26 MARS 2023

La résurrection de Lazare :
coup de force messianique

POUR cette ultime confrontation avec les autorités religieuses de Jérusalem, les apôtres ne se sentaient pas du tout de taille. C’est pour ainsi dire Jésus seul qui affrontera ses ennemis. Si lors de son ministère à Jérusalem, il laisse ses apôtres et la majorité de ses disciples en arrière, c’est qu’il veut se montrer avant tout comme Fils de Dieu, venant d’en haut. Jésus est le Fils de Dieu venu d’auprès du Père, qui est toujours dans le sein du Père et qui va y retourner. Lui seul peut dire en toute vérité : « Le Père et moi sommes UN. »

Les chapitres 7 à 11 de saint Jean nous racontent en détail ces terribles controverses. Ce sont des traits fulgurants de divine lumière qui confondent les pharisiens et les sadducéens : « En vérité, en vérité, je vous le dis, avant qu’Abraham fût, Je Suis. » et les pharisiens ramassant des pierres pour le lapider tombaient sous le coup de cette révélation : « Vous avez pour père le diable et ce sont les désirs de vous votre père que vous voulez accomplir. »

Le bon peuple de Jérusalem est sidéré : « Jamais homme n’a parlé comme cet homme ! » et c’est pourquoi « beaucoup crurent en lui. » On sent vibrer le cœur de Jésus en ces altercations qui mettent sa vie en jeu, car il cherche encore à toucher ses adversaires pour les convaincre de leur erreur : « ... quand même vous ne me croiriez pas, croyez en ces œuvres et sachez une bonne fois que le Père est en moi et moi dans le Père. »

« Ces œuvres », ce sont ses miracles. Il va guérir sous leurs yeux l’aveugle-né. Miracle tellement prodigieux que les pharisiens eux-mêmes sont divisés, mais c’est la mauvaise partie d’entre eux qui l’emportent, et veut lapider Jésus... Mais son heure n’est pas encore venue. Il quitte Jérusalem, mais c’est pour mieux préparer sa rentrée et frapper un grand coup cette fois. Il ne reviendra pas seul, mais à la tête de son « église », de son « commando de Galiléens » ce qui avait bien de quoi inquiéter les Juifs.

Lazare étant malade à mourir, Marthe et Marie envoient dire à Jésus : « “ Seigneur, celui que tu aimes est malade.  À cette nouvelle, Jésus dit :  Cette maladie n’est pas mortelle, elle est pour la gloire de Dieu ; elle doit servir à glorifier le Fils de Dieu. Car Jésus aimait Marthe et sa sœur et Lazare. ” » Il s’en suit un conciliabule, une discussion entre les disciples et Jésus, car ils sont affolés : « Rabbi, tout récemment encore, les Juifs voulaient te lapider et tu retournes là-bas. » Jésus ne leur dit pas comme d’habitude, probablement : restez, ici, je vais en Judée ; il dit : « allons en Judée. »

Il les rassure, mais veut absolument les amener afin de leur faire assister à la résurrection de Lazare. « Lazare est mort, et je me réjouis pour vous de n’avoir pas été là, pour que vous croyiez. Mais rendons-nous auprès de lui. » Alors Thomas, appelé Didyme, dit aux autres disciples : « Allons-y, nous aussi, et nous mourrons avec Lui ! »

Arrivant à Béthanie ils trouvent Marthe, Marie et cette foule de Juifs dont il est dit qu’ils étaient venus pour l’enterrement de Lazare. Notons une chose très impressionnante : le signe que l’heure est maintenant venue, ce sont les paroles mêmes de Jésus : Il va faire ce miracle de ressusciter Lazare pour que les apôtres et tous les juifs de bonne volonté croient, mais surtout pour qu’il soit, lui, Jésus, glorifié, qu’on voit sa gloire.

Nous arrivons vraiment à la fin du drame et saint Jean nous présente la résurrection de Lazare comme l’annonce du coup de force messianique, qui pour les autorités comme pour les Apôtres et pour tout le monde, est le but évident de toute la préparation du peuple par Jésus depuis trois ans. Cette résurrection manifeste la gloire de Dieu, elle annonce le triomphe messianique de Jésus et la résurrection des morts. Mais ce triomphe de la vie sur la mort reste encore incompris de tous. C’est une fois de plus Jésus, et Jésus seul, qui sait que le prix à payer pour cette vie éternelle donnée au monde, c’est une douloureuse et mortelle Passion.

Le récit de cette résurrection est très connu, le miracle est prodigieux, inouï, « beaucoup de juifs crurent en lui. » Je n’insiste pas, mais j’attire sur votre attention sur la décision des autorités juives dont on veut nous persuader aujourd’hui que ces gens étaient au-dessus de tout soupçon.

Ils s’affolent, comprennent maintenant que Jésus est là avec ses Galiléens, cela fait du monde, on en parle, la foule commence à bouger, l’heure est grave : « Que faisons-nous ? » (Sous-entendu, à perdre beaucoup de temps) « Cet homme accomplit beaucoup de signes. Si nous le laissons faire, tous croiront en Lui. » Il va entrer dans Jérusalem ; il y aura la révolution, messianique, nous serons renversés puisque ce sont des Galiléens et que nous avons pris parti contre lui. Bien sûr, ils avancent déjà une excuse, un alibi : « Les Romains viendront et détruiront notre Lieu saint et notre nation. » L’un d’entre eux, Caïphe, qui était le grand-prêtre de cette année-là leur dit : « Vous n’y entendez rien. Vous ne voyez pas qu’il vaut mieux : qu’un seul homme meure pour le peuple et que la nation ne périsse pas tout entière. »

On voit très bien Nicodème, cet ami caché de Jésus, considérer avec inquiétude le grand-prêtre qui tout feu tout flamme parle comme un inspiré ; l’évangéliste reconnaîtra que, de fait, il était inspiré. Caïphe, qui ne sait plus exactement ce qu’il dit, déclare que Jésus doit mourir, non seulement pour sauver le peuple, mais pour l’accomplissement des prophéties : « rassembler dans l’unité les enfants de Dieu dispersés. », c’est l’universalisme prophétique. Ce fou, sans se rendre compte qu’il prophétise, annonce que ces temps heureux vont s’accomplir par la mort même de leur ennemi. « À dater de ce jour, ils furent résolus à le tuer. »

Aussi Jésus ne se montrait-il plus en public parmi les Juifs ;  Il se retira, dans une région voisine du désert, dans une ville nommée Éphraïm et Il y demeura avec ses disciples ”, son parti de Galiléens. Il les tient bien en main et les prépare à la grande montée messianique vers Jérusalem, au jour des Rameaux dont nous parlerons dimanche prochain.

Abbé Georges de Nantes
Extraits des Conférences sur l’Évangile 1968-1969