Il est ressuscité !

N° 267 – Juin 2025

Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard


CAMP NOTRE-DAME DE FATIMA 2024 
La “ France de Marie 

1883 - 1947 
L’étoile des petites âmes 

DANS une jolie chambre blanche des “ Buissonnets ”, maison bourgeoise située dans la périphérie de Lisieux, ce dimanche de Pentecôte 13 mai 1883, Thérèse, la benjamine de la famille Martin, âgée de dix ans et appelée par son père “ la petite Reine ”, est en proie à un délire qui ressemble fort à une possession diabolique.

L’apparition de la Vierge du Sourire, le 13 mai 1883
L’apparition de la Vierge du Sourire, le 13 mai 1883. L’auteur de ce tableau, sœur Marie du Saint-Esprit, carmélite de Lisieux, a tenu à la représenter comme une vraie apparition, en suivant le témoignage d’une novice de sainte Thérèse : « Elle m’a aussi raconté comment la Très Sainte Vierge l’avait guérie miraculeusement et comment, dans cette circonstance, la statue de la Sainte Vierge avait disparu à ses yeux et avait été remplacée par la vision distincte de la Mère de Dieu. » (sœur Marie de la Trinité)

« Je crois que le démon avait reçu un pouvoir extérieur sur moi, mais qu’il ne pouvait approcher de mon âme ni de mon esprit, si ce n’est pour m’inspirer des frayeurs très grandes de certaines choses », raconte-t-elle dans l’Histoire d’une âme.

Notre Père y voyait un figuratif de l’Église en proie à la désorientation diabolique des derniers temps.

« Mais le démon ne savait pas que la douce Reine du Ciel veillait sur sa fragile petite fleur. Un jour, je vis Papa entrer dans la chambre de Marie où j’étais couchée ; il lui donna plusieurs pièces d’or avec une expression de grande tristesse et lui dit d’écrire à Paris et de faire dire des messes à Notre-Dame des Victoires pour qu’elle guérisse sa pauvre petite fille. Ah ! que je fus touchée en voyant la Foi et l’Amour de mon Roi chéri ! J’aurais voulu pouvoir lui dire que j’étais guérie, mais je lui avais déjà fait assez de fausses joies, ce n’était pas mes désirs qui pouvaient faire un miracle... Ce fut Notre-Dame des Victoires qui le fit. »

Ses sœurs s’étant jetées à genoux en prière autour du lit, Thérèse se tourna vers la statue de l’Immaculée qui se trouvait sur le côté et, tout à coup, « la Sainte Vierge me parut belle, si belle, que jamais je n’avais vu rien de si beau, son visage respirait une bonté et une tendresse ineffables, mais ce qui me pénétra jusqu’au fond de l’âme, ce fut le ravissant sourire de la Sainte Vierge ».

Attention ! ce n’est pas la statue qui s’est animée, mais la Sainte Vierge en personne qui est apparue et qui a délivré son enfant privilégiée... par un sourire.

Cette délivrance aussi est un figuratif puissant, prophétique, de ce que l’Église, et la France sa Fille aînée, vont vivre à la fin des temps.

Tout est signifiant : la date du 13 mai, qui annonce celle de la première apparition de Fatima, l’occurrence de la fête de Pentecôte, descente sur les Apôtres de l’Esprit-Saint, dont l’Immaculée est le sanctuaire, en qui Il se découvre et se révèle, la prière suppliante à Notre-Dame des Victoires, dont nous avons vu au cours de notre étude la place capitale que ce sanctuaire occupe dans l’Histoire sainte de France, enfin le miracle accompli sur celle que saint Pie X n’hésita pas à appeler « la plus grande sainte des temps modernes ».

Dans son beau livre “ Sainte-Thérèse de l’Enfant-Jésus et la Sainte Vierge ” (Alsatia, 1962), le R. P. Neubert, s. m., auteur renommé de nombreuses études mariales, écrit : « Je découvrais que “ la plus grande sainte des temps modernes ” était également la sainte la plus mariale dont j’avais jamais lu la biographie. Or, depuis mon entrée dans la Société de Marie, j’ai lu toutes les biographies d’âmes mariales dont j’ai eu connaissance... Les petits moyens qui ont si bien réussi à sainte Thérèse et qu’elle recommande, ce sont les moyens mêmes de la Vierge, que Thérèse n’a fait que contempler et chercher à imiter. C’est par la contemplation et l’imitation de Marie qu’elle entend sanctifier les petites âmes, qu’elle veut les ramener à la perfection de l’esprit chrétien... La mission de Thérèse est mariale cent pour cent, d’un bout à l’autre. » (p. 7)

À l’instar de sa « sœur chérie », sainte Jeanne d’Arc, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus voulait faire sacrer son Roi Jésus dans tous les cœurs, et enseigner, en porte-parole de l’Immaculée dont elle était la miniature, « de nouvelles lumières, des sens cachés et mystérieux », de façon à frayer pour les petites âmes, dans la nuit grandissante de l’apostasie, une « petite voie » sûre et droite, les yeux fixés sur l’Étoile.

SIGNE DE CONTRADICTION

Les catholiques français sont entrés à la fin des années 1870 dans une zone de turbulences, autant dans les affaires politiques que religieuses. À Paris, en février 1876, c’est la première victoire électorale des “ vrais républicains ”, radicaux et francs-­maçons, qui arrivent au pouvoir à partir de 1880 et déclenchent une guerre ouverte contre les Congrégations religieuses. L’Église de France comprend alors plus de 50 000 prêtres avec 1 300 ordinations par an. Ce clergé séculier peut compter sur l’aide de 30 000 religieux et de 130 000 religieuses. La France comprend 35 millions de catholiques, pour 600 000 protestants, 50 000 israélites et 80 000 libres-penseurs, mais ce sont ces derniers qui se partagent le pouvoir !

À Rome, en 1878, Léon XIII a succédé à Pie IX, qui laissait une Église en pleine vitalité et expansion, solidement appuyée sur les dogmes de l’Immaculée Conception et de l’infaillibilité pontificale. Mais la politique du Saint-Siège s’infléchit bientôt dangereusement dans le sens d’une conciliation avec les institutions républicaines. Il y a en conséquence, dans le camp catholique, de graves divisions dans les rangs, et Notre-Dame s’en plaint tristement à Pellevoisin : « Il y a quelque chose... » Elle n’en a pas dit plus, mais le 8 décembre 1876, lors de la dernière apparition, Estelle Faguette la voyante a vu se former devant elle deux groupes de personnes : le premier la menaçait, le second la soutenait, « moi et la Sainte Vierge ». Notre-Dame est donc « signe en butte à la contradiction », comme son Fils (cf. Lc 2, 34), tout en étant « chargée de tout l’ordre de la Miséricorde ».

Dans le premier groupe, on trouve les libéraux, incorrigiblement fermés aux appels du Ciel, – car, selon eux, le Ciel n’a pas à se mêler de politique –, mais qui se targuent maintenant de science. Ce sont les modernistes, avec en tête, l’abbé Louis Duchesne qui, à l’Institut catholique de Paris, passe brutalement au crible de la critique historique nos traditions les plus vénérables ; son esprit d’indépendance allant jusqu’au persiflage lui fera accepter le poste de directeur de l’École pratique des Hautes Études, fleuron de l’université d’État, l’État républicain persécuteur. « Me voici bigame », déclare-t-il sans fausse honte ! Il eut pour élève et successeur Alfred Loisy, qui porta ce mouvement de révision générale dans le domaine de l’exégèse et du dogme, jusqu’à perdre la foi. Il y avait aussi le bataillon des abbés démocrates qui, aux Congrès de Reims (1896) et de Bourges (1900), envisageaient une réforme radicale de l’Église, d’où la dévotion mariale serait évidemment exclue, du moins dans ses formes traditionnelles.

Plusieurs évêques faisaient partie de ce camp “ réformiste ”, parmi lesquels Mgr Servonnet, nommé archevêque de Bourges par Léon XIII en 1897. Rallié de longue date à la République et courtisan du gouvernement, – c’est à lui que le pape rappela ses consignes de ralliement en avril 1899, avant de consacrer le monde au Sacré-Cœur –, il n’eut de cesse de « démolir » Pellevoisin, calomniant atrocement Estelle Faguette, jusqu’à fermer le sanctuaire des apparitions ! En août 1901, il se rendit à Rome où Léon XIII lui fixa sa ligne de conduite :

« Vous ne pouvez prononcer un jugement favorable, mais n’en prononcez pas non plus de défavorable à cause du trouble des âmes qui en résulterait. Adoptez un régime de mesures très prudentes, par lesquelles le récit, le souvenir des faits particuliers, des apparitions de Pellevoisin qui ne sont pas démontrées et donnent lieu à de telles objections, soient atténués peu à peu, et que l’on conserve en cet endroit le culte pur ( !) de la Très Sainte Vierge, votre Bonne Mère. » (Estelle Faguette, par S. Bernay, p. 263) Pur... de tout engagement monarchique, ralliement oblige !

