viennent de cette source infernale. Nous demandons à l’Immaculée de nous donner la force de combattre. C’est la raison d’être de toutes les dévotions, de la prière, des sacrements : leur but est de nous procurer la force de lutter contre tout ce qui nous entrave dans notre recherche de Dieu, dans notre désir toujours plus fervent de conformité et d’union avec Dieu Père, Fils et Saint-Esprit.
« Mais pour que nous ayons la force nécessaire pour revenir à Dieu, nous devons prier et demander cette force à Celui qui est la Source de toute force. Il regarde avec amour les efforts de sa créature et désire qu’elle veuille sincèrement venir à Lui, et pour cela, il ne négligera aucun moyen. La créature a beau trébucher sur le chemin, tomber et se blesser, ce Père plein d’amour ne peut pas la voir ainsi sans intervenir. Il lui envoie son Fils unique qui, par sa vie et ses enseignements, lui montre le chemin clair et sûr, et avec son Précieux Sang, lave les souillures et guérit les blessures. Et pour rendre l’espérance aux âmes qui craignent la Justice divine irritée, Dieu envoie la personnification de son amour : l’Immaculée, toute belle et sans tache, et bien qu’elle soit humaine, Dieu lui confie tout l’ordre de la Miséricorde à l’égard des âmes. Il fait d’Elle la Médiatrice de la grâce méritée par son Fils, la Mère des âmes nées de la grâce, les faisant sans cesse renaître dans une divinisation toujours plus parfaite. »
Cette Divine Mère a la charge de notre purification et sanctification afin de nous introduire dans son beau Ciel. « Mon Cœur Immaculé sera ton refuge et le chemin qui te conduira jusqu’à Dieu » disait Notre-Dame à la pauvre Lucie qui devait rester toute seule après la mort de ses petits cousins. Cette vérité, sœur Lucie ne la considérait pas comme une “ révélation privée ”, au contraire, l’Immaculée le dit pour toutes les âmes.
Nous le verrons tout au long de ce commentaire, la pensée du Père Kolbe est en accord parfait avec le message de Notre-Dame de Fatima, bien qu’il n’en ait jamais eu connaissance. Cette concordance est bien la preuve que c’est la même Sainte Vierge qui révèle son mystère, à Niepokalanów et à Fatima, en passant par la Rue du Bac, Lourdes et Sant’Andrea delle Fratte : « Jésus veut établir dans le monde la dévotion à mon Cœur Immaculé. À qui embrassera cette dévotion, je promets le salut : ces âmes seront chéries de Dieu, comme des fleurs placées par moi pour orner son trône. »
– ACTE I –
LA MILICE DE L’IMMACULÉE

Les deux premiers actes de notre oratorio nous font admirer l’ardeur et le zèle apostoliques de saint Maximilien-Marie Kolbe à travers ses œuvres, innombrables.
Les œuvres “ extérieures ” et missionnaires seront évoquées dans le premier acte, tandis que les œuvres “ intérieures ”, religieuses et apostoliques le seront dans l’acte suivant.
Après le chant de la première partie de l’acte de consécration, nous changeons d’atmosphère et la musique nous transporte en Pologne, et plus précisément, par le rythme du “ krakowiak ”, danse typiquement polonaise, rapide et syncopée, à deux temps, propre à donner de l’animation à cette scène de foule sur une place de la splendide ville médiévale de Cracovie.
Nous assistons à une scène qui fut fréquente à la fin des années 1930 : devant une librairie officielle, un petit kiosque – une planche soutenue par deux tréteaux et un bout de carton en guise d’enseigne – est installé. Les passants, au grand dam de la libraire qui tente vainement de les attirer, s’agglutinent autour de l’humble kiosque où trois jeunes gens, que nous avons nommés Julius, Maria et Rosalia, y vendent diverses revues. Soudain, l’un d’eux lance à la criée : « Rycerz Niepokalanej ! Achetez le Chevalier de l’Immaculée ! » Ce sont les éditions du monastère franciscain de Niepokalanów.
Le Chevalier de l’Immaculée parut pour la première fois en janvier 1922. Ce mensuel illustré était tiré ordinairement à 750 000 exemplaires environ, mais certaines éditions extraordinaires pouvaient monter jusqu’à un million ! Ce fut la première et la plus importante publication de la Cité de l’Immaculée... mais loin d’être la seule ! Un autre vendeur s’écrie : « Mały Dziennik ! Le Petit Journal n’est qu’à cinq groszy ! » Un “ grosz ” équivalant à un centime. Le Petit Journal était un quotidien catholique d’actualité : il était tiré à 150 000 exemplaires les jours ordinaires et à 250 000 les jours de fête.
Une mère de famille s’approche du kiosque, accompagnée de son enfant, et demande : « Auriez-vous quelque chose pour les enfants ? Facile à lire... » Rosalia termine la question : « ... et illustré ? Nous avons le Petit Chevalier, et même le Tout Petit Chevalier. » Niepokalanów n’oubliait pas la jeunesse : ces deux mensuels illustrés pour les enfants étaient tirés respectivement à 175 000 et 35 000 exemplaires.
Tandis que la vente se poursuit, une dame, visiblement étrangère, considère d’un air intrigué la scène qui se déroule sous ses yeux. Hésitante à pénétrer la foule des clients, elle se dirige vers la libraire, en conversation avec un bourgeois polonais, afin de satisfaire sa curiosité.
« Pardon, Pani [Madame, en polonais], je suis de passage à Cracovie, et même en Pologne... mais, dites-moi, qui sont ces gens ? » demande la dame en indiquant le kiosque et les trois chevaliers de l’Immaculée. La libraire répond sèchement : « Eux ? Ce sont des voleurs. » Devant l’étonnement de la dame, la libraire enchaîne : « Parfaitement. Ils volent notre clientèle ! » Le bourgeois renchérit : « Ils manipulent le peuple et le tiennent dans l’obscurantisme de la religion avec leurs bondieuseries ! » Voilà qui a des relents d’anticléricalisme...
« Qui sont-ils donc ? » interroge l’étrangère. « Le Père Kolbe et ses franciscains de Niepokalanów, près de Varsovie.
– Leur influence est néfaste !
– Les directeurs de la presse ont interdit que nous vendions leurs revues. Ce qui a fait chuter notre chiffre d’affaires...
– Des fanatiques ! »
Niepokalanów eut beaucoup d’ennemis qui s’opposèrent à ses œuvres. La lutte qui s’engagea au moment de la parution du Petit Journal en 1935 est typique. Le Père Ricciardi, postulateur de la cause de béatification, dans sa biographie Maximilien Kolbe, prêtre et martyr, parue en 1971, en rapporte les péripéties :
« Étant donné le programme nettement catholique et antimaçonnique du Petit Journal, il était naturel qu’il excitât la colère de ses adversaires qui eurent recours au boycottage, décidés qu’ils étaient à lui barrer la route. Et puisque le journal s’imposait aussi grâce à son prix réduit de cinq groszy, contre les vingt-cinq et trente des autres journaux, il fut aussitôt accusé par les directeurs des autres quotidiens de commettre un abus. Un effet immédiat de cette lutte, à la base de laquelle se trouvaient des questions d’intérêts, fut l’opposition des revendeurs : s’estimant lésés dans leurs pourcentages, ils n’acceptèrent plus le Petit Journal dans leurs kiosques. Les papetiers, hostiles, prirent des mesures plus graves encore puisqu’ils suspendirent les fournitures de papier à crédit, exigeant le paiement comptant. Mais Niepokalanów ne recula pas.
« Grâce à son organisation interne et malgré son prix très bas, le Petit Journal offrit de payer comptant le papier. Quant à la vente, Niepokalanów fit appel à l’esprit de sacrifice de ses membres, les chevaliers de l’Immaculée. Dans toute la Pologne, des kiosques spéciaux firent leur apparition, et l’on échappa ainsi au boycottage des revendeurs. Indépendante parce qu’autarcique, sans risque de grèves de la part de ses travailleurs, Niepokalanów gagna pacifiquement la bataille, à tel point que ses adversaires, ayant constaté l’inutilité de leurs attaques, finirent par accorder au Petit Journal les mêmes droits qu’aux autres quotidiens. »
Soudain, Rosalia s’approche du groupe et, affable, demande : « Bonjour Panie [Mesdames], Pana [Monsieur], désirez-vous le dernier Petit Journal ? »
La dame étrangère, qui a fort bien remarqué l’hostilité de ses interlocuteurs, prévient leur réaction et s’empresse d’interroger Rosalia : « Je vous en prie, parlez-moi de votre groupe, car on m’a dit le plus grand mal de vous... » chante-t-elle, non sans quelque malice, à l’adresse de la libraire et du bourgeois qui manifestent leur mécontentement... mais cela n’étonne pas l’apôtre de Niepokalanów : « Rien de plus normal, Pani, c’est la guerre. Lorsqu’on travaille pour l’Immaculée, le diable montre le bout de sa queue. Mais Elle lui écrase la tête ! » Cela dit avec une assurance pleine d’enthousiasme.
Rosalia guide sa nouvelle recrue vers le kiosque où elle prend un numéro, au rythme bien reconnaissable de la “ Polonaise ”, autre danse du pays, mais d’un tout autre caractère, plus lent et solennel, à trois temps.
« Le Chevalier de l’Immaculée, commence la jeune femme, est destiné à porter l’Immaculée partout et à répandre l’esprit de la M. I.
– La “ M. I. ” ? demande l’étrangère, qu’est-ce à dire ? »
Elle reçoit pour réponse le cri unanime de la foule et du chœur : « La Milice de l’Immaculée ! » Quelqu’un s’étonne qu’elle ne connaisse pas. « Pardonnez-moi, dit-elle, presque gênée, je ne suis pas d’ici. »
Nos trois chevaliers de l’Immaculée, Rosalia, Julius et Maria, saisissent la balle au bond pour exposer l’essentiel de cet esprit M. I.... si proche de l’esprit phalangiste ! Tout ce qui sera chanté, nous pouvons comme tout naturellement nous l’approprier.
D’abord, Julius pose le but de cette Milice : « Il s’agit d’un mouvement fondé en 1917 par le Père Maximilien-Marie, qui doit entraîner les masses et les arracher à Satan. »
Maria ajoute : « Pour cela, nous travaillons à la conversion des pécheurs et particulièrement des francs-maçons qui sont les plus acharnés ennemis de l’Église. » On se souvient dans quel contexte agité de persécutions maçonniques contre l’Église à Rome même, le Père Kolbe reçut de la Vierge Immaculée l’inspiration de fonder cette Milice.
« Ambitieux programme ! s’exclame la dame. Mais c’est qu’ils sont puissants, en face... »
Les trois chevaliers, fort peu décontenancés, dévoilent le secret, repris par le chœur, qui fait toute leur force : « Nous, nous ne pouvons rien, mais l’Immaculée peut tout. »
Pleins de l’enseignement du fondateur de la M. I. diffusé dans le Chevalier de l’Immaculée, ils chantent avec enthousiasme : « L’Immaculée, voilà notre idéal ! » Cette exclamation du Père Kolbe sera reprise par le chœur à la fin de chaque couplet, comme une sorte de refrain.
Au fondement de tout, il faut d’abord brûler d’amour pour Elle. Là se trouve le secret de notre religion. « Il faut allumer le feu de l’amour envers l’Immaculée, l’activer dans notre cœur et le communiquer autour de soi ; il faut embraser par ce feu toutes les âmes et chacune en particulier, celles qui sont et qui seront, et faire resplendir cet amour en soi-même et dans le monde entier, et cela de plus en plus intensément, sans limites. Tel est notre but ! » (Notre but, 1940)
Maria commence :
« Le Sauveur a donné pendant son sacrifice
Une Mère chérie à ceux qu’il a sauvés.
De la grâce divine, Elle est Médiatrice ;
Elle éduque et rend saints ses enfants bien-aimés. »
Le chœur et les instruments poursuivent, comme ils le feront à la fin de chaque couplet : « Brûler d’amour pour l’Immaculée, voilà notre idéal ! »
« Ô Dieu d’amour, écrivait le Père Kolbe dans le Chevalier de l’Immaculée de novembre 1929, dans votre bonté et votre miséricorde, votre Cœur brûlant d’amour nous donne une Mère – la personnification de votre bonté et de votre amour sans mesure – et au pied de la Croix, au Golgotha, vous nous la donnez et vous nous donnez à Elle... et vous décidez, ô Dieu qui nous aimez, qu’elle soit la Dispensatrice toute-puissante et la Médiatrice de toutes vos grâces. Vous ne lui refuserez rien et elle ne peut refuser quoi que ce soit à quiconque. »
Cette Divine Mère a « un Cœur tel qu’il lui est impossible de ne pas se soucier du salut et de la sanctification de chaque être humain » (Chevalier de l’Immaculée n° 4, juin 1925).
