Il est ressuscité !

N° 231 – Avril 2022

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


In memoriam

Le beau règne de Marie-Thérèse Fortier

Notre Père chez ses bons amis Fortier, en 1993, à Saint-Isidore-de-Clifton.
Notre Père chez ses bons amis Fortier, en 1993, à Saint-Isidore-de-Clifton.

LA CRC canadienne est en deuil. Le 10 mars dernier,  dans sa quatre-vingt-dix-neuvième année, s’éteignait, à l’hôpital de Sherbrooke, Marie-Thérèse Fortier, que tous appelaient « Grand-maman Fortier ». Quelques jours plus tôt, à l’une de ses petites-filles qui pleurait de la voir en partance pour le Ciel, elle avait tout simplement répondu : « Je vous l’avais bien dit que je n’étais pas éternelle. » C’est qu’on avait fini par l’oublier, ou plutôt on pensait que le Bon Dieu nous la garderait encore bien longtemps pour que cette fidélissime amie continue à nous édifier et être un modèle pour tous.

Retraçons en quelques lignes l’histoire de cette famille que notre Père aimait tant.

C’est en 1944 que Gérard et Marie-Thérèse unirent leurs destinées à Saint-Isidore d’Auckland, petit village de colonisation récente, au sud de Sherbrooke, non loin des lignes américaines. Il s’ensuivit trente années de vie éprouvée sur une petite exploitation agricole, illustrant la parole du saint curé d’Ars à ses bons paysans : « Toujours miséreux, jamais misérables. » Ils étaient soutenus par leur foi ancestrale, les sacrements et les institutions paroissiales, dont ils étaient des membres actifs, sous la direction d’excellents curés.

La Révolution tranquille assortie de la Révolution conciliaire allait bouleverser ce bel ordre. Pour contrer la réforme scolaire qui, par la création des polyvalentes, arrachait les enfants aux familles, les Fortier préfèrent, au prix d’une plus grande pauvreté, vivre en semaine dans un appartement à Sherbrooke, tandis que le papa allait travailler comme bûcheron aux États.

À la fin des années soixante, le curé de Saint-Isidore s’opposa aux réformes conciliaires et, tout particulièrement, à la nouvelle messe. C’est lui qui fit connaitre à ses meilleurs paroissiens le mensuel « La Contre-Réforme catholique » et certains enregistrements de notre Père sur cassette. Les Fortier ne tardèrent pas à adhérer à cet enseignement si sage.

Aussi, en novembre 1974, ils n’hésitèrent pas à se rendre à Montréal pour écouter notre Père qui y donnait sa première conférence en terre canadienne, invité par un saint prêtre, l’abbé Saey, également bien connu d’eux.

En 2006, grand-maman écrivit à notre sœur Julie, l’une de ses petites-filles, le récit de cette rencontre mémorable, avec une précision confondante :

« La rencontre s’est produite en novembre 1974 à Montréal. Sa conférence : Où va l’Église ?  expliquait le modernisme et le progressisme. C’était le titre d’un opuscule de Mgr Plourde, archevêque d’Ottawa. Ses vues n’étaient pas les mêmes que celles du Père. Notre religion repose sur trois clous d’or... »

Suit un résumé précis de la conférence, qui se termine ainsi : « Tu peux comprendre comme cette conférence nous avait enchantés. Des applaudissements enthousiastes dans la salle. C’était ensuite la période de questions. Et, tout à coup du fond de la salle, un beau drôle qui faisait partie d’une délégation de l’archevêché de Montréal s’est levé pour nous dire que l’abbé de Nantes était suspendu ” (sic). Des exclamations ont jailli et ça a été un tumulte. Le Père est resté très calme. L’interrupteur a continué en disant : Ce prêtre que vous pouvez prendre pour un grand saint est un prêtre disqua­lifié qui a été suspendu.  Le Père lui a dit : Puisque vous êtes si fort, que vous voulez mettre en garde ces pauvres gens, dites-leur ce que veut dire disqualifié et apprenez-leur où est mon erreur. Vous avez la parole.  Applaudissements. Le drôle a continué d’ergoter (...). L’assistance commençait à s’échauffer. Les uns criaient : Sortez-les. Les gens étaient exaspérés contre ces intrus. Nous nous sommes aperçus, ton grand-père et moi, que nous avions les poings serrés. Finalement, le Père toujours calme a vu la paix revenir dans la salle et tout s’est terminé par l’Ave Maria »...

Ce fut le début d’une amitié indéfectible de disciples, fondée sur une adhésion sans faille à la vérité. Lors de son second séjour canadien, en 1979, notre Père les visita pour la première fois. Il en garda un souvenir impérissable, admirant immensément l’intelligence, l’acuité avec lesquelles ce couple, dans sa petite ferme perdue au fin fond de la campagne canadienne, comprenait et suivait le combat CRC. On ne parla que de cela, au point que notre Père n’avait pas su qu’ils avaient aussi six enfants et déjà trois petits-enfants.

Dès lors, chaque visite de notre Père au Canada devait obligatoirement compter une étape à Saint-Isidore ! Grand-maman honorait « la belle visite » de ses innombrables pâtisseries maison, qu’on dégustait tout en parlant théologie et politique.