LE CARACTÈRE DU FRANÇAIS

« Tu t’es privée de ma visite le 15 août, tu n’avais pas assez de calme. Tu as bien le caractère du Français. Il veut tout savoir avant d’apprendre, et tout comprendre avant de savoir. Hier encore je serais venue, tu en as été privée. J’attendais de toi cet acte de soumission et d’obéissance. » (neuvième apparition de Pellevoisin, 9 septembre 1876)

« Êtes-vous bien certaine d’avoir entendu un tel langage ? demandait-on à Estelle Faguette.

Oui, absolument. Mais Marie souriait si aimablement qu’un Français en la voyant et en l’entendant, ne saurait être froissé. » (cité par le Père Hugon, o. p. , Pellevoisin au regard de la théologie, 1915).

REGARDEZ L’ÉTOILE !

Voyons maintenant quelques figures de vrais et francs catholiques. En réalité, ils étaient innombrables à se presser dans les sanctuaires marials et à s’y dévouer corps et âme. Citons par exemple la très ardente et vraie mystique “ Lucie – Christine ”, dans le monde Mathilde Boulde, qui se rendit en pèlerinage à Lourdes en septembre 1884, et là, devant la grotte des apparitions :

« Mon âme fut saisie d’un transport soudain et ineffable, en voyant intérieurement la Vierge immaculée de Lourdes... Je vis sa céleste douceur, son incomparable pureté, qui imprégnaient mon âme. Je sentis aussi son amour pour nous pauvres pécheurs... Elle me montra son vouloir miséricordieux de sauver la France, mais il faut que nous y correspondions par plus de foi et de prière, et que nous implorions sans relâche ce secours qui ne demande qu’à se donner... Cet amour de Marie était comme un rayonnement céleste, et une splendeur si éclatante et si bienfaisante en même temps, qu’elle ne peut s’exprimer. » (25 septembre)

De retour chez elle, Notre-Seigneur lui dit : « Vois combien mon Cœur aime la France ; je ne pouvais lui rien donner de plus cher que ma Mère ; et je la lui ai donnée. » Paroles merveilleuses ! On se serait attendu à ce que la France ait été donnée à la Sainte Vierge, mais non, c’est la Sainte Vierge qui est donnée à la France, et comme « les dons et l’appel de Dieu sont sans repentance » (Rm 11, 29), c’est pour toujours !

Puisque nous sommes à Lourdes, disons un mot du Père Marie-Antoine, “ le saint de Toulouse ”, un saint à multiplier des miracles au nom de l’Immaculée et pour son amour ! qui affirmait sans ambages : « C’est l’Immaculée Conception de Pie IX et de la Grotte de Lourdes, qui doit tuer la Révolution et sauver le monde. » Grand ami de l’abbé Peyramale, il inaugura les processions aux flambeaux qui, encore aujourd’hui, remuent les cœurs et donnent un présage de la Jérusalem céleste. Pas question pour lui d’être un catholique à demi : « La religion et la politique ne doivent jamais se séparer. La religion est l’âme, la politique est le corps de la société. Leur union, c’est la vie, leur séparation, c’est la mort. » Aussi, face à la montée de l’anticléricalisme, il appelait au combat, à la Croisade : « Lève tes yeux, ô France chérie. Le Ciel te sourit et Jésus t’appelle : prends l’étendard de Jeanne d’Arc, le rosaire de Bernadette et l’épée de Saint Louis. Dieu le veut ! Dieu le veut ! Le serpent déroule ses replis et plus que jamais il dresse sa tête : c’est en France que Marie veut l’écraser. »

À Lyon, le curé de Saint-Eucher, l’abbé Bauron, fervent pèlerin de Pellevoisin et ami du curé Salmon, avait des accents semblables et les justifiait par une profonde compréhension des apparitions mariales de son siècle, qu’il développa au premier Congrès marial français qui se tint à Lyon du 5 au 8 septembre 1900 : « Que le démon règne en partie sur la France, c’est un fait qui frappe les yeux. Or, Marie veut reprendre possession de son royaume, convertir son peuple et le ramener à Dieu. Elle n’est pas Reine à se laisser détrôner. Il convient d’appliquer à son empire ce que nous chantons de celui de son Fils : cujus regni non erit finis. Et son règne n’aura pas de fin (Lc 1, 33). »

Le nombre et la qualité des dévouements, que suscita l’Immaculée dans son Royaume des lys, particulièrement depuis son sanctuaire de Lourdes, sont impressionnants. Ne citons qu’un dernier exemple entre cent, significatif de ce que notre Père appelait « les exigences vitales du règne de la Bienheureuse Vierge Marie : catholicisme intégral et légitimisme monarchiste » : le comte Étienne de Beauchamp (1859-1957), issu de la meilleure noblesse légitimiste du Poitou, se dévouait déjà depuis plusieurs années comme brancardier quand il reçut, un jour de 1906, un appel de Lourdes. L’État voulait mettre la main sur les sanctuaires, c’étaient les Inventaires, prélude à la spoliation qui eut lieu en 1908, « œuvre d’iniquité » parce que dans leur construction, il n’y avait pas eu un centime d’argent public. Le comte, qui venait de perdre parents, épouse et enfants, accourut et décida de mettre sa vie et sa fortune au service du sanctuaire pyrénéen, des pèlerins, surtout les malades. Pendant cinquante ans, il fut l’exemplaire président de l’Hospitalité du Salut, consacrant sa foi, son temps, son énergie, ses dons extraordinaires d’administrateur au service de sa Reine, sans partage.

UNE ÉCHELLE VERS LE CIEL

À la Chapelle-Montligeon, « modeste village de la vieille France, village éloigné des villes et caché par les forêts du Val-Dieu dans un pli des collines du Perche », un curé rempli de zèle et de compassion « pour l’âme la plus délaissée du Purgatoire », et sollicité à prier pour elle par plusieurs signes providentiels, comme la visite dans sa pauvre église d’une mystérieuse Dame à la robe bleue et au voile blanc, obtint de son évêque en 1884 la permission de fonder une petite Association ayant pour but de faire célébrer des messes en faveur des âmes du Purgatoire. On y entrait en versant un sou et, en réponse, les “ oubliés du Purgatoire ” nous aidaient dans nos nécessités spirituelles et temporelles. Peut-on imaginer manière plus concrète et plus touchante de mettre en pratique la Communion des saints, sous le regard de la Reine du Ciel, notre Mère à tous, vivants et défunts ?

Pour faire connaître son “ Œuvre expiatoire ”, l’abbé Paul-Joseph Buguet n’hésita pas à multiplier ses démarches aux alentours et de plus en plus loin, se faisant “ le commis voyageur des âmes ”, à monter une imprimerie qu’il place sous la garde de saint Joseph et qui sauve son village de la désertification, à construire bientôt en bordure de ce dernier une véritable “ basilique dans les champs ”, plus haute que la cathédrale du diocèse !

Statue de Notre-Dame de Montligeon
Statue de Notre-Dame de Montligeon, commandée par l’abbé Buguet pour orner l’autel de la basilique des âmes du Purgatoire. De sa main droite, la Vierge invite une âme à prendre patience, son tour n’est pas encore venu, tandis que, se penchant au-dessus de son bras gauche, l’Enfant-Jésus couronne l’âme délivrée des flammes purifiantes. Porta cæli, ora pro nobis !

En l’espace de peu d’années, l’Œuvre de Montligeon connut un développement et un rayonnement tels, que le petit curé pouvait écrire avec magnanimité dans son rapport de 1889 :

« De tous les points de l’univers on vient s’abriter sous l’étendard de Notre-Dame. Dans ce cortège des nations, la France tient le premier rang ; tous ses diocèses, sans exception, y sont représentés. La catholique Belgique suit les traces de son aînée ; l’Œuvre pénètre en Autriche, en Italie, en Espagne, au Portugal, en Suisse et, dans tous ces pays, elle compte de nombreux et fervents adhérents. Ce n’est point tout encore : les âmes délaissées n’ont pas d’amis plus fidèles que nos frères catholiques de Suède, de Norvège, de Hollande, d’Allemagne, d’Angleterre et de Russie. Puissent les âmes du Purgatoire écouter les prières de nos Associés d’Irlande et de Pologne et obtenir la conversion et le retour à l’antique foi des ancêtres, des peuples qui sont aujourd’hui leurs maîtres.

« L’Œuvre a pénétré sous la case de l’indien de l’Amérique du Nord comme sous la chaumière de l’habitant du Canada et des États-Unis, sous le toit du créole des Antilles comme sous la hutte des pauvres Noirs de l’Afrique, dans la demeure du colon comme sous la tente de l’arabe du désert.

« La Syrie, par la voix des fidèles amis de notre France, les Maronites, salue avec transport le nouvel étendard de la Vierge Libératrice ; sous le souffle des prédications de nos vaillants missionnaires, les âmes délaissées ont trouvé des protecteurs et des amis chez les habitants de l’Inde comme chez les peuples du Tonkin et de la Chine... »

RÉVEILLE LE PACTE DE NOTRE ALLIANCE !

