Il est ressuscité !
N° 267 – Juin 2025
Rédaction : Frère Bruno Bonnet-Eymard
Georges de Nantes
martyr de l’obéissance de la Foi (4)
PLÉNITUDE DE SAGESSE
ON lit dans le Code de droit canonique, n° 1325, § 1 CIC / 1917 : « Les fidèles du Christ sont tenus de professer ouvertement leur foi dans toutes les circonstances où leur silence, leurs hésitations ou leur attitude signifieraient une négation implicite de la foi, un mépris de la religion, une injure à Dieu ou un scandale pour le prochain. »
C’est ce que notre Père a accompli fidèlement durant toute sa vie sacerdotale par obéissance à la foi reçue à son baptême et qui lui fut enseignée par ses parents, par les Pères maristes de Toulon, par les jésuites de Brest, les Frères des écoles chrétiennes du Puy, dont il écrivait avec une reconnaissance émue et sans ombre, pour le dixième anniversaire de son ordination sacerdotale : « Ce sont eux qui m’ont fait, à force, ce que je suis de bon. »
C’est cette obéissance de la foi qui l’a engagé à la professer, tel le Père de Foucauld, en moine-missionnaire, dans un désert : celui d’une Église dévastée, au sein d’une génération impie, renégate et apostate, à la ressemblance de Celui que saint Charles de Foucauld prenait pour “ modèle unique ”, Notre-Seigneur Jésus-Christ face à Caïphe, aux grands prêtres, aux sadducéens, scribes endurcis, rebelles. À lui seul, sans calcul, sans la moindre ambition de voir reconnus ses merveilleux talents, il opposa au déni du Magistère extraordinaire, qui refusait de rendre le jugement infaillible auquel il en avait appelé, le témoignage du Magistère ordinaire de la Tradition de l’Église pour combattre une multitude d’erreurs doctrinales répandues non plus seulement par une “ secte ”, mais par tout un clergé en France, puis tout un Concile œcuménique et, finalement, par le Souverain Pontife en personne.
À la lumière de ce “ magistère ordinaire ”, millénaire, dont notre Père avait une connaissance non seulement exhaustive, mais aimable, savoureuse, mystique, il comprenait et démasquait dans toute la profondeur de leur malice, ces erreurs qui, aujourd’hui, désorientent le troupeau, et dont il refusait de se montrer complice par son silence.
NI SCHISME NI HÉRÉSIE.
Pour éviter d’avoir à reconnaître le bien-fondé des critiques de l’abbé de Nantes, que l’instruction de son procès avait rendu évident, le Saint-Office s’abstint de rendre un jugement.
Le vrai procès, qui n’est pas celui de l’abbé de Nantes, mais celui de la Réforme conciliaire, est donc toujours ouvert. Et la cause de l’hérésie est entendue.
C’est alors que se profile un autre péril, celui de la désertion des fidèles, voire le schisme des meilleurs, selon lesquels le pape Paul VI serait déposé du seul fait de la promulgation du nouvel Ordo Missæ qui entrait en vigueur le 30 novembre 1969, premier dimanche de l’Avent. Ils se donnèrent rendez-vous à la maison Saint-Joseph pour tenter d’entraîner l’abbé de Nantes, chef de la CRC, dans leur schisme.
Notre Père leur expliqua qu’en admettant même que le Pape ait promulgué une messe invalide, encore fallait-il que toute l’Église le constate et que l’autorité romaine prononce, en conséquence, un jugement de « déposition » du Pape régnant. « Car tant que l’Église n’aura pas rendu une sentence dogmatique, leur disait-il, votre pensée ne sera qu’une opinion théologique faillible. Donc, il faut obtenir un jugement de l’Autorité. » Nos visiteurs du soir ne voulurent rien entendre, parce qu’ils étaient non seulement schismatiques, mais hérétiques, puisqu’ils avaient perdu la foi en l’Église ! Ils ne passèrent pas la nuit sous notre toit où nous avions préparé leurs chambres. Notre Père les mit dehors, en les avertissant qu’il les combattrait publiquement.
Par son égal refus, d’une soumission inconditionnelle au Pape, comme d’une dissidence, notre Père s’engageait sur une “ ligne de crête ” entre deux abîmes : celui de l’hérésie où avait sombré l’Église conciliaire, à gauche, et celui du schisme où se précipitaient maintenant les “ intégristes ”, à droite.
« Nous ne sommes pas les sauveurs de l’Église, martelait-il. C’est elle qui est encore et toujours notre salut. Je ne le vois pas, mais je le crois de foi certaine. »
Nous, ses disciples, nous le “ voyions ” d’autant plus clairement qu’il ajoutait : « Le salut de l’Église est aujourd’hui, comme hier et toujours, dans ses pasteurs. » Notre Père, prêtre de l’Église catholique romaine, joua lui-même, à lui seul, le rôle de “ beau pasteur ” en restant dans l’Église, comme un fils au chevet de sa mère malade, et en fondant la Ligue de Contre-Réforme catholique pour soutenir nos proches et les garder dans l’Église, au service de « l’Église, l’Église seule », dans « la voie étroite de la fidélité catholique ».
« Réveiller nos Pasteurs, garder la vraie foi, œuvre difficile de notre CRC. » (CRC n° 40, janvier 1971, p. 2) Ce programme conciliait deux résolutions inséparables : défendre la foi vraie, intégrale, « totale », en demeurant enfants de l’Église, soumis à la hiérarchie, nourris de ses sacrements.
À cette condition, le fruit de cet attachement inébranlable sera un accroissement de la force de l’Espérance « qui est joie dans la Croix », écrivait notre Père. Car « la CRC, c’est, contre toute espérance, garder l’Espérance dans l’Église, et trouver dans cette persévérante fidélité une nouvelle ardeur de Charité fraternelle ».
Ces actes de Foi, d’Espérance et de Charité, pleinement catholiques, sont précisément le commencement des enseignements d’un Ange descendu du Ciel en précurseur de la Vierge Marie, à Fatima, en 1916.
« Ce qui relèvera l’Église, écrivait notre Père en 1969, ce sera l’œuvre proprement religieuse de “ revitalisation ” du tissu même de la société chrétienne où nous vivons, l’œuvre de la sanctification des âmes. Les manifestations, la polémique parlée ou écrite ne seraient que bruits de cymbale sans cette œuvre positive, constructive, de longue haleine, silencieuse, plus exigeante et difficile que toute autre. »
C’est à la lumière du “ Message de Fatima ” que notre Père entreprit et mena à bien cette œuvre gigantesque, entièrement absente de l’analyse de l’abbé Coulomb. Et pour cause !
Tandis qu’au printemps 1971, les intégristes réfractaires semaient dans le champ du Seigneur la zizanie comme des “ archi-apôtres ”, notre Père entreprenait une tournée de conférences sur le thème : « Demain Vatican III » pour que « Dieu sauve son Église par son Église même », et « liquide dans l’enthousiasme le cadavre pourri de Vatican II ».
Cette résolution est une véritable prémonition du “ troisième Secret ” de Notre-Dame de Fatima, trente ans avant son dévoilement public en l’an 2000 : « Le Saint-Père traversa une grande ville à moitié en ruine » où « il priait pour les âmes des cadavres qu’il trouvait en chemin ».
Tout le message de Fatima est un accomplissement de l’antique Alliance que Dieu noua avec sa créature.
ANNONCIATION
En effet, sœur Lucie raconte ainsi la salutation angélique qui préluda en 1916 à la révélation de ce “ grand secret ” que Notre-Dame confia, l’année suivante, en juillet 1917, à Lucie, François et Jacinthe :
« Un jour, raconte sœur Lucie, dans un ultime témoignage, daté de la quatre vingt-huitième année de son âge, le Seigneur envoya son Ange avec un message de paix et de prière, qui nous introduisit dans un climat surnaturel de foi, d’espérance et d’amour, en disant :
« “ N’ayez pas peur ! je suis l’ange de la paix. Priez avec moi. ” Puis, s’agenouillant par terre, il inclina le front jusqu’au sol. Poussés par un mouvement surnaturel, nous l’avons imité en répétant les paroles qu’il avait prononcées :
« “ Mon Dieu, je crois, j’adore, j’espère et je vous aime. Je vous demande pardon pour ceux qui ne croient pas, n’adorent pas, n’espèrent pas et ne vous aiment pas. ”
« Après avoir répété trois fois cette prière, l’Ange se releva et leur dit :
« “ Priez ainsi. Les Cœurs de Jésus et de Marie sont attentifs à la voix de vos supplications. ” »
C’est un renouvellement d’alliance que cet Ange du Ciel propose à trois enfants de moins de dix ans qui, sous l’empire d’une véritable inspiration, imitent l’Ange sans hésiter, réparant ainsi l’apostasie de ceux qui, infidèles à l’ancienne et éternelle alliance, « ne croient pas, n’adorent pas, n’espèrent pas et n’aiment pas » Dieu.
