Il est ressuscité !

N° 231 – Avril 2022

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


CAMP NOTRE-DAME DE FATIMA 2021

Géopolitique et orthodromie catholique : 
de la Révolution de 1789 à la fausse paix de 1919

LA Révolution française n’a pas seulement provoqué un changement de régime, elle a créé une  nouvelle religion, une nouvelle philosophie, une nouvelle politique, une nouvelle société, en s’imposant par la terreur et par la guerre, par la propagande et par le mensonge. Elle a entraîné un véritable séisme géopolitique mondial. En cent trente ans, entre 1789 et 1919, elle a renversé toutes les monarchies et rejeté Dieu de la scène internationale. De même que le protestantisme a été au seizième siècle la cause d’un immense bouleversement en Europe et dans le monde, la Révolution a opéré, dans la continuité de l’œuvre de la Réforme, une nouvelle déchirure majeure qui a quasiment anéanti la Chrétienté.

L’OUVERTURE D’UN COMBAT TITANESQUE

La Révolution n’est pas spécifiquement française, mais occidentale. Elle ne commence pas en 1789, mais en 1763 aux États-Unis. Elle se répand rapidement, entre 1763 et 1789, en Amérique, à Genève, en Irlande, dans les Provinces-Unies et en Belgique. À partir de 1789, l’incendie révolutionnaire s’étend dans la plus grande partie de l’Europe occidentale, elle revient dans les Provinces-Unies et en Belgique d’où on l’avait chassée un temps et continue en Allemagne, en Italie, en Suisse, sur l’île de Malte, en Pologne et jusqu’en Égypte. Une certaine stabilisation semble se dessiner vers 1800, mais la progression du mal reprend sous l’Empire vers l’Europe de l’Est.

Le principe majeur de toutes ces révolutions est la liberté. Chaque être humain est seul maître de lui-même et possède des droits fondamentaux inhérents à sa propre nature. Liberté de pensée, de religion, d’expression, de circulation, de réunion, de commerce, etc. Ces libertés impliquent de facto le principe de souveraineté des peuples. Toutes ces idées sont dogmatisées dans la Déclaration d’Indépendance américaine et dans la Déclaration des droits de l’homme.

On remarque que les hommes qui ont adhéré à ces idées nouvelles n’appartenaient pas au petit peuple, mais à la classe des gens d’argent, de l’élite sociale, des bourgeois, des membres de sociétés secrètes, des grands propriétaires terriens. La plupart habitaient dans les grandes villes, en Amérique du Sud et en Amérique du Nord, en Europe occidentale, en somme, dans tous les pays bordant l’Atlantique. En effet, au dix-huitième siècle, les échanges de biens et d’idées se faisaient plus facilement par mer que par terre. Les idées de Voltaire, de Rousseau, de Montesquieu, de Locke, des physiocrates, c’est-à-dire des économistes tributaires des lumières et qui travaillaient pour la suppression des barrières douanières, la libre circulation des grains, la suppression du juste prix, étaient partagées par toute cette société cosmopolite de personnages mondains et riches, souvent éloignés de la religion.

Selon eux, le pays qu’il faut prendre pour modèle est l’Angleterre, parce qu’il applique ces idées nouvelles. Depuis la Glorieuse Révolution de 1688, on y vit sous le régime d’une monarchie parlementaire et on y jouit de toute sorte de libertés comme la liberté de pétition, d’expression, de presse. On y a également adopté le modèle économique libéral. À la fin du dix-huitième siècle, l’Angleterre est le plus grand centre économique mondial. Elle a certes perdu en 1783 les colonies américaines, mais cet électrochoc lui a fait comprendre qu’il vaut mieux chercher l’accroissement de son commerce international plutôt que la possession de territoires coloniaux. Elle s’est donc dotée de la plus grande flotte marchande du monde et d’une puissante marine de guerre pour la protéger, favorisant l’immense développement de son commerce maritime. Dans les milieux libéraux occidentaux, on considère en définitive que l’Angleterre est devenue riche et prospère grâce à son libéralisme politique.

À cette époque, excepté en Irlande, en Suède, en Suisse et dans les Provinces-Unies, ainsi qu’en Pologne où existe une monarchie élective, on vit, partout ailleurs en Europe, sous le régime d’une monarchie absolue, voire d’une monarchie absolue de droit divin comme en France.

Par haine des principes que l’Église catholique et la monarchie incarnent, en particulier dans le Royaume des lys, et parce que ces deux institutions sont les obstacles majeurs à sa religion, à son libéralisme et à son hégémonie, l’Angleterre s’est juré de les renverser. Pour les dominer, elle va payer et soutenir dans le monde, tout révolutionnaire, tout libéral, tout membre de société occulte, prêt à travailler dans le sens de ses objectifs. Et elle parviendra, à partir de 1789, en treize décennies, à renverser la situation et à installer de gré ou de force dans tous les pays un régime libéral calqué sur son modèle. Voyons comment cela s’est produit.

La Révolution française qui éclate en 1789 est une première et immense victoire pour l’Angleterre et le camp du diable. En adoptant les idées nouvelles, la France passe d’un coup dans le parti anglais. Le 17 juin 1789, cent ans jour pour jour après la demande du Sacré-Cœur faite à Louis XIV, le tiers état se constituant en Assemblée nationale prétend représenter la nation. Le pouvoir ne vient plus d’En-Haut, mais d’en-bas. Les privilèges sont abolis (4 août 1789), la Constitution civile du clergé est imposée de force (12 juillet 1790), le roi décapité (21 janvier 1793), le Dauphin martyrisé en prison (8 juin 1795). Les gens d’argent, les profiteurs de la Révolution, ceux que l’abbé de Nantes appelle « le noyau dur de la République », ne pouvaient qu’être satisfaits. Ils formèrent la classe des bourgeois libéraux et furent les véritables conducteurs des événements durant la Révolution et tout le dix-neuvième siècle.

LA RÉVOLUTION EN EXPANSION : 1789 – 1799

Dès lors, « la Révolution française aspire au rôle de Messie politique », comme l’expliquera Mgr Freppel. Alors que l’Assemblée avait déclaré en 1790 qu’elle ne mènerait aucune guerre contre la liberté d’aucun peuple, voilà qu’en 1792, elle déclare la guerre à l’Autriche. En effet, l’Autriche et la Prusse, soutenues par Catherine de Russie, se sentant menacées par la propagation des idées révolutionnaires, envoient une armée sur la frontière française.