Le 2 février 1904, le nouveau pape Pie X, voulant célébrer le cinquantenaire de la définition du dogme de l’Immaculée Conception, publia son encyclique “ Ad diem illum ”, non sans avoir relu le “ Traité de la Vraie Dévotion ” de saint Louis-Marie.

Par cette encyclique mariale, et par sa devise de pontificat : « Tout restaurer dans le Christ », qu’il comptait mettre en œuvre avec le secours de l’Immaculée, il remettait l’Église sur les rails de l’orthodromie et redonnait courage à ses fidèles désorientés par les directives désastreuses du pontificat de son prédécesseur Léon XIII :

« Il n’y a pas à attendre, y affirmait-il, que les attaques contre l’Église cessent jamais, car il est nécessaire que des hérésies se produisent, afin que les âmes de foi éprouvée soient manifestées parmi vous (1 Co 11, 19).

« Mais la Vierge ne laissera pas, de son côté, de nous soutenir dans nos épreuves, si dures soient-elles, et de poursuivre la lutte qu’Elle a engagée dès sa Conception, en sorte que quotidiennement nous pourrons répéter cette parole : Aujourd’hui a été brisée par Elle la tête de l’antique serpent. »

Joignant le geste à la parole, il voulut que les miracles de Lourdes soient étudiés scientifiquement et reconnus canoniquement par l’Église, à cause de leur valeur apologétique de première importance.

C’est sous son pontificat qu’en l’espace de huit ans, trente-trois guérisons miraculeuses furent reconnues.

En France, l’encyclique “ Ad diem illum ” provoqua une vague de dévotion forte et de piété ardente, mobilisant les meilleurs.

Les Bretons furent en première ligne par une suite de Congrès marials de première valeur, qui se déroulèrent dans leurs principaux sanctuaires, – Josselin, Rennes, Guingamp, Le Folgoët et Nantes –, chaque fois pour exalter un privilège nouveau de la Sainte Vierge : son Immaculée Conception, sa Maternité divine, sa Corédemption, sa Maternité de grâces et son Assomption, les trois derniers n’étant pas encore définis.

Mais les temps étaient durs, de persécutions, de spoliations et d’exils pour les religieux, aussi le Pape ne manquait pas une occasion de soutenir le courage et la foi des catholiques français. Il tint tête au gouvernement républicain, déjouant ses basses manœuvres, béatifia Jeanne d’Arc, condamna le Sillon de Marc Sangnier, qui déviait de la ligne qu’il avait fixée pour une véritable “ Action catholique ” et, dans son allocution consistoriale du 29 novembre 1911, il prédisait en termes magnifiques que le peuple de France, « qui a fait alliance avec Dieu aux fonts baptismaux de Reims », un jour se repentirait et renouerait avec sa première vocation :

« Un jour viendra et nous espérons qu’il n’est pas trop éloigné où la France, comme Saul sur le chemin de Damas, sera enveloppée d’une lumière céleste et entendra une voix qui lui répétera :  Ma Fille, pourquoi me persécutes-tu ? Et sur sa réponse : Qui es-tu Seigneur ? La voix répliquera :  Je suis JESUS que tu persécutes. Il t’est dur de regimber contre l’aiguillon, parce que dans ton obstination, tu te renies toi-même. Et elle, tremblante et étonnée, dira :  Seigneur, que voulez-vous que je fasse ? 

« Et lui :  Lève-toi ! Lave-toi des souillures qui t’ont défigurée, réveille dans ton sein les sentiments assoupis et le pacte de notre alliance, et va, Fille aînée de l’Église, nation prédestinée, vase d’élection, va porter, comme par le passé, mon nom devant tous les peuples et tous les rois de la terre. ” »

Mais en juin 1912, voyant venir la Grande Guerre, “ Il guerrone ”, en châtiment de l’impiété de nos sociétés, le Pape autorisa et bénit la pratique des premiers samedis du mois, « en esprit de réparation et en l’honneur de la Vierge Immaculée ».

Bientôt le Ciel confirmera cette pratique. Il est remarquable que l’idée de prolonger la consécration du genre humain au Sacré-Cœur, demandée à Léon XIII par la bienheureuse Marie du Divin Cœur, par le moyen d’une consécration au Cœur Immaculé de Marie, “ Reine de l’Univers ”, ait été conçue et propagée en France. Ne citons que la “ Croisade mariale ” lancée à Toulouse en 1900 par le Père Deschamps s. j., relayée en 1906, à partir du sanctuaire de Notre-Dame des Victoires, par les Pères eudistes, principalement leur supérieur le Père Le Doré, enfin la fondation à Besançon d’une “ Garde d’honneur du Cœur Immaculé de Marie ” (1912), destinée à former une cour permanente à son Cœur royal et maternel. Le Congrès eucharistique, qui se tint à Lourdes en juillet 1914, renouvela la demande de consécration du monde au Cœur Immaculé de Marie. Quelques jours après, la guerre éclatait...

HÉROS DE LA GRANDE GUERRE

Après les premiers engagements qui se soldèrent par de sanglantes hécatombes en Lorraine, dans les Ardennes et à Charleroi, les armées françaises battirent en retraite, mais se redressèrent sur la Marne. « Il s’en est fallu d’un cheveu », écrit l’historien Le Naour (1914, La grande illusion). La victoire de la Marne a été une telle surprise que beaucoup ont parlé de “ miracle ”. Un miracle de la Sainte Vierge ?

En pleine bataille, le 8 septembre, Mgr Marbeau, le courageux évêque de Meaux, fit le vœu d’édifier une statue à Notre-Dame si la ville était épargnée. Elle le fut. « La victoire de la Marne, dira-t-il, a été une œuvre providentielle si merveilleuse que les plus aveugles ne peuvent s’empêcher de reconnaître son caractère extraordinaire. » En accomplissement du vœu, la statue de Notre-Dame de la Marne fut érigée en 1924 à l’entrée du village de Barcy, au nord de Meaux. On a parlé aussi de témoignages de soldats allemands ayant vu dans le Ciel la Vierge Marie les empêchant d’aller plus loin, – ils furent cent milles, paraît-il, à La voir –, mais ces témoignages sont de seconde main, sans date ni signature, difficilement contrôlables. Il n’empêche, le fait est là, incompréhensible au général von Klück lui-même : « Que des hommes ayant reculé pendant dix jours, que des hommes couchés par terre, à demi morts de fatigue, puissent reprendre le fusil et attaquer au son du clairon, c’est là une chose avec laquelle nous n’avions jamais appris à compter. »

Le coup d’œil stratégique de nos chefs – Galliéni après Lanrezac et Castelnau... notre Père en a fait une étude systématique dans son Histoire volontaire de douce et sainte France –, l’élan prodigieux de nos soldats, leurs sacrifices, les prières de l’arrière, tout prouve que le Ciel était partie prenante dans ce drame terrible : Notre-Dame Sainte Marie, mais aussi Mesdames Geneviève, Jeanne et Thérèse, Mgr saint Michel... Il n’empêche que la victoire de la Marne ne fut pas exploitée, que les Allemands se replièrent en bon ordre et s’établirent solidement sur l’Aisne. Toute tentative de débordement par le Nord échoua, jusqu’à Ypres, laissant les deux armées pantelantes, et le front se figea, dans les ruines et la boue... pour quatre ans.

Quatre années interminables, pendant lesquelles la France a beaucoup souffert, comme la Sainte Vierge l’avait annoncé à Pellevoisin, mais où elle a écrit peut-être la page la plus héroïque, partant la plus belle, de son Histoire. Les sanctuaires marials jalonnaient la ligne de front, témoins des combats sanglants que menaient nos poilus : Notre-Dame des Dunes, près de Dunkerque, Notre-Dame-de-Lorette sur sa colline sanglante avec ses émouvantes “ Lettres à la Vierge ”, Notre-Dame de Brebières, dont la basilique à demi pulvérisée resta longtemps surmontée d’une statue de la Vierge à l’Enfant couchée à l’horizontale, Notre-Dame de Vauquois, au cœur des forêts ravagées d’Argonne, Notre-Dame de Verdun, reléguée dans les casemates de la citadelle... et des milliers d’autres petits oratoires élevés par nos soldats, comme Notre-Dame des Abeilles au pied de la Main de Massiges, que les marsouins du Père Lenoir saluaient d’un Ave avant de monter à l’assaut.

Car il y avait de la religion chez nos poilus, à qui d’admirables aumôniers donnaient l’exemple, et aussi, chacune à son poste, les religieuses de France, dont dix mille furent décorées pour leur dévouement héroïque ! Les témoignages abondent, notre Père et nos frères en ont fait il y a trente ans à la Mutualité une gerbe émouvante (CRC no 308, décembre 1994). En voici un nouveau, rapporté par le chanoine Coubé dans son livre “ Du champ de bataille au Ciel ”, publié en 1916 :

« C’était une nuit, aux tranchées. Nous avions été attaqués, et pendant trois quarts d’heure ce fut un bruit épouvantable. Les marmites boches qui éclataient autour des boyaux, les 75 et les 120 courts et longs, les fusils, les grenades à main, les cris des assaillants et les nôtres, tout cela faisait un joli tapage. Puis, l’attaque repoussée, le calme était revenu, complet. Alors, dans la nuit, chanté par une voix magnifique, monta le premier couplet :

Ô vous que Dieu bénit entre toutes les femmes,
Étoile dans la nuit de notre humilité...