Si une âme brûle d’amour pour l’Immaculée, elle peut intégrer la Milice. Le Père Kolbe y distingue trois degrés qu’il résume ainsi dans une lettre aux confrères de Cracovie, le 25 mai 1920 : « Le premier degré se limite à l’action individuelle ; le deuxième ajoute l’action sociale ; et le troisième, brisant toute limite, tend à l’héroïsme. »
En quoi consiste le premier degré ? Appartenir à l’Immaculée. « S’approcher d’Elle, lui ressembler, lui permettre de saisir entièrement notre cœur et tout notre être pour qu’Elle vive et agisse en nous et par nous, pour qu’Elle aime Dieu avec notre cœur, pour que nous lui appartenions inconditionnellement : Voilà notre idéal ! » (Chevalier n° 15, 24 juin 1936)
C’est Julius qui chante le deuxième couplet sur le même air :
« Que faire alors de mieux que d’être tout à Elle ?
Devenir l’instrument docile entre ses mains,
Qui s’abandonne en tout avec une ardeur telle
Qu’Elle seule aime et vit en nos cœurs qui sont siens. »
– Appartenir à l’Immaculée, voilà notre idéal ! »
« La condition nécessaire que doit remplir toute personne entrant dans la M. I. est celle-ci : se donner à l’Immaculée, écrit-il encore dans un Chevalier de 1937. On peut se consacrer à Marie avec les mots que l’on veut, pourvu qu’on renonce à sa propre volonté en faveur de ses ordres qui nous sont donnés dans les commandements de Dieu et de l’Église, dans le devoir d’état et les inspirations qu’Elle nous envoie [...]. Ce n’est qu’alors, en obéissant totalement à l’Immaculée, que nous deviendrons un instrument exemplaire entre ses mains apostoliques. »
Le deuxième degré suit comme naturellement : « L’homme qui a connu et aimé l’Immaculée jusqu’à s’abandonner entièrement à Elle sans aucune réserve et qui tend à devenir sa propriété à tous égards, cet homme désire que les autres s’abandonnent aussi à Elle, parce qu’il désire de tout son cœur que l’Immaculée règne dans toutes les âmes. » (Notes, août 1940)
C’est au tour de Rosalia de l’expliquer dans le troisième couplet :
« Vous et moi, c’est trop peu pour notre aimable Reine !
Il lui faut tous les cœurs, vivants et à venir,
D’ici et de partout : que tous lui appartiennent !
Peu importe le prix, tous doivent La servir.
– Donner des cœurs à l’Immaculée, voilà notre idéal ! »
« Rayonner sur notre entourage, gagner les âmes pour Elle, afin que les cœurs de nos prochains s’ouvrent aussi devant Elle, afin qu’Elle soit la Reine de tous les cœurs, partout dans le monde, sans distinction de race, de nationalité, de langue ; qu’Elle soit la Reine de tous les cœurs de ceux qui vivront jusqu’à la fin du monde : voilà notre idéal ! » (Chevalier n° 15, 24 juin 1936)
« Peu importe le prix », chantait Rosalia. C’est la porte ouverte vers le troisième degré de la Milice. Celui qui désire de tout son cœur que l’Immaculée règne dans toutes les âmes « fait tout son possible et tâche de ne négliger aucun moyen, même si cela lui coûte beaucoup, même s’il doit sceller son idéal avec son propre sang. Oui, il voit son plus grand bonheur, le comble de ses rêves dans l’offrande totale, jusqu’à sa propre vie si cela peut gagner toutes les âmes à l’Immaculée. Oui, toutes les âmes. Voilà le parfait chevalier de l’Immaculée ! » (Notes, août 1940)
Les trois chevaliers unissent leurs voix en trio pour le dernier couplet :
« Ne doit-on pas donner sa vie pour ceux qu’on aime ?
Ah ! oui, si notre amour pouvait être scellé
Dans la mort, la douleur, jusqu’au martyre même
Pour gagner tous les cœurs... oh ! quel sort désiré !
– Enfin, mourir pour l’Immaculée, voilà notre idéal ! »
« C’est engageant », répond la dame étrangère, impressionnée. Elle ajoute aussitôt : « Publiez-vous en d’autres langues ? »
Au rythme enlevé du “ krakowiak ”, les disciples du Père Kolbe se font l’écho de son apostolat sans borne : « Nous avons le Miles Immaculatæ [trimestriel tiré à 150 000 exemplaires], en latin, destiné au clergé des autres pays.
– Au Japon, la “ Mugenzaï no Sono ” [le “ Jardin de l’Immaculée ”] publie le Chevalier en japonais : le Seibo no Kishi.
– Et pour mieux connaître les œuvres missionnaires de Niepokalanów, vous avez ici le Bulletin missionnaire.
La merveilleuse histoire de la Cité de l’Immaculée japonaise est une éloquente démonstration de la puissance de l’Immaculée. Pensez : En mai 1930, un mois, jour pour jour, après avoir débarqué sans connaître personne, sans lire ni parler un seul mot de la langue, le Père Kolbe et quatre frères distribuaient dans la rue 2 000 exemplaires du Chevalier japonais, le Seibo no Kishi, grâce à l’aide précieuse de la petite chrétienté de Nagasaki. En 1933, il tirait à plus de 50 000 exemplaires. « En trois ans, il avait pris la première place parmi les périodiques catholiques. Cet apostolat n’était fructueux que parce qu’il était inspiré et soutenu par l’attrait qu’exerce sur les âmes, même païennes, la Vierge Immaculée : “ La pureté de Marie attire les âmes des Japonais, comme la pureté des missionnaires catholiques éveille leur admiration et leur respect, et les dispose à les écouter. ” (Lettre du 26 octobre 1931) » (CRC n° 340, novembre 1997)
À l’image de l’Immaculée qui vit en lui, le Père Kolbe a un cœur immense et apostolique. Après le Japon, la Corée, la Chine, l’Inde, à quoi songe-t-il ?
À la fin des années 1930, le Père Kolbe retourna au Japon en passant par la Sibérie et il s’arrêta quatre jours à Moscou. En 1932, il écrivit à son Provincial au sujet d’un second séjour qu’il prévoyait à Moscou : « On pourrait, si c’est possible [en plein régime soviétique !], rester quelques jours à Moscou, afin de mieux étudier le milieu et les possibilités de commencer l’édition du Chevalier en russe. » Maria chante que « le Père Kolbe voudrait aussi apprendre le russe... »
Qui douterait qu’il est conduit par l’Immaculée quand au même moment et à l’insu de notre franciscain, Elle révélait à une humble religieuse dorothée, sœur Maria das Dores, lors de la théophanie de Tuy : « Le moment est venu où Dieu demande au Saint-Père de faire, en union avec tous les évêques du monde, la consécration de la Russie à mon Cœur Immaculé, promettant de la sauver par ce moyen. »
Au cours d’une conférence que prononça le Père Kolbe à Rome, en février 1937, le fondateur saisit l’assistance en disant d’un ton prophétique ce que le chœur chante à présent : « Nous ne croyons pas qu’il soit lointain ni qu’il soit simplement un rêve, ce jour grandiose où la statue de l’Immaculée trônera, grâce à ses missionnaires, au cœur même de Moscou. » Il ajoutait cependant, comme un écho mystérieux au Secret de Fatima : « Auparavant, l’épreuve du sang serait nécessaire. » Il était certainement dans la cohorte des martyrs gravissant la montagne escarpée... selon le troisième “ secret ” du 13 juillet 1917.
L’étrangère, devant un zèle apostolique aussi universel que celui de saint Maximilien-Marie Kolbe, désire en faire profiter sa nation. « Et quand publierez-vous en français ? Nous souffrons des mêmes maux chez nous, en France.
– Ah ! vous êtes Française ! » s’écrie la foule. Les trois chevaliers enchaînent aussitôt, justifiant cet enthousiasme : « Tous les fondements de la Milice de l’Immaculée se trouvent chez vous. »
En effet, la plupart des références du Père Kolbe, exceptées les romaines, sont françaises, et la foule en énumèrent les quatre plus importantes : La Médaille miraculeuse de Paris, l’Immaculée Conception de Lourdes, saint Louis-Marie Grignion de Montfort et sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. Lorsque le Père Kolbe vint en France, il fit pèlerinage à Paris, Lourdes et Lisieux. Cela montre bien la place primordiale donnée par Dieu à la France dans l’orthodromie divine.
La France ? La malheureuse n’est plus ce qu’elle était et la dame française le déplore : « Certes, mais la France est aux mains de corrupteurs et de diaboliques... » La foule lui rétorque : « N’avons-nous pas l’Immaculée pour nous ? » Et les trois chevaliers précisent les armes de ce combat contre Satan en s’inspirant d’une parole du Père Kolbe dans laquelle il dévoile tout son zèle guerrier : « Si un ami ou un proche ne veut pas entendre parler de l’Immaculée, alors le chevalier prie, il prie avec ferveur, pour qu’Elle daigne gagner ce cœur. Le rosaire, dont l’Immaculée a parlé pendant ses apparitions à Lourdes, est une prière simple et noble en même temps. Qu’il devienne alors l’épée dans la main de chaque chevalier de l’Immaculée et que sa Médaille soit entre leurs mains une petite balle qui tue le mal. » (Chevalier n° 4 de février 1925)
Cette guerre menée contre les ennemis de l’Immaculée est tout l’esprit de la M. I. : « La Milice de l’Immaculée est non seulement pour la défensive, mais surtout pour l’offensive. Pour nous, défendre la religion, c’est trop peu ; mais remplis de force, et confiants en notre Souveraine, nous allons parmi les ennemis pour y faire la chasse aux cœurs et les conquérir à l’Immaculée. » (Lettre au frère Otto Caputo, 23 avril 1929)
C’est déjà ce qu’il prêchait le soir de la fondation de la Milice de l’Immaculée, à Rome. Le chœur chante un extrait de cette prédication enflammée, tour à tour majestueux et énergique : « L’Immaculée, victorieuse et triomphatrice de toutes les hérésies, ne cédera pas la place à l’ennemi qui relève la tête, si elle trouve des serviteurs fidèles, dociles à son commandement. »
Et la foule conclut joyeusement en reprenant le “ krakowiak ” : « Elle remportera de nouvelles victoires plus grandes que tout ce que l’on peut imaginer. »

– ACTE II –
NIEPOKALANOW
Niepokalanów ! Le nom seul, choisi par le Père Kolbe, dit tout : il se traduit littéralement en français par “ de l’Immaculée ”, “ appartenant à l’Immaculée ” ; Niepokalanów étant le génitif de Niepokalana, Immaculée.
En fait, le mot de “ cité ” par lequel nous complétons cette expression – Cité de l’Immaculée – n’est qu’implicite. Par l’emploi de cette forme grammaticale que permet la langue polonaise, le Père Kolbe a voulu exprimer que tout en ce lieu appartient à l’Immaculée, que tout, absolument tout vient par Elle, est à Elle et pour Elle.

Le 7 décembre 1927, date de la fondation, vingt religieux s’installaient en ces lieux. Douze ans plus tard, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, le couvent de Niepokalanów en comptait huit cents, faisant de ce monastère le plus populeux au monde, malgré une admission exigeante....
Cet essor prodigieux s’explique en deux mots : l’Immaculée et la Providence. « À Niepokalanów, écrivait de Nagasaki le Père Kolbe en 1931, nous vivons d’une “ idée fixe ” – si l’on peut s’exprimer ainsi – volontairement choisie et très aimée : l’Immaculée ! C’est pour Elle que nous vivons, que nous travaillons, que nous souffrons, et que nous voulons mourir. Nous désirons de toute notre âme, et par tous les moyens que cette “ idée fixe ” soit accueillie par tous les cœurs ! »
Comment représenter sur scène le complexe industriel qu’est devenu le monastère de Niepokalanów ? Tout simplement par Celle qui en est la véritable pierre angulaire : « La première pierre fut posée par les mains du Père Kolbe, sans cérémonie, le 6 août 1927, lorsque, après avoir choisi le terrain le plus propice à la nouvelle fondation, il y installa la statue de l’Immaculée, avant même que ne soient définies les conditions de concessions du terrain. C’est Elle, la Reine de la Milice de l’Immaculée, qui a été la première pierre. » (Ricciardi, p. 118)
« Par l’Immaculée au Cœur de Jésus, voilà notre mot d’ordre », s’exclamait le Père Kolbe et telle était la devise de Niepokalanów.