Après les victoires françaises de Valmy et de Jemmapes, la République conquiert la Belgique, une partie de la Rhénanie, la Savoie, Nice, Montbéliard et finalement toutes les enclaves étrangères situées en deçà du Rhin, des Alpes et des Pyrénées, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes... et au nom des frontières qu’elle a décidé de se donner, en pleine rupture avec le droit des gens. Partout où elle passe, la République répand ses idées subversives, persécute l’Église, abolit les privilèges.

Au début, l’Angleterre est favorable à la Révolution, car elle affaiblit la France. Mais à partir de 1791, elle craint pour elle la contagion révolutionnaire et, avec l’annexion de la Belgique, par où transitaient ses biens commerciaux, elle considère que ses intérêts économiques sont menacés. Elle préfère opposer son modèle de monarchie libérale, moins sanguinaire et décide de rompre avec la France. Comme disait Mgr Freppel : « À l’inverse de la France si acharnée à détruire de ses propres mains les éléments de sa grandeur, l’Angleterre est restée fidèle à ses institutions civiques et politiques tout en cherchant à les améliorer progressivement. » (La Révolution française à propos du centenaire de 1789, Mgr Freppel, éd. Roger et Chernoviz, p. 28)

En janvier 1793, la Convention, qui n’a peur de rien, déclare la guerre à tout le monde, à l’Angleterre, à l’Autriche, à l’Espagne, aux royaumes d’Italie, à la Turquie. La République réclame même aux États-Unis le bénéfice de l’alliance de 1778 promise au roi qu’elle venait d’exécuter, mais ces derniers refusent pour des raisons de neutralité commerciale et de solidarité anglo-saxonne. La France, animée de l’ambition démesurée d’apporter la lumière au monde et de renverser toute monarchie, devient véritablement le chien enragé de l’Europe. La Belgique qu’on avait dû abandonner est reconquise et la Hollande envahie.

Ses idées se répandent et provoquent des révolutions en Allemagne, en Italie, en Suisse, sur l’île de Malte, en Pologne et jusqu’en Égypte.

Deux conséquences s’ensuivent. L’Angleterre devient notre ennemi irréductible et, en s’alliant avec les États-Unis, gagne la maîtrise des mers pour vingt ans. Elle prend au passage nos colonies antillaises. La Prusse comprend qu’elle a une carte à jouer avec nous. Elle retourne sa veste, entre en négociation avec la République qui lui promet, en échange de sa neutralité, des indemnités territoriales sur le Rhin et une sorte de protectorat sur toute l’Allemagne du Nord.

Cette concession insensée est à l’origine des trois conflits majeurs qui opposeront la France et l’Allemagne dans les temps à venir ! Ils sont directement les fruits de la Révolution !

Comme la France ne peut pas gagner directement contre l’Angleterre, elle cherche à obtenir la victoire en luttant contre un de ses alliés, l’Autriche. Pour cela, elle passe par l’Italie, sous domination autrichienne, et confie l’armée à Bonaparte. Comme l’Italie, composée d’une multitude d’États, n’a aucune unité politique et idéologique, Bonaparte y entre comme dans du beurre. Installé, il détruit systématiquement les anciennes puissances italiennes et crée des républiques nouvelles sur le modèle révolutionnaire français. En avril 1797, il culbute l’armée d’Autriche et, s’étant constitué une puissante armée et, par le pillage, des ressources considérables, s’impose au Directoire.

NAPOLÉON POURSUIT L’ŒUVRE DE LA RÉVOLUTION : 1799 – 1815

Le coup d’État du 18 brumaire (9 novembre 1799) est plébiscité par la grande majorité des Français qui aspire à la paix. Les classes possédantes, les libéraux comprennent qu’il faut instaurer un système autoritaire, afin de remettre de l’ordre, pour préserver leur fortune et pour conserver les principes révolutionnaires. Napoléon sera leur homme.

À l’intérieur, Bonaparte institutionnalise la Révolution. Au lieu d’avoir une société catholique bien à la française avec un roi, lieutenant du Christ, faisant régner l’ordre et la prospérité par un système de gouvernement décentralisé se reposant sur des groupes sociaux naturels (familles, métiers, régions) (point 85), il l’émiette, instaure une centralisation jacobine et promeut l’individualisme révolutionnaire. Il centralise l’administration, prend la direction de l’enseignement et soumet l’Église à sa toute-puissance par les articles organiques de 1802. Avec le nouveau Code civil, il réglemente tous les acquis de la Révolution (fin des privilèges, égalité des citoyens, dissolution des corporations et des groupes sociaux, principe de laïcité, etc.) et les impose aux Français.

À l’extérieur, par ses grandes campagnes militaires, il annexe certains territoires (Italie, Belgique, Rhénanie, Hollande) pour en faire des départements français. Il en vassalise d’autres (Suisse, Espagne, Pologne, certains duchés germaniques). Partout, il impose de nouvelles constitutions et son Code civil. Il abolit les principautés féodales et ecclésiastiques, les régimes seigneuriaux, la liberté de l’Église. Il vend les biens du clergé et réorganise la société sur le principe de la propriété individuelle, ce qui provoque un développement considérable de la bourgeoise possédante. Comme en France, la richesse remplace la noblesse, et avec elle l’adhésion aux idées libérales et républicaines.

Dans les pays alliés (Prusse, Autriche, Russie, Danemark), il répand les idées révolutionnaires par influence.

Ces annexions napoléoniennes ne se font pas dans la paix, mais provoquent la fureur des habitants. Les plus subversifs d’entre eux comprennent qu’en s’appuyant sur le principe révolutionnaire du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, ils peuvent susciter au sein des populations de même langue, de mêmes mœurs, une solidarité, un nationalisme, pour rejeter l’empire français, mais aussi pour s’affranchir de leurs souverains légitimes. L’Allemagne, l’Italie, la Serbie, la Pologne, tous les pays d’Amérique latine trouvent alors dans les principes drainés par Napoléon la justification de leur émancipation. Ainsi, la France ensemence partout la Révolution.

En Amérique latine, les populations des colonies sont très catholiques et elles ont été très indignées en 1767 contre les mesures d’expulsion des jésuites d’Espagne et de ses colonies.

Quand Joseph Bonaparte est proclamé roi d’Espagne entre 1808 et 1814, comme tous les Espagnols de la péninsule, elles refusent d’obéir au tyran, mais sont du même coup livrées à elles-mêmes pendant de longues années.