« Je défie qui que ce soit de trouver une mise en scène plus impressionnante. Puis ce fut le refrain qui, de toute la tranchée, sur plus d’un kilomètre, éclata, le mot n’est pas trop fort :

Nous avons mis en vous toute notre espérance ;
Daignez nous protéger, Notre-Dame de France.

« Toute l’âme de nos soldats, toute leur foi en Celle qui nous donnera la victoire, se manifestait là, sans contrainte et sans respect humain. »

Attachons-nous à l’un de ces soldats, véritable figure d’épopée, qui mourut au champ d’honneur du Linge, le 22 juillet 1915, l’arme et son chapelet à la main, le capitaine Jacques de Guigné. Trois fois blessé depuis le début de la guerre, il était reparti au front sitôt ses blessures refermées, afin de donner l’exemple, s’arrachant à l’affection des siens : son épouse, Antoinette de Charette, nièce du héros de Loigny, et leurs quatre enfants, dont l’aînée, Anne, n’avait pas cinq ans. « La France avant tout, la France de Madame Marie ! » Royaliste d’Action française, disciple fervent de saint Pie X, il ne regardait jamais en arrière ; il était tout donné à ses hommes, aussi pieux et aimable que vaillant au combat.

Le dernier souvenir que garda de lui l’aumônier franciscain de la division, c’était au Linge, au bord de la tranchée d’assaut : « À genoux dans une espèce d’excavation, je demande la protection de la bonne Mère pour ses enfants et donne l’absolution à ceux qui passent. Quand arriva la 1re Compagnie, le capitaine de Guigné en tenait la tête, un fusil à la main. En passant devant moi, il me salua d’un sourire admirablement calme et répondit par un signe de croix à mon geste de bénédiction. » Il s’était confessé la veille, devant tous ses chasseurs. À l’annonce de la mort de son père, la petite Anne comprit elle aussi son devoir, elle s’appliqua à prier et à se sacrifier « pour la France », « pour les pécheurs », afin de consoler non seulement sa maman, mais la Très Sainte Vierge, si triste « parce que Jésus n’est pas aimé ». Quand elle mourut, elle n’avait pas onze ans...

Au milieu de la Grande Guerre, on relève une coïncidence plus que fortuite, providentielle : le 13 mai 1917, jour où Notre-Dame apparaissait à Fatima, en France, le président du Conseil Painlevé faisait choix d’un nouveau généralissime pour les armées françaises : c’était au lendemain de la folle et sanglante offensive de Nivelle, l’Armée n’en pouvait plus, le pays côtoyait les abîmes, sans le savoir... Le général Pétain, vainqueur de Verdun, prit son commandement effectif deux jours plus tard, le 15 mai. Après un spectaculaire redressement du moral de nos poilus, il sera l’artisan de leur victoire en 1918. Qu’il soit permis d’y voir un effet de la protection tutélaire de la Sainte Vierge, Reine de France, et peut-être aussi une réponse à la consécration que les cardinaux de France avaient faite à son Cœur Immaculé le 13 décembre 1914. Mais il y a davantage...

LA CLÉ DE L’ORTHODROMIE MARIALE

Fatima marque une ère nouvelle, et tout désormais s’ordonne et se juge à sa lumière, même si son Message ne sera connu et ses effets ne se feront sentir en France que bien des années plus tard. Dans son “ Mémorial de nos héros ” (1994), notre Père s’appuyait sur les révélations faites à madame Royer, qu’il tenait pour une authentique messagère du Sacré-Cœur, parce qu’elles coïncident parfaitement avec le message du Ciel révélé à Fatima. Cette âme mystique avait annoncé, en mai 1914, ce que seraient la guerre et ses suites, si la France ne revenait pas à Dieu :

« J’ai vu dans mon oraison le sol de la France labouré de sillons profonds, remplis de sang, le ciel plein de combats, nos campagnes ravagées, nos églises détruites et nos cathédrales elles-mêmes dévastées... La paix qui suivra cette guerre sera une fausse paix. La lutte continuera sous des formes diplomatiques, sociales, économiques, financières. Le monde croulera dans l’impiété, l’impureté, le complet oubli de Dieu et courra ainsi à son châtiment. Les Français iront jusqu’aux confins du désespoir. Ils ne reprendront courage que contre eux-mêmes. Une à une les solutions proposées pour porter remède à leurs maux échoueront. C’est seulement quand tous les recours aux moyens humains seront épuisés et que tout semblera perdu que le Sacré-Cœur interviendra. Alors paraîtra l’élu de Dieu et la France ne pourra nier qu’elle devra au Sacré-Cœur seul son salut. » (Charles Boissard, La vie et le message de madame Royer, 1841-1924, p. 268)

« Bien que ces choses soient absolument tenues pour nulles dans les livres d’histoire, commentait notre Père, il n’est pas douteux que nos héros et leurs familles dont les cœurs angoissés battaient à l’unisson des leurs, à l’arrière comme au front, appréciaient de telles révélations : la guerre cessait d’être l’effet de la brutalité des hommes ; elle était un drame de colère et d’amour, de justice et de miséricorde du Dieu Tout-Puissant conduisant ses peuples à la conversion, à la réparation et à son pardon, enfin à la Victoire ! Ceux qui tombaient au champ d’honneur étaient donc considérés comme des victimes salutaires, des hosties saintes pour leur peuple !...

« D’un instinct venu du fond des âges chrétiens et de leurs habitudes d’enfance catholique, nos héros ont adopté l’attitude, le comportement, l’esprit que requérait l’horrible déchaînement infernal de la guerre où ils n’étaient que fétus de paille jetés de-ci de-là par la mitraille et bientôt peut-être déchiquetés. Alors, finis les discours politiques, et l’anticléricalisme, les blasphèmes et le socialisme... et de se croire quelqu’un en face de Dieu, quand on n’est rien, rien que l’objet de sa douce miséricorde et tendresse. » (CRC no 308, p. 4)

C’était précisément la “ petite voie ” de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, qu’on appelait pendant la guerre une de nos plus fidèles “ alliés du Ciel ”, ou encore « la petite sœur des tranchées », tant elle multiplia ses secours, ses protections, ses apparitions même ! Comme l’écrivait le capitaine Feret, en septembre 1916 : « Elle est venue nous enseigner à aimer le Bon Dieu comme elle, en se faisant petit. » Selon le sergent major Gabriel Gaillot, zouave combattant aux Dardanelles, Thérèse a donné « à nos armées le courage des croisés » (témoignages cités par Vogt Sébastien, La dévotion à la petite Sœur Thérèse de Lisieux pendant la Première Guerre mondiale, Mémoire de Master à l’université de Strasbourg, 2012, accessible sur le site des Archives du Carmel de Lisieux).

Mais après la guerre, qu’en fut-il ?

« LA RUSSIE RÉPANDRA SES ERREURS... »

Fin décembre 1920, à Tours, la majorité des socialistes français se rallièrent à la IIIe Internationale, – Komintern en russe –, qui s’était proclamé le “ Parti mondial de la révolution ” lors de sa fondation à Moscou le 2 mars 1919. Clara Zetkin, révolutionnaire allemande, venue jusqu’à Tours à la barbe de la police française, y était l’envoyée personnelle de Lénine, et la Révolution russe de 1917 devint pour certains Français le modèle à suivre. C’est donc à Tours que fut créé le Parti communiste français, courroie de transmission implacable des dirigeants de Moscou, et des « erreurs » répandues par la Russie bolchevique, dont avait parlé Notre-Dame à Fatima.

À Tours ?... On se rappelle qu’en 1847, au carmel de Tours, sœur Marie de Saint-Pierre avait reçu commandement de Notre-Seigneur de faire la guerre aux communistes, dont Pie IX venait de condamner « l’exécrable doctrine » (Qui pluribus, 9 nov. 1846) : « Ah ! si vous connaissiez leurs machinations secrètes et diaboliques et leurs principes antichrétiens ! Ils n’attendent qu’un jour favorable pour incendier la France. »

La Sœur carmélite devait se battre, telle une nouvelle Jeanne d’Arc, avec les armes de la réparation et sous l’étendard de la Sainte Face, de façon à jeter la division dans le camp ennemi : « Notre-Seigneur continue toujours à m’appliquer à faire la guerre aux communistes. Il me donne grâce et lumière pour le combat. Les instruments de sa Passion me servent d’armes ; et son admirable Nom qui est si terrible aux démons et celui de sa Sainte Mère me servent de boulets de canon... J’ai prié la Très Sainte Vierge de vouloir bien être la dépositaire de ces divines armes que me donnait son Fils. Elle est comparée à la tour de David, d’où pendent mille boucliers. »

Quelques années plus tard, en 1947, c’est dans le même diocèse de Tours, à l’Ile-Bouchard, que la Sainte Vierge interviendra pour libérer la France du péril communiste...

