La Vierge Marie en Dieu

COMMENT est-ce que Dieu a “ ordonnancé ” la vie de la Vierge Marie ? Quel est le lien puissant qui relie tous ces événements les uns aux autres ? (...). Pour la Vierge Marie, il a dû avoir un plan. Si nous avions ce plan à l’esprit, tous les mystères de sa vie s’ordonneraient, et nous les comprendrions comme sortant l’un de l’autre. Voilà ce que l’on appelle la théologie mariale.

FILLE DU PÈRE

Dieu a créé Marie avec un amour sans pareil, Il l’a faite sa Fille plus qu’aucune autre créature. Ah ! Voilà mon hypothèse : Marie n’est pas conçue comme un moyen pour tout le système de la Rédemption (...). Elle est Fille du Père. On ne peut pas imaginer cette plénitude de compréhension, de soumission, de docilité, d’amour de la Vierge Marie dans le sein du Père. Quand elle priait, elle était plongée dans un océan d’amour de Dieu. Dieu lui-même, la voyant ainsi qu’Il l’avait créée, était tellement enchaîné à Elle qu’Il lui donnait toutes ses richesses ; celles qu’Il pouvait donner à une créature, sauf de la faire Dieu elle-même parce que ce n’était pas possible, mais la faisant divine pour ainsi dire.

Toutes les perfections de la Vierge Marie s’expliquent par cette folie d’amour du Père qui donne tout à sa Fille. Cela s’appelle l’Immaculée Conception (...). Conception immaculée, pas de péché originel par conséquent, mais une suite de grâces et une charité de plus en plus accélérée, un renforcement de la foi, de l’espérance, et de toutes les vertus. Évidemment, c’est la virginité absolue qui en découle. Privilège appelle perfection : plus Dieu lui donnait, plus elle était capable de rendre. Une petite jeune fille qui est tout absorbée dans son Père qui est Dieu, la tête enfoncée dans son sein à dire : « Mon Père, Mon Père, je vous aime », etc., comment voulez-vous qu’elle s’arrache à ce Père béni pour aller chercher un homme quelconque et fonder un foyer quelconque ? Ce n’est pas possible ! D’où la virginité de Marie qui est dans la ligne même de son amour pour Dieu son Père. Nous sommes en plein dans la vie très parfaite de la Vierge Marie avant l’Annonciation ; sa virginité absolue, son Cœur Immaculé si bien révélé à Fatima, tout vient de son amour filial (...).

ÉPOUSE DU VERBE

Avant même l’Annonciation, la Vierge Marie méditait les Écritures saintes et, comme elle était la Fille de Dieu, elle la comprenait mieux que personne (...). Lorsqu’elle apprenait qu’une vierge concevrait et enfanterait un enfant, elle était merveilleusement saisie d’admiration de ce projet divin, elle le comprenait à fond. Elle ne pensait pas une minute que ce serait elle, parce qu’elle était trop humble. Elle lisait Isaïe 53, voyait que ce serviteur, ce Fils de Dieu souffrirait et qu’il faudrait qu’Il meure cruellement pour racheter tous les hommes. Son Cœur palpitait de douleur d’avance pour ce Dieu qui viendrait souffrir sur la terre, mais en même temps, elle offrait d’avance ces souffrances, elle vivait cela, elle acceptait, elle voulait ces souffrances du Fils de Dieu pour le salut de tous les hommes, etc (...).

La Vierge Marie, Fille de Dieu, a eu un tel rapport privilégié avec l’Écriture sainte qui est la parole de Dieu, Elle l’a tellement conçue dans son esprit, Elle a tellement désiré cette Parole de Dieu qui est le Verbe (la parole) de Dieu, qu’Il s’est uni à Elle d’une manière intime, et qu’ils ont ensemble fabriqué un corps à cette Parole. Lui, Jésus, le Verbe, s’est donné une chair dans le sein de la Vierge Marie et la Vierge Marie, Elle, son Épouse très aimante, lui a donné avec lui, a travaillé avec lui à lui donner une chair, et elle est devenue sa Mère.