En Nouvelle-Espagne (l’actuelle Amérique centrale : Mexique, Provinces-Unies d’Amérique centrale, plus la Californie, la Floride et le Texas), naissent deux courants indépendantistes : l’un inspiré par la Révolution, conduit par les Pères Hidalgo et Morelos, mais combattu par un second courant mené par un jeune officier catholique, Agustin de Iturbide, qui veut dans un premier temps restaurer l’ordre catholique et monarchique espagnol. Mais quand en 1814 arrive en Espagne le temps de la restauration et que son roi, Ferdinand VII, adopte par faiblesse une constitution libérale et maçonnique, Iturbide s’y refuse, tout comme le peuple espagnol de métropole. Il demande alors au roi la séparation d’avec l’Espagne et qu’il vienne lui-même gouverner la colonie, ou bien qu’il nomme un Bourbon et que « s’établisse entre les deux augustes monarques les relations d’amitié les plus étroites ». Cette solution lui attire l’adhésion de plusieurs chefs indépendantistes d’Amérique centrale. Mais Ferdinand VII refuse de répondre.

En Amérique du sud, en 1810, un peu partout, dans la région de la Nouvelle-Grenade (Venezuela, Panama, Colombie, Équateur), à Buenos Aires en Argentine, au Chili, de nombreuses juntes libérales, c’est-à-dire des gouvernements autonomes conduits par des petits chefs, se forment et se soulèvent contre l’Espagne. Le centre le plus actif est Caracas (Venezuela), dont le chef est Simon Bolivar, un disciple de Rousseau et un franc-maçon, affilié des Anglais. Avant la chute de Napoléon, tous ces petits chefs, comme Miranda, Bolivar, San Martin, O’Higgins, tous admirateurs de la Révolution française et de l’œuvre de Napoléon, rencontrent quelques succès temporaires. Certains pays, comme le Chili et l’Argentine, parviennent à proclamer leur indépendance, mais elle sera éphémère.

LA CONTRE-RÉVOLUTION : 1815 – 1830

Après Waterloo, le 18 juin 1815, la Révolution recule. Les grandes puissances victorieuses (Angleterre, Russie, Autriche, Prusse), désirent restaurer le statut des anciennes souverainetés, leur droit coutumier et effacer une partie des nouveautés introduites par l’esprit révolutionnaire. Pour harmoniser cette restauration, ces puissances se réunissent de septembre 1814 à juin 1815 au congrès de Vienne.

Elles gardent toutefois chacune à l’esprit leurs intérêts à défendre. La première grande puissance qu’est l’Angleterre veut asseoir sa suprématie sur les mers qui sont pour elle le moyen de dominer le monde. Centrée sur elle-même, par sa géographie et par sa religion schismatique, la Russie, rivale de l’Angleterre, souhaite, elle, établir son hégémonie en dominant les terres continentales. Comme les débouchés maritimes lui sont indispensables pour rayonner, elle désire, contre l’Angleterre, l’équilibre des puissances maritimes (Grande-Bretagne, France, Espagne, Portugal, Hollande, Belgique).

L’Autriche, au centre du continent, est assez faible. Elle vise un objectif à sa portée : contrebalancer la puissance russe et ressusciter la Chrétienté dont elle serait le pivot. Son absence de débouché sur la mer constitue un handicap. La Prusse souhaite continuer la politique de Frédéric II qui consistait à dominer les États allemands. Pro-autrichiens et catholiques, ces derniers sont encore indépendants les uns des autres et résistent. Ils forment la Confédération germanique et se concertent au sein d’une assemblée, la diète.

La grande gagnante du congrès est l’Angleterre. En jouant des intérêts de chacun, elle parvient à assurer ses acquisitions maritimes obtenues pendant la Révolution. Elle soumet sous son influence directe les puissances maritimes, que sont le Portugal, l’Espagne, qui perdent définitivement leur influence mondiale, la Hollande et la Belgique. Elle érige au centre de l’Europe une barrière germanique, en favorisant la montée en puissance de l’Autriche et de la Prusse, dirigée tout à la fois contre la France et contre la Russie.

En conduisant cette politique, l’Angleterre satisfait le ministre autrichien des Affaires étrangères, l’excellent Clément von Metternich. Louis XVIII, en donnant des ordres remarquables à Talleyrand, parvient à redonner à la France vaincue une place sur la scène internationale. Louis XVIII partage l’objectif de Metternich, non pas de dominer le monde, mais de rétablir l’influence de l’Église catholique, de restaurer la Chrétienté, ce qui ne peut se faire qu’en rétablissant la souveraineté de leurs pays telle que la sagesse des rois l’avait constituée durant les siècles passés. N’est-ce pas aussi la réalisation de l’Alliance catholique franco-autrichienne voulue par le Père Joseph et par Louis XV.

À noter que Talleyrand persiste dans son immense erreur, déjà faite sous Napoléon, de donner à la Prusse, qui se trouve à l’est de l’Allemagne, de grands territoires situés à l’ouest de la Confédération germanique, sur le Rhin, séparés d’elle et en contact direct avec la France. Désormais, l’effort des Prussiens consistera à réunir ces deux morceaux de leur unique royaume et justifiera à leurs yeux leur politique d’hégémonie sur le reste des royaumes allemands qui se trouvent entre les deux.

Peu de temps après, en novembre 1815, la Russie, l’Angleterre, l’Autriche, la Prusse, auxquelles s’ajoute en 1818 la France, signent le traité de la Quadruple Alliance qui les engage à se réunir périodiquement pour coordonner leur politique. Metternich, qui demeure chancelier d’Autriche jusqu’en 1848, en est la cheville ouvrière et exerce une influence décisive sur cette Sainte-Alliance. Il convaincra ses partenaires d’intervenir partout où se manifestera la moindre velléité libérale pour l’étouffer dans l’œuf. Il écrira en 1850 : « Le peuple peut-il gouverner ? Pour gouverner, il faut trouver le contraire, l’obéissance. Qui obéira, si c’est la masse qui gouverne ? Un droit qui ne peut être exercé n’est qu’un mot vide de sens ; aussi la souveraineté du peuple ne va-t-elle pas, dans son application, au-delà du mot ; dans la pratique, la souveraineté du peuple se réduit au droit de se faire représenter, c’est-à-dire de cesser dès qu’elle commence à s’exercer. »

C’est lui qui arrête dans les États allemands les mouvements libéraux impulsés par des étudiants ; qui rétablit dans tous ses pouvoirs le conciliant Ferdinand Ier, roi des Deux-Siciles, et qui annule les dispositions constitutionnelles adoptées par le gouvernement libéral de Naples ; qui met un terme à l’entreprise des libéraux piémontais. « Voilà ce que c’est qu’une révolution prise à temps ! » dira Metternich. C’est encore lui qui en 1822 appuie l’intervention du duc d’Angoulême et de ses francs-vendéens pour écraser les libéraux espagnols qui cherchent à dominer le faible Ferdinand VII. Metternich, en combattant toute poussée libérale ou révolutionnaire, est véritablement, avec le pape Léon XII et les rois de France, le garant de la paix chrétienne en Europe.