DÉVOTION DESENGAGEE, 
FORCES DISPERSÉES

Mais en face, que trouvions-nous comme forces catholiques ? Dès son accession, le 1er mars 1922, le pape Pie XI proclama la Très Sainte Vierge « Patronne principale de la France », sous le titre de son Assomption dans le Ciel, en même temps qu’il lui donnait, à la demande de Mgr Touchet, évêque d’Orléans, sainte Jeanne d’Arc pour patronne secondaire. Fort bien... mais le Pape était démocrate, cela se remarque jusque dans la déclaration du 1er mars, où seule une timide mention est faite de la consécration de la France par le roi Louis XIII. À noter aussi que la Sainte Vierge n’est plus appelée « Reine de France », mais « principale Patronne de toute la France ». De toute manière, cette proclamation n’eut guère de conséquences sur la vie du peuple français, ou bien on ne sut pas en tirer les conséquences, puisque deux ans après, c’était la victoire laïque et républicaine du Cartel des gauches, balayant la Chambre bleu horizon.

Le 17 mai 1925, le même Pie XI canonisait sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, “ sainte Thérèse de France ”, aurait-on pu dire, puisque l’humble carmélite de Lisieux savait que sa mission s’identifiait avec celle de Jeanne la Pucelle, et qu’elle serait au Ciel, par son rayonnement, la messagère et l’ambassadrice de notre Reine : « J’aime la France, ma patrie, je veux lui conserver la Foi, je lui sacrifierai ma vie, et je combattrai pour mon Roi. »

L’Assemblée des cardinaux et archevêques de France avait publié le 10 mars précédent une déclaration contre les lois de laïcité, intitulée : “ Du laïcisme au paganisme ”, qui se concluait par ces mots : « Assurément, l’œuvre est immense et difficile, mais le propre de la vertu de force est d’affronter les obstacles et de braver le danger. De plus, nous disposons de troupes dont le nombre et le courage égalent au moins le nombre et le courage des autres groupements ; car une multitude de chrétiens, à compter seulement ceux qui sont fervents et agissants, sont impatients d’engager la lutte. Nos cadres – paroisses, diocèses, provinces ecclésiastiques – sont préparés. Ce qui a trop manqué jusqu’ici aux catholiques, c’est l’unité, la concentration, l’harmonie, l’organisation des efforts. N’auront-ils pas assez d’abnégation pour former un corps compact qui travaillera avec ensemble sous la direction de leurs supérieurs hiérarchiques ? On dira que cette attitude nous expose à des retours offensifs et impitoyables de nos adversaires. Ce n’est pas certain ; en tout cas, à quelles calamités ne nous expose pas l’attitude contraire ? Quel avenir nous attend si, satisfaits d’une légère et artificielle détente, nous nous endormons ? Jamais peut-être, depuis cinquante ans, l’heure n’a paru aussi propice ; à la laisser passer sans en profiter, il semble bien que nous trahissions la Providence. » (cité dans la CRC no 312, p. 5 – 6)

La nouvelle sainte française allait-elle unifier et animer de sa vaillance cette réaction salutaire ? Las ! quelques mois plus tard, Rome condamnait l’Action française pour se libérer définitivement de ses attaches séculaires à la Monarchie très chrétienne et se ligoter à la III e République radicale-socialiste et franc-maçonne. Cette condamnation inique provoqua bien des remous, par exemple à l’Hospitalité de Lourdes, où une forte proportion de bénévoles étaient membres de l’Action française, à commencer par le président de la Ligue, Bernard de Vesins.

Se succédèrent alors en France de grands Congrès marials, où les foules étaient au rendez-vous, c’était même à chaque fois un triomphe pour la Sainte Vierge, mais une chose est notable, quand on lit les interventions, les discours et sermons prononcés au cours de ces Congrès, c’est le désengagement de la dévotion par rapport à la politique, entendue dans son sens noble de souci du bien de la Cité.

Le premier se tint à Chartres en 1927. Ce fut magnifique, on dit tout ce qu’on savait sur la cathédrale et le culte marial qui y est attaché, on fit une ostension solennelle du Saint Voile, on parla avec éloquence de la place de la Très Sainte Vierge dans la vie individuelle, familiale, paroissiale... mais pas nationale, à part quelques vagues allusions à la dévotion des rois de France. Alors que ce sont eux, nous l’avons vu tout au long de notre étude, qui ont suscité, accompagné, encouragé la dévotion de leur peuple par leurs exemples et leurs prodigalités. Un marquis de la Franquerie l’a prouvé abondamment dans son livre, reprenant celui de l’abbé Hamon au siècle précédent : “ La Vierge Marie dans l’histoire de France ” (1939).

En 1930, le Congrès marial eut lieu à Lourdes sur le thème de l’Immaculée Conception. C’est à peine si fut rappelé le lien avec la Rue du Bac, dont on célébrait pourtant le centenaire, et rien des fulgurances d’un Père Marie-Antoine et d’un Père Maximilien Kolbe au même moment, sur la Mission de l’Immaculée dans les derniers temps ! L’interprétation du message, axée sur la pureté, était toute morale, avec un fort accent mis sur l’Action catholique, sous l’égide du nouvel évêque de Lourdes, Mgr Gerlier.

En 1934, c’est à Liesse que se rassemblèrent des dizaines de milliers de fidèles pour fêter la Sainte Vierge, avec un superbe défilé qui rappela l’histoire du pèlerinage et clôtura le Congrès réuni sur le thème de “ la joie chrétienne ”. On y trouve des perles, mais... quatre mois plus tôt, il y avait eu à Paris les émeutes sanglantes du 6 février pour protester contre les scandales d’un régime corrompu, tandis que, outre-Rhin, Hitler venait d’accéder au pouvoir, et que les « erreurs de la Russie » faisaient déjà flamber l’Espagne. Aucune allusion à la montée des périls !

Ces périls étaient plus encore visibles en 1938, nos idéologues pacifistes s’étant mués en bellicistes forcenés, quand se déroula à Boulogne-sur-Mer le quatrième Congrès national, sur le thème magnifique de “ La Souveraineté de Marie ”, puisqu’on célébrait cette année-là le troisième centenaire du vœu de Louis XIII. 300 000 personnes assistèrent à la clôture du Congrès avec, là encore, de belles interventions oratoires sur la Très Sainte Vierge, Reine de France. Mais... les autorités politiques françaises brillaient par leur absence, et au moment de renouveler la consécration de la France, c’est le général de Castelnau qui le fit, « au nom des pères de famille de France ».

LA FRANCE ORPHELINE

Ces pères de famille étaient eux-mêmes orphelins d’une autorité légitime et forte, royale, assurant d’une manière durable l’ordre et le bien commun, sous le regard de Dieu et de Marie. C’est ce que constatait notre Père dans son étude sur “ l’Église et la nation française ”, évoquant l’histoire des mouvements patriotiques des années 1930, qui tentaient en vain de prévenir la catastrophe : « Pour dire le fond de ma pensée, je les trouve orphelins. Ils me font pitié parce qu’ils auraient dû aboutir cent fois, en 34, en 36, évidemment en 38. Mais ils étaient orphelins... Aucun parti, aucune Ligue ne peut entraîner tout un peuple à l’insurrection, à la lutte sanglante contre le Pouvoir oppresseur, ni décider un chef militaire à franchir le Rubicon, s’il n’y a ni Dieu ni Roi pour commander et bénir le mouvement. » (CRC no 106, juin 1976, p. 12)

Il ne manquait pourtant pas d’apôtres pour indiquer le chemin à suivre et préparer les voies du Règne de Marie, mais ils n’étaient pas écoutés. Ainsi du Père Gabriel Jacquier, des Frères de Saint Vincent de Paul (1906-1942), au sujet duquel le directeur du patronage Notre-Dame de Nazareth à Paris avait prédit, au moment de son entrée au noviciat :

« Il viendra une période terrible pour la foi. Le bienheureux de Montfort a prédit que seuls des apôtres au cœur de feu, prêchant Marie avec amour, sauveraient la foi par leur immolation. Je suis sûr que Gaby sera un de ceux-là ! » Initié par le P. Hello à la doctrine contre-révolutionnaire de saint Pie X et à l’ardente dévotion mariale du Père de Montfort, ordonné prêtre en dépit d’une santé chancelante et mûri dans l’épreuve, le jeune Père s’enthousiasma pour les apparitions de Pellevoisin, qu’il appelait la “ Madone d’actualité ”, et condensa bientôt sa pensée dans une petite brochure intitulée “ L’ordre social chrétien par le règne social de Marie ” :