Saint Bernard a une parole mystique d’une portée incomparable, que toute l’Église depuis a assumée. Saint Bernard dit : « Prius mente quam corpore concepto » : Elle a conçu le Verbe d’abord dans son esprit, avant même de le concevoir dans sa chair (...).

Ces rapports entre cette jeune fille et la Personne du Verbe qui existe de toute éternité et qui lui demande de lui prêter sa chair pour que de sa chair mûrisse ce fruit merveilleux qui sera sa propre humanité, l’humanité du Fils, s’expriment mieux comme des rapports d’épouse et d’époux (...). En même temps qu’Il est son Époux, il devient son enfant. C’est là qu’est le renversement inouï !

Mais n’oublions pas qu’Il est d’abord son Époux, sinon on bêtifie un peu (...). Par une merveille de l’économie divine, la Vierge Marie ne le considère pas comme son enfant, mais comme son Dieu, son Époux, un adulte qui existait avant elle, qui l’a choisie, qui l’a saisie dans son amour, qui se l’est unie en amour et qui a fabriqué son humanité avec Elle. Je ne sais pas si vous me comprenez, parce que c’est tellement merveilleux ! (...).

Cela spiritualise une maternité qui serait sans cela tout extérieure. Elle est la Mère de Jésus, c’est vrai, donc Elle le domine comme son enfant, c’est vrai. Mais Il est Dieu et, en tant que Dieu, Il lui échappe complètement, Il est au-dessus d’Elle, Elle le sait bien et Elle le veut ainsi (...).

Jésus et Elle sont en accord merveilleux, il y a une compréhension totale entre ce qu’Il veut faire et ce qu’Elle veut qu’Il fasse. Cela s’est déjà produit d’une manière mystérieuse dans l’Incarnation. Ensuite, pendant toute la vie de Nazareth, entre Elle et Jésus, il y a une compréhension d’Époux et d’épouse : prier de la même manière, travailler ensemble, etc.

Le jour où Jésus part pour sa prédication, le plus vite possible la Vierge Marie part à sa suite se met dans le groupe des gens qui l’écoutent. Lui prêche et Elle écoute, comme un époux parle et sa femme écoute, comme un époux commande et sa femme obéit.

Quand vient la Passion, évidemment il n’est pas question que Jésus souffre sa Passion tout seul, mais Elle est là associée à lui, pourquoi ? Parce que, depuis le commencement de son existence, depuis qu’elle lit l’Écriture sainte, elle désire cette Passion – je vous l’ai dit –, Elle frémit d’émotion en pensant aux souffrances de son Fils sur la Croix. Donc, quand l’événement arrive, il faut qu’Elle soit là, et Elle est là dans la compassion (...). Elle est Corédemptrice, Elle rachète le monde avec lui (...). Il faut la voir s’unissant au Souverain Prêtre pour offrir la Victime au Père. À ce moment où Elle offre la Victime au Père, Jésus lui dit : « Femme – parce qu’il n’y en a qu’une comme Elle –, voici votre fils », c’est-à-dire : « Je suis en train de sauver le genre humain et vous aussi vous le sauvez ; maintenant je vous le donne. » C’est l’Époux qui donne à l’épouse tous ses enfants, parce qu’ils les ont engendrés dans le même amour et dans le même acte extraordinairement douloureux de la Croix.

Quand Jésus va ressusciter, c’est la chair de sa chair. Une épouse est pour son époux comme sa propre chair, comme dit saint Paul. Quand sa chair va sortir du tombeau, vivante, il est évident que Marie va en recevoir sa part, d’où la nécessité qui pousse l’Église, à mesure que les siècles avancent, d’annoncer que la Vierge Marie est morte sur la Croix avec Jésus, spirituellement. Elle n’est donc pas morte ensuite, mais Elle s’est endormie simplement, puis Jésus a attiré au Ciel, cette chair de sa chair, le sang de son sang pour qu’ils ne fassent plus qu’un. Tel est l’événement et le mystère de l’Assomption.

D’où je préfère commencer par dire avec un appui traditionnel très suffisant, que la Vierge Marie est mystiquement l’Épouse du Verbe, Elle l’est même physiquement et que le mystère est qu’