Tel est en effet le mystère de l’Église affrontée à l’Antichrist, dressé en ennemi infernal de la Mère de Dieu, divine Médiatrice de la nouvelle et éternelle alliance qui avait débuté de la même manière : « L’ange Gabriel fut envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, du nom de Nazareth, à une Vierge fiancée à un homme du nom de Joseph, de la maison de David ; et le nom de la Vierge était Marie. Il entra et lui dit : “ Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est avec toi. ” À cette parole elle fut toute troublée, et elle se demandait ce que signifiait cette salutation. Et l’Ange lui dit : “ Sois sans crainte, Marie ; car tu as trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que tu concevras dans ton sein et enfanteras un fils, et tu l’appelleras du nom de Jésus. ” » (Lc 1, 26-31)
Ce nom de Jésus signifie : “ Dieu sauve ”. La Vierge Marie est donc “ la Femme ” de la promesse faite par Dieu à Adam et Ève pour arracher leur descendance aux mains du diable, et les sauver de l’Enfer. En effet, c’est à Satan que Dieu dit au commencement : « Je mettrai une hostilité entre toi et la Femme, entre ta semence et la sienne. Elle t’écrasera la tête et tu l’atteindras au talon. » (Gn 3, 15)
À l’attente de ce salut, objet de toutes les « supplications » des enfants d’Ève, au long des siècles, Marie a répondu en mettant au monde le Sauveur. Et deux mille ans après, Jésus se montre « attentif » à la voix de nos supplications en envoyant sa Mère, et notre Mère, « comme Messagère de paix, de grâce, de pardon et d’amour pour parcourir le monde entier, écrit sœur Lucie, comme Bergère et Mère de son peuple, et pour amener en son Cœur la lumière de la foi, de l’espérance et de l’amour, qui brûle pour nous dans le Cœur de notre Dieu, Seigneur et Sauveur ».
“ L’Ange du Portugal ” revint une deuxième fois, à l’été de cette même année 1916, pour insister, alors que Lucie, François et Jacinthe étaient en train de jouer, ces innocents !
« Que faites-vous ? Priez, priez beaucoup ! Les Cœurs de Jésus et de Marie ont sur vous des desseins de miséricorde. Offrez constamment au Très-Haut des prières et des sacrifices. »
Parvenue à son grand âge, sœur Lucie insistait à son tour : « Ce n’est pas seulement sur les humbles pastoureaux que Dieu a de tels desseins. C’est sur chacun d’entre nous qu’il a des desseins de miséricorde, de grâce, de pardon et d’amour ; il suffit que nous ne lui fassions pas obstacle par nos péchés, nos manquements et nos ingratitudes, lesquels empêchent le Seigneur de réaliser ses desseins en nous. C’est la condition pour qu’advienne la concordance de notre volonté avec celle de Dieu sur nous. »
Non seulement éviter le péché, mais l’Ange ajoute : « Offrez constamment au Très-Haut des prières et des sacrifices. »
« Le sacrifice est le bastion de notre prière, commente sœur Lucie, il est la force qui la nourrit. En premier lieu, le sacrifice de nous-mêmes, de nos goûts illégitimes, le renoncement à nos inclinations peccamineuses provenant de la sensualité, de l’égoïsme, de la facilité, de l’ambition. Puis les sacrifices volontairement acceptés et recherchés, que nous offrons au Seigneur comme une humble offrande provenant de notre amour et de notre gratitude.
« C’est à cette prière que les Cœurs de Jésus et de Marie sont attentifs : ils les accueillent et les présentent au Père comme le fruit continuel de son œuvre rédemptrice pour le salut de l’humanité. »
En effet, depuis les origines « saint Paul nous invite à compléter en nous ce qui manque à la Passion du Christ ». Que manque-t-il ?
« Il manque ce qui revient à chacun d’entre nous d’offrir, comme les membres du Corps mystique du Christ que nous sommes, en unissant notre prière à la sienne et notre sacrifice au sacrifice du Christ Rédempteur » sur la Croix, renouvelé chaque jour, chaque fois qu’est célébré le Saint-Sacrifice de la messe dans le monde entier.
LE SAINT SACRIFICE RÉDEMPTEUR
C’est précisément l’objet d’une troisième visite angélique, à l’automne 1916. « Nous avons revu l’Ange qui tenait dans sa main gauche un calice au-dessus duquel était suspendue une Hostie de laquelle tombaient quelques gouttes de Sang dans le calice. Laissant le Calice et l’Hostie suspendus en l’air, il se prosterna près de nous jusqu’à terre et répéta trois fois cette prière :
« “ Très Sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, je vous adore profondément, et je vous offre le très précieux Corps, Sang, Âme et Divinité de Jésus-Christ, présent dans tous les tabernacles de la terre, en réparation des outrages, sacrilèges et indifférences par lesquels il est lui-même offensé. Par les mérites infinis de son très Saint Cœur et du Cœur Immaculé de Marie, je vous demande la conversion des pauvres pécheurs. ” »
Puis, se relevant, il prit de nouveau dans ses mains le Calice et l’Hostie. « Il me donna, raconte Lucie, la Sainte Hostie, et partagea le Sang du calice entre François et Jacinthe. »
Point de prêtre pour expliquer aux enfants le sens de cette cérémonie, mais la prière apprise de l’Ange y suffit, et garantit la Présence réelle du “ très précieux Corps, Sang, Âme et Divinité de Jésus-Christ ” que l’Ange leur donne en communion.
Il ajoute : « Mangez et buvez le Corps et le Sang de Jésus-Christ, horriblement outragé par les hommes ingrats. Réparez leurs crimes et consolez votre Dieu. »
Lucie cite saint Irénée affirmant « que la gloire de Dieu est la vie de l’homme et que la vie de l’homme est la vision de Dieu ». Et elle commente : « Si la manifestation de Dieu donne la vie à tous les êtres de la terre, combien plus la manifestation du Père donne-t-elle la vie à tous ceux qui voient Dieu ! » en regardant et adorant la Sainte Hostie.
Elle ajoute : « C’est vers Dieu – par la foi – que je vais fixer mon regard, parce que c’est en Dieu que je trouve le principe – qui, Lui, est sans principe – parce qu’en Dieu il n’y a ni passé ni futur, tout est présent dans la lumière de son Être immense, comme si tout se passait dans le même instant.
« Ainsi donc, continue Lucie, je vois cette visite de l’Ange dans l’Être immense de Dieu, depuis toujours, et il l’a envoyé sur terre au jour et à l’heure qu’il a fixés dans les desseins et les plans de son infinie miséricorde, comme un nouvel appel à la foi, à l’espérance et à l’amour. »
Par la voix de Lucie, messagère de Notre-Dame, ces trois vertus théologales résument toute notre sainte Religion aujourd’hui affrontée à la grande Apostasie des derniers temps comme l’annonçait saint Pie X : « Le premier pas fut fait par le protestantisme, le second est fait par le modernisme, le prochain précipitera dans l’athéisme. » (Il est ressuscité n° 141, juillet 2014, p. 22)
Sœur Lucie écrit : « Je me rappelle ici un passage du Cantique des cantiques : “ L’amour est fort comme la mort, la passion est implacable comme l’abîme. Ses flammes sont des flammes brûlantes, c’est un feu divin. Les torrents ne peuvent éteindre l’amour, les fleuves ne l’emporteront pas. ” » (Ct 8, 6-7)
« C’est la force de cet amour qui a attiré – une fois encore – le regard de Dieu sur nous, pour nous entraîner et nous amener à lui », et nous arracher aux mains de son Adversaire. Non sans appréhension, précisait Lucie en 1957 auprès du Père Fuentes, « parce que toujours dans les plans de la divine Providence, lorsque Dieu va châtier le monde, il épuise auparavant tous les autres recours. Or, quand il a vu que le monde n’a fait cas d’aucun, alors, comme nous dirions dans notre façon imparfaite de parler, il nous offre avec une certaine crainte le dernier moyen de salut, sa très Sainte Mère. Car si nous méprisons et repoussons cet ultime moyen, nous n’aurons plus le pardon du Ciel, parce que nous aurons commis un péché que l’Évangile appelle le péché contre l’Esprit-Saint, qui consiste à repousser ouvertement, en toute connaissance et volonté, le salut qu’on nous offre. »
En effet, l’Immaculée est le réceptacle du Saint-Esprit. C’est pourquoi Dieu nous invite à « boire à cette fontaine d’eau cristalline », qu’est son Cœur Immaculé, « à cette source de vie, de grâce, de force et de lumière, qui jaillit du Ciel sur la terre, et à manger de ce pain », “ cuit ” au “ four ” de son sein virginal, « pour que nous n’ayons plus soif ni faim. “ Qui boira de l’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif ; qui mangera de ce pain n’aura plus jamais faim. ”
« “ Celui qui croit en moi a la vie éternelle. Moi, je suis le pain de la vie... Ce pain, qui descend du Ciel, celui qui en mange ne mourra pas. Je suis le pain vivant qui est descendu du Ciel. Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. Le pain que je donnerai, c’est ma chair, donnée pour que le monde ait la vie. ” » (Jn 6, 47-51)
Ainsi, Lucie, François et Jacinthe ont reçu de la main de l’Ange du Portugal la divine Eucharistie en cette troisième apparition qui préludait aux manifestations de Notre-Dame, sans intervention du prêtre, ministre de ce sacrement... comme si Dieu, notre très chéri Père Céleste, voulait nous avertir d’un avenir proche où son Église, telle « une grande ville à moitié en ruine », n’aurait plus de prêtre pour faire descendre du Ciel le « Pain des anges »... ce qui est aujourd’hui en voie d’accomplissement.