« Par la révolution de 1789, écrivait-il, la France officielle s’est insurgée contre l’ordre social chrétien, opposant dans tous les domaines les droits de l’homme aux droits de Dieu. Depuis cette apostasie publique, le règne de l’enfer s’installe de plus en plus chez nous, viciant l’ensemble et les détails de notre vie nationale, familiale et individuelle. »

Comme Dieu a établi que seule l’Immaculée Vierge Marie écraserait la tête du Serpent infernal, le Père Jacquier en concluait que seuls les enfants de Marie, régénérés dans son Sein, ayant un culte fervent pour son Cœur, mèneront un combat efficace, dans leur vie privée comme dans la vie publique. « Le catholique est un guerrier au service de la Vérité, et non un diplomate qui cherche à composer avec l’Enfer. » Il en résulte une action catholique, la vraie ! qui ne se conçoit que comme une Croisade mariale. Aussi le Père Jacquier édita-t-il une seconde brochure, “ Le manuel du croisé ”, véritable programme de consécration pratique au Cœur Immaculé de Marie, Reine de France et de l’univers. Jusque dans le domaine social, car c’est la Reine des métiers qui rétablira la concorde entre les classes, au sein de l’industrie, du commerce, de l’agriculture et des professions libérales, à l’aide d’Unions corporatives mariales. « Donnons, disait-il, à la miséricorde de Marie le temps d’agir et nous verrons des merveilles. » Il offrit sa vie en holocauste à cette intention, le 13 décembre 1942, dans l’élan de la consécration du monde au Cœur Immaculé de Marie par le pape Pie XII.

Tout aussi engagée était la pièce qu’Henri Ghéon fit jouer par trois fois le 13 mai 1938 à Lourdes sur le parvis des sanctuaires : “ le Rosaire de France ”, où le dramaturge converti et apôtre révèle une connaissance intelligente, enthousiasmante, de notre histoire mariale de France : « Je revivrai mes joies, mes peines et mes espérances, en union avec les tiennes, ô fille aînée de l’Église de Jésus-Christ », dit la Vierge à la France, et les quinze mystères de son Rosaire s’égrènent en quinze tableaux historiques, extraordinairement vivants et concrets, à la Ghéon...

Mais là non plus, le message, pourtant fort clair, ne passa pas. Alors notre Reine usa d’autres moyens...

 DIVINE SURPRISE ”... MARIALE

« C’est dans la politique de ce siècle que la Reine des Cieux a voulu que s’inscrivent en lettres de feu les étapes de son œuvre de salut, aussi bien que celles de nos rébellions humaines et de nos reniements. Ici, châtiments terribles ! et là, bénédictions ou tout au moins signes d’espérance et encouragement », écrivait notre Père (CRC no 312, p. 2).

Dans la nuit du 25 au 26 janvier 1938, – on était encore sous le pontificat de Pie XI –, une « lumière inconnue » fut observée dans le ciel de l’Europe occidentale, c’était le grand signe annonciateur que « Dieu va punir le monde de ses crimes, par le moyen de la guerre, de la famine et des persécutions » (message du 13 juillet 1917). Ce même mois de janvier, Hitler décidait l’Anschluss de l’Autriche, tablant sur l’impuissance des démocraties et la complicité de Staline.

Et ce fut l’enchaînement fatal jusqu’à l’été 1939 : la dernière réclamation d’Hitler relative au corridor de Danzig, la garantie anglaise et française apportée à la Pologne, le pacte germano-soviétique du 23 août. Ce même jour, nos chefs militaires assuraient le gouvernement que nous étions « prêts » ! Nos évêques, eux, promettaient d’édifier à Lourdes un sanctuaire à la Reine de la Paix, qui serait l’exact pendant du Sacré-Cœur de Montmartre. Quant au gouvernement, dont les membres étaient connus pour leur laïcisme militant, ce n’étaient pas eux qui allaient se tourner vers le Ciel... jusqu’au jour où le front creva et où tout s’écroula, 10 -13 mai 1940.

Six jours après, 19 mai, on voyait les ministres se rendre en corps constitué à Notre-Dame de Paris. « Il faut vraiment que les choses aillent mal, pour qu’ils en soient arrivés là », entendait-on au passage de Reynaud, Daladier, Mandel et consorts, mais... depuis la veille au soir, le maréchal Pétain était là aussi, rappelé d’Espagne en urgence, pressentant la mission qu’on allait lui imposer. « On m’appelle toujours dans les catastrophes. »

Un mois après, acceptant de payer pour les autres, il faisait le don de sa personne et le sacrifice de sa gloire pour le salut de la France, et déclarait à Mgr Feltin, archevêque de Bordeaux : « Ne me félicitez pas, Monseigneur, priez pour la France et faites beaucoup prier pour moi. J’ignore si, depuis le Golgotha, un pareil sacrifice a été demandé à un homme. »

La “ divine surprise ”, dont s’émerveilla Maurras avec tous les Français, fut, « dans l’écroulement de tout, cet avènement pacifique d’un Chef humain, chrétien, sûr de sa légitimité, tout appliqué à défendre la Patrie, atténuer son malheur, relever ses ruines matérielles et son moral à la dérive, organiser sa survie dans l’espoir de sa résurrection » (CRC no 106, p. 12). Et, au moins dans un premier temps, la hiérarchie y reconnut la protection de la Sainte Vierge. Elle rendit grâces et invoqua les bénédictions divines sur la France et sur son Chef providentiel.

Ainsi de Mgr Martin, évêque du Puy-en-Velay, retraçant le 14 avril 1943 à Lourdes les rapports de la Sainte Vierge et de la France, qui rappelait : « C’est de toute notre Histoire de France qu’il faut dire que la miséricordieuse tendresse de Notre-Dame nous enveloppe, et nous avons droit d’espérer que toutes nos fautes et nos erreurs n’ont pas lassé encore la miséricorde du Cœur Immaculé de la Patronne céleste de la Patrie dont l’Amour est sans repentance et que, dans l’ombre, la Mère prépare encore, malgré nos fautes et avec elles, un redressement nouveau... car on sent que c’est l’heure de la Sainte Vierge qui sonne dans la grande détresse des hommes et dans la grande pitié de notre pauvre Regnum Galliæ. »

Il en donnait deux signes pour preuves : « Le Maréchal a bien voulu me faire dire à plusieurs reprises et m’a dit lui-même à Vichy, qu’il avait gardé de son voyage au Puy (2 mars 1941) un souvenir unique. Je sais que rien ne lui a échappé du sens profond de la démarche qu’accomplissaient, au Puy, les rois de France pour remettre leur royaume entre les mains de la Sainte Vierge. Il s’est associé consciemment, volontairement, à ce geste. Il l’a dit dans son Message aux Jeunes du 15 août 1942. Il a renoué le fil d’or d’une grande Tradition nationale, telle est l’expression qu’il a faite sienne. À la fin de son pèlerinage, je lui ai offert une reproduction en bois de la statue de Notre-Dame du Puy qu’il a fait mettre à une place d’honneur dans son bureau, à Vichy, où je l’ai vue. Il me l’a montrée avec complaisance. Au sculpteur étant allé le voir, il a déclaré qu’elle était bien à sa place dans son bureau.

« Et puis, le Maréchal est allé à Lourdes (21 avril 1941). Pour avoir été moins solennel et plus rapide, son pèlerinage à Lourdes n’en a pas été moins touchant. C’est lui qui a voulu faire ce pèlerinage à la Grotte, où Mgr Choquet l’a magnifiquement reçu. Entre le Puy et Lourdes, il y a toujours eu des liens mystérieux. Toujours “ la Dentellière ” qui croise ses fils dans l’ombre avec soin ! Depuis le temps lointain où le comté de Bigorre payait tribut à Notre-Dame du Puy qu’il reconnaissait comme suzeraine, Notre-Dame qui voit loin ayant voulu s’associer longtemps à l’avance le haut domaine du coin de France où Elle se réservait d’apparaître un jour...

Le maréchal Pétain à Lourdes, le 21 avril 1941.
Le maréchal Pétain à Lourdes, le 21 avril 1941. La Grotte de Massabielle était redevenue « domaine de l’Église », par décision du chef de l’État français (décret du 10 février 1941), mettant fin à trente-cinq ans de spoliation par la République.

« Ne trouvez-vous pas touchant, réconfortant et plein d’enseignement que le Maréchal allant de l’une à l’autre ville semble ainsi vouloir mettre, dans les conjonctures dramatiques où nous vivons, tous les atouts divins de son côté. Au sculpteur du Puy, il a dit que la Vierge était bien à sa place dans son bureau. Tous les chefs d’État travaillent-ils en ce moment aux pieds d’une statue de la Vierge Marie ? À Lourdes, il a dit “ qu’on demande à la Vierge qu’Elle lui fasse la faveur de l’aider dans la tâche entreprise qui est rude et difficile ”. Tous les chefs d’État demandent-ils qu’on prie ainsi Marie pour eux ? Le 15 août, dans son Message à la Jeunesse du Puy, après avoir évoqué les pèlerinages des rois, il a parlé de “ prière fervente ” et de “ protection de la Vierge ”. Depuis longtemps, nous avions perdu l’habitude d’entendre ces mots dans des messages officiels... Nous sommes invités à lever les yeux vers le ciel, vers les étoiles, vers la Vierge, vers Dieu. »

La Révolution nationale, écrit Vincent Vailly, s’inscrit dans un contexte de renouveau marial inédit : « Avec le pèlerinage du Puy du 15 août 1942, le culte de la Vierge retrouve une dimension officielle qu’il n’avait plus connue depuis l’Ancien Régime. » (L’Auvergne dans la guerre, 1991, p. 65-74) Des principaux sanctuaires marials, les routiers avaient convergé pour l’occasion vers Notre-Dame de France, portant sur leurs épaules la Vierge de leur région. Une fois de plus, notre Reine formait le lien de l’unité et de la communion nationale.