Concernant les colonies espagnoles, dès 1814, Fer­dinand VII y a rétabli son autorité en cassant « trop » durement, selon une remarque que lui fit le duc d’Angoulême, toutes les insurrections. Mais celles-ci se réveillent vers 1820, soutenues par l’Angleterre et les États-Unis. Ferdinand VII supplie alors la France d’envoyer des troupes pour y œuvrer comme elles l’ont fait en Espagne. Mais le roi de France renonce et les anciennes colonies acquièrent peu à peu leur indépendance les unes après les autres, finalement reconnues par l’Espagne et le Portugal en 1825. L’Espagne ne gardera que Cuba et Porto Rico dans la mer des Caraïbes.

Le cas du Mexique est particulier. Iturbide, le contre-révolutionnaire, attendait toujours que Ferdinand VII envoyât un souverain, ce que ce dernier refusait. Peu à peu, Iturbide se sentit acculé à accepter la couronne d’empereur du Mexique, qu’il conserva trois cents jours, avant d’être emporté par les forces libérales et d’être fusillé. Depuis, les libéraux et les révolutionnaires exercent largement leur domination sur un pays à 99 % catholique.

En fait, la domination de la Chrétienté sur le libéralisme ne pouvait tenir que dans la mesure où les membres de la Sainte-Alliance agissaient de concert. Tout bascule en 1822 avec le suicide de Castlereagh, le ministre britannique des Affaires étrangères favorable à l’Alliance, « une des catastrophes les plus terribles qui aient pu me frapper », dira Metternich. Il est remplacé par Canning qui sera un adversaire acharné contre la politique d’intervention antilibérale. Ce retournement de l’Angleterre sera lourd de conséquences. Les mouvements libéraux et révolutionnaires, dès lors soutenus par l’Angleterre et par la franc-maçonnerie, germent comme la peste partout dans le monde. Jusqu’en 1870, ils s’appliqueront à détruire systématiquement l’œuvre réactionnaire de la Sainte-Alliance.

LES RÉVOLUTIONS DE 1830

Or, Jésus-Christ intervient en personne dans notre histoire humaine, politico-militaire, en rappelant l’Alliance qui lie la maison de France à Lui Jésus-Christ, vrai roi de France. À la veille de la révolution de 1830, sainte Catherine Labouré voit le Christ dépouillé de ses ornements et des attributs de son pouvoir : « C’est là que j’ai eu les pensées que le Roi de la terre serait perdu et dépouillé de ses habits royaux. » Ce que la Sainte Vierge confirme dans la nuit du 18 au 19 juillet, en disant : « Les temps sont très mauvais. Des malheurs vont fondre sur la France. Le trône sera renversé. Le monde entier sera renversé par des malheurs de toutes sortes. » Et elle dit encore : « Mon enfant, la Croix sera méprisée, les rues seront pleines de sang, le monde entier sera dans la tristesse. »

L’Europe commence de s’embraser en 1820 avec la lutte des Grecs pour l’indépendance, au nom de leur religion et des idées des lumières auxquelles les plus riches adhèrent, contre l’Empire ottoman et avec le soutien du tsar Alexandre Ier. Finalement Metternich, d’accord avec le pape Pie VIII, conduit le tsar à désavouer le mouvement en lui exposant que cette insurrection, bien que compréhensible à certains égards, aurait pour effet d’encourager les libéraux de toute l’Europe à agir, puisqu’elle s’appuie sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Mais Canning, craignant que la Russie ne revienne sur sa décision pour obtenir des avantages territoriaux et que la Grèce, opiniâtre dans ses revendications, ne demande un roi à la France, fait évoluer la politique anglaise pour mieux dominer la question. Profitant, en 1822, de l’horreur de la répression turque contre les Grecs, il soutient, contre toute sagesse, la cause grecque et suscite un enthousiasme chez les romantiques comme Chateaubriand, lord Byron, Delacroix, Victor Hugo qui entraîne finalement la France et la Russie à soutenir la Grèce. L’Angleterre prend la tête d’une alliance anglo-franco-russe qui s’engage à aider les insurgés jusqu’à l’indépendance en 1830. Cet acte commençait de briser la Sainte-Alliance et, comme en avait prévenu Metternich, donnerait le signal d’une immense révolution en Europe. Quelques mois plus tard, les Bourbons de France furent les premières victimes.

En effet, en France, depuis 1828, les libéraux, déchaînés, réclament des libertés contre le gouvernement. Charles X, au lieu d’agir contre son serment qui l’enchaînait à la Charte, constitution libérale adoptée par Louis XVIII, prie son excellent ministre Villèle, pour les calmer, de démissionner. Sa nièce, la duchesse d’Angoulême, l’avertit : « Vous avez abandonné Monsieur de Villèle, c’est la première marche de votre trône que vous descendez. » Les libéraux en profitent, calomnient Charles X et plébiscitent le régicide Louis-Philippe après qu’il eut reconnu le principe de la souveraineté du peuple. Le roi du pavé monte sur le trône et la Révolution reprend ses droits.

L’Église, elle, maintient sa position en rejetant tout compromis avec le libéralisme. Dans la première moitié du dix-neuvième siècle, deux courants se dessinent à Rome : celui des zelanti, les prélats conservateurs hostiles au libéralisme, et celui des politicanti, enclins aux concessions. De la mort de Pie VII (1823) à 1846, les différentes élections pontificales voient la victoire des zelanti. Le pape Léon XII (1823-1829) prononce une double condamnation contre « l’indifférentisme » et contre la franc-­maçonnerie. Grégoire XVI (1831-1846) renforce ces mesures antirévolutionnaires par la condamnation très juste et sans appel de Félicité de Lamennais qui, au sein de l’Église, tente, à la fin des années 1820, une première expérience de conciliation entre le catholicisme et la Révolution.

La révolution de 1830 en France provoque l’embrasement de toute l’Europe, mais demeure en grande partie contenue. En Allemagne, le ministre autrichien réagit efficacement face aux émeutes qui éclatent et parvient à resserrer autour de lui les souverains allemands.

En Italie, la révolte soutenue par les carbonari et ouvertement révolutionnaire est matée par Metternich avec 20 000 soldats.

En Espagne, Ferdinand VII réprime également les libéraux. Il fait cependant une erreur : en demandant aux Cortès (assemblées provinciales) de reconnaître sa fille Isabelle comme héritière du trône au lieu de son frère don Carlos, réactionnaire, il ouvre une guerre civile interminable entre carlistes et libéraux.