VISITATION
C’est pourquoi notre Père décida, au printemps 1970, de fonder une Ligue au service de “ l’Église, l’Église seule ”. Pour porter à Rome notre plainte contre l’hérésie moderniste, en 1968, il avait affronté seul l’Autorité suprême et avait été vainqueur. Mais pour soutenir nos proches et les garder dans l’Église, il nous était nécessaire de nous épauler les uns les autres fraternellement, afin de « savoir et de sentir que nous ne sommes pas seuls. Je pense que l’heure de la Contre-Réforme catholique a sonné. »
« “ Les soldats combattront et Dieu donnera la victoire. ” Il y faut sagesse et confiance puisque c’est un service surnaturel qui nous est demandé, mais aussi courage et discipline puisque c’est une lutte d’homme. »
À la fin de l’année 1970, la Ligue comptait mille adhérents. Un premier tract intitulé : “ Lettre aux catholiques ”, déplorant la grande pitié de l’Église, et instaurant la Contre-Réforme nécessaire, fut tiré à plus de trois cent mille exemplaires, tandis que la communauté diffusait déjà cent cinquante heures de conférences enregistrées par notre Père sur bandes magnétiques.
En 1971, nos sœurs arrivèrent à point nommé pour nous aider dans cette immense tâche. Avant 1970, notre Père envoyait ses filles spirituelles dans différents monastères. Mais dans les années qui suivirent le Concile, les congrégations religieuses reçurent l’ordre de “ réformer ” leurs Règles et leurs coutumes, jusqu’à l’abandon du costume religieux et l’assimilation au monde salarié ! Les religieuses qui tentèrent de s’y opposer furent chassées de leur congrégation.
Un jour, notre Père me dit : « Et si nous travaillions pour nous ? » La maison sise en face de la maison Saint-Joseph, mise en vente de l’autre côté de la nationale, fut acquise. La “ Maison Sainte-Marie ” était née.
Nos sœurs adoptèrent la même “ Règle provisoire ” que nous, les frères, la suivant à l’ombre et sous la protection de la maison Saint-Joseph, comme à Nazareth la Sainte Vierge sous la garde de saint Joseph, dans une vie de prière, de silence, de travail manuel... vie d’abjection, petite et misérable, d’efforts quotidiens, de renoncement.
Après vingt ans d’un long et difficile apprentissage, notre Père en constatait les fruits savoureux : « Il est bon qu’à côté de la communauté des frères, il y ait la communauté des sœurs. Les hommes, entre eux, sont rudes ; ensuite, quand ils rencontrent des femmes, ils sont tentés. Tandis que là, les frères sont habitués à une présence féminine. Cela nous soulage beaucoup pour les nécessités domestiques. Mais aussi et surtout, cela nous incite à partager la ferveur, l’enthousiasme et la douceur féminines. Cependant il faut être prudent et veiller. Mais c’est une grâce ! » (4 octobre 1990)
Ainsi, la Ligue constituait le “ tiers ordre ” de notre communauté monastique et missionnaire tandis que les Petits frères du Sacré-Cœur en étaient le “ premier ordre ”, et les Petites sœurs le second, conformément à une tradition religieuse millénaire selon laquelle la vie monastique est l’œuvre par excellence de la restauration de l’Église et de la “ revitalisation ” de la Chrétienté, de la sanctification des âmes.
DEMAIN, VATICAN III !
Tandis que les intégristes poursuivaient leur bataille de la messe, notre Père relevait le défi du cardinal Suenens qui avait lancé l’idée d’un Vatican III achevant les conquêtes de Vatican II.
Dans ce monde qui s’enfonce dans une angoissante et interminable apostasie, « ils veulent un Vatican III, et définitif ? Eh bien ! qu’ils y viennent, et ils y seront pulvérisés ! Non par nous, non nobis, Domine, non nobis, sed Nomini tuo da gloriam... »
Étant à Paris le 11 mai, deux jours avant la conférence de lancement de cette campagne, raconte notre Père, « j’étais allé ce matin-là prier rue du Bac. Par grâce, j’y arrivai au moment même où entrait la statue itinérante de Notre-Dame de Fatima qui devait aller le lendemain à Pontmain. Tristesse indicible de voir comment elle était reçue clandestinement à Paris, sans fleurs, ni cierges, ni chants, ni foules. Toute cérémonie interdite par les autorités locales, disait-on. Minable ! Paris fermé à sa Reine ! »
Dans la même condition “ clandestine ” que la Sainte Vierge, l’année 1971-1972 sera consacrée par la Contre-Réforme à l’étude des Actes du concile Vatican II. Immense labeur doctrinal, mené avec une intelligence et une alacrité sans pareilles, qui débuta par la grande réunion publique du 14 octobre 1971 rassemblant à Paris, salle de la Mutualité, plus de 2 500 personnes ; public chaleureux, informé, capable de suivre trois heures d’exposés théologiques et de souscrire pleinement à la doctrine CRC.
Cette année d’études fut close le 11 octobre 1972, pour le dixième anniversaire de l’ouverture de ce funeste Concile qui avait engagé l’Église dans une mauvaise voie :
« Est-ce à dire que nous préconisons un simple retour en arrière ? Non ! Retrouver, à l’aiguillage de 1962, la vraie direction, oui, mais pour foncer et rattraper le temps perdu. Les questions débattues sont nouvelles, en partie du moins, et elles nous contraignent à résoudre des difficultés inconnues des anciens. Notre catholicisme aura ainsi des progrès théologiques et institutionnels à faire... Nous ne voulons pas “ revenir ” à Vatican I, ni au concile de Trente ni à celui de Nicée ! Nous voulons que Vatican III décante Vatican II, isole et élimine son poison. »
« Nous voulons que Vatican III sauve la Tradition, et la plupart des traditions dont l’Église a si bien vécu, des siècles durant. Mais il marquera ainsi un progrès et définira les formes du catholicisme d’aujourd’hui. »
Ce fut l’œuvre, non pas d’un Concile, mais d’un seul homme, prêtre de la Sainte Église catholique, apostolique et romaine, Docteur mystique de la foi, fondateur des Petits frères et Petites sœurs du Sacré-Cœur, en religion frère Georges de Jésus-Marie. Pour répondre à cette nécessité de progrès, dès l’année suivante, notre Père entreprit de donner des cours mensuels, salle de la Mutualité à Paris, qu’il assurera vingt-quatre ans durant, attirant un public assidu et enthousiaste ! D’abord un point d’actualité politique et religieuse, puis, en seconde heure, un cours magistral de théologie kérygmatique, dogmatique, politique, morale, métaphysique, d’histoire de l’Église, de la France... enfin “ Tout ”.
« La théologie de notre époque, expliqua-t-il d’emblée, doit être kérygmatique. La prédication (kerugma) de la Parole de Dieu, aujourd’hui, c’est l’annonce franche, brutale, paradoxale, du Salut évangélique sans la médiation rationnelle, universelle et intemporelle d’un système philosophique. Dieu, notre Père Céleste, est-il le Dieu de l’Ordre, ou le Dieu de la Révolution ? “ Il ne s’agit pas de chercher une solution bâtarde qui plaise aux deux partis, un compromis démagogique. Il s’agit de sortir les adversaires, chaque fois que cela est possible et juste, des étroitesses dans lesquelles les uns et les autres enferment indûment le “ kérygme ”, c’est-à-dire la totalité de la Révélation livrée à l’Église par les Apôtres, et fidèlement, intégralement transmise par sa Tradition.
« Le Mystère de Je suis, le Dieu de Moïse, s’accomplit dans la “ Révolution ” de Jésus qui s’est fait pauvre pour révéler ce mystère aux petits et renverser l’ordre établi par Satan ; une nouvelle vision de l’homme en découle, ainsi qu’une “ politique ”, afin que tout soit instauré, restauré dans l’histoire de l’humanité, par l’Église, en Jésus crucifié et ressuscité. Telle est la “ contre-révolution ” qui continue à changer la face de la terre jusqu’à ce qu’Il revienne. » Il nous appartient de « conserver, protéger, amplifier ce miracle de la nature et de la grâce dont l’humanité est en droit d’attendre encore mille merveilles ».
Il nous faut donc rallier la Contre-Réforme, rejeter les nouveautés hérétiques du concile Vatican II, mais en demeurant catholiques, soumis aux évêques et au Pape dans leur magistère infaillible et leur juste gouvernement des âmes.
LE PREMIER « LIBER ACCUSATIONIS ».