Après le chœur d’introduction, l’orchestre fait entendre le bruit des rotatives qui se mettent en marche en empruntant le rythme de la mazurka, autre danse populaire de Pologne, rapide, à trois temps.
À cette époque, la Cité de l’Immaculée était une vaste cité industrielle où tout était trépidation, vrombissements de machines et de moteurs, grincements de scies et fracas d’enclumes, mais cette immense usine était animée par un esprit qui faisait de ce tapage industriel une louange de gloire. Ainsi, au milieu du rythme sans fin de la rotative, le chœur chante en canon la devise de Niepokalanów : « Allons conquérir l’univers entier au Cœur de Jésus par l’Immaculée. »
D’abord et avant tout, nous voyons sur scène deux frères qui, pieusement, prient devant la Reine de ces lieux, pour offrir leurs travaux comme le demandait le Père. Jésus et Marie sont au cœur de la Cité. Le Père Kolbe institua une adoration perpétuelle où les religieux, interrompant leur travail ou leur sommeil, se succédaient pour leur véritable louange éternelle qui sanctifiait leur labeur. Et l’Immaculée n’était jamais bien loin de Jésus-Hostie : le Père Kolbe, projetant de construire une basilique, la concevait ainsi : « À l’autel majeur, écrit-il en 1934, je vois une belle statue de l’Immaculée ; plus haut, l’ostensoir où le Saint-Sacrement sera exposé continuellement. Dans la nef, les frères viendront à tour de rôle faire leur adoration. En entrant dans l’église, on doit se sentir poussé à se mettre à genoux, à y rester en adoration, à contempler le visage de l’Immaculée, après quoi, on peut s’en aller. Alors, Elle-même et Jésus régleront ensemble leurs affaires. » C’est-à-dire les nôtres devenues les leurs par l’union de nos volontés à la leur.
Ensuite, le chœur nous invite à faire une petite visite de la Cité en appelant plusieurs des métiers exercés à Niepokalanów, toujours au rythme de la mazurka... la liste n’est pas exhaustive ! « Typographe, imprimeur, relieur, photographe, forgeron, charpentier, secrétaire, cuisinier, couturier, mécanicien, horloger, jardinier, apiculteur, cheminot, pompier... »

Au fur et à mesure de l’énumération, les frères, avec un tablier, ou une liasse de revues, ou encore un chapeau de paille, sont entrés sur scène pour reprendre leur devise en canon, tous ensemble et avec le chœur.
Sur les entrefaites, le Père Kolbe arrive et lance sur un ton affable la salutation en usage dans la Cité : « Maryja ! » et tous de lui répondre le même doux Nom.
« Mes chers enfants, chante le Père Kolbe, voulez-vous savoir ce qu’est un frère de Niepokalanów ? Le voici : un habit rapiécé, des chaussures trouées, une liasse de revues sous le bras, il saute dans un avion dernier cri pour accourir là où il faut sauver des âmes. »
Cet étonnant alliage entre pauvreté franciscaine et technique moderne surprit plus d’un visiteur. Un jour, un chanoine s’arrêta devant une imposante rotative qui avait coûté plus de quinze millions et posa ironiquement au Père Kolbe la question que chante ici un des frères : « Que dirait notre Père saint François en voyant toutes ces machines si coûteuses ? »
Tranquillement et avec assurance, le Père Maximilien fit cette réponse : « Il retrousserait les manches de son habit et ferait tourner à toute vitesse ces machines pour diffuser la gloire de Dieu et de l’Immaculée. »
Mais tout cela coûte cher, se disent les pauvres frères, « avons-nous l’argent pour cela ? »
« La sainte pauvreté, affirmait-il avec confiance, est le capital qui nous permet de nous mesurer avec les plus grandes puissances financières des protestants, des sectaires, des athées, des francs-maçons. » Et la dernière phrase est chantée par le chœur : « La sainte pauvreté est la caisse sans fond de la divine Providence. »
Le Père Kolbe est véritablement une réplique vivante de saint François d’Assise en plein vingtième siècle.
Le décor est certes différent, mais l’esprit et le cœur sont les mêmes. L’anecdote suivante est digne des fioretti du Poverello. Elle nous est rapportée par Maria Winowska, dans sa biographie Le fou de Notre-Dame : « Il y a dans tous ces ateliers une atmosphère indéfinissable, d’une transparence saisissante. Réellement, dirigées par des mains expertes, ces machines prient. Le travail, strictement technique et d’une parfaite compétence, est sans cesse dépassé par une intention d’amour qui le transforme en liturgie. Ces ouvriers parlent de leur “ sœur la rotative ” et du “ frère moteur ” avec le même accent que saint François des oiseaux et des fleurs : certes, il ne les aurait pas désavoués ! Et je me rappelle tout d’un coup comment, un jour, le Père Maximilien avait chanté les louanges du “ frère moteur ” qui devait solennellement entrer en service... »
La suite du récit de l’auteur est mise en dialogue dans l’oratorio : c’est une admirable parabole de la vie religieuse.
Les frères imprimeurs s’adressent au Père Kolbe : « Père Gardien [le nom du supérieur chez les franciscains], avez-vous vu le nouveau frère à l’imprimerie ?
– Il est arrivé ? demande le Père avec une certaine impatience. Est-il prêt à servir sa Reine et sa Dame ?
– Il ne reste plus qu’à le bénir et nous le mettrons en marche. »
Le Père Kolbe saisit l’occasion pour donner une petite leçon de vie religieuse à ses frères. « Oh ! “ Frère moteur ” doit faire son apprentissage comme tout le monde. »
Puis, sur le rythme de la mazurka, il ajoute : « Aujourd’hui, on le bénit, c’est là sa prise d’habit. Demain, on l’ajustera, ce sera son noviciat. Le jour d’entrer en fonction, il fera sa profession. Et que lui souhaitera-t-on après cela ? » interroge le Père Gardien. Les frères répondent ensemble : « Qu’il travaille longtemps ! Qu’il soit efficace ! Qu’il ait beaucoup de compagnons ! »
Avec un petit sourire, le Père leur dit : « Vous n’y êtes pas... Quoi qu’il fasse, une seule chose importe : qu’il suive en tout la volonté de l’Immaculée. Un bon religieux n’est pas “ bon ” parce qu’il fait beaucoup, mais... ». Les frères terminent joyeusement la phrase : « ... parce qu’il obéit. »
C’est tout l’enseignement du Père Kolbe : « Si nous faisons volontiers et sans tarder tout ce qu’Elle veut et ce qu’Elle exprime directement par nos supérieurs, ou indirectement par nos devoirs d’état, c’est la preuve que nous faisons la volonté de l’Immaculée. Il faut veiller à ce qu’il n’y ait pas de conflit entre sa volonté et la nôtre. »
Le Père Kolbe conclut sa parabole : « Ainsi, “ Frère moteur ” sera un bon religieux si, par l’entremise du frère mécanicien, il fait ce que l’Immaculée lui demandera. »
Le chœur chante alors un extrait de la lettre au Père Méthode Rejentowicz du 11 décembre 1930 : « Voici notre tâche qui est bien simple : se fatiguer toute la journée, se tuer au travail, être considéré un peu moins qu’un fou de la part des nôtres et, anéanti, mourir pour l’Immaculée [...]. Toute notre espérance est dans l’Immaculée. Courage donc, jusqu’à mourir de faim, de fatigue, d’humiliations et de souffrances pour l’Immaculée. »
Il sera pris au mot !
Cette vie religieuse qui tend à l’héroïsme est dans la droite ligne du programme de la Milice de l’Immaculée évoqué dans le premier acte : « Dans le troisième degré de la M. I. se réalise la consécration sans limite à l’Immaculée. Ainsi, Elle pourra faire de nous tout ce qu’Elle veut et comme Elle veut. Nous sommes entièrement à Elle et Elle à nous. Nous faisons tout avec son aide, nous vivons et travaillons sous sa protection. Quand il s’agit de sa cause, il n’y a pas de “ mais ” ! On obéira toujours, même si on nous ordonne d’aller à Moscou, en Espagne ou au Mexique [les trois pays persécuteurs du moment], nous irons. Quand Elle le veut, quand nous connaissons sa volonté, quand nous lui appartiendrons totalement, toute souffrance sera supportable. »
Il continuait avec le credo du chevalier de l’Immaculée : « Chers frères ! Nous croyons en l’Immaculée ! Nous croyons qu’Elle existe et que sa glorification est nécessaire ! Nous croyons qu’Elle nous voit et nous écoute et que nous dépendons totalement d’Elle puisque nous sommes à Elle ! Jésus-Christ, en tant qu’homme, est notre Médiateur auprès du Père céleste. Notre très Sainte Mère est Médiatrice entre nous et Jésus-Christ d’où toutes les grâces nous viennent par son intermédiaire. Jésus l’a constituée comme notre Médiatrice et nous le croyons fermement. Par Elle, nous recevons les grâces et elle nous conduit au Cœur très saint de Jésus.
« Notre victoire sera le salut des âmes », chante le chœur avec les trompettes en triomphe.
Dans une autre conférence, du 31 décembre 1938, l’ardent franciscain s’écriait : « Avec l’aide de l’Immaculée, nous convertirons le monde entier. Alors, au travail ! Seuls, nous ne sommes capables de rien faire, mais avec l’aide de l’Immaculée, nous convertirons le monde entier ; oui, je vous le dis : nous jetterons le monde entier à ses pieds ! Seulement, soyons à Elle, en tout à Elle, sans limites à Elle. »
Après cette exhortation d’un enthousiasme débordant et communicatif, le Père Kolbe remet ses frères au travail avec la salutation de coutume à Niepokalanów : « Maryja ! » Le Père Kolbe y tenait, car il en faisait pour ses fils un moyen pratique et simple de renouveler sans cesse l’acte de consécration à l’Immaculée pour le raviver.
La musique du labeur harassant de Niepokalanów qui a introduit cet acte reprend de nouveau, comme la vis sans fin du devoir d’état... mais offert à l’Immaculée, il devient un acte d’amour et une louange de gloire.
« Allons conquérir l’univers entier au Cœur de Jésus par l’Immaculée. »
– ACTE III –
« AIMEZ L’IMMACULÉE ! »

En juillet 1936, le Père Kolbe revenait à la tête de la Cité de l’Immaculée, après six années de vie missionnaire au Japon. Là-bas, il fut comblé de joies spirituelles, mais il traversa aussi une dure épreuve : « Je n’ai jamais eu une croix aussi lourde », avouait-il. Les inévitables difficultés matérielles de la mission n’étaient rien à côté de la crucifiante dissension qui s’éleva parmi ses frères, au Japon d’abord, puis dans tout l’Ordre. On accusa le Père Kolbe de vouloir changer l’esprit de l’Ordre, de le diviser et même de préparer la fondation d’un nouvel ordre religieux. On le jugeait imprudent, aventurier, fanatique, désobéissant même, alors qu’il n’y avait pas plus soumis à l’autorité ecclésiastique.
Nous sommes bien placés pour comprendre la croix qui s’abattit sur le Père Kolbe, car ce qu’il a vécu dans son Ordre, nous le vivons aujourd’hui dans toute l’Église. En effet, certains Pères franciscains ne supportaient pas l’esprit qui l’animait : « Ce qui frappe le plus dans la Milice de l’Immaculée, c’est son orientation mariale, écrivait le Père Kolbe dans le Chevalier du 8 décembre 1937. Elle découle d’une conscience profonde de la mission de l’Immaculée. Plus précisément, le but de la Milice de l’Immaculée est le but même de l’Immaculée. En tant que corédemptrice, Elle veut étendre à toute l’humanité les fruits de la rédemption accomplie par son Fils, Elle cherche à gagner au Christ les hérétiques, les schismatiques, les francs-maçons, les juifs et les autres [...]. La Milice de l’Immaculée, telle que nous la concevons, c’est toute la vie chrétienne vécue sous une nouvelle forme, qui consiste en une communion avec l’Immaculée, notre grande Médiatrice avec Jésus. »
Cette « conscience profonde de la mission de l’Immaculée » est précisément ce que le concile Vatican II s’est obstiné à refuser, alors qu’à Fatima, Notre-Dame dévoilait (le 13 juillet 1917) que c’était non seulement la pensée du Père Kolbe, mais une volonté expresse de Dieu : « Vous avez vu l’enfer où vont les âmes des pauvres pécheurs ; pour les sauver, Dieu veut établir dans le monde la dévotion à mon Cœur Immaculé. » Quelle divine concordance !