En Pologne, l’insurrection échoue. Toutes les révoltes polonaises du dix-neuvième siècle, toutes compréhensibles qu’elles soient et auxquelles prennent part un certain nombre de catholiques, sont condamnées par le pape, car elles s’appuient sur le principe subversif de la liberté des peuples. Les insurgés sont très durement réprimés par l’armée russe et une quantité de Polonais rouges émigrent dans les pays occidentaux où ils joueront un rôle actif dans les sociétés secrètes et dans les mouvements insurrectionnels de 1848.

La Suisse, très sensible aux événements de Grèce, voit s’affronter en son sein la ligue catholique et les libéraux protestants. Ces derniers l’emportent et obtiennent à la diète la majorité.

La Belgique est le seul pays où la révolution apporte apparemment du mieux. La population se soulève contre la Hollande protestante et demande un souverain. Pour éviter un embrasement européen, Louis-Philippe renonce à installer sur le trône le duc de Nemours, son fils, et propose le prince de Saxe-Cobourg qu’il marie à l’une de ses filles. C’est l’origine d’une grande lignée qui donnera les saints rois belges du vingtième siècle, prisonniers toutefois de la constitution libérale adoptée en 1831.

L’Angleterre, seule, domine le monde, impassible. Tout semble lui réussir.

1848

En 1846, la Sainte Vierge apparaît à La Salette et avertit que si son peuple ne veut pas se soumettre, Elle sera forcée de laisser aller le bras de son Fils. Notre-Seigneur révèle à son tour à sœur Marie de Saint-Pierre, carmélite de Tours, l’imminence du châtiment : « Quand de mon bras puissant, j’ébranlerai le trône pour en faire tomber celui qui y est assis (l’usurpateur), dans quel état sera la France. »

La conjonction de l’opposition libérale et socialiste et de difficultés économiques a raison du régime français. À partir de 1846, de mauvaises récoltes de blé et une maladie qui fait pourrir les pommes de terre provoquent la hausse du prix du pain, la disette dans les campagnes et la misère ouvrière dans les villes. Le 22 février 1848, l’émeute éclate.

La révolution se fait au cri de « Vive la Pologne ! Vive la Prusse ! Vive l’Italie ! », les peuples de ces pays, soulevés par les sociétés secrètes, cherchant à faire reconnaître leurs droits à l’indépendance. Michelet écrira vingt-deux ans plus tard : « Que d’émotion, que de vœux pour l’unité de ces peuples ! Dieu nous donne, disions-nous, de voir une grande et puissante Allemagne, une grande et puissante Italie. Le concert européen reste incomplet, inharmonique, sujet aux fantaisies cruelles, aux guerres impies des rois tant que ces hauts génies de peuples n’y siègent pas dans leur majesté, n’ajoutent pas un nouvel élément de sagesse et de paix au fraternel équilibre du monde. »

Louis-Philippe avait promis la liberté, mais la IIe République est proclamée et avec elle l’anarchie. « En Révolution, disait l’abbé de Nantes, il se trouve toujours un moment où pour sauver l’ordre on est obligé de faire couler le sang et de revenir à une société autoritaire. » (Conférence : “ 1848-1851. La deuxième République , F 19, 1991) On cherche donc un dictateur. En France, le noyau dur de la République, guidé par Thiers, écrase les républicains populaires et établit un homme jugé aisé à manœuvrer : Napoléon III. « C’est un crétin que l’on mènera », confie Thiers.

Partout ailleurs en Europe, les soulèvements nationalistes sont réprimés, mais au prix de grosses lézardes. En Autriche, Metternich, empêché par l’opposition des archiducs d’organiser la répression contre les émeutiers et lâché par l’empereur, donne sa démission. L’armée reprend la situation en main et le chancelier Schwarzenberg obtient l’abdication de l’empereur Ferdinand Ier au profit de François-Joseph et d’une monarchie renforcée. Partout en Italie, sauf dans le Piémont que l’Angleterre et Napoléon III protègent, le maréchal autrichien Radetzky écrase les mouvements républicains qui s’étaient levés, encouragés par le départ de Metternich et par les premières mesures réformatrices déraisonnables de Pie IX. En Allemagne, Frédéric-Guillaume IV, roi de Prusse, mate la révolte libérale, mais par calcul, il espère en échange obtenir l’appui des princes allemands pour imposer sa suprématie sur l’Allemagne. La monarchie des Habsbourg ne cède pas à cette tentation et fait totalement échouer son projet. L’unité allemande est repoussée et il paraît clair qu’elle ne pourra se réaliser que par un affrontement entre la Prusse et l’Autriche.

Un mot encore sur l’Autriche. Elle reste très catholique et monarchiste. Devant les poussées indépendantistes des différents peuples qui la composent, en particulier de la Hongrie et de la Croatie, l’empereur et l’élite autrichienne comprennent que leur force, que le principe de leur unité, réside dans leur dynastie, dans leur catholicisme et dans leur position stratégique au cœur de l’Europe. Le soutien de la France aux diverses tentatives indépendantistes leur paraît bien caractéristique de notre esprit devenu anticlérical, subversif, ne rêvant que d’exporter la révolution aux quatre coins du monde ! L’empereur François-Joseph est le seul qui maintient encore l’esprit de la Sainte-Alliance (3e conférence : Géopolitique et orthodromie, abbé de Nantes, PC 44, 1991). L’Autriche est la seule puissance monarchique catholique à faire front à l’Angleterre et à la ligne des pays libéraux et républicains de plus en plus nombreux en Europe.

LE SECOND EMPIRE

Soutenu par l’élite bourgeoise et libérale, Napo­léon III prend le pouvoir par le coup d’État de 1852. Ce carbonaro couronné veut être l’homme de la démocratie et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. À l’intérieur, il rassure les petites gens des campagnes et donne satisfaction aux hommes d’argent. À l’extérieur, il détruit les traités de 1815. « Il faut donner à l’Empire, disait-il, une signification immense de nationalité et de grandeur. » Les patriotes italiens et allemands, qui savent que leur unité dépend de l’appui d’une puissance extérieure, ont compris qu’ils trouveraient en Louis-Napoléon un protecteur.