« Les Vierges de France constituaient la trame de ce tissu français traditionnel en voie de reconstitution, note Dominique Avon. À Clermont-Ferrand par exemple, des milliers de personnes descendent dans la rue à l’appel des cloches qui annoncent l’arrivée de la Vierge de Boulogne ou de la Vierge de Strasbourg. Alors, l’indifférence est vaincue, la foi de l’enfance, – certains osent dire “ assourdie par les péchés, les doutes et l’ironie ” –, se rappelle à chacun comme en écho. » (Revue d’histoire de l’Église de France no 211, 1997, p. 409)

C’est en effet dans le catholicisme traditionnel du peuple français que « le maréchal Pétain comptait puiser l’inspiration de sa Rénovation nationale et trouver d’inégalables sources d’énergie, de dévouement, d’abnégation. L’Église réelle, l’Église populaire répondit magnifiquement », témoigne notre Père, qui l’a vécu dans l’enthousiasme de ses 16-20 ans. Quatre ans de guerre, de souffrances et de ferveur suscitèrent dans le peuple chrétien de France un réveil étonnant de charité et de dévotion, dont le “ Grand Retour ” fut une des plus belles manifestations.

Notre-Dame de Boulogne.
La “ Pâque ” de la Sainte Vierge. Le Christ en croix ouvre la marche, ordinairement porté par un notable. Derrière Lui se déploie l’étendard de Jeanne d’Arc, marqué des noms sacrés de Jhésus-Maria. Notre-Dame de Boulogne, toute blanche et offrant son Cœur d’or, passe partout : « Une Reine ne demande pas de permission pour circuler dans son royaume. »

LE “ GRAND RETOUR 

Après les cérémonies du 15 août 1942, qui avaient montré un parfait accord entre les autorités religieuses et civiles, l’évêque du Puy suggéra aux routiers du Nord, qui avaient acheminé jusque dans le Velay la statue de Notre-Dame de Boulogne dans sa barque, de poursuivre leur pèlerinage jusqu’à Lourdes, ce qu’ils acceptèrent avec enthousiasme. Le 7 septembre 1942, le cortège atteignait la Grotte de Massabielle. Le 31 octobre suivant, le pape Pie XII consacrait le monde au Cœur Immaculé de Marie, et les évêques de France faisaient de même, chacun pour son diocèse, le 28 mars 1943.

Ce jour-là, la nacelle de Notre-Dame de Boulogne quittait le rocher de Massabielle pour rejoindre son port d’attache sur les côtes du Nord. Cette marche priante et pénitente, largement improvisée au début, se prolongea pendant plus de cinq ans ! traversa seize mille paroisses de France et y répandit partout la dévotion au Cœur Immaculé de Marie. Enfin on en parlait, ainsi que de Fatima et de l’exemple du Portugal, après vingt ans de silence ! Faire de la consécration au Cœur de notre Reine la « charte du Grand Retour », et l’associer à la prophétie de saint Pie X citée plus haut, donnait tout son sens orthodromique et prophétique à cet élan marial.

Comment qualifier ce Grand Retour ? Ce n’est pas facile, parce qu’à ce jour, aucune étude exhaustive n’a été faite de ce qui fut pourtant « le mouvement spirituel le plus important de notre temps », affirmait en 1948 Mgr Perrin, évêque d’Arras (cf. Il est ressuscité no 237, octobre 2022, p. 22-35). Reprenant l’expression de Jean Paillard sur le corporatisme spontané qui s’est épanoui sous l’autorité du Maréchal, nous dirions volontiers que le Grand Retour a été une sorte de Contre-Révolution mariale spontanée.

Cette marche persévérante d’une paroisse à l’autre, précédée de la Croix et faisant escorte à la Vierge au Cœur d’or en récitant le chapelet, avec à l’arrivée, dans l’église du village ou du quartier, la mise en œuvre d’une triple liturgie : confession, communion, consécration, c’était tout simplement la religion de nos Pères, la foi catholique de toujours revivifiée par la dévotion au Cœur Immaculé de Marie, dans un climat de réparation, non contrainte, mais sincère, et un esprit d’enfance spirituelle.

La Sainte Vierge reprenait ainsi de la façon la plus simple, par son Cœur parlant au cœur de ses enfants, possession de son beau Royaume, répandant à flots la grâce des sacrements par les ministres de son Fils et sous la protection des autorités légitimes et traditionnelles ; partout sur son passage fleurissait l’inscription et retentissait le cantique : « Chez nous, soyez Reine ! » Elle consolait l’immense détresse des âmes et convertissait les cœurs, même les plus endurcis, des témoignages bouleversants abondent en ce sens. Ce fut partout, grâce au zèle des missionnaires qui la suivaient, une communion retrouvée, profonde et vraie, entre bons Français, à la barbe de l’occupant qui laissait plus ou moins faire, loin surtout des partis politiques, des idéologies diviseuses... « Je connais vos Français, avait dit un jour saint Pie X à Émile Flourens, ancien ministre républicain. Ils sont naturellement catholiques et monarchistes. Ils le redeviendront tôt ou tard. » Ils le redevenaient par la douce médiation de leur Reine. Il aurait fallu une suite, car les bonnes volontés ne manquaient pas...

Mais la prétendue “ Libération ” se mua dès le mois d’août 1944 en Révolution-épuration, avec la complicité des démocrates-chrétiens qui s’étaient partagé le pouvoir avec les socialistes et les communistes. Ce fut comme une nouvelle prise de possession de notre doulce et sainte France par les “ Diaboliques ”, en même temps qu’une avancée spectaculaire des « erreurs de la Russie », jusque dans l’Église. L’élan du Grand Retour n’en fut pas cassé, non ! puisqu’il allait continuer encore quatre ans, mais il fut détourné de son véritable objectif, qui était le “ retour ” de la Fille aînée de l’Église au Cœur de sa Reine. L’Ennemi s’était mis « en travers », aurait dit le Curé d’Ars. Ce n’était plus maintenant à des occupants tatillons et soupçonneux que se heurtaient les pacifiques cortèges de la Vierge, mais à des barrages communistes, haineux et sectaires, comme à Chevilly-la-Rue ou à Thiais, dans la banlieue parisienne.

Et l’Église officielle, l’Église des bureaux et ses hiérarchies parallèles, après s’être courbée très bas sous la Révolution nationale, pressée de revenir à ses anciennes amours, la République, la Démocratie, les Partis et tout le tremblement de ce régime de mort spirituelle et temporelle, préféra baisser les bras par lâcheté, par opportunisme, ou pire, par esprit de ralliement. En 1947, nos évêques empêchèrent même Notre-Dame de Fatima de parcourir le pays et d’achever ce qui avait été commencé : sa statue, venue du Portugal, après avoir connu un triomphe en Espagne, l’Espagne de Franco ! traversa notre Patrie en catimini, à la dérobée... Et on tourna la page du Grand Retour : aux Archives de l’Église de France, existe un dossier intitulé “ Liquidation du Grand Retour ”, c’est tout dire en quatre mots !

Il n’empêche, Notre-Dame de France n’oubliait pas les hommages reçus pendant quatre ans, – dix millions de consécrations à son Cœur Immaculé, ce n’est pas rien ! – et au moment du plus grand péril, alors que les communistes s’apprêtaient à prendre le pouvoir, Elle était là et détourna le coup de la plus simple manière, par ses apparitions à l’Ile-Bouchard.

DÉCEMBRE 1947 – L’ÎLE-BOUCHARD

Cette année 1947, que les historiens appellent « l’année terrible », la France était de nouveau en crise. Les cinq ministres communistes avaient été renvoyés, marquant la fin du tripartisme et le commencement de troubles sociaux. L’impuissance de l’État provoqua la montée en puissance des forces révolutionnaires, par syndicats et partis interposés. En septembre, une réunion secrète en Pologne des représentants des partis communistes européens, permit au bureau de propagande du communisme international, le Kominform, de les reprendre en main. Les grèves s’intensifièrent, des sabotages se multiplièrent.