Au chapitre provincial de 1933, pour sauvegarder la paix dans l’Ordre, le provincial sortant, le Père Cornelius Czupryk, bien que favorable au Père Kolbe, décida de frapper celui qui supporterait le mieux l’épreuve, sans pour autant le désapprouver. Le Père Kolbe fut démis de sa charge de supérieur et reçut l’obédience de repartir pour le Japon, avec la simple charge de professeur de philosophie et de théologie au collège, et de rédacteur du Chevalier japonais. Ce fut le Père Cornelius qui le remplaça à la tête de la Mugenzaï no sono, le Jardin de l’Immaculée. Celui-ci admirait le Père Kolbe et l’avait toujours soutenu. Aussi lui laissa-t-il entièrement la charge de directeur général de la M. I.
Au chapitre général de 1936, le Père Kolbe fut rappelé en Pologne pour reprendre la tête de la Cité de l’Immaculée. Les Pères firent bon accueil à une motion que le Père Maximilien-Marie avait déposée l’année précédente pour demander la consécration de l’Ordre tout entier à l’Immaculée. Elle eut lieu le 8 décembre 1936 et fut renouvelée chaque année à la même date. L’esprit de la M. I. pouvait officiellement pénétrer et vivifier l’Ordre franciscain tout entier. La lourde croix portait ses fruits !
Mais le Père Kolbe savait qu’il entrait dans la dernière partie de sa vie. L’épreuve du Japon l’avait uni plus que jamais à l’Immaculée et, au dire de ses frères, il était transformé. Cette vie intime avec sa Mère du Ciel lui faisait pénétrer l’avenir avec une lucidité surprenante. En analysant la situation politique de l’Europe, il entrevoyait, dès 1936, la guerre « horrible, horrible » qu’avait annoncée Notre-Dame à Fatima.
Pour préparer ses enfants à ces conflits douloureux, il prit l’habitude de leur donner des entretiens spirituels deux fois par semaine et le dimanche. L’un d’eux passa dans l’histoire du Père Kolbe comme sa “ dernière cène ”, c’est l’objet du troisième acte.
« C’était le dimanche 10 janvier 1937, raconte le frère Thaddeus Maj qui était présent. Après le repas du soir, la communauté devait assister à une représentation scénique du mystère de Noël, qu’on appelle chez nous “ Jaselka ” [...]. Le Père Maximilien annonça la représentation au cours du repas, en laissant cependant aux profès solennels la liberté de rester au réfectoire pour s’entretenir avec lui. Après le repas, la majorité se rendit au petit théâtre, mais un certain nombre resta pour parler avec le Père Kolbe : celui qui raconte cette scène, ainsi que les frères Hilaire, Camille, Luc, Émile, et d’autres encore, avec le Père Pius Bartosik. » Le troisième acte met en scène ce récit, intégralement cité dans la CRC n° 340, p. 12-13).
Le Père Kolbe est entré sur scène, accompagné de ses frères. Il chante avec simplicité : « Asseyons-nous ici par ordre d’ancienneté. Nous allons avoir une réunion confidentielle. »
De longs et doux accords aux cordes créent un climat paisible de chaude intimité.
« J’ai demandé que ne restent que les profès de vœux solennels qui le désirent ; votre présence est le signe que l’Immaculée vous voulait ici. Mes chers fils, maintenant je suis avec vous. Vous m’aimez et moi aussi, je vous aime. Je mourrai et vous, vous resterez. Vous m’appelez Père Gardien et Père Directeur, et vous dites bien, car je le suis. Mais qui suis-je encore ? Je suis votre père [souligné par les instruments]. Un père plus vrai encore que votre père charnel, car c’est par moi que vous avez reçu la vie spirituelle. Je dis vrai, n’est-ce pas ?
– Bien sûr, c’est la vérité, répond le Père Bartosik, si ce n’était pas grâce à vous, Père, le Chevalier, la Cité de l’Immaculée, et nous tous, ne serions pas là maintenant.
– C’est en lisant le Chevalier que j’ai connu l’apostolat franciscain, dit un autre.
– Pour moi, c’est le Chevalier de l’Immaculée qui a fait naître et grandir ma vocation religieuse », dit un troisième, et tous abondent dans le même sens.
« Voilà, continue le Père Maximilien, je suis votre père. Mes chers enfants, avant de quitter ce monde, je veux vous dire quelque chose en souvenir de moi. »
Le frère Thaddeus raconte qu’il « semblait préoccupé de quelque chose de grand qu’il aurait voulu révéler, qui lui tenait à cœur, mais qu’un sentiment d’humilité l’empêchait de dire ».
Les frères s’écrient tous ensemble : « Oui, oui, dites, Père ! » Ayant vaincu sa réserve, le Père laisse déborder sa joie : « Oh ! si vous saviez, mes chers enfants, comme je suis heureux ! Malgré les contrariétés de la vie, une paix ineffable demeure toujours au fond de mon cœur. Mes chers enfants, aimez l’Immaculée ! »
Le chœur amplifie la voix du Père Kolbe pour répéter avec un sentiment de plénitude, de bonheur et même avec ivresse, son ultime testament : « Aimez l’Immaculée ! Aimez-la autant qu’il vous sera possible de le faire ! Ayez confiance en Elle, une confiance sans limites. »
Le Père Kolbe reprend alors ses confidences : « Il n’est pas donné à tout le monde de comprendre l’Immaculée. Cela ne s’obtient que par la prière. Seul l’Esprit-Saint peut donner la grâce de connaître l’Immaculée à qui il veut et quand il veut. »
Il est soudain repris par une sorte de timidité : « Je voulais vous dire encore quelque chose, mais peut-être cela suffit-il ? » Toutefois, les frères en réclament davantage et le Père ne peut que céder : « Bien, alors, je le dirai ! Je suis heureux et débordant de joie parce que le Ciel m’a été promis en toute certitude... » Le frère Thaddeus commente : « Il le dit avec tant d’émotion que ses yeux s’étaient remplis de larmes. » Puis, il ajoute : « Cela vous suffit, peut-être, d’avoir appris cela ?
– C’est peu encore ! Père, dites-nous encore d’autres choses ! Nous n’aurons peut-être jamais plus une “ dernière cène ” comme cela.
– Puisque vous insistez tant, j’ajoute encore ceci : c’est arrivé au Japon... Je ne dirai plus rien, mes chers enfants, ne m’interrogez pas davantage sur ce sujet. »
Les assistants ont beau supplier, il n’en dira pas plus... lorsque les questions cessent, le Père poursuit : « Je vous ai révélé mon secret et je l’ai fait pour vous donner la force et l’énergie spirituelle dans les difficultés de la vie. Les épreuves viendront... »
Le frère Thaddeus n’a pas précisé ce que le Père leur a dit au sujet de ces « épreuves », mais il est évident qu’il songeait à la Seconde Guerre mondiale qui commençait à poindre. Il l’évoquait constamment dans ses écrits et ses conférences des années 1937 et 1938. La musique devient alors plus sombre et dramatique :
« Sachez, mes petits enfants, qu’un conflit atroce se prépare. »
Les frères demandent, soudain inquiets : « Que voulez-vous dire, Père ?
– Chez nous, en Pologne, il faut s’attendre au pire. »
Il disait cela en mars 1938. En mai 1938, il prévenait : « La guerre est beaucoup plus proche qu’on ne l’imagine et si elle éclate, cela signifiera la dispersion de notre communauté. Nous ne devons pas nous inquiéter, mais, courageusement, nous conformer à la volonté de Marie Immaculée. »
Puis, prenant un ton plus apaisant : « Ne sommes-nous pas dans les mains de la Sainte Vierge ? Notre idéal le plus ardemment désiré n’est-il pas de donner notre vie pour Elle ? »
Le chœur enchaîne alors avec un texte du Père Kolbe brûlant d’enthousiasme ; il jouit déjà à la pensée de cette couronne rouge que Notre-Dame lui a promise. « Quel bonheur de mourir d’une mort de soldat, sous un poteau d’exécution, avec une balle en plein cœur. Quel bonheur de sceller avec notre sang notre amour pour l’Immaculée. Quel bonheur de le verser jusqu’à la dernière goutte pour hâter la conquête du monde entier, pour le Christ, par Elle... » Le Père ajoute : « Voilà ce que je vous souhaite, mes petits enfants, et ce que je souhaite pour moi-même... »
« Ces souvenirs vous pousseront à accepter les sacrifices que l’Immaculée vous demandera. N’aspirez pas à des choses extraordinaires, faites simplement la volonté de l’Immaculée. Que sa volonté s’accomplisse et non la nôtre !... »
Dans son humilité, il supplie : « Je vous en prie, ne racontez tout cela à personne tant que je serai en vie... Promettez-le.
– Nous le promettons », répondent les frères, très émus de ces confidences. La réunion extraordinaire était finie. Le souvenir des grâces reçues fut pour tous les frères un soutien ferme et une force victorieuse dans les difficultés de la vie.
Le récit de cette “ dernière cène ” est d’une très grande importance, non seulement pour les frères de Niepokalanów, mais pour nous aussi. Si le Père Kolbe a su, par révélation céleste, qu’il irait certainement au Ciel, c’est donc que le chemin qu’il emprunte conduit assurément à la Béatitude éternelle, il n’y a plus qu’à le suivre avec courage et constance. À Fatima, vingt ans plus tôt, Notre-Dame l’avait révélé pour que cette voie toute nouvelle soit indiquée au monde entier : « Mon Cœur Immaculé sera ton refuge et le chemin qui te conduira jusqu’à Dieu », avait dit Notre-Dame à Lucie le 13 juin 1917.
Le troisième acte se termine avec un kérygme de saint Maximilien-Marie Kolbe d’une espérance qui doit nous enflammer nous-mêmes de zèle pour entrer résolument dans l’épreuve : « Souvenons-nous que le Ciel... le Ciel s’approche. De jour en jour plus proche. Alors, courage ! Elle nous attend là-bas pour nous serrer sur son Cœur. »
– ACTE IV –
L’ARRESTATION
Après la quatrième partie de la consécration chantée par le chœur, nous retrouvons le Père Kolbe en compagnie de frère Arnold Wedrowski, un jeune frère de vingt et un ans qui rassemble sous sa dictée la matière d’un ouvrage sur Notre-Dame. Le Père Kolbe savait qu’il lui restait peu de temps à vivre. Il se sentait pressé de définir de manière claire et précise, « dans un livre », ce que l’Immaculée lui avait donné la grâce de comprendre et de vivre.
« Continuons, frère Arnold, chante-t-il, j’ai tant à dire et le temps se fait court...
– J’écoute, Père, répond le frère. Que faut-il écrire ? »
Voilà toute la difficulté ! Il répond au frère Arnold cette phrase qu’il répétait souvent : « C’est seulement à genoux, aidé de la seule grâce de Dieu, que l’on peut saisir d’aussi profonds mystères. »
Le Père Kolbe expliquait le 28 juillet 1935 : « Il est très bon d’étudier la mariologie, mais n’oublions jamais que nous connaîtrons davantage Marie par une humble prière, par l’expérience aimante de la vie quotidienne que par de doctes définitions, distinctions et argumentations, bien qu’il ne faille pas les négliger. » Il a donc mené sa recherche intellectuelle, mais victime des « doctes définitions, distinctions et argumentations » scolastiques, il fut lui-même paralysé dans sa recherche sans pouvoir trouver la réponse à son interrogation. Lui-même s’en rendait compte : au même moment où il exposait ses réflexions, il les rejetait, les jugeant imparfaites.
Il faudra attendre la théologie totale de notre Père pour apporter aux intuitions du Père Kolbe les lumières qui lui manquaient.
Les grandes intuitions de saint Maximilien-Marie Kolbe peuvent se regrouper en cinq chapitres, rassemblés dans les cinq couplets que chante maintenant le chœur :
« L’Immaculée, oh ! quel mystère !
Quel champ d’étude illimité !
Quels sont ses liens avec le Père,
Le Fils, l’Esprit, l’humanité ?... »
Le Père Kolbe écrivait à ses fils de Niepokalanów : « Il faut tout faire pour que l’Immaculée soit toujours mieux connue. Il faut que soient connues les relations de l’Immaculée avec le Père, le Fils et le Saint-Esprit, avec la Sainte Trinité, avec Jésus, les anges et nous-mêmes... Il y a là un champ d’étude illimité »... Et la clef du mystère !
Le chœur commence chaque couplet avec la touchante question pleine d’amour du Père Kolbe : « Qui êtes-vous, Immaculée ? » Elle ne témoigne nullement d’un désarroi. C’est la question perpétuelle de l’enfant qui aime, qui a vu Celle qu’il aime et qui ne parvient pas à pénétrer le fond de son Cœur.