L’Italie de 1860 à 1870À cette époque, l’Italie est sous domination autrichienne, sauf les États pontificaux, composés de la Romagne et du Latium, le Piémont et le royaume des Deux-Siciles (cf. carte de l’Italie). Le franc-­maçon Cavour, ministre du roi de Piémont-­Sardaigne, Victor-Emmanuel II, qui souhaite faire l’unité des royaumes d’Italie sous l’étendard de la Révolution, est reçu en secret par l’empereur. Napoléon III promet d’aider l’Italie contre l’Autriche, à condition que l’on ne porte pas atteinte à l’intégrité des États pontificaux, car une grande partie des catholiques français soutient son régime. Cavour accepte, mais se garde bien d’avouer son intention de trahir les clauses de l’accord au moment opportun. Pour l’heure, le Piémont provoque l’Autriche qui déclenche la guerre. Napoléon III répond en se rendant en Italie en mai 1859. La victoire de Magenta nous livre Milan. Solferino, effroyable tuerie qui affaiblit notre armée, nous donne la Lombardie que la France rétrocède gracieusement au Piémont...

Naturellement, Louis-Napoléon ne s’attire aucune reconnaissance des Italiens qui veulent toute la péninsule, y compris les États pontificaux. Dans un premier temps, Cavour suscite des soulèvements dans les États du centre (duchés de Toscane, de Modène, de Parme, sans toucher aux États du pape) et fait élire des assemblées constituantes qui demandent ouvertement leur rattachement au Piémont. Napoléon III comprend qu’il a été trompé, mais prisonnier du principe du droit des peuples, il laisse s’accomplir le vœu d’unité italien.

Restent les États pontificaux et le royaume de Naples. Les enragés d’extrême gauche, rivaux du parti de Cavour, que sont Garibaldi et ses chemises rouges conquièrent Naples en 1860 et menacent Rome. Habile, Cavour, voulant se faire passer pour modéré, propose à Napoléon III que les troupes piémontaises prennent de vitesse Garibaldi et occupent les États pontificaux, sauf Rome et le Latium. L’empereur, dépassé par les événements, accepte. La bataille de Castelfidardo contre les zouaves le 11 septembre 1860 donne la Romagne au Piémont.

Napoléon III, conscient que Cavour n’en restera pas là, envoie des troupes françaises dans Rome pour s’interposer afin d’empêcher les révolutionnaires d’entrer, mais aussi pour interdire aux zouaves de gagner, comme ils ont montré qu’ils pouvaient le faire à Mentana le 3 novembre 1867. Cette politique intenable s’effondre en 1870 avec le rappel de nos troupes en France, notre défaite à Sedan et la chute de l’empereur.

Les apparitions de Notre-Dame à Lourdes en 1858 et le prix du sang versé par les zouaves en Italie valent tout de même à l’Église une double victoire contre le libéralisme qui sera d’une immense portée : la condamnation par le bienheureux Pie IX de l’hérésie libérale par la publication du Syllabus en 1864 et la définition du dogme de l’infaillibilité du Souverain Pontife au concile du Vatican en 1870. Avec la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception en 1854, ces deux mesures, marquées du sceau de la vérité divine, demeurent à jamais comme des pierres d’attente sur lesquelles sera reconstruite la Chrétienté monarchiste à l’heure de l’Immaculée.

En Allemagne, Guillaume Ier et son chancelier Bis­marck sont ennemis du libéralisme, et, dans la lignée de leur luthéranisme, cherchent la grandeur de la Prusse et des Hohenzollern. Mais l’Allemagne s’alliera toujours de préférence avec la libérale Angleterre contre les monarchies catholiques, car saxonne et protestante comme elle. Pour Bismarck, l’objectif est clair : « Il n’y a pas de place pour deux, il faudra lutter contre l’Autriche pour notre existence même. » Et encore : « L’intérêt de la Prusse est pour moi le seul poids normal qui doive entrer dans la balance de notre politique, il faut réaliser l’unité allemande par le fer et par le sang. » L’Empire allemand sera donc prussien, autoritaire et antiautrichien ou ne sera pas.

La Confédération Germanique (1815-1866)D’un point de vue géopolitique (cf. la carte sur l’Allemagne), il s’agit de faire la jonction entre la Rhénanie et la Prusse en forçant tous les États du centre (Hanovre, Thuringe, Saxe, Bavière, etc.) à se placer sous son autorité, ce que ces derniers refusent. Par lignage et par catholicisme, ils sont attachés à l’Autriche.

Bismarck s’y prendra donc en deux temps : éli­miner l’Autriche et fédérer les États allemands dans une guerre commune contre la France.

Pour abattre son adversaire du sud, Guillaume Ier et Bismarck remilitarisent leur royaume en passant outre l’obstacle parlementaire et cherchent à obtenir de la Russie et de la France leur neutralité en cas de conflit.

Bismarck s’attire la bienveillance de la Russie en apportant son soutien à Alexandre II dans la répression de l’insurrection po­lonaise de 1863.

Quant à la France, son soutien lui est presque acquis. Le parti républicain et libéral est pro-­allemand. « L’unité de l’Allemagne comme l’unité de l’Italie, lisait-on dans Le Siècle, journal libéral, c’est le triomphe de la révolution. » Tous les politiciens de l’époque, Bainville les cite tous, sauf Thiers qui calcule déjà de remplacer Louis-Napoléon, sont pour la Prusse. D’ailleurs, Bismarck s’est vanté d’avoir distribué des subsides aux journaux français, finan­cement qu’il a arrêté le jour où il a déclaré la guerre contre la France.

En plus, Bismarck fait entrer plus avant ce grand benêt de Napoléon III dans sa politique grâce à ce qu’on a appelé l’af­faire des duchés. Le souverain danois, qui possède les duchés de Schleswig, Holstein et Lauenbourg sur la frontière nord de l’Allemagne, meurt. Ses sujets, germanophones, se prononcent non pour l’héritier danois direct, mais pour un prince allemand. Bismarck les soutient et entraine l’Autriche à le suivre. On fait le partage : la Prusse prend deux duchés, Vienne le Holstein, mais qu’elle ne peut pas défendre à cause de sa situation géographique éloignée. C’est un piège que Bismarck refermera en l’annexant pour créer un conflit avec l’Autriche.

Pour empêcher la France d’intervenir dans ce conflit à venir, le chancelier se rend à Biarritz en septembre 1865 et conclut un accord avec Napoléon III : en échange de sa neutralité, il lui promet des compensations territoriales en Vénétie et sur le Rhin. Napoléon accepte et se rend ainsi gravement coupable de trahison contre la Chrétienté et contre l’équilibre européen.

L’année suivante, l’armée prussienne est prête. Le ministre von Roon et le chef d’état-major von Moltke ont totalement réorganisé et modernisé l’armée. Elle est dotée d’un moins bon fusil que le Chassepot français, mais elle possède les premiers canons avec chargement par la culasse, le canon Krupp, et elle utilise les nouveaux moyens de communication que sont le télégraphe et les chemins de fer.