Tout au long de l’année, elle prenait parfois la plume pour écrire de longues lettres à notre Père, toujours appréciées et lues à la communauté. En 1976, elles leur valurent ce rare éloge : « Je vois en vous lisant que vous me comprenez parfaitement, vous, si loin ! si isolés ! mieux que tant de grands intellectuels de Paris !!! »

Évidemment, le 12 juin 1982, Marie-Thérèse était au premier rang des amis venus à l’aéroport de Montréal accueillir les deux frères que notre Père envoyait fonder la maison Sainte-Thérèse. Il fut décidé que, après les deux jours qu’ils devaient passer chez l’abbé Saey à Montréal, l’étape suivante serait Saint-Isidore où ils trouvèrent tout comme notre Père leur avait dit, à commencer par une confiance sans limite envers ces deux petits jeunes... tout simplement parce qu’ils étaient envoyés par le Père. Mais celui-ci les avait avertis : « Vous ne ferez pas les malins au Canada, car vous y trouverez des CRC depuis plus longtemps que vous et meilleurs que vous ! »

Dès le printemps 1983, notre Père donna la permission aux frères de réunir les amis pour une journée de convivialité à la cabane à sucre des grands-parents Fortier et à celle de leurs enfants, pour bénéficier de ce qu’il déclara être le « huitième sacrement, inventé par le Bon Dieu pour faire revivre les Canadiens-français après leur long hiver » : le sirop d’érable, à la cabane. La journée commençait par une messe à l’église du village, que le curé, même progressiste, ne pouvait refuser, grand-maman n’était-elle pas depuis des années l’inlassable secrétaire bénévole de la paroisse ? Elle s’attira ainsi l’estime de tous les prêtres qui se sont succédé à Saint-Isidore, estime qui rejaillissait sur la CRC.

À ces réunions annuelles, s’ajoutait l’assistance régulière au cercle de Sherbrooke dont leur fille, Gisèle, était et est encore la chef de cercle. Ils ne manquaient pas non plus toutes les activités importantes à la maison Sainte-Thérèse, toujours heureux de retrouver la communauté qu’ils aidaient bien souvent de leur nécessaire plutôt que de leur superflu. Et on ne s’étonne pas de les voir parmi les premiers Canadiens à faire acte d’allégeance à la Communion phalangiste en 1985.

À partir de 1994, leur âge les contraint à ralentir un peu leur activité. Grand-papa se concentra sur l’entretien de son érablière qu’il léguerait à ses enfants et petits-enfants ; Grand-maman, outre le jardin et la paroisse, s’était constitué une bibliothèque de plus de 4 000 bons livres qu’elle prêtait à ses petits-enfants.

La mort de leur fils André en 2005, puis celle de Gilles, leur deuxième fils, en décembre 2011, quelques jours avant la mort de son Gérard après une longue maladie, furent les dernières grandes épreuves de Grand-maman. Elle les supporta avec sa foi et sa dignité habituelles, et sans que cela vienne étouffer son enthousiasme pour le combat de la CRC. Peu de temps avant, elle avait dû se résigner à quitter la petite maison de Saint-Isidore, si chère à son cœur puisqu’elle avait été le théâtre de tant d’actes de vertus de son époux et de ses enfants ; des siens aussi, mais eux, elle ne les voyait pas.

Devenue pensionnaire de l’ancien monastère des ré­demptoristes de Sherbrooke, transformé en résidence pour personnes âgées, ses jours s’écoulèrent tous semblables, mais éclairés par les nombreuses visites de ses enfants, de ses brus et de ses gendres, ses 18 petits-enfants, ses 47 arrière-petits-enfants, et ces derniers mois, ses deux arrière-arrière-petits-enfants ! Elle était évidemment fidèle à la lecture mensuelle d’Il est ressuscité, qu’elle lisait pratiquement en un jour, avant d’en reprendre plus tranquillement la lecture, une ou deux fois, pour bien assimiler le contenu des articles. Bientôt, elle s’initia au site CRC, et quand elle sut profiter de la VOD... ce fut le bonheur total, qui atténua considérablement l’isolement exigé par les mesures sanitaires contre la covid.

Comme elle avait eu six enfants, elle avait attribué à chaque jour de la semaine la famille de chacun pour qui elle offrait ses prières et ses sacrifices ; quant au septième jour, le dimanche, il était évidemment pour nos communautés, leurs « dirigeants » et les amis phalangistes.

C’est à quelques jours de ses quatre-vingt-dix-neuf ans qu’une défaillance cardiaque et rénale la conduisit à l’hôpital, où elle fit l’édification de tous par sa gentillesse et sa patience avec les infirmières, y compris les stagiaires souvent maladroites. Elle offrait toutes ses petites souffrances pour les siens et la CRC, elle put se confesser et recevoir les derniers sacrements, et... organiser ses funérailles, ayant aussi le bonheur de revoir tous les siens, un par un, recevant leurs recommandations et leurs marques d’affection avec beaucoup d’émotion.

Le matin du 10 mars, se sentant plus faible et souffrant davantage, elle appela l’infirmier qui lui donna un calmant ; avant qu’il ne la quitte, elle lui réclama son crucifix. Quand l’infirmier revint quelque temps plus tard, il la trouva morte...

Pour leurs cinquante ans de mariage, grand-papa s’était essayé à se faire poète pour exprimer publiquement son affection à sa chère Thérèse. Notre Père avait tellement apprécié ces quelques vers sans prétention, mais qui expriment si bien l’amour humain sanctifié par la fidélité à la grâce et à la vérité selon son enseignement, qu’il les publia dans la Contre-Réforme catholique de décembre 1994 :

« Après cinquante ans de notre vie,
Je me réjouis d’être ton mari.
J’aurais aimé aussi être ton enfant
Car tu es une bonne maman.
Dans les épreuves, la maladie et les accidents,
Je pouvais compter sur toi tout le temps,
Quand on est jeune, on est amoureux,
Mais quand on vieillit, c’est encore mieux,
Si un jour le Bon Dieu
Nous prend dans son Ciel tous les deux
Ce sera merveilleux. »

Eh bien voilà, c’est fait, et c’est merveilleux.

frère Pierre de la Transfiguration.