Le chœur des femmes à l’unisson poursuit :
« Dieu l’a créée unique et pure,
Pleine de grâce et de beauté ;
Elle est la seule créature
Qui touche à la divinité. »
Le Père Kolbe s’exclame : « Elle est complètement divine, c’est sûr ! mais comment l’expliquer ? » Il interviendra ainsi après chaque couplet, avouant humblement les limites de sa raison.
L’Immaculée est « toute belle, toute divine », le Père Kolbe le répète inlassablement. « Il faut reconnaître que, dans sa toute-puissance créatrice, Dieu a créé l’Immaculée toute sainte. Comme créature, elle est proche de nous et, comme Mère de Dieu, elle touche la divinité. » (Conférence du 3 juillet 1938)
Quand le Père Kolbe pensait à la Maternité divine de Marie, son esprit tombait en extase. Le chœur des hommes, toujours à l’unisson, chante les grandeurs de la Mère de Dieu :
« De notre Dieu Elle est la Mère !
L’auguste et Sainte Trinité
Lui obéit, l’aime, et révère
Sa maternelle autorité. »
Le Père Kolbe ajoute : « Cela donne le vertige... c’est comme si Elle était au-dessus de Dieu... »
Le 12 avril 1933, il écrivait au Père Antonio Vivody : « Nous comprenons ce que veut dire être mère, cependant notre raison n’est pas capable de comprendre ce que veut dire être Mère de Dieu ; seul Dieu comprend parfaitement ce que veut dire “ Immaculée ”. Elle est de Dieu. Elle est parfaitement de Dieu, Elle l’est si parfaitement qu’Elle en vient pour ainsi dire à faire partie de la Trinité Sainte, tout en restant une créature finie. Vraiment, Elle n’est pas seulement une “ servante ”, une “ fille ”, une “ chose ”, une “ propriété ” de Dieu, mais Elle est la Mère de Dieu !... Et cela nous donne le vertige... car c’est comme si Elle était au-dessus de Dieu, pareille à une mère qui est au-dessus de ses enfants. »
Le chœur des femmes, à deux voix cette fois-ci, chante la mystérieuse relation de l’Immaculée avec l’Esprit-Saint, tel que l’a expliqué le Père Kolbe :
« L’Esprit d’Amour habite en Elle,
Et c’est par Celle en qui il vit,
Qu’il se découvre et se révèle :
Elle est l’Épouse de l’Esprit. »
Mais cette expression, pourtant traditionnelle, le gêne : « Non, ce mot d’épouse ne convient pas... il ne dit pas assez l’intime union de Marie avec l’Esprit-Saint. »
Le 5 février 1941, quelques jours avant son arrestation, il disait : « La troisième personne de la Sainte Trinité n’est pas incarnée, mais notre mot humain “ épouse ” n’arrive pas à exprimer la réalité du rapport de l’Immaculée avec le Saint-Esprit. On peut affirmer que l’Immaculée est, en un certain sens, “ l’incarnation ” de l’Esprit-Saint. En Elle, c’est l’Esprit-Saint que nous aimons, et par Elle, le Fils. Le Saint-Esprit est très peu connu. »
Il s’attachera malgré tout à ce mot d’épouse, car il ne voyait rien d’autre qui pût convenir à son intuition. Mû par une grâce certaine, le Père Kolbe a fait connaître à l’Église quelle union indicible, ineffable, inouïe régnait entre l’Immaculée et le Saint-Esprit. Il l’a vécu d’expérience : il a compris qu’Elle était présente en lui, en son propre cœur, remplissant la même mission de sanctification que le Saint-Esprit. C’est ainsi qu’il expliquait la Médiation universelle de Marie :
« L’Immaculée a pour office
De verser les rayons divins,
Les grâces qu’en Médiatrice
Elle répand sur les humains. »
« L’union entre l’Immaculée et l’Esprit-Saint est si inexprimable mais si parfaite que le Saint-Esprit agit uniquement par l’Immaculée, son Épouse. D’où elle est la Médiatrice de toutes les grâces du Saint-Esprit. Et du fait que chaque grâce est un don de Dieu le Père par le Fils et le Saint-Esprit, il s’ensuit qu’il n’y a pas de grâces qui ne soient la propriété de l’Immaculée, qui ne lui soient données pour qu’elle en dispose librement. » (Lettre au frère Salezy Mikolajczyk, du 28 juillet 1935)
Le Père Kolbe avait le pressentiment que la clef du mystère se trouvait dans le Nom que la Vierge s’est donné à Lourdes : « Je suis l’Immaculée Conception »... mais il n’a pas su percer la signification du mot « Conception ». L’heure n’était pas venue.
Faire du Saint-Esprit l’Époux de l’Immaculée dérangeait notre Père : « Ah ! S’il savait le désordre qu’il met dans la vie trinitaire en disant que le Saint-Esprit est comme l’Époux de la Vierge Marie ! » Mais cette doctrine du Père Kolbe se trouve admirablement remise en ordre grâce à la théologie de notre Père. Il suffit de changer les mots que notre saint a artificiellement plaqués pour retrouver ses intuitions dans toute leur pureté.
« Qui est-Elle donc ? demandait notre Père, dans le triduum du 8 décembre 1997. Une créature partageant substantiellement quelque chose de l’Être divin. Elle est comme Dieu, par une “ conception ”, analogue mais non identique ou égale à celle du Verbe.
« Si Elle dit : “ Je suis l’Immaculée Conception ”, cela veut dire qu’il se passe entre Dieu et Elle quelque chose d’analogue à cet engendrement spirituel et éternel du Fils par le Père qui s’appelle la conception du Verbe. Étant ainsi une conception divine, Elle est toute divine, bien qu’Elle soit créée.
« D’où son qualificatif d’Immaculée. Elle est tout ce qu’il peut y avoir de plus saint au-dessous de Dieu. C’est vraiment dire que l’Immaculée est plus divine qu’humaine, qu’elle est là, qu’Elle se tient tout à fait proche de Dieu, à côté de Dieu.
« Elle est conçue par Dieu, en Dieu, Elle est conçue “ de Dieu ”. Voilà pourquoi à Fatima elle dit : “ Je suis du Ciel ”, plus divine qu’humaine, pleinement humaine cependant – hormis le péché – pour sa vocation de “ Mère de Dieu ”.
« Comment tout cela peut-il se mettre dans des mots humains ? Il n’y a que la Vierge Marie qui peut le dire, parce que ce qu’Elle va dire après, Elle en assure la plénitude : “ Je suis la Conception divine ”, je suis donc l’Immaculée, c’est prodigieux ! »
« La Vierge Marie existe pour que soit mieux connu l’Esprit-Saint », disait notre franciscain le 26 novembre 1938. Comment l’expliquer ?
« Elle est la présence de l’Esprit-Saint. Dans la trilogie du paradis retrouvé, elle occupe la place d’Ève, compagne d’Adam et fille de Dieu. Or, au sein de l’auguste Trinité que nous professons de par notre baptême, cette troisième place est celle de l’Esprit-Saint. Occupant la place de l’Esprit-Saint, Marie en est la manifestation, le sanctuaire. » (CRC n° 297)
Le Saint-Esprit, Âme de son âme, est sans cesse avec Elle, « Dominus tecum », dans une inhabitation mystérieuse. Puisqu’Elle est divine, Dieu n’aurait-il pas créé l’âme de la Vierge Marie au début des temps, antérieure à la lumière du premier jour et aux anges même ?
Yahweh le révèle lui-même en annonçant au Serpent qu’il sera vaincu par « la Femme » (Gn 3, 15). Il n’a pas besoin d’être plus explicite, Satan sait très bien de qui il s’agit...
« Si, de toute éternité, l’Esprit-Saint lui donne de vivre, de penser, de vouloir, d’aimer, de prier, de remercier Dieu, elle est vraiment plus divine qu’humaine [...]. Si l’âme de la Vierge Marie, déjà possédée par la flamme de l’Esprit-Saint, assiste aux œuvres de Dieu depuis toujours, la voilà vraiment Reine de l’univers. Quand les anges sont créés, ils admirent déjà cette âme, première de toutes les créatures. Ils s’inclinent devant elle et ceux qui se refusent à cet hommage, à cet amour, seront les démons tombés en enfer pour n’en plus jamais revenir [...].
« Marie se tient du côté de Dieu, plus divine qu’humaine, plus proche de Dieu que des hommes, plus unie à la divine Personne du Paraclet qu’elle n’est unie au monde créé. En la touchant, en nous consacrant à Elle, nous entrons dans la vie intime des trois Personnes divines, dans leur circumincessante charité. C’est déjà le Ciel ici-bas. » (ibid.)
Ainsi, toutes les fulgurances du Père Kolbe se trouvent merveilleusement mises en lumière. Terminons par cette méditation du 14 avril 1933, il n’y a qu’à changer quelques expressions pour retrouver la plénitude de sa contemplation : « Dominus tecum ! Ô vraiment, Dieu est toujours avec Elle, et d’une façon si étroite, si parfaite. N’est-Elle pas comme “ une partie de la Sainte Trinité ” ? Dieu le Père son Père, le Fils de Dieu son Fils, et son Époux, l’Esprit-Saint son Époux ? Non ! l’Âme de son âme ! Et, partout où Elle va, Elle apporte avec Elle toute la Trinité Sainte. Comme sont vraies ces paroles selon lesquelles tout dans l’univers s’accomplit “ au nom du Père, et du Fils, et du Saint-Esprit ” “ par vous ” ô Immaculée !... Là où Elle est absente, Dieu, Jésus est absent aussi ; et là où Elle est, il y a aussi la Sainte Trinité. »
La guerre que saint Maximilien-Marie Kolbe voyait venir ne tarda pas à éclater. Le 1er septembre 1939, l’armée allemande pénétrait en Pologne. Le 5, Niepokalanów devait être évacuée. En quelques heures, la communauté fut dispersée et il ne resta sur place que le Père Kolbe, cinq Pères et une cinquantaine de frères. En ce triste jour, après avoir béni ses frères qui partaient et les avoir salués fraternellement, il ajouta : « Adieu, chers fils. Pour moi, je ne survivrai pas à cette guerre. »
À la mi-septembre, la Cité fut bombardée puis des groupes de soldats de la Wehrmacht firent irruption et saccagèrent tout ce qui leur tomba sous la main ; meubles, armoires, ustensiles, sauf les machines... mais surtout crucifix et statues de la Vierge profanés avec un acharnement de démons ! Douze ans de sacrifices étaient ainsi ruinés, détruits, anéantis sous les yeux même de son fondateur. Le matin du 19 septembre, la police allemande se présenta à Niepokalanów. Tous les religieux devaient partir en déportation au camp d’Amtitz. Là, le Père Kolbe réconfortait et encourageait ses frères en les confessant, en les réunissant pour des entretiens spirituels où il ne cessait de leur parler de l’Immaculée, et en organisant des retraites. Ils restèrent à Amtitz jusqu’au 9 novembre où on les fit partir pour Ostrzesrów, à pied, sous les coups de matraque et dans une extrême fatigue. Enfin, le 8 décembre 1939, ils furent libérés.
Quand ils rentrèrent à Niepokalanów, tout avait été dévasté, profané, pillé, détruit. Seuls les murs et les toits tenaient encore. Ni une ni deux, le Père Kolbe et ses quarante-quatre frères remirent les choses en ordre. Tout d’abord, ils réinstallèrent la statue de l’Immaculée à l’entrée et reprirent l’adoration perpétuelle de Jésus-Hostie.
Malgré l’interdiction des autorités allemandes de dépasser le nombre de soixante-dix frères, les franciscains revinrent petit à petit et se retrouvèrent en fin de compte six cents ! Pour permettre à ses fils de rester en communauté, le Père Kolbe eut recours à un stratagème : il créa de multiples ateliers “ d’utilité publique ” au service de la population : ateliers agricoles, laiterie, fromagerie, garage, atelier de réparation de bicyclettes, entreprises de charpenterie et de menuiserie, horlogerie, laboratoire photographique... L’autorisation fut donc obtenue, pour les frères qui en assuraient le bon fonctionnement, de résider à Niepokalanów. Sur les six cents, trois cent quarante-neuf religieux purent ainsi rester. Une partie des bâtiments avait été réquisitionnée comme dépôt de munitions, hôpital et centre de réfugiés. Niepokalanów recueillit jusqu’à mille cinq cents juifs, autant d’Allemands et deux mille autres ! Les frères avaient la charge de les nourrir tous...
En janvier 1940, le Père Kolbe entreprit des démarches auprès du bureau allemand de la propagande, pour obtenir la permission de publier de nouveau le Chevalier. Vraiment, il n’avait peur de rien ! Un seul numéro sera édité pendant la guerre : il paraîtra le 8 décembre 1940.