En juin 1866, l’armée prussienne envahit le Holstein, ce qui est condamné par la quasi-totalité des États allemands. Bismarck répond en annonçant qu’il considère la Confédération germanique comme dissoute. L’issue du conflit est donc déterminante. La Prusse unifiera l’Allemagne ou sera éliminée.

Après avoir battu Saxons, Bavarois et Hanovriens, Bismarck écrase l’armée autrichienne à Sadowa le 3 juillet 1866. En marchant sur son cœur, François-­Joseph avait demandé à la France son aide, mais par haine de l’Autriche, de son absolutisme et de son catholicisme, Louis-Napoléon la lui avait refusée sans calculer qu’il perdait ainsi sa seule chance de salut. Il présente même à son peuple la victoire de la Prusse comme un progrès d’unification européenne.

Seulement, la Prusse inflige une telle défaite à l’Autriche, que la France a beaucoup à craindre pour elle. Il faut réorganiser l’armée, ce que le maréchal Niel presse de faire. Mais les parlementaires républicains s’y opposent. « Jamais l’Allemagne de Kant ne fera la guerre à la France de Rousseau », déclarent-ils. Le premier ministre Émile Ollivier fait réduire le contingent et déclare : « Que la France désarme et les Allemands sauront bien convaincre leurs gouvernements de l’imiter. »

Le 19 juillet 1870, Bismarck déclenche la guerre par la fameuse dépêche d’Ems, quarante ans jour pour jour après l’annonce faite par la Reine du ciel à sainte Catherine Labouré en 1830. Le châtiment de ce régime français impie est arrivé. La France est isolée. Ni l’Angleterre ni l’Italie qui ne pense qu’à prendre Rome ne viennent secourir la France. Le 2 septembre, c’est la capitulation à Sedan. Le 4, Léon Gambetta proclame la République à l’Hôtel de Ville de Paris. Mais incapable de défendre la capitale, le gouvernement s’enfuit à Bordeaux où il finit par accepter une paix draconienne qui nous ôte, sans tenir le moindre compte des vœux des populations concernées, l’Alsace et la Lorraine du nord. Surtout, Bismarck, comme il l’avait escompté, scelle l’unité allemande par la guerre nationale menée contre la France. L’Empire allemand est proclamé à Versailles, dans le château des rois de France, le 18 janvier 1871.

VERS LA GUERRE : 1914 – 1918

Le personnage clef qui précipite la victoire du libéralisme dans le monde et qui aboutira à la Grande guerre est le pape Léon XIII. Élu en 1878, il prend le contrepied de la politique du bienheureux Pie IX. Rêvant de séduire et de s’entendre avec les gouvernements du monde entier, y compris ennemis de l’Église, par l’intermédiaire de sa Secrétairerie d’État et de ses diplomates, Léon XIII se rend au libéralisme et brise toute résistance catholique existante. Ses décisions les plus folles sont, en Allemagne, la neutralisation du Zentrum, le seul parti catholique capable de faire obstacle au Kulturkampf de Bismarck, et, en France, l’obligation, en 1893, de se rallier à la République.

Heureusement, ces mesures insensées trouveront leur redressement, au moins doctrinal, dans la condamnation de la démocratie chrétienne par saint Pie X en 1910 et par les extraordinaires Apparitions de Notre-Dame à Fatima en 1917 qui provoqueront l’arrivée de Salazar et avec lui un retour à la ­Chrétienté.

La Monarchie Austro-HongroiseAprès la défaite de Sadowa, l’Autriche est confrontée à une suite de revendications libérales et nationalistes qui obligent François-Joseph à lâcher du lest en abandonnant le centralisme et en instituant un système dualiste qui transforme l’Empire en une double monarchie, l’Autriche-Hongrie (cf. la carte de l’Autriche-Hongrie). Cela réveille les appétits et les oppositions des peuples de langue allemande, slave, tchèque, slovaque, croate, slovène, magyare, hongroise, de religion catholique, orthodoxe, protestante, musulmane qui la composent. Seul l’empereur a le souci de maintenir l’unité du pays et de sauver l’équilibre européen, mais il dispose de peu de marge de manœuvre.

Pour se renforcer, il est poussé à se tourner vers les Balkans où plusieurs États vassaux de l’Empire ottoman en déclin cherchent à secouer le joug turc. La Roumanie, la Grèce, le Monténégro, la Serbie obtiennent une certaine autonomie. Cette dernière aspire à constituer une grande Serbie  en étendant son influence à l’ensemble des Slaves du sud, la Yougoslavie actuelle.

La Bulgarie (1878)Pour libérer la Bulgarie orthodoxe et étendre son influence politique et religieuse, la Russie envahit la Turquie en 1877, mais est arrêtée aux portes de Constantinople par l’Angleterre qui menace d’inter­venir. Elle refuse que la Russie obtienne un débouché sur la mer Égée par Bulgarie interposée. Finalement, par le traité de Berlin (1878), Bismarck, sollicité d’intervenir, donne l’indépendance ou une certaine autonomie à la Roumanie et aux pays de la région des Balkans qui les réclament (Monténégro, Serbie, Bulgarie), mais divise volontairement ces territoires pour affaiblir l’emprise de l’Autriche-Hongrie et de la Russie sur cette région. Ainsi, la “ grande Bulgarie ” libérée par la Russie est divisée en trois territoires (cf. la carte de la Bulgarie, à droite), ce qui empêche les Russes d’avoir accès à la Méditerranée. En Bosnie-Herzégovine, seul le domaine administratif est confié « à titre provisoire » à l’Autriche-Hongrie, tandis que le territoire reste sous domination ottomane.

La multiplication de petites principautés dans les Balkans favorisera les luttes d’influence entre l’Autriche et la Russie dans cette région et sera la source du conflit de 1914.

La Russie, très arriérée sociologiquement, s’éveille à la révolution industrielle et à la vie intellectuelle. Il se crée un mouvement libéral et révolutionnaire qui se terminera par les crises de 1905 et par la révolution de 1917.

L’Allemagne devenue empire se renforce. Bismarck fait l’unité de l’Allemagne par le Kulturkampf protestant contre le catholicisme. Après son départ en 1890, Guillaume II poursuit sa politique en développant considérablement l’armée et la marine.