Le 19 novembre, le socialiste Ramadier était remplacé par le démocrate-chrétien Robert Schuman. Ministre de l’Intérieur, Jules Moch ne cachait pas que la situation était désespérée, vu le peu de moyens dont il disposait. Tout était prêt pour une révolution sanglante, trente ans après 1917. « Les communistes attisaient le feu partout », écrit le président Auriol dans ses Mémoires. Le dimanche 7 décembre, le délégué général du parti communiste, Benoît Frachon, refusait l’accord proposé par le ministre du Travail et transmettait à ses troupes le mot d’ordre : « Tout est rompu, grève générale demain. » Mais « demain », c’était le 8 décembre, fête de l’Immaculée Conception, Reine de France...

Dans un petit village tourangeau, trois petites filles se rendent à l’école des Sœurs. Comme la directrice leur a dit le matin qu’il fallait beaucoup « prier pour la France », passant devant l’église, elles s’y arrêtent pour réciter une dizaine de chapelet. À partir de ce moment, tout est significatif, comme si Notre-Dame voulait récapituler dans cette petite église de campagne les mille facettes de son Alliance millénaire et rappeler à son peuple les conditions de son salut.

C’EST ELLE !

Les fillettes s’arrêtent devant la statue de sainte Thérèse, pour réciter un “ Je vous salue Marie ”, pieuse coutume instituée par le curé du village, l’abbé Ségelle, depuis que la “ Petite Thérèse ” a été déclarée patronne secondaire de la France en mai 1944. Le 15 juin suivant, la Vierge du “ Grand Retour ” était passée à L’Île-Bouchard et le curé avait tenu à ce que la “ Visite ” de la Reine de France soit préparée par un triduum.

Les Patronnes de la France.
Les Patronnes de la France (1945). Tableau de sœur Marie du Saint-Esprit, carmélite à Lisieux, qui a pris pour modèle la Vierge du Sourire, ajoutant son Cœur Immaculé et une couronne royale. Sainte Jeanne d’Arc ayant été proclamée en 1922 patronne secondaire de la France, sainte Thérèse le fut à son tour par le pape Pie XII, le 3 mai 1944.

Avant de parvenir à l’autel de la Vierge, les fillettes passent devant la porte où, dit-on, est passée Jeanne d’Arc au mois de mars 1429. Elle arrivait de Vaucouleurs, où l’avait armée messire Robert de Baudricourt, et se rendait auprès du dauphin Charles en son château de Chinon sur la Vienne. En attendant que le messager royal Colet de Vienne portât le pli au Dauphin, la Pucelle entra dans l’église et pria à l’autel de la Vierge. Sans doute lui confia-t-elle le sort du Royaume des lys qui souffrait grande pitié. Rappelons que c’est par un artisan de Tours tout proche que la Pucelle fit confectionner son étendard, signe de sa mission, ainsi que son pennon, portant l’image de la Vierge de l’Annonciation, « avec devant Elle un ange lui présentant un lis ».

Les fillettes s’avancent jusqu’à l’autel où trône une statue de Notre-Dame des Victoires, car la paroisse est affiliée à l’Archiconfrérie parisienne du Très Saint et Immaculé Cœur de Marie, tandis que le vitrail qui éclaire le bas-côté représente l’apparition de la grotte de Lourdes, où l’Immaculée a révélé son Nom.

Elles s’agenouillent sur les premiers prie-Dieu et récitent leur dizaine de chapelet, quand tout à coup, raconte l’aînée, Jacqueline Aubry : « Je vis entre le vitrail et l’autel, une grande lumière, vive, mais non éblouissante, au milieu de laquelle apparut une belle Dame, se tenant dans une grotte et ayant à sa droite un ange, une fleur de lys à la main. Sous ses pieds, on lisait l’invocation :  Ô Marie, conçue sans péché, priez pour nous qui avons recours à vous. ” » C’est l’invocation de la Médaille miraculeuse et l’attitude de la belle Dame était celle de la prière, comme à la Rue du Bac, les mains jointes devant la poitrine, avec le chapelet à la main, comme à Lourdes...

Dans l’après-midi de ce 8 décembre, la Sainte Vierge se montra de nouveau aux enfants, mais cette fois avec une expression d’indicible tristesse, comme à La Salette, et s’adressa à eux :

« Dites aux petits enfants de prier pour la France... qui en a grand besoin.

– Madame, êtes-vous notre Maman du Ciel ?

– Bien sûr, je suis votre Maman du Ciel. »

En disant cela, le visage de la belle Dame s’était éclairé d’un merveilleux sourire. Nouveau détail touchant : Jacqueline Aubry et son frère, dont les parents n’étaient pas pratiquants, avaient appris leurs prières grâce à une vieille dévote du village, mademoiselle Grandin, qui les emmenait souvent à l’église, et quand ils se dissipaient, elle les reprenait en leur disant : « Mais priez donc votre Maman du Ciel ! » C’était également le titre du livre du marianiste Émile Neubert, “ Votre Maman du Ciel ”, paru au Puy en 1941... à l’occasion de la visite du Maréchal.

UNE DÉLIVRANCE MIRACULEUSE

Nous ne raconterons pas dans le détail cette merveilleuse semaine des apparitions, l’ayant déjà fait (cf. Les apparitions de L’Ile-Bouchard, 8-14 décembre 1947, Il est ressuscité no 41, décembre 2005, p. 23-32), contentons-nous ici de l’essentiel. D’abord, un fait certain s’inscrit en lettres d’or dans notre orthodromie mariale de douce et sainte France : c’est dans la nuit du 8 au 9 décembre 1947, qui suivit les premières manifestations de L’Île-Bouchard, que l’ordre de grève générale, qui devait tout bloquer et provoquer la révolution dans le pays, a été annulé au siège du bureau central du Parti, avant d’être répercuté dans les cellules locales, à la surprise générale.

Le 9 décembre, s’inscrivent de nouveaux mots sous les pieds de la Belle Dame : « Je suis l’Immaculée Conception ». Réitérant sa demande de prière pour la France, « qui, ces jours-ci, est en grand danger », Elle demande qu’on lui construise une grotte. Dans la grotte de Lourdes, Elle demandait « une chapelle », et dans l’église de L’Île-Bouchard, Elle demande... « une grotte » !

Le 11 décembre, Elle promet « du bonheur dans les familles », assurément celles qui entreront dans les pensées de son Cœur : « Il faut prier beaucoup pour les pécheurs », prier « et faire des sacrifices ». Quel souci chez notre Reine de sauver ses enfants, tous ses enfants ! Et comme ce salut est lié, conditionné même par celui de la Patrie, à chaque apparition, Notre-Dame fait prier « pour la France ».

Le 12 décembre, Elle est plus radieuse que jamais. Sa tête est auréolée de rayons lumineux vivement colorés, bleus, rouges, jaunes, verts, rosés, orange. Comme à Fatima. Les enfants nommeront cette auréole “ arc-en-ciel ”. Elle a baissé les mains et le mot “ Magnificat ” apparaît en lettres d’or sur son Cœur. On sait que ce 12 décembre marque la fin définitive de la grève et la reprise du travail sur l’ensemble du territoire. Il est temps de rendre grâces en reprenant le chant d’humble victoire de la douce Colombe annonciatrice de la Paix !

Le 14 décembre, pendant le dernier chant que termine l’invocation : « Ô Marie conçue sans péché, priez, priez pour la France », un rayon de soleil, perçant un ciel nuageux très bas, pénètre par une verrière du côté opposé, à hauteur du premier pilier qui sépare le chœur de la chapelle de la Vierge ; il oblique et progressivement, en éventail, éclaire toute la chapelle, l’apparition et les quatre enfants dont les visages sont transfigurés. L’église, habituellement froide et sombre, en est toute réchauffée et illuminée. Comme à Fatima en 1917, mais d’une manière beaucoup plus modeste, les apparitions de L’Île-Bouchard se terminent par un miracle solaire. C’est la signature de l’Immaculée. Le chant terminé, Elle bénit lentement la foule. Inclinées, les enfants se signent.

L’année précédente, un jeune théologien encore séminariste concluait sa contribution à un concours de théologie sur la Vierge Marie Co-rédemptrice par cette proposition :

« Si nous scrutons l’avenir, on peut augurer un grand développement de la théologie de l’Église... Dépassant les Pères qui firent de Marie le cou de l’Église, ne proposera-t-on pas à la piété des saints le Cœur de l’Église, cette Vierge Protectrice qui est la flamme vivifiante, l’Amour de l’Épouse pour l’Époux, l’organe dont les pulsations mystérieusement unies à celles du Sacré-Cœur transmettent au Corps entier l’Amour, la vie et la Grâce ? Cœur qui attire l’Église à Dieu autant qu’elle attire le regard de Dieu et Son Cœur débordant d’Amour vers l’Église. »

Nous verrons dans un prochain article qui était ce théologien, dont la doctrine “ totale ” récapitule tout l’héritage de la France Royaume de Marie, prépare les voies du triomphe de notre Mère chérie, et fera revenir sur son visage, au chant du Magnificat, le sourire de son éternelle action de grâces !

frère Thomas de Notre-Dame du perpétuel secours et du divin Cœur.