Pendant toute cette année 1940, le Père Kolbe et ses frères étaient sans cesse épiés, la Gestapo cherchant un témoignage sur les “ activités subversives ” du supérieur.
Dès le mois de janvier 1941, le Père Kolbe ne cessa de répéter à ses fils qu’il ne verrait pas la fin de la guerre. Les événements de la nuit du 16 au 17 février montrent que saint Maximilien-Marie connaissait le jour de son arrestation.
« Le soir du 16 février, raconte le frère Marcel Pisarek, j’ai eu la joie de pouvoir m’entretenir avec le Père Maximilien pendant la récréation. Il était au milieu d’un petit groupe de frères qui, en hommes tout simples qu’ils étaient, se tenaient un peu à l’écart. On parla surtout de sujets spirituels. Entre autres, que Dieu répond aux désirs d’une âme qui l’aime sincèrement. Je demandai alors si c’était vraiment possible. Il répondit que oui, en citant des exemples de la vie des saints en particulier sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus. Puis il continua : “ Dieu peut tout, et il se donne volontiers à l’âme qui s’est consacrée à Lui. Entre Dieu et l’âme s’établit un flux et un reflux d’amour, c’est la circumincessante charité. Quel bonheur indicible ! Quelle grande grâce si l’on peut sceller son idéal avec le don de sa vie ! ” »
Plus tard, ce même soir, il demanda aux cinq premiers frères de se joindre à lui. Ils partagèrent un gâteau, pleinement conscients de la gravité du moment, puis écoutèrent le Père leur parler de la relation de Marie, Mère de Dieu, à la Sainte Trinité. « Il le fit, raconte le frère Gabriel, en termes si clairs que nous comprîmes tous très bien. Plus tard, cependant, l’un de nous voulut mettre par écrit ces explications sur l’Immaculée Conception et il s’aperçut qu’il en était incapable. Alors, il se souvint des mots du Père leur disant : “ C’est seulement à genoux, c’est-à-dire aidé de la seule grâce de Dieu, que l’on peut saisir d’aussi profonds mystères ! ” »
Quant au frère Pélagius, il témoigne : « Il devait être entre minuit et 2 heures du matin lorsqu’il me réveilla au téléphone. Il vint dans ma cellule et là, reprenant la conversation que nous avions eue dans la journée, il m’exhorta à rester fidèle à Notre-Seigneur et entièrement dévoué à l’Immaculée. Puis nous prononçâmes ensemble la prière suivante, lui commençant et moi répétant après lui : “ Immaculée Conception ! Immaculée de Dieu ! Mon Immaculée ! Notre Immaculée ! ” »
Deux heures plus tard, à 4 heures du matin, le Père Kolbe vint réveiller le frère Rufinus, l’un de ses intimes et secrétaire. Il parla avec une expression anormalement grave, jusqu’à en avoir les larmes aux yeux. Le frère Rufinus fut surpris de le voir revêtu de sa bure des dimanches et jours de fête.
Au matin du 17 février, vers 9 h 30, deux voitures de la Gestapo pénétrèrent dans l’enceinte de Niepokalanów. Les apercevant avec effroi, le portier, frère Ivo Achtelik, se jeta sur le téléphone pour prévenir aussitôt le Père Kolbe.
Sur scène, il accourt et s’écrie : « Père !... La Gestapo ! » La musique, de sereine devient dramatique. Le Père Kolbe était précisément en train de dicter au frère Arnold ses réflexions pour son “ projet de livre ” sur l’Immaculée. Il tremble : « Déjà !... », mais, reprenant immédiatement possession de lui-même, il ajoute : « Bien, bien, mon fils. Maryja ! » Voyant les nazis approcher, le Père Kolbe leur adresse le salut liturgique, avec un calme souverain qui ne le quittera plus : « Loué soit Jésus-Christ ! » Le chef de la Gestapo lui lance pour toute réponse : « Êtes-vous Maximilien Kolbe ? » Avec certainement la même grave dignité que Notre-Seigneur au jardin des Oliviers, il répond à ceux qui viennent l’arrêter : « Oui, c’est moi. »
La police allemande avait compris qu’il possédait le don d’exercer par la presse une influence sur le peuple polonais. À diverses reprises, les autorités d’occupation cherchèrent à faire basculer le Père Kolbe dans leur camp.
« Kolbe... mais c’est un nom allemand, fait remarquer l’officier allemand, tentateur. Vous pourriez facilement obtenir la nationalité allemande.
– Vous savez que vous avez une très grande influence sur le peuple polonais... »
Le Père Kolbe repousse aussitôt la proposition flatteuse avec cette admirable réponse : « J’ai toujours été, je suis et je veux rester fils de la Pologne. » Le chef de la Gestapo poursuit comme s’il n’avait rien entendu : « Vous obtiendriez du bureau de la propagande le droit de continuer vos publications.
– Je ne saurais sauver ma vie et celle de mes frères au prix d’un reniement », lui répond le Père Kolbe, et il ajoute la véritable raison de son arrestation, tel qu’il l’avait confié au frère Vitalien Milosz au début de la guerre : « Les autorités allemandes se mobilisent contre nous parce qu’elles en veulent, non seulement à notre patrie, mais aussi à notre foi. »
Il est indéniable que les nazis agirent à l’égard du Père Kolbe en haine de la foi. L’altercation qui suit évoque l’héroïque confession de foi du Père Kolbe à la prison Pawiak de Varsovie, où il fut conduit après son arrestation. Voici le récit de M. Gniadek, enfermé dans la même cellule que notre saint : « Cinq jours après l’arrivée du Père à la prison Pawiak, nous reçûmes l’inspection du chef de secteur (un nazi). Quand il aperçut le Père Kolbe avec son habit religieux, on eût dit qu’il allait avoir un coup de sang. La haine de cet homme était non seulement pour l’habit mais aussi et surtout pour le crucifix et le rosaire [...]. Le chef de secteur saisit le crucifix du Père Kolbe et, tout en le tirant et le secouant, il criait : “ Tu crois à ça, toi ? ” À quoi le Père Kolbe, extrêmement calme répondit : “ Bien sûr que j’y crois, et comment ! ” »

Sur scène, l’officier allemand ne va pas plus loin, mais le chef de secteur ne s’en tint pas là. « L’Allemand devint cramoisi de colère. Immédiatement, il frappa le Père Kolbe en plein visage. Il répéta trois fois sa question, il eut trois fois la même réponse, et il le gifla chaque fois [...]. Après le départ du chef de secteur, ce fut le Père Kolbe lui-même qui chercha à nous calmer en disant : “ Il n’y a aucune raison de se fâcher comme ça. Vous avez déjà de sérieux motifs personnels de vous faire du souci. Cela, ce n’est rien du tout, c’est tout pour la Petite Mère... ” »
Le 17 février 1941, à Niepokalanów, les soldats allemands ordonnèrent le rassemblement de tous les frères dans une cour et commencèrent une perquisition minutieuse des bâtiments.
Le chef de la Gestapo demande : « Combien êtes-vous ici ?
– Nous sommes environ trois cent cinquante religieux et sept prêtres.
– Où sont les prêtres ?
– Ils sont ici. »
Les Pères font alors un pas vers leur supérieur.
« Vous êtes en état d’arrestation. Montez en voiture ! »

L’attitude du Père Kolbe, témoigna le frère Ivo Achtelik, « ne trahissait pas la moindre appréhension. C’est ainsi que, serein et tranquille, comme toujours, il quitta sa chère Niepokalanów, son bien-aimé enclos de l’Immaculée, pour ne jamais y revenir. » Il le savait bien et, tandis que les soldats empoignent les autres Pères, notre saint chante pour lui-même : « Je ne survivrai pas à cette guerre... »
« Ma seule idée était de partir avec lui », se souvient frère Arnold. Il essaie alors de suivre son Père, mais l’officier l’en empêche : « Toi, tu es trop jeune, va-t’en ! » lance-t-il avec brutalité, et il ajoute faussement rassurant : « Et le Père va bientôt revenir. »
Un frère tend un manteau au Père Kolbe qui le remercie : « La Vierge Marie veillera sur vous ! » Le Père a juste le temps d’esquisser une bénédiction avant d’être emmené. Les frères ne reverront plus leur Père ici-bas. Devenus ainsi brutalement orphelins, ils se tournent avec angoisse, mais confiance aussi, vers leur Mère Immaculée et le chœur entonne le Sub tuum.
Le caractère général est recueilli, intime, d’une confiante affection envers la Sainte Mère de Dieu, qui se manifeste par un rythme calme et régulier, des harmonies très tonales et consonantes, une ligne mélodique qui monte lentement et atteint ses sommets sur les mots Dei Genitrix et Virgo, point culminant, avant de redescendre doucement.
Retrouvé dans sa formulation grecque sur un papyrus en Égypte, le Sub tuum remonte au IVe siècle. La Sainte Vierge, appelée par son titre de Theotokos bien avant le concile d’Éphèse, est implorée dans « nos pressants besoins » pour nous délivrer « de tout danger ». Nous aimons cette antique prière que tant de chrétiens ont récitée avant nous, qui manifeste qu’on a toujours cru à la puissance d’intercession de la Vierge Marie, Elle qui est la « Mère de Dieu » !

mais confiance aussi, vers leur Mère Immaculée et le chœur chante le Sub tuum.
– ACTE V –
LA MORT D’AMOUR
Après trois mois de détention à la prison Pawiak de Varsovie, le Père Kolbe arriva au camp d’Auschwitz le soir du mercredi 28 mai 1941, avec un convoi de trois cent vingt prisonniers.
Le camp d’Auschwitz et ses horreurs ne sont plus un secret pour personne. Certes, les juifs y furent exterminés avec une barbarie inouïe et leur espérance de vie dans ces camps nazis ne dépassait jamais les trois semaines, cependant, il ne faudrait pas que la “ Shoah ” éclipse le martyre des catholiques polonais et particulièrement des prêtres. Ce furent de véritables martyrs de la foi.
Deux textes le prouvent. Au débarquement de chaque nouveau convoi à Auschwitz, un discours impressionnant était prononcé. Le chœur des hommes, après la dernière partie de l’acte de consécration, en chante un extrait sur un ton méprisant et menaçant, avec une musique de plus en plus dure et même sauvage : « Vous n’êtes pas venus ici dans un sanatorium, mais dans un camp de concentration nazi d’où l’on ne sort que par la cheminée. Si dans le convoi, il y a des Juifs, ils n’ont pas le droit de vivre plus de deux semaines. S’il y a des prêtres, ils peuvent vivre un mois. Les autres, trois mois. »
Cette cruelle ironie était doublée d’un véritable esprit de blasphème signé de la main du diable. Le chœur déverse à présent une phrase de la “ profession de foi des SS ”, mais il faut lire tout le passage pour se rendre compte : « Nous haïssons la puanteur de l’encens qui gâte l’âme de l’Allemand, comme le Juif en gâte la race. Nous croyons en Dieu, mais nous ne croyons pas en ses représentants. Ce serait idolâtrie et paganisme. Nous croyons en notre Führer et en notre grande Patrie. C’est pour eux et rien d’autre que nous voulons combattre ; quand ce sera notre tour de mourir, ce ne sera pas en disant : “ Marie, prie pour nous. ” Libres nous vivons, libres nous voulons nous en aller. Notre dernier soupir : Adolf Hitler ! »
On ne s’étonne plus de la brutalité des SS quand on sait quel esprit satanique les anime. Eh bien ! Au milieu de cet univers de haine et d’impiété, le Père Kolbe, matriculé 16 670, n’était que prière et pardon. Nous le retrouvons à genoux, seul sur scène, en uniforme concentrationnaire. Chaque phrase évoque un épisode de son calvaire.
Le troisième jour après l’arrivée des nouveaux prisonniers, le colonel Fritsch, le commandant du camp, fit rassembler les prisonniers puis ordonna : « Dehors, les sales prêtres ! Venez avec moi ! » Saisis de peur, mais contraints de le suivre, les prêtres furent confiés au sanguinaire chef de secteur, un certain Krott, avec cette consigne : « Prends ces êtres inutiles et parasites de la société et apprends-leur à travailler. » L’autre sourit d’un air entendu et, en prenant possession de ses nouvelles victimes, répondit : « Ne t’en fais pas. Je m’en charge ! » On leur assigna les travaux les plus durs qu’il fallait exécuter toujours en courant, sinon ils recevaient de violents coups de bâton administrés par des gardes présents tous les dix mètres.