L’Angleterre s’est dotée d’un empire immense et totalise à elle seule un quart du commerce mondial. Mais des signes de faiblesses apparaissent. Elle perd son rang de première puissance commerciale au profit des États-Unis dans les années 1870. En 1899, en Afrique du Sud, elle vainc les Boers, descendants des colons hollandais, mais au prix d’horribles massacres et de pertes immenses qui nuisent à sa réputation impériale. Surtout, elle ne comprend pas l’Europe nouvelle qu’elle a pourtant contribué à créer en soutenant la Prusse. Ce n’est qu’en 1904 qu’elle s’alarme de la menace que représente l’Allemagne. Elle cherche alors à s’allier avec la Russie et la France et se lance, jusqu’à ce que la guerre éclate, dans une course effrénée à la construction navale pour maintenir la puissance de sa Royal Navy deux fois supérieure à celle de la marine allemande.

En 1875, la Sainte Vierge apparaît à Pellevoisin où Elle manifeste qu’Elle est toujours Reine :

« Et la France, que n’ai-je pas fait pour elle ! Que d’avertissements, et pourtant encore elle refuse d’entendre ! La France souffrira. Courage et confiance. » Elle est Reine, mais le temps du châtiment est venu.

En France, Mgr Freppel avait déclaré en octobre 1870, dès la chute de Napoléon III : « La proclamation de la République a réveillé toutes les mauvaises passions [...]. Dès que les Prussiens seront partis, nous aurons à lutter contre le matérialisme et les athées. » (Mgr Freppel, frère Pascal, t. II, p. 20) Et effectivement, en 1877, la France choisit le pire des régimes. C’est la République des républicains, l’expulsion des curés et des religieux, la rupture du concordat. C’est la faiblesse constitutive de l’État, l’explosion de scandales comme celui de Panama. C’est la démoralisation de la patrie, la diffusion du pacifisme et du socialisme, la destruction de notre justice, de notre armée, de notre service de renseignements et surtout du principe d’ordre avec l’affaire Dreyfus. C’est l’illusion de notre diplomatie qui, en exagérant les effets de l’entente cordiale, nous fait imaginer que les Russes nous protégeront sans que nous n’ayons besoin de fournir aucun effort de guerre.

Maurras au contraire, par son empirisme organisateur, prévoit l’imminence de la guerre et demande qu’on réarme. Mais le gou­vernement antimilitariste décide de réduire le budget militaire de cinquante millions-or en 1905 à vingt millions-or en 1914, lorsque l’Empire allemand ne cesse d’accroître sa puissance militaire. L’Action française, dès lors, ne cesse de dénoncer l’incurie de la République et c’est ainsi que nous entrons dans la guerre meurtrière de 1914-1918.

LA CONFÉRENCE DE VERSAILLES

Après la guerre, la conférence de la paix s’ouvre à Versailles le 18 janvier 1919. Trente-deux nations y sont représentées. Les délibérations sont assurées par le “ Conseil des Quatre ”, États-Unis, Angleterre, France et Italie, c’est-à-dire par les pays les plus acquis aux idées libérales et révolutionnaires. Le président Wilson proclame, à travers ses 14 points, l’instauration du libre-échange, le Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, la nécessité de la démocratie, et tous les sacrifices que cela réclamera. Le traité de Versailles marque la victoire du libéralisme politique et économique anglo-saxon imposé à toutes les nations.

Ainsi, la Pologne est reconstituée. Cet immense pays, dont les frontières sont absolument conventionnelles, possède une anomalie : le couloir de Dantzig qui coupe la Poméranie allemande en deux. Ce sera, comme l’a prévu Bainville, l’origine d’une nouvelle guerre.

On ne se prive pas de dire à l’Allemagne qu’elle est gravement coupable. Mais l’œuvre de Bismarck est respectée : l’unité allemande est non seulement maintenue, mais renforcée. Elle échappe à deux périls certains : la révolution bolchevique et le séparatisme des provinces rhénanes et de la Bavière catholique. Les Américains tiennent à restaurer la puissance allemande pour équilibrer les puissances des pays d’Europe et créer des marchés qui lui soient profitables. Ils ne veulent pas d’une France forte. Celle-ci sera très vite mise comme en état d’accusation de vouloir faire souffrir l’Allemagne.

En revanche, pour respecter le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, on n’hésite pas à arracher les peuples de l’Autriche-Hongrie au pouvoir légitime de leur empereur catholique Charles Ier de Habsbourg et à réduire l’ancien empire à une malheureuse petite Autriche sans débouché sur la mer et amputée de la Hongrie, du Tyrol, des pays slovènes et de tous les territoires situés au nord de Vienne. Elle est dominée par la nouvelle Tchécoslovaquie qui rassemble en République des peuples sans liens les uns avec les autres.

La Hongrie est séparée de l’Autriche, comme les progressistes et les libéraux hongrois le souhaitaient, à l’encontre de leur foi catholique et de leur système féodal et agraire encore très conservés.

Enfin est formée la Yougoslavie. Une monstruosité qui associe des pays de quatre religions différentes : catholicisme, luthéranisme, orthodoxie et islam. Ce pays demeurera une menace perpétuelle pour l’avenir.

CONCLUSION

Les 14 points de Wilson et le traité de Versailles, signé le 28 juin 1919, marquent la victoire du système anglo-saxon protestant et, avec le démantèlement de l’Autriche-Hongrie, la mort du système catholique et monarchique. En appliquant à la lettre l’absurde principe révolutionnaire des nationalités, l’équilibre séculaire européen, remis en cause en 1789, a, en cent trente ans, volé en éclats. Le traité de Versailles marque la disparition du droit des gens, de la coutume, en vigueur dans les monarchies. Sous le signe de la franc-maçonnerie et par sa machine à broyer les nations catholiques, ce traité entérine le triomphe du libéralisme politique et économique et la construction d’un enfer laïc et collectiviste mondial.

Comprenons à quel point l’Église et les rois ont des ennemis qui cherchent leur mort. Les rois ont mission de les réprimer par la justice et par la force. L’Église doit garder intact le dogme de la foi et condamner toute idée fausse et toute hérésie. Si l’un des deux pouvoirs vient à manquer à sa mission, tous deux sont en péril. Ils sont si essentiels au bien humain, au bien divin des nations, que la contestation de leur légitimité ne peut que préluder, comme on l’a vu, aux bouleversements apocalyptiques du monde moderne. Si nous voulons revivre en paix, nous n’aurons pas d’autres choix que de revenir au Sacré-Cœur et au Cœur Immaculé de Marie, vrais Roi et Reine de France, qui nous donneront un Souverain Pontife et un roi de France sacré à Reims selon leurs Cœurs.

Frère Michel de l’Immaculée Triomphante et du Divin Cœur.