Mais prier, supplier, gémir pour la délivrance de l’Église, souffrir par elle et pour elle, ne suffisait plus. Au terme de son étude préparatoire à Vatican III, l’abbé de Nantes se décida à une ultime démarche : « Il faut aller à Rome faire remontrance au Pape en personne de l’hérésie, du schisme et du scandale dont il est, lui, l’auteur premier et responsable. »
C’est ainsi que, le 10 avril 1973, un Livre d’accusation était porté à Rome par notre Père entouré d’une soixantaine d’amis et délégués de la Ligue de Contre-Réforme catholique, représentant une “ Légion romaine ” forte de l’adhésion de plus de quatre mille signataires.
Sa dédicace est, à elle seule, une explicite profession de foi catholique :
« À notre Saint-Père le pape Paul VI, par la grâce de Dieu et la loi de l’Église Juge Souverain de tous les fidèles du Christ, Plainte pour hérésie, schisme et scandale, au sujet de notre frère dans la foi, le pape Paul VI. » Deux cent trente-sept citations justifiaient cette sévère remontrance, qui culminait dans l’accusation d’idolâtrie professée explicitement, aux applaudissements de tous les évêques du monde, dans le discours de clôture du Concile, le 7 décembre 1965 :
« Notre Accusation capitale porte sur votre libéralisme et votre culte de l’Homme que la Sainte Église déclare blasphématoires, hérétiques, schismatiques et, pour tout dire, apostats.
« La décision vous appartient. Vous êtes toujours le Vicaire de Jésus-Christ sur la terre. Jugez Vous-même et, si j’ai menti, retranchez-moi. Vous savez que je ne mens pas. Si j’ai dit la Vérité, retranchez-Vous de cette Communauté sainte que Vous avez trahie ! »
« J’étais avec l’abbé de Nantes, raconte Jacques Mourot, secrétaire général de la Ligue, parmi les soixante qui descendirent vers la Porte de bronze le 10 avril ; avec lui nous nous heurtâmes au barrage de police, comme nous fûmes expulsés le 11 avril de l’audience publique où le Saint-Père ne voulait pas nous voir. Eh bien ! jamais je ne me suis senti plus Romain, plus catholique romain qu’en ces heures douloureuses. C’est par tout notre être que nous nous sentions chez nous à Rome, et que la Réforme conciliaire et papale nous paraissait au contraire insolite, étrangère en ces lieux, point romaine du tout ni catholique. »
Le théologien de la Contre-Réforme catholique au vingtième siècle n’avait obtenu pour toute réponse du pape Paul VI qu’un barrage de policiers en civil et de carabiniers en armes lui interdisant l’accès de son palais. Quel aveu de faiblesse et plus encore de culpabilité !
« Or, voici le drame : le Pape ne nous a pas reçus. Uniquement et absolument parce qu’il ne voulait pas recevoir le Livre. Accepter le Livre et l’ouvrir, c’était se perdre lui-même. L’artificier, s’il ne peut désamorcer la bombe, sera tué par elle. Paul VI n’a aucune curiosité de savoir ce que renferme ce Livre. Il le sait par toute la matière de mon procès au Saint-Office intenté contre moi, à ma demande, de 1965 à 1969. Et il sait, par le déroulement de ce procès, à quelle conclusion aboutirait le sien, s’il était jamais ouvert ! » (Georges de Nantes, Docteur mystique, p. 276-277)
L’abbé Coulomb le sait très bien. C’est pourquoi il passe sous silence cet épisode de “ l’affaire de Nantes ” dans son étude « canonique »...
Et si Rome ne répond plus, c’est pour la même bonne raison : parce qu’il n’y a rien à répondre ! Ce silence rend à lui seul une sentence “ infaillible ” pour nous confirmer dans notre résolution : « Nous ne changerons rien à notre doctrine : plutôt mourir que tergiverser. » (CRC n° 68, mai 1973 : “ La leçon de Rome. ”)
Ultime recours en ces temps de détresse : notre Père consacra les maisons Saint-Joseph et Sainte-Marie au Sacré-Cœur de Jésus ainsi qu’au Cœur douloureux et Immaculé de Marie, inséparables du Cœur juste et prudent de saint Joseph. Avec cette clause :
« Nous ne demandons pas pour nous un sort différent cette année de celui que Vous nous avez donné jusqu’à ce jour. Bien que notre misère soit extrême et que les malheurs de l’Église nous soient à peine supportables, nous voulons bien que tant de peines durent encore, pour nous du moins, encore toute une longue année sans changement si tel est le dessein de Votre sagesse. Nous nous efforcerons de garder la foi, l’espérance ferme, une ardente charité, et de grandir en piété, régularité, douceur et sourire avec tous, esprit de renoncement et sacrifice, chacun selon la mesure de notre grâce et de Votre volonté, de toutes nos forces. »
Notre Père étendait à toute la Ligue, le 18 octobre, grande salle de la Mutualité, cette consécration au “ Sacré-Cœur de Jésus, salut du monde ”, dans des termes prémonitoires du “ troisième Secret ” de Fatima, qui ne sera dévoilé que le 26 juin 2000 :
« Faut-il donc, Seigneur Jésus, que la terre tremble sur ses fondements, que l’Église soit comme en ruines et le trône de Pierre ébranlé (vacillant), faut-il que nos Patries soient près de l’abîme et jetées dans un torrent de corruption, que la Troisième Guerre mondiale menace ? »
En novembre 1973, l’édition italienne du Livre d’accusation était prête, principalement et d’abord destinée au clergé romain, « en vue de poursuivre notre entreprise légale et canonique, hiérarchique, ecclésiastique, contre “ l’abomination de la désolation instaurée dans le lieu saint ” par cette funeste Réforme de l’Église lancée par Vatican II et menée par Paul VI à un train d’enfer ».
Notre Père se rendit donc à Rome avec frère Gérard pour distribuer le Libelle « à tous les cardinaux et tous les prêtres de Rome, mais aussi pour information, à tous les membres de la Curie romaine ».
L’année suivante, le 19 octobre 1974, une nouvelle réunion était organisée, grande salle de la Mutualité à Paris, sous l’égide de Notre-Dame de Fatima, ultime recours : “ Pour une nouvelle Chrétienté sous le signe de Fatima ”. À l’issue, par un télégramme adressé à Paul VI, l’abbé de Nantes réclamait la publication du “ troisième Secret ”, « le Secret de Marie, au monde, pour que l’Année sainte soit une année de conversion, de prière et de pénitence afin que les âmes se fortifient pour l’épreuve qui vient ». L’année 1975 était en effet une année jubilaire.
Le Saint-Père fit la sourde oreille, mais pas Notre-Dame ! Car elle gardait en réserve l’élu de son Cœur Immaculé, nouveau saint Pie X pour la délivrance et la purification de son Église.
Quelques années d’apprentissage, de “ noviciat ”, s’écoulèrent sous la conduite de notre Père conduisant sa Phalange sur une “ ligne de crête ” périlleuse, certes, mais d’une admirable sûreté pour nous garder de deux funestes attitudes : la fausse tranquillité des bien-pensants, d’une part, et l’exaspération d’esprits chagrins et révoltés du déni de justice opposé par l’autorité à notre Père, d’autre part. L’ultime recours aux Saints Cœurs de Jésus et de Marie ne devait cependant pas rester sans réponse.
LE PAPE JEAN-PAUL Ier : NOËL !
En 1978, Notre-Dame de Fatima suscita « un autre saint Pie X qui s’ignore » pour succéder à Paul VI, en la personne de Jean-Paul Ier, cet « Évêque vêtu de Blanc » qu’elle avait annoncé, et montré, à Lucie, François et Jacinthe le 13 juillet 1917, en leur confiant son grand “ Secret ”.
Mais Notre-Dame n’attendit pas cette échéance pour inspirer à notre Père force et lumière afin qu’il entreprenne de « tout restaurer dans le Christ ». Après une année d’apologétique catholique (1973-1974), il achevait à l’automne 1975 un cycle de conférences sur « Les grandes crises de l’Église », ouvrant la voie aux réconciliations à venir par « un traditionalisme intelligent », seul capable de produire de bons fruits, écartant les hérésiarques, refusant tout libéralisme et se méfiant de l’intégrisme.
Le premier fruit consiste dans la communion que les membres de la Ligue maintiennent coûte que coûte avec tous les catholiques dans leur paroisse, dans leur diocèse, refusant de confondre et de rejeter l’Église avec son cancer. « Il faut aujourd’hui déchirer, arracher le cancer du sein de l’Église : le Masdu de Paul VI, le culte de l’homme instauré par Vatican II, le modernisme et le progressisme (...). Mais le Corps ainsi libéré, il faudra recoudre, panser, nourrir. Ce sera le temps d’une autre, admirable, consolante, joyeuse fidélité, celle des renaissances et des restaurations catholiques. »
Le 6 août 1978, au soir de la fête de la Transfiguration, le pape Paul VI rendait son âme à Dieu. Et le 26, le cardinal Felici annonçait à l’Église de Rome « une grande joie » – et c’était vrai ! – pour la Ville et pour le monde entier, l’élection au souverain pontificat du patriarche de Venise, le cardinal Luciani.