« Son comportement devant la souffrance étonnait médecins et infirmiers, témoigne le Père Conrad Szweda. Il était courageux, il acceptait totalement la volonté de Dieu, et il disait souvent : “ Pour Jésus-Christ, je suis prêt à souffrir encore davantage. L’Immaculée est avec moi et Elle m’aide ! ” »
« Il y eut un jour particulièrement dur, rapporte le Père Szweda, le chef sanguinaire [toujours le féroce Krott] le choisit comme victime, il le tourmenta avec une satisfaction visible, s’acharnant sur lui comme le rapace sur sa proie sans défense.
« Il lui chargea lui-même le dos de pièces de bois très lourdes, choisies exprès, et lui ordonna ensuite de courir. Quand le Père Kolbe tomba, il lui donna des coups de pied au visage et au ventre et le frappa de son bâton, en criant, féroce : “ Tu n’as pas envie de travailler, fainéant. On te fera voir ce que c’est que le travail ! ” » Pendant la pause, le Père Kolbe fut étendu sur un tronc et cruellement battu, puis jeté dans la boue, recouvert de fagots, sous un déluge assourdissant de moqueries et de blasphèmes. De retour au camp, après une marche exténuante, « le Père Kolbe était si épuisé qu’il fallut le porter, et le lendemain il ne put aller travailler ».
Un autre témoin, Alexandre Dziouba, raconte ce bref épisode qui en dit long : « Un jour, le chef de bloc le bourra de coups de pied ; toute la réaction du Père Kolbe fut de dire : “ Que Dieu te pardonne ! ” J’ai entendu ces paroles, car j’étais assis juste à côté de lui. »
Les insultes, les coups, les moqueries, les souffrances, tout cela n’était rien... rien que le moyen de montrer son amour pour l’Immaculée et de ceindre enfin la couronne rouge du martyre ! « Cela n’est rien, c’est tout pour la Petite Mère... »
À ce moment-là de notre oratorio, un prisonnier, Henri Sienkiewicz, entre et, apercevant notre saint en prière, vérifie qu’aucun garde n’est dans les parages avant de s’approcher du Père Kolbe. Le dialogue entre les deux hommes est tiré du témoignage du même Henri : « Pendant quelques semaines, nous avons été voisins de chambre, jusqu’au moment où on le porta à l’hôpital du camp. Je le voyais faire le signe de la croix et prier à genoux, et je lui fis même remarquer qu’il ne devait pas s’exposer à des punitions du chef du bloc et des SS. Il répondit à ces avertissements : “ Dors, mon fils, il y a un dur travail qui t’attend, tu dois te reposer, et moi qui suis déjà vieux, je prierai pour vous ; je suis venu ici pour partager avec vous le triste sort du camp. ” »
Un jour, Henri proposa au Père de l’aider à pousser sa carriole pleine de gravier. « Malheureusement, le chef s’en aperçut : pour avoir parlé ensemble, nous reçûmes chacun dix coups ; et pour nous rendre encore plus ridicules aux yeux des autres, le Père Kolbe dut transporter la carriole pleine de graviers avec moi assis dessus, jusqu’à l’endroit où il fallait la vider, et il dut me ramener dans la carriole vide, jusqu’à l’emplacement où on la remplissait. Sur la carriole pleine de graviers, je l’ai transporté une fois, et lui m’a transporté deux fois.

« Nous travaillâmes ainsi jusqu’à l’appel du soir. Pour me consoler, le Serviteur de Dieu me disait : “ Mon petit Henri, tout ce que nous souffrons est pour l’Immaculée. Qu’ils voient tous que nous sommes des confesseurs de l’Immaculée. ” »
Soudain, la sirène retentit. Tout s’illumine. Coups de sifflet, accords dissonants et lugubres, cris et ordres en allemand annoncent un moment terrible... Les prisonniers en panique entrent précipitamment sur scène afin de former deux rangs avant l’arrivée du commandant. Le colonel Fritsch, l’officier Palitsch et trois gardes arrivent, menaçants. Que se passe-t-il ?
Vers la fin juillet ou début août 1941, un prisonnier du même bloc que le Père Kolbe manqua à l’appel du soir. Tous savaient les représailles qu’amenait pareille évasion et ce fut dans l’incertitude et l’angoisse qu’ils passèrent la nuit. Le lendemain, les détenus du bloc durent rester au garde-à-vous toute la journée, avec un seul repas, sous un soleil brûlant. Journée terrible ! Le soir, lorsque les autres revinrent du travail, tous furent rassemblés pour l’appel. Après, on ordonna le garde-à-vous. Moment tragique, impressionnant. La voix du commandant résonne, sèche et coupante : « Puisque le prisonnier évadé hier n’a pas encore été retrouvé, dix d’entre vous sont condamnés à mourir de faim et de soif dans le bunker de la mort. »
Pris de terreur, chacun se demande sur qui le sort va tomber. Le commandant passe devant la première rangée, en fixant les prisonniers, et désigne d’un signe de la main, au hasard, celui qui va mourir, dont le numéro est rapidement noté. On le sort de la rangée et on l’emmène à l’écart. La tension est extrême, le rythme longue-brève répété indéfiniment figure les cœurs battants des pauvres suppliciés, et les notes suraiguës des violons en accusent l’insupportable angoisse. Ce motif interminable est parsemé d’accords accentués au piano et cymbale, chaque fois qu’un détenu est désigné pour cette mort la plus affreuse que l’on puisse imaginer.

Ceux qui sont épargnés respirent, mais les condamnés... L’un d’eux, François Gajowniczek, chante d’un ton larmoyant, accompagné par la musique devenue mélancolique : « Adieu ! Adieu, ma pauvre femme ! Adieu, mes pauvres enfants, vous voilà orphelins ! »
Soudain, des harmonies célestes viennent envelopper tous ces prisonniers, mais un seul semble les entendre, c’est saint Maximilien-Marie Kolbe.
Un groupe de jeunes filles prête sa voix à l’Immaculée, accompagné en bouches fermées par l’ensemble du chœur : « Mon enfant ! Je veux descendre avec toi dans cet enfer, pour le salut de leurs âmes... avance-toi, voici l’heure. »
Nul ne sait si le Père Kolbe eut une telle révélation à cette heure précise, mais cette mise en scène nous permet d’expliciter le véritable motif du sacrifice de notre saint que notre Père a bien expliqué dans le triduum de 1997. L’heure du martyre était venue, l’Immaculée l’appelait, il n’a pas hésité...
Le Père Kolbe sort alors des rangs, d’un pas décidé. Son nom passe de bouche en bouche, de la scène au chœur : « Le Père Kolbe ! Le Père Kolbe ! » Il est digne, droit, le visage très calme...

Le dialogue suivant recoupe le témoignage de deux prisonniers, les docteurs Wlodarski et Stemler.
Le colonel Fritsch lui demande : « Qui es-tu ?
– Je suis un prêtre catholique polonais.
– C’est un curaillon ! » ne peut s’empêcher de lancer Palitsch. Fritsch poursuit : « Qu’est-ce qu’il veut, ce cochon de Polonais ? »
Toujours aussi calme, le Père Kolbe chante : « Je suis vieux, je veux prendre sa place parce qu’il a femme et enfants... »
Le docteur Wlodarski rapporte que « le commandant, stupéfait, sembla ne pas trouver la force de parler ». Après un instant, le commandant dit : « J’accepte. » Et, d’un signe de la main, il ordonne à François Gajowniczek : « Toi, sors ! »
« Le fait que le Père Maximilien se soit sacrifié pour un autre prisonnier suscita l’admiration et le respect des prisonniers, tandis que les autorités du camp en étaient stupéfaites. Ce fut, dans toute l’histoire du camp d’Auschwitz, la seule fois où un prisonnier ait volontairement sacrifié sa vie pour un autre », se souvient un autre prisonnier, Joseph Sobolewski.
Après cet échange sublime, l’horreur reprend le dessus. Tandis que les dix condamnés sont poussés vers le lieu de leur terrible mort, les gardes chantent sur un ton sarcastique : « Ha ! ha ! ha ! Vous vous dessécherez comme des tulipes ! » Parole de démons ! Aussitôt après, le chœur fait entendre une antienne latine inspirée du commun des martyrs au temps pascal. Le chant est solennel, grandiose : « Filii Ecclésiæ, venite et videte martyrem, utraque cum corona candida et purpura qua coronavit eum Immaculata in die solemnitatis et lætitiæ. – Enfants de l’Église, venez et voyez le martyr avec la double couronne blanche et rouge dont l’Immaculée l’a couronné, au jour de fête et d’allégresse. »
« Tout homme a un but dans la vie », disait notre saint au docteur Diem, médecin du camp. Ce but, révélé dans son enfance, le Père Kolbe l’avait enfin atteint en ce jour unique « de fête et d’allégresse ».
Est-ce seulement l’amour du prochain qui poussa le Père Kolbe à s’offrir en victime ? La voix de l’Immaculée nous fait entendre le vrai motif de cette « mort d’amour ».
ÉPILOGUE :
J’IRAI LA VOIR UN JOUR !
Nous retrouvons Maria Dabrowska et les religieuses féliciennes telles que nous les avons laissées à la fin du prologue. Madame Dabrowska chante, sur un ton lent et méditatif, la leçon de la mort de son fils : « Ce fut une mort d’amour. L’heure de la sublime rencontre était enfin venue pour le chevalier et sa Dame. »
Citons notre Père qui résout l’énigme de cette mort de façon magistrale en en montrant toute la grandeur et la vérité : « Pourquoi est-il mort ? Ce fut un martyre. Il est mort pour attester la vérité de la Toute-puissance miséricordieuse de l’Immaculée. Ce martyre, il y a consenti non pas par philanthropie, pour un condamné qui ne voulait pas mourir à cause de sa femme et de ses enfants qu’il voulait retrouver, car ce n’est pas pour une cause trop humaine comme celle-là qu’un prêtre songe à donner sa vie.
« Voici l’explication : il est tout à l’Immaculée, Elle est toute à lui aussi, jusque dans cet effroyable milieu. Le Père Kolbe était devenu un avec Elle et c’est Elle qui commandait son existence. Il leur fallait, à Elle et à lui, une occasion pour qu’il aille volontairement au sacrifice. Il est sorti du rang lentement. Tandis que l’autre pleurait, lui pensait que l’heure était venue et certainement, c’est Elle qui lui inspira d’avancer, de sortir du groupe, de la masse des prisonniers, pour s’offrir à la mort, lui disant : “ L’heure est maintenant venue de la sublime rencontre. ” C’était une mort d’amour. J’en suis sûr, je ne peux pas dire autre chose ! [...]
« Autant je méprise les gens qui font de la mort du Père Kolbe un martyre de l’humanité parce qu’il a voulu remplacer ce gros homme ; autant je suis sûr qu’il a pensé : ils sont dix qui vont mourir comme des animaux, seuls, mourant de soif, de faim, peut-être se battant, injuriant et maudissant Dieu, il faut que je sois au milieu d’eux. C’est pour eux qu’il a accepté cela, mais aussi parce qu’il avait hâte d’être au rendez-vous que lui avait fixé la Vierge. Alors là, tout s’explique et tout est admirable. »
La pieuse mère rapporte alors les détails du martyre de son fils. En réalité, elle ne les a jamais connus, car Maria Dabrowska est allée rejoindre son fils avant que l’unique témoin polonais de cette scène, Bruno Borgowiec, ne mette ses souvenirs par écrit. Il fut placé là, comme interprète, par l’Immaculée, pour que l’on connaisse la fin de son héroïque chevalier.
Maria Dabrowska commence le récit : « Sans eau ni nourriture, entièrement nus... » La phrase est incomplète, évoquant à peine ce que l’on n’ose imaginer. « Pendant deux semaines... » Ces trois mots seront répétés par le chœur et les religieuses après chaque intervention de Madame Dabrowska, à mi-voix, comme en retenant leur souffle, sur un accord mystérieux de sixte augmentée ajoutant un effet dramatique poignant. En effet, rapporte Bruno Borgowiec, « après avoir ordonné aux pauvres prisonniers de se déshabiller entièrement, devant le bloc [...], ils furent emmenés dans une cellule séparée. Depuis ce jour-là, ils n’eurent plus aucune nourriture. » « Pendant deux semaines... » ! Or, dans cet horrible enfer, un miracle se produisit :
« Les blasphèmes firent place aux prières.
– Pendant deux semaines...
Les cris se changèrent en cantiques.
Le souterrain de la mort devint une chapelle.
Et cet enfer, l’antichambre du Ciel. »
« De la cellule où se trouvaient les malheureux, raconte encore le témoin, on entendait chaque jour des prières récitées à haute voix, le chapelet et des chants religieux, auxquels les prisonniers des autres cellules se joignaient. Quand les gardes étaient absents, je descendais dans le souterrain pour parler avec eux et les réconforter. Les prières ferventes et les hymnes à la Vierge se diffusaient dans tout le souterrain. J’avais l’impression d’être à l’église. Le Père Maximilien-Marie Kolbe commençait et tous les autres répondaient. Quelques fois, ils étaient si plongés dans leurs prières qu’ils ne s’apercevaient pas que les gardes arrivaient pour la visite habituelle ; finalement, ce sont les cris de ceux-ci qui les faisaient taire [...].
« Le Père Maximilien Kolbe se comportait héroïquement, il ne demandait rien et ne se plaignait de rien. » Il leur ouvrit à tous les portes du Ciel : « Personne n’en sortit sans s’être réconcilié avec Dieu », chante la mère du martyr.
En lisant ce témoignage, notre Père s’écriait : « C’est vraiment le Christ descendu aux enfers pour les sauver tous ! »
Deux semaines passèrent ainsi, les prisonniers mouraient l’un après l’autre... « Enfin... » Maria Dabrowska s’interrompt brusquement, la gorge nouée par l’émotion, mais le chœur et les religieuses la pressent. Elle reprend, grave et appuyée : « Il n’en resta que quatre, dont mon fils. Cela avait trop duré. Ils furent piqués, consumés, anéantis... »
« Un jour, c’est toujours Bruno Borgowiec qui parle, on amena le chef de la salle des malades, un Allemand, le criminel Boch, qui fit à chacun une piqûre intraveineuse de poison au bras gauche. Le Père Kolbe priait, et de lui-même il tendit son bras au bourreau. Ne pouvant supporter ce spectacle, je prétendis que j’avais du travail au bureau, et je sortis. Le garde et le bourreau partis, je revins à la cellule, et j’y trouvai le Père Kolbe assis, appuyé au mur, les yeux ouverts, la tête inclinée sur le côté gauche (c’était son attitude habituelle). Son visage était calme, beau et rayonnant. C’est le barbier du bloc et moi-même qui avons emporté le corps du héros. Nous l’avons mis dans une caisse, et nous l’avons transporté à la cellule mortuaire de la prison. Ainsi mourut le prêtre, le héros du camp d’Auschwitz, offrant spontanément sa vie pour un père de famille, paisible, tranquille, et priant jusqu’à la fin. »
Bien plus ! C’était enfin la réalisation du but de toute sa vie. Tandis que les religieuses entourent de leur compassion cette nouvelle “ Mater Dolorosa ”, le chœur entonne l’extrait d’une lettre du 3 janvier 1927 que le Père Kolbe, malade à Zakopane, écrivait à ses frères de Grodno qui devaient poursuivre l’œuvre en son absence : « Imagine ton bonheur, si sur ton lit de mort, tu peux dire en toute sincérité : “ Ô Immaculée, je t’ai consacré toute ma vie. Grâce à ta miséricorde, j’ai travaillé et j’ai souffert pour Toi. C’est pour Toi que je meurs. Je suis à Toi... ” Quelle paix, quel doux bonheur envahira ton cœur dans l’espérance de la voir bientôt ! Et quelle merveilleuse rencontre t’attend au Ciel ! » Ce fut certainement la prière de sa dernière heure.

la gloire de son triomphe. »
Maria Dabrowska souligne un détail touchant qui est bien dans les manières de la délicate Reine du Ciel : « C’était à l’heure des premières vêpres de l’Assomption. Il mourut le jour d’une fête de la Sainte Vierge, comme il l’avait désiré. » Le chant emprunte sa mélodie à la première antienne de cette grande fête : Assumpta est Maria in cælum. La supérieure félicienne ajoute avec enthousiasme : « L’Immaculée a voulu lui faire partager la gloire de son triomphe. »
« C’est le jour de l’Assomption (vendredi 15 août) qu’on fit les “ funérailles ”, relate le Père Szweda, c’est-à-dire que son corps, après avoir été ôté de la cellule mortuaire et placé dans une caisse en bois, fut porté au four crématoire et brûlé. » L’holocauste était consommé !
Maintenant, quelle gloire pour le chevalier de l’Immaculée !
La sainte mère du martyr ne désire plus qu’une chose : aller le voir, ce fils chéri, aller La voir, cette Vierge triomphante, aller les voir tous les deux ensemble !
Après un passage instrumental qui reprend et développe la mélodie qui a ouvert notre oratorio, « J’irai la voir un jour », entremêlé avec celle de « la gloire de son triomphe » qui terminait la phrase de la supérieure, Maria Dabrowska chante son espérance, en français cette fois :
« J’irai la voir un jour !
J’irai voir auprès d’Elle
Son chevalier fidèle
Lui chanter son amour. »
Les religieuses se joignent à elle pour le refrain :
« Au Ciel, au Ciel, au Ciel !
J’irai les voir un jour ! »
Avec une sainte impatience, la mère du petit Raymond désire contempler enfin la réalisation de l’apparition de 1904 :
« J’irai la voir un jour !
J’irai voir les couronnes
Qui, sur ce front, rayonnent
Dans la céleste cour. »
C’est maintenant tout le chœur qui s’unit au chant de Maria Dabrowska, entamant ainsi le chœur final de l’oratorio :
« Au Ciel, au Ciel, au Ciel !
J’irai les voir un jour ! »
Toute sa vie, saint Maximilien-Marie Kolbe a travaillé et souffert pour que le Règne du Divin Cœur de Jésus s’étende sur le monde entier par l’Immaculée, notre Médiatrice. Cette pensée l’habitait continuellement, fortifiée par les apparitions du dix-neuvième siècle, en France où Elle se montre agissante. Il ne se lassait pas de méditer les apparitions de la Rue du Bac, de son extension romaine de Sant’Andrea delle Fratte et de Lourdes. Dans une lettre au Père Florian Koziura du 30 mai 1931, il écrivait : « Sous l’étendard de l’Immaculée se livrera une grande bataille et nous ferons flotter ses bannières sur les forteresses du prince des ténèbres. Alors, l’Immaculée deviendra la Reine du monde entier et de chaque âme en particulier, comme l’a vu dans une vision la bienheureuse Catherine Labouré. » On admire la concordance des termes mêmes du Père Kolbe avec les révélations de Fatima ! Au Père Cornelius Czupryk, il écrivait le 6 juin 1931 : « Je pense qu’on verra l’emblème de l’Immaculée comme flotter jusque sur le Kremlin et rayonner à partir de là ; en un mot, elle sera vraiment la Reine de chaque cœur et introduira dans chaque cœur l’amour divin, le Cœur de Jésus. Alors sera atteint le but de la M. I. »
Nous avons compris, comme lui et à l’école de notre Père, l’importance de la grande nouvelle du Règne de l’Immaculée. La Vierge engage la lutte finale contre Satan, et sa victoire est certaine ! Nous pouvons donc chanter à la suite du Père Kolbe et notre Père, avec de plus en plus d’exubérance, l’évocation de la Vierge puissante et triomphatrice du Serpent :
« Nous la verrons un jour
Fouler victorieuse
Cette tête orgueilleuse
L’écrasant pour toujours.
Au Ciel, au Ciel, au Ciel !
Nous la verrons un jour ! »
La Vierge au globe d’or, Médiatrice de notre salut, qui s’est manifestée dans une vision à sainte Catherine Labouré, enthousiasmait le Père Kolbe :
« Nous la verrons un jour
Offrir à Dieu le monde
Que ses rayons inondent
De son ardent amour.
Au Ciel, au Ciel, au Ciel !
Nous la verrons un jour ! »
Et enfin, l’Immaculée Conception Elle-même dans son mystère infini que nous verrons un jour, au Ciel... Encore faut-il que nous nous le gagnions, comme disait sainte Bernadette.
« Nous la verrons un jour
Nous verrons son mystère
Dans l’immense lumière
De l’éternel séjour.
Amen ! Amen ! Amen !
Nous la verrons un jour ! »
Le mot « Amen ! » a remplacé subrepticement le « Au Ciel ! » du cantique populaire, car nous “ croyons ”, c’est le sens du mot hébreu, qu’il en est ainsi : « Au Ciel, nous la verrons un jour ! » Je crois !
L’Amen final reprend la mélodie principale, en valeurs plus courtes telle qu’elle est chantée en Pologne, mais la développe en polyphonie pour aboutir, avec le renfort de tout l’orchestre, à une plénitude harmonique. C’est la figure de l’âme qui peine dans cette triste vallée de larmes et qui se jette d’un bond amoureux dans le Cœur de sa Mère Immaculée pour y demeurer toujours, toujours, toujours ! Puissions-nous être du nombre, à la suite de saint Maximilien Kolbe et de notre bienheureux Père !

CONSÉCRATION À L’IMMACULÉE
Allocution de frère Bruno de Jésus-Marie, mardi 26 août 2025,
à la fin de l’oratorio, adressée à l’orchestre et aux acteurs.
À Lourdes, en octobre prochain, nous ferons pèlerinage aux pieds de la Dame de toutes les pensées du Père Maximilien-Marie Kolbe qui a dit son nom à sainte Bernadette : « Je suis l’Immaculée Conception », et dont vous venez de chanter magnifiquement les louanges. Par ce chef-d’œuvre de frère Henry, aujourd’hui, nous sommes appelés par la Bienheureuse Vierge Marie à nous consacrer à Elle, pour obtenir de Jésus, notre Sauveur, le salut du monde en perdition. C’est aujourd’hui. Cela a été l’aujourd’hui du Père Kolbe en 1917 et des pèlerins de Fatima en 1917. C’est tous les jours “ aujourd’hui ” pour ceux qui sont invités à se donner à la Vierge Marie en ce vingt et unième siècle pour le salut du monde. Ce même appel était signé de Louis-Marie Grignion de Montfort, de l’abbé Des Genettes, de Ratisbonne et mille autres, mais enfin, Maximilien-Marie Kolbe nous a empoignés au passage. Il fallait donc que nous comprenions comment toutes les apparitions de la Vierge Marie redisent ce même message, mais selon une “ orthodromie ” divine, que nos conférences et nos conversations ont mis en lumière, et que l’exécution – parfaite ? – Oui ! de cet oratorio nous a gravée dans le cœur ; merci, mon frère Henry.
Nous avons entendu cet appel à la consécration totale de nos êtres à l’Immaculée, non comme une “ spiritualité ” nouvelle, mais comme une conversion à accomplir. Une consécration n’est pas un article de foi, c’est un acte personnel posé en réponse à un appel de Dieu en vue du salut éternel. Il n’y a rien de plus grand que cet appel actuel à entrer dans un “ mouvement ” dont la Bienheureuse Vierge Marie est la Mère et la Reine. C’est vraiment une vocation, notre vocation en même temps qu’une vraie dévotion.
Nous recevons de cet oratorio une grâce très particulière, mon cher frère Henry, et de son exécution remarquable, mes chers enfants, par vous, la grâce de nous repentir de toutes nos tiédeurs, et retards à nous convertir vraiment, à nous consacrer, chacun comme une petite hostie, à ce Cœur Immaculé de Marie qui ne fait qu’un avec le Cœur Sacré de son Fils.
Il faut maintenant comprendre cette nouveauté et y croire de foi divine. Le mot, chez les théologiens, qualifie une foi donnée aux Apôtres du temps de leur vie terrestre et c’est une foi qui n’a plus eu d’équivalent dans la suite des siècles. On conserve cette foi divine et on en tire d’autres vérités, mais qui, elles, sont de foi ecclésiastique, depuis la mort du dernier Apôtre. C’est moins contraignant parce que c’est par un raisonnement, ce n’est pas directement émané de la bouche du Christ.
Mais quand c’est la Vierge Marie, il faut dire que c’est de foi divine. Quand Elle fait remuer les astres dans le Ciel, pour prouver que c’est Elle et quand Elle parle d’un ton de maîtresse, nous n’avons plus qu’à écouter, que nous soyons pape, cardinaux ou simples fidèles et ne pas juger ces faits selon notre raison individuelle.
Sur la foi de Marie Immaculée, l’enseignement transmis par saint Maximilien-Marie Kolbe, son messager, son martyr, mort de faim et de soif, en preuve de son témoignage, s’impose à nous, me semble-t-il. Ce « me semble-t-il » est très important parce que, s’il me semble à moi et pas à vous, c’en est fini de notre communauté. Si ce n’est pas l’avis de nos amis tout en étant celui de notre communauté, c’en est fini de notre Phalange. C’est donc une décision importante. Il faut seulement comprendre cette nouveauté et croire de foi divine, sur la foi de Marie Immaculée, croire son messager et donc, entrer dans cet amour au point de le préférer à toutes les concurrences, celles de nos passions, de nos habitudes, de nos préjugés, de notre moi, au profit d’un amour sans borne pour le Cœur Immaculé de Marie.
Ainsi soit-il !