Dans son éditorial de septembre 1978, l’abbé de Nantes exultait. Il intercalait les mots de “ Renaissance catholique ” entre les lignes du bandeau de La Contre-Réforme catholique au XXe siècle, et il titrait en éditorial : « Un autre saint Pie X qui s’ignore. »
Oui, Jean-Paul Ier ressemblait à saint Pie X, dont il était le fervent disciple, et le frère : même origine pauvre, même science consommée, vertus éprouvées, même amour de l’Église, même “ carrière ”. Après vingt ans de noirceur, une douce lumière éclaire de nouveau le visage de l’Église. Mais un pressentiment étreint le cœur de notre Père : « À l’heure même où le Pape était élu, avait lieu la première ostension du Saint Suaire à Turin, la monstration de la Sainte Face de Jésus crucifié, mémorial de sa Passion, argument de sa Résurrection, en présence de quatre-vingt mille pèlerins. Le Pape est notre doux Christ en terre, il est parfois un autre crucifié, comme saint Pierre. Qui vivra verra. »
Et l’on a vu : après trente-trois jours de lumineuse Renaissance catholique sous la houlette de Jean-Paul Ier, tout redevenait possible. Pour sa première audience générale du mercredi 6 septembre, le Saint-Père prêche sur l’humilité, commençant ainsi à purifier l’Église de “ l’orgueil des réformateurs ” dénoncé par l’abbé de Nantes dans sa Lettre à Paul VI, au lendemain du Concile, publiée dans les deux premiers numéros de La Contre-Réforme catholique au XXe siècle, périodique qui succédait, à partir d’octobre 1967, à la Lettre à mes amis.
« Devant Dieu, disait le nouveau Pape, l’attitude du juste est celle d’Abraham qui a dit : “ Je ne suis que poussière et cendre devant Toi, ô Seigneur ! ” Nous devons nous sentir petits devant Dieu. Quand je dis : “ Seigneur, je crois ”, je n’ai aucune honte à me sentir comme un petit enfant devant sa maman ; on croit en sa maman ; je crois au Seigneur, à ce qu’il m’a révélé. »
L’audience du 13 septembre, sur la Foi, prenait par avance le contre-pied de son successeur, Jean-Paul II, qui devait dire à André Frossard : « Je n’ai jamais considéré ma foi comme traditionnelle. Elle n’avait rien à voir avec un quelconque conformisme. Elle était née dans les profondeurs de mon propre moi. Elle était aussi le fruit de mes efforts, de mon esprit cherchant une réponse aux mystères de l’homme et du monde. » (CRC n° 188, avril 1983, p. 10)
Tandis que le pape Jean-Paul Ier, martyr et confesseur de la foi catholique, faisait passer les nouveautés conciliaires bien loin derrière la sainte Tradition catholique : « Lorsque le pauvre Pape, lorsque les évêques, les prêtres enseignent la doctrine, ils ne font qu’aider Jésus. Cette doctrine ne vient pas de nous, mais du Christ ; nous n’en sommes que les gardiens, nous devons seulement la faire connaître. »
Notre Père, lui, écrivait de même : « Ma foi, je l’ai reçue, ma foi est née de Dieu par le ministère maternel d’un être humain qui m’a été comme une mère. »
C’est pourquoi, le 6 août 1964, l’encyclique Ecclesiam suam, de Paul VI, avait retenti comme le discours-programme d’un novateur, dont la source vénéneuse serait l’immanence moderniste, la voie large, celle d’une réforme de l’Église en vue de plaire au monde, le débouché devait être la réconciliation universelle des religions et athéismes autour de Paul VI, initiateur et consommateur de cette paix mondiale annoncée comme un nouvel Évangile. Notre Père l’a vu, l’a écrit et, de ce jour, a engagé « le combat du fils contre son père, du prêtre contre le Pape. Il ne s’en conçoit pas de plus cruel », avouait-il.
La trêve ne dura que trente-trois jours, sous le pontificat d’ « un bon pape catholique ».
« Dieu nous l’a donné, Dieu nous l’a repris, que son saint Nom soit béni. » (Job 1, 21)
« Et pourtant, écrivait notre Père dans son éditorial d’octobre, en l’apprenant au matin du 29 septembre, nous nous sommes sentis orphelins comme cela ne nous était pas arrivé depuis vingt ans », lors de la mort de Pie XII.
Hanno mazzato il Papa !
« Cela s’est toujours murmuré à Rome, à chaque mort de pape, écrit notre Père. Mais cette fois la rumeur a pris une telle ampleur que La Croix même en informe ses lecteurs : “ Ils l’ont tué, disent les Romains, il était trop sympathique, trop gentil. ” Elle ajoute, maladroitement : “ Ils désignaient sans doute (sans aucun doute !) les soucis de l’Église universelle, mais plus encore l’administration du Vatican avec tous ses rouages complexes... Il semble en effet que Jean-Paul Ier s’est écroulé sous le poids de la charge pontificale, alors qu’il lui fallait désormais chaque jour prendre de nouveaux dossiers avec des problèmes difficiles à résoudre. » (La Croix, 1-2 octobre 1978)
« Croyons-en Jean Potin : ce sont sans doute les rouages, les dossiers, les problèmes qui ont tué le Pape et non ceux que le peuple de Rome accuse. Saura-t-on jamais ? Dieu a permis, c’est chose sûre, la mort de son serviteur et l’Église continuera dans la même voie malgré ses ennemis. Pour moi, dans ce meurtre je ne sépare pas “ les dossiers ”, des porteurs de dossiers. Ce qui a tué le saint pape Jean-Paul Ier, c’est d’avoir ouvert les dossiers secrets de Paul VI.
« Les autres croix, il les aurait portées. Oui, Bernert, de l’Aurore, a raison : le génocide froidement perpétré par les Syriens contre la communauté catholique libanaise en était une, très lourde : “ Il faut absolument faire cesser ce massacre, disait ce Pape au grand cœur le matin même de sa mort, intervenir le plus rapidement possible en faveur des chrétiens. Je viens d’écrire au président Carter dans ce sens. On ne peut laisser mourir ces gens. ” (l’Aurore, 3 octobre 1978)
Il en pleurait, il voulait se rendre lui-même à Beyrouth parmi ses enfants, dans la ville bombardée.
« Et aussi la violence qui venait de flamber de nouveau en Italie après un répit. Ce fut l’un de ses derniers, peut-être son dernier mot : “ Ils se tuent maintenant, même entre jeunes ! ”
« Mais les dossiers, c’est autre chose. C’est le cancer dans l’Église, toute cette leucémie de désordre, d’apostasie, d’immoralité répandus, installés officiellement, flattés, du haut en bas de la hiérarchie. L’inquiétude d’un schisme intégriste, trop réel, à résorber, je veux bien. Et la banqueroute financière dont Le Monde du 26 septembre annonçait la menace... Mais le schisme intégriste allait disparaître, se fondre dans la communion retrouvée de l’Église. L’argent allait abonder, surabonder dans les caisses vides d’un Pape réellement pauvre, donc économe, et aimé. Pour lui qui venait de renoncer au don, pour son joyeux avènement, d’un quatorzième mois pour les 3 000 fonctionnaires du Vatican, non, ce n’était pas un problème de redresser les finances. Moins de voyages, moins de dépenses de vanité, et le denier de Saint-Pierre décuplé par la confiance et par l’amour, le trou budgétaire était comblé.
« Ce qui l’a tué, c’est ce à quoi il ne s’attendait pas. Peut-être en premier lieu le troisième secret de Fatima, que ses prédécesseurs Jean et Paul ont tenu caché au monde, frauduleusement, depuis 1960. Et il y a là de quoi mourir d’angoisse, ou être tué d’avoir voulu le révéler. » C’est exactement ce qui s’est passé ! « Car pourquoi l’avoir tenu caché s’il n’annonce rien de terrible ? Pourquoi, si c’est terrible, ne pas en avoir averti l’Église pour qu’elle conjure le châtiment en accomplissant les simples demandes de la Vierge ? » Parce qu’il aurait fallu, alors, renoncer à la grande “ Réforme ” conçue par « l’orgueil des réformateurs ».
« Mais les dossiers du Vatican, ce sont bien d’autres choses encore : l’immense autodestruction de l’Église et les fumées de Satan qu’évoquait éloquemment le précédent Pape, mais que le cardinal Luciani n’avait jamais considérées dans leur ampleur, laissant cela à l’Autorité Suprême et s’appliquant à remplir en perfection sa charge, tenant la main à tout dans son patriarcat de Venise sans tolérer le moindre désordre. Or voilà ce dont il est mort : d’avoir vu qu’il faudrait sortir des voies paisibles d’un sage réformisme qui se voulait conciliaire, pour trancher dans le vif et combattre le désordre postconciliaire. S’il s’est senti trop faible pour une telle lutte, alors c’est vrai qu’il en est mort ; mais s’il avait résolu tout de suite de livrer ce combat, peut-être qu’ils l’ont tué en effet. »
La démonstration est sans appel.
« CONFIRME TES FRÈRES. »
« Car la confrontation devait avoir lieu, inévitable, implacable, mortelle. Elle n’est que reportée au Pontificat suivant. Il fallait d’abord réveiller la foi dans l’Église, la ferveur de la sainteté et de la grande discipline catholique, l’obéissance au Souverain Pontife, partout où elles existaient encore. C’est ce qu’a fait, prodigieusement, ce bref Pontificat.
« Alors viendrait le grand affrontement dramatique entre ceux qui ont la foi et ceux qui la pervertissent, entre ceux qui bâtissent l’Église et ceux qui la détruisent (“ une grande ville à moitié en ruine ”), entre les hommes de Dieu et les mercenaires de Satan, car il y en a...
« Jean-Paul Ier déjà par ses discours simples et ses belles paraboles réchauffait, éclairait, libérait les cœurs et les esprits des fidèles. Il donnait sous cette forme bénigne, comme Jésus en Galilée, un enseignement évangélique très pur, un trésor de doctrine. Et ses ennemis, qui ne l’appréciaient pas, se moquaient déjà de son style vieillot et de sa naïveté villageoise. Mais parfois ces paraboles annonçaient la polémique future, comme les allégories terriblement claires du Christ à Jérusalem, qui faisaient grincer des dents les scribes et les pharisiens, parce qu’ils s’y voyaient découverts, et concevaient le dessein de le tuer.
« La sublime petite parabole du portefaix de Milan enseigne apparemment le recueillement religieux, le culte de Dieu jusqu’au milieu du brouhaha des grandes villes. Mais le disciple intime, l’ennemi aussi que sa haine rend lucide, y entendaient un appel au mépris du monde et de ses exigences abusives, car Dieu en tout doit être le seul maître de son Église...
« L’allégorie de la lampe d’Aladin, dans la “ lettre à Monseigneur Dupanloup ”, suffirait à elle seule à ranger son auteur parmi les sectateurs de la Contre-Réforme les plus avertis, les plus décidés. Car enfin, dès lors qu’on a compris la ruse de ceux qui veulent racheter les vieilles lampes merveilleuses contre des nouvelles, clinquantes et sans valeur, on n’a plus rien à apprendre des prêcheurs d’aggiornamento !
« Et ainsi du reste. Jean-Paul Ier, s’il avait vécu un mois de plus, aurait commencé le nettoiement des écuries d’Augias, à partir du Vatican. Et c’est pour cela même qu’il n’a pas vécu. Déjà il savait, et pourtant il allait son chemin, le sourire dans les yeux et au cœur la plus ferme résolution. Sa force était dans la parole du Seigneur : “ Confirme tes frères. ”
“ Il n’est pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime. ” (Jn 15, 13) En ce moment solennel, nous voulons consacrer ce que nous sommes et tout ce dont nous sommes capables à cet objectif suprême, jusqu’au dernier souffle, conscient de la tâche que le Christ nous a confiée : Confirme tes frères (Lc 22, 32). ” C’était, dans son discours inaugural du 27 août, la partie personnelle rédigée de sa main. En somme, son testament. »
ET LA CONTRE-RÉFORME ?
Déjà, il avait annoncé une défense et un rappel de l’indissolubilité et de la fécondité du mariage à des évêques américains. Déjà, il avait manifesté un anticommunisme profond et résolu à l’encontre des théologiens de la “ Libération ” réunis à Puebla. Il déclarait en la basilique Saint-Jean de Latran, le 23 septembre, « faisant appel, avec affection et espérance, au sens des responsabilités de chacun devant Dieu et devant l’Église, je voudrais pouvoir être assuré que toute irrégularité liturgique sera soigneusement évitée ».
« Reste cependant qu’entre Lui et nous, entre l’héritage de Jean (XXIII) et Paul (VI) qu’il déclarait assumer, et notre Ligue de Contre-Réforme, demeurait une contradiction irréductible sur des points de foi, précis, importants. Nous ne pouvions, nous ne pourrons jamais accepter comme un dogme nouveau le prétendu droit social de l’Homme à la liberté religieuse, pas plus que le Culte de l’Homme proclamé par Paul VI à la face de toute l’Église le 7 décembre 1965, pour la clôture du Concile. Aussi nous disait-on en France et à Rome depuis quinze ans que nous nous trouvions engagés dans une voie sans issue.
« Or l’issue, Jean-Paul Ier nous l’a rouverte. Par un simple mot, d’honnêteté, d’humilité. Le mot à lui seul défait l’hérésie, débloque l’impasse conciliaire. À lui seul ce mot justifierait le règne trop bref de ce Pontife sur le trône de saint Pierre, dans l’unanimité de l’Église se reconnaissant en lui. Avouant ses luttes intimes, lors du Concile, et la difficulté de se rallier aux thèses des Novateurs, en particulier à leur théorie de la Liberté religieuse, il avait eu cette confidence : “ Pendant des années, nous avions enseigné que l’erreur n’a aucun droit. J’ai étudié à fond le problème et, à la fin, je me suis convaincu que nous nous étions trompés. ”
« D’un coup, la franchise du Pape restaurait le droit de tous d’être entendus, même après Vatican II, sans excommunication frauduleuse, et les vraies proportions du drame présent. Voici : certains ont fini par se laisser convaincre ou se convaincre eux-mêmes que l’Église s’était trompée jusqu’à ce jour. D’autres sont demeurés convaincus ou ont enfin compris que se sont trompés et nous ont trompés les Novateurs de ce Concile plutôt que l’Église de toujours. Avouer l’erreur possible, la tromperie dans un sens ou dans l’autre, c’est rendre la paix à l’Église en renvoyant ces questions difficiles au domaine des libres opinions, dans l’attente d’un Vatican III dogmatique ou de définitions infaillibles du Pape.
« C’est donc dans un climat de charité que se seraient réglés nos différends. L’heure était à l’apaisement. Jean-Paul Ier n’avait pas cette morgue des Novateurs, ce dogmatisme incroyable des Nouveaux Théologiens et Réformateurs assurés en tout de leur infaillibilité à l’encontre même de l’Église séculaire et de son Magistère. Il les contraignait gentiment à prendre un bain d’humilité, préalable obligé à toute controverse constructive et, soit dit en passant, c’est ce qu’ils détestent le plus. L’autocritique, pour eux, depuis vingt ans, c’est du haut de leur piédestal conciliaire la critique de l’Église de toujours. Avec ce bon Pape, c’était de nouveau l’examen de nos pensées, de nos œuvres à nous les vivants, à la lumière de la Révélation du Christ et de la Tradition séculaire de l’Église. C’est bon cela ! »
Il y avait surtout cette résolution confiée au Vénitien, don Germano Pattaro, son ami :
« Si je vis, je retournerai à Fatima pour consacrer le monde et particulièrement les peuples de la Russie à la Sainte Vierge, selon les indications qu’elle a données à sœur Lucie. » Il entrait ainsi dans le dessein divin avec une docilité d’enfant. Il voulait faire humblement, ce que la Vierge avait demandé, exactement comme elle l’avait demandé, et pour la seule raison qu’elle le voulait ainsi :
« Si je vis. » Le sort du monde en eût été changé. Et celui de l’Église aussi dont « sœur Lucie du Cœur Immaculé de Marie est la fille chérie », affirmait le cardinal Luciani. « Après sa mort, sœur Lucie sera connue et aimée dans le monde entier, comme le fut sainte Bernadette de Lourdes. Le monde entier connaîtra les faits extraordinaires et les conversions opérées par Notre-Seigneur et par la Madone à la prière de sœur Lucie. »
JEAN-PAUL II
LE FEU DANS LA MAISON DE DIEU
Le pape Jean-Paul II fut le successeur de Paul VI, hélas ! et non pas celui de Jean-Paul Ier. Il fallut donc reprendre le combat « du fils contre son père ». D’autant plus que Karol Wojtyla ne tint aucun compte des demandes de Notre-Dame. Mais la divine Providence voulut que sœur Marie-Lucie de Jésus et du Cœur Immaculé reçoive l’obédience, le 15 mai 1982, après avoir participé au grand pèlerinage du 13 mai, de parler en privé avec le Saint-Père. Elle lui demanda de publier la troisième partie du “ Secret ” confié par Notre-Dame le 13 juillet 1917 à ses petits messagers. Jean-Paul II répondit à sœur Lucie qu’il n’était « ni nécessaire ni prudent de révéler le contenu du troisième Secret, vu que le monde ne le comprendrait pas ». Il éluda la question de la consécration de la Russie en disant qu’il parlerait de « toutes ces choses » aux évêques, pendant le synode de 1983...
Or, il se trouve que sœur Lucie rencontra à cette occasion le Père provincial des carmes. Celui-ci lui donna une obédience qui la plongea dans la perplexité : « Il faut à présent écrire comment vous voyez le message à travers le temps et les événements. »
C’est alors qu’ « un doute surgit en moi », écrit sœur Lucie : « Vu les normes du Saint-Siège à mon égard, est-ce que je peux faire ce travail sans son autorisation ? Puisque ces normes me demandent de ne pas parler des apparitions, je peux encore moins écrire à leur sujet ! » L’année s’écoula dans ce doute, et le 11 février 1983, « notre Père provincial passant à Coimbra » affirma à Lucie que « parler est une chose et écrire, une autre ».
Pas très convainquant... À moins de comprendre que « verba volant » sont irrattrapables. Tandis que les écrits se “ corrigent ”, comme on a pu le constater dans son livre édité sous le titre : “ Appels du Message de Fatima ”.
« Ayant appris que Son Éminence le cardinal Éduardo Pironio allait venir donner la retraite annuelle à la communauté, j’ai attendu pour pouvoir le consulter sur ce qui m’était demandé, sur ce que prescrivaient les normes du Saint-Siège et sur ce que m’avait dit le Père provincial. Son Éminence me répondit que les paroles du Père provincial étaient justes, qu’il en était bien ainsi, et il ajouta :
« Parler est une chose, écrire en est une autre ; vous pouvez donc écrire, et même vous devez le faire ; alors faites-le, puisque moi aussi je vous le demande, non seulement comme directeur de ces exercices, mais en tant que Supérieur majeur et Préfet de la Sacrée Congrégation pour les Religieux. » Et il répéta : « Ce que vous a dit le Père provincial est bien ; ce que prescrivent les normes en recommandant de ne pas parler n’a rien à voir avec le fait d’écrire ; c’est une chose de parler, c’en est une autre d’écrire. » (9 septembre 1983)
Le complot des censeurs était donc bien monté par les Princes de l’Église, comme au temps de Jeanne d’Arc ! Sœur Lucie l’a compris, mais elle obéira.
OBÉISSANCE HEROÏQUE.
« Devant cette réponse, je n’ai plus à hésiter, je dois obéir avec foi, espérance et amour, certaine que telle est la volonté de Dieu. J’irai donc, Seigneur, déposer sur ton autel cette nouvelle fleur, cueillie dans le jardin de ton amour, mais cueillie sur un rosier couvert d’épines pour l’effeuiller sur ton chemin et sur le mien, même si les pétales viennent à être dédaignés, enlevés ou emportés par le vent pour finalement traîner par terre et être foulés par les passants, comme si c’était le reste de mon ultime dépouille. »
Tel fut en effet le sort de son livre édité sous le titre : “ Appels du Message de Fatima ”, révisé et corrigé, à Rome, sous l’autorité directe du pape Jean-Paul II.
« Je dois faire ce travail peu à peu, selon les moments dont je disposerai pour m’y consacrer, toujours confiante en l’assistance de l’Esprit-Saint et en la protection maternelle du Cœur Immaculé de Marie : “ Mon Cœur Immaculé sera ton refuge et le chemin qui te conduira jusqu’à Dieu. ” »
DEUXIÈME LIVRE D’ACCUSATION
Il se trouve que cette année-là, notre Père rédigea, dans une grande sérénité d’âme, mais au prix d’un travail intense, de quarante jours, un second Livre d’accusation. Deux chefs d’accusation : “ Novateur ” et “ Corrupteur ”. L’introduction formule l’Accusation capitale :
« Il faut vous dire en face, Très Saint-Père, que votre religion n’est plus celle de l’Église catholique romaine, l’unique Église du Christ, dont vous êtes la Tête. Votre religion est la religion de l’homme qui se fait dieu et non plus la religion du Dieu Fils de Dieu qui s’est fait homme. Car l’une et l’autre s’excluent. »
« En effet, Karol Wojtyla, devenu le pape Jean-Paul II, prétend justifier le “ nouvel humanisme ”, au nom duquel son prédécesseur Paul VI a proclamé en conclusion du Concile, le 7 décembre 1965, avoir “ plus que quiconque le culte de l’homme ”, par une synthèse hégélienne entre le monde moderne et sa philosophie athée, d’une part, et la religion catholique d’autre part. Comment cela ? En disant oui au monde moderne et à sa philosophie athée, et en même temps oui à Dieu, à l’Église et à Marie ! »
C’est précisément de quoi l’Église se meurt, en accomplissement du “ troisième secret ” de Fatima, après un règne pontifical de plus de vingt-cinq ans, auquel s’est heurtée la messagère de Notre-Dame dont l’ultime ouvrage est dédicacé au Cœur eucharistique de Jésus et Marie par deux petits poèmes réparateurs adressés, le premier à Jésus et le second à Marie :
« Je veux te suivre toujours,
où que tu ailles,
avec toi être consacrée,
petite hostie d’amour !
Humble grain de blé,
moulu par amour pour toi,
offert au Père avec toi,
hymne d’éternelle louange !
« Tu es notre Dame et notre Bergère,
allant partout en ce monde
à la recherche de tes enfants égarés,
ramène-les en ton Cœur de Mère.
Ô céleste Messagère,
va par la terre entière,
ne perds pas un seul de ceux
dont tu es la Reine et la Protectrice. »
Puis elle entre dans le vif du sujet :
« Saint Irénée dit que la gloire de Dieu est la vie de l’homme et que la vie de l’homme est la vision de Dieu. Si la manifestation de Dieu donne la vie à tous les êtres de la terre, combien plus la manifestation du Père – par le Verbe – donne-t-elle la vie à tous ceux qui voient Dieu !
« C’est vers Dieu – par la foi – que je vais fixer mon regard, parce que c’est en Dieu que je trouve le principe – qui, lui, est sans principe –, parce qu’en Dieu il n’y a ni passé ni futur, tout est présent dans la lumière de son Être immense, comme si tout se passait dans le même instant. »
Ces lignes résument toute la “ métaphysique totale ” que notre Père exposait magistralement dans ses conférences mensuelles de la Mutualité, à Paris, au même moment (1981-1982) !
« Il s’agit de démontrer à l’homme qu’il n’est pas le centre de l’univers ni son terme, qu’il n’est pas à lui-même sa propre fin. Mais qu’il est créature de JE SUIS, appelée par Lui à s’accomplir et se sauver en faisant corps avec ses frères humains, en faisant corps avec le Christ, à la louange de la gloire de Dieu ! Morale et mystique en sortent différentes, contraires. Hier, le risque était grand de considérer que tout est dû à l’Homme absolu ; aujourd’hui nous savons que le bien, la beauté, la gloire de l’homme “ relatif ” consistent dans le service des autres, l’amour, la convivialité, l’union en un seul Corps, dans la docilité joyeuse à Dieu qui conduit tout à la plénitude universelle. » (CRC n° 185, janvier 1983, p. 2)
Cette métaphysique relationnelle et ses prolongements dans tous les domaines faisaient l’admiration du Père Hamon, son ami eudiste qui lui écrivait : « J’ai dans l’idée que vos Opera omnia, équivalant à une véritable “ patrologie ”, constitueront la Summa theologica de l’ère nouvelle, dans l’Église. »
Hélas ! peu d’esprits le reconnaissaient dans l’Église. Mais à John Haffert qui faisait remarquer à sœur Marie-Lucie de Jésus et du Cœur Immaculé, en juillet 1981, qu’ « il semble que nous n’ayons pas aujourd’hui de grands hommes comme Pie X, saint Benoît et saint Grégoire le Grand », la messagère de Notre-Dame répondait : « Nous avons de grands hommes, mais ils ne sont pas reconnus. » Elle ne pouvait mieux dire, puisque, au même moment, elle ajoutait : « Ainsi, je te le demande, mon Seigneur et mon Dieu, que ce travail soit pour toi, qu’il devienne même une hymne d’éternelle gratitude et de louange pour ton amour envers moi. » (Comment je vois le message, p. 12)
Parlant comme si elle était seule à chanter par son “ travail ” « une hymne d’éternelle gratitude et de louange » de gloire à l’amour divin dont elle était aimée. Elle seule... oui ! Au sein d’une génération apostate.
TÉMOIN DE FATIMA
Seule ? Non ! pas tout à fait...
L’attentat dont fut victime Jean-Paul II, le 13 mai 1981, place Saint-Pierre, aurait pu, aurait dû donner un coup d’arrêt à cette apostasie en ouvrant les yeux du Saint-Père sur le Message de Notre-Dame de Fatima qu’il ne connaissait pas et dont il demanda à être informé...
Eh bien ! Cet attentat manqué porta, contre toute attente, à son comble la popularité du Pape, sans aucun bénéfice pour Notre-Dame. C’était pourtant un intersigne, un 13 Mai ! voulu par la Reine du Très Saint Rosaire « pour ramener le Pasteur des brebis à l’obéissance aux volontés divines révélées à Fatima le 13 mai 1917, et tant de fois répétées ! »
« DIEU VEUT. »
Tandis que notre Père reprenait courageusement son combat pour l’Église, contre l’apostasie, notre Mère Immaculée le fortifiait d’une invincible espérance. En effet, ayant prêché une récollection à Josselin, les 30 et 31 mai 1981, sur le thème : “ Tout sur Fatima ”, il en reçut des grâces si profondes qu’elles furent, jusqu’à son dernier soupir, sa lumière dans les ténèbres qui ne cessaient de s’épaissir.
Tout était déjà contenu dans l’entretien que le Père Augustin Fuentes eut avec sœur Lucie, au parloir du carmel de Coimbra, le 26 décembre 1957 et qu’il rapporta le 22 mai 1958, après son retour au Mexique, au cours d’une conférence à la maison mère des sœurs missionnaires du Sacré-Cœur et de Notre-Dame de Guadalupe. Le compte rendu en fut publié, précise le Père Alonso, « dans son texte espagnol et dans une version anglaise, avec toutes les garanties d’authenticité et l’aval de la hiérarchie, particulièrement celle de Mgr Venancio, le nouvel évêque de Fatima. Mgr Sanchez, archevêque de Vera Cruz, donna l’imprimatur. »
« Je veux vous raconter seulement la dernière conversation que j’ai eue avec elle, le 26 décembre de l’an passé. Je l’ai rencontrée dans son monastère, très triste, pâle, émaciée. Elle me dit : “ Mon Père, la très Sainte Vierge est bien triste, car personne ne fait cas de son message, ni les bons ni les mauvais. Les bons continuent leur chemin, mais sans faire cas du message. Les mauvais, ne voyant pas tomber sur eux actuellement le châtiment de Dieu, continuent leur vie de péché sans se soucier du message. Mais croyez-moi, Père, Dieu va châtier le monde et ce sera d’une manière terrible. Le châtiment céleste est imminent. ”
« Que manque-t-il, Père, pour 1960 et qu’arrivera-t-il alors ? »
L’année 1960 était la date fixée par la Sainte Vierge pour la révélation de la troisième partie du “ Secret ” qu’elle avait confié à Lucie, François et Jacinthe le 13 juillet 1917. La réponse à la question posée par Lucie au Père Fuentes, nous la connaissons maintenant : ce qui est « arrivé » en 1960, c’est la convocation du Concile en 1959, un an après la mort de Pie XII, par son successeur, le pape Jean XXIII, et son ouverture le 11 octobre 1962.
« Ce sera bien triste pour tous, nullement réjouissant si auparavant le monde ne prie pas et ne fait pas pénitence. Je ne peux donner d’autres détails puisque c’est encore un Secret. Seuls le Saint-Père et Mgr l’évêque de Leiria pourraient le savoir, de par la volonté de la très Sainte Vierge, mais ils ne l’ont pas voulu pour ne pas être influencés. C’est la troisième partie du message de Notre-Dame qui restera secrète jusqu’à cette date de 1960. »
Aujourd’hui, nous le connaissons, ce secret :
« Nous vîmes à gauche de Notre-Dame, un peu plus haut, un Ange avec une épée de feu à la main gauche ; elle scintillait, émettait des flammes qui paraissaient devoir incendier le monde ; mais elles s’éteignaient au contact de l’éclat que, de sa main droite, Notre-Dame faisait jaillir vers lui : l’Ange, désignant la terre de sa main droite, dit d’une voix forte :
“ Pénitence, Pénitence, Pénitence ! ”
« Et nous vîmes dans une lumière immense qui est Dieu “ quelque chose de semblable à l’image que renvoie un miroir quand une personne passe devant ” : un Évêque vêtu de Blanc. “ Nous eûmes le pressentiment que c’était le Saint-Père. ” Plusieurs autres évêques, prêtres, religieux et religieuses gravissaient une montagne escarpée, au sommet de laquelle était une grande Croix de troncs bruts comme si elle était en chêne-liège avec l’écorce.
« Le Saint-Père, avant d’y arriver, traversa une grande ville à moitié en ruine et, à moitié tremblant, d’un pas vacillant, affligé de douleur et de peine, il priait pour les âmes des cadavres qu’il trouvait sur son chemin. »
Après avoir lu le texte manuscrit de sœur Lucie, Jean XXIII déclara : « Cela ne concerne pas mon pontificat », et le mit au placard. Il y répondit pourtant insolemment dans son discours d’ouverture du Concile, le 11 octobre 1962, en condamnant « les prophètes de malheur » ! Le malheur est pourtant venu sur la « grande cité » qu’est l’Église, aujourd’hui « à moitié en ruine » à la suite d’un Concile “ réformateur ”.
Mais l’Église est tellement « nécessaire au monde », comme le disait et expliquait notre Père, que Lucie poursuivait en disant au Père Fuentes d’insister auprès des autorités :
« Dites-leur, Père, que la très Sainte Vierge, plusieurs fois, aussi bien à mes cousins François et Jacinthe qu’à moi-même, nous a dit que beaucoup de nations disparaîtront de la surface de la terre, que la Russie sera l’instrument du châtiment du Ciel pour le monde entier si nous n’obtenons pas auparavant la conversion de cette pauvre nation. »
Le pape François a fait cette consécration, mais sans faire cas de la volonté de Dieu, d’ « établir dans le monde la dévotion à mon Cœur Immaculé », pourtant bien précisée par Notre-Dame le 13 juin, avec cette promesse : « À qui embrassera cette dévotion, je promets le salut ; ces âmes seront chéries de Dieu, comme des fleurs placées par moi pour orner son trône. »
C’est que « le démon est en train de livrer une bataille décisive avec la Vierge, et comme il sait ce qui offense le plus Dieu et qui, en peu de temps, lui fera gagner le plus grand nombre d’âmes, il fait tout pour gagner les âmes consacrées à Dieu, car de cette manière il laisse le champ des âmes sans défense, et ainsi il s’en emparera plus facilement.
« Dites-leur aussi, Père, que mes cousins François et Jacinthe se sont sacrifiés parce qu’ils ont toujours vu la très Sainte Vierge très triste en toutes ses apparitions. Elle n’a jamais souri avec nous et cette tristesse, cette angoisse, que nous remarquions chez elle, à cause des offenses à Dieu et des châtiments qui menacent les pécheurs, pénétrait notre âme et nous ne savions qu’inventer en notre petite imagination enfantine comme moyens pour prier et faire des sacrifices. »
Dans sa deuxième apparition, de l’été 1916, l’Ange leur avait commandé : « Offrez sans cesse au Très-Haut des prières et des sacrifices ! » Devenue carmélite à Coimbra, sœur Lucie disait : « Le sacrifice est le bastion de notre prière. »
SOUFFRIR ET OFFRIR
« Voulez-vous vous offrir à Dieu pour supporter toutes les souffrances qu’il voudra vous envoyer en acte de réparation pour les péchés par lesquels il est offensé et de supplication pour la conversion des pécheurs ? »
« Telle est l’immense délicatesse avec laquelle Dieu traite ses humbles créatures et confirme les dons qu’il leur a octroyés. Il ne veut pas être servi par contrainte, mais par amour, puisqu’il est amour et qu’il agrée seulement ce qu’on fait par amour pour lui et le prochain ; il n’accepte rien d’autre, et rien d’autre n’a de valeur en sa présence.
« Sans se préoccuper des souffrances que Dieu allait leur envoyer, les petits bergers s’en remirent entièrement à sa volonté. Et sans le savoir, puisqu’ils ne connaissaient pas l’Écriture, ils répondirent comme le Christ : “ Me voici, Père, pour faire ta volonté. ” Quelle qu’elle soit, dispose de moi selon ton bon plaisir. De même que Marie a répondu à l’Ange qui venait lui annoncer l’Incarnation du Fils de Dieu : “ Voici la servante du Seigneur, qu’il me soit fait selon ta parole ” (Lc 1, 38), ainsi les petits bergers donnèrent une même réponse : “ Oui, nous le voulons. ”
« Notre-Dame accueillit cette réponse comme les prémices de son message et, dans un geste de protection maternelle, elle nous enveloppa dans l’immense lumière de Dieu, tout en nous répondant : “ Vous aurez alors beaucoup à souffrir, mais la grâce de Dieu sera votre réconfort. ” C’est cette grâce qui nous introduisit dans l’immense océan de la lumière de Dieu et qui nous poussa à l’adorer dans le mystère de la Très Sainte Trinité et à l’aimer dans la divine Eucharistie, en disant intérieurement dans le silence de notre cœur : “ Ô Très Sainte Trinité, je vous adore. Mon Dieu, mon Dieu, je vous aime dans le Saint-Sacrement de l’Eucharistie. ”
« Ce message fut pour moi la révélation du mystère de Dieu présent en moi et la révélation de moi-même toujours présente en Dieu, de moi-même en qui je dois l’adorer, l’aimer et le servir avec foi, espérance et amour.
« Notre-Dame termina le message de ce jour en disant : “ Récitez le chapelet tous les jours, afin d’obtenir la paix pour le monde et la fin de la guerre. ” Puis, s’élevant dans l’espace, elle fut tout heureuse d’apporter à Dieu – comme le fit autrefois l’ange Gabriel pour Marie – la réponse des petits bergers choisis par Dieu pour transmettre au monde son message. »
frère Bruno de Jésus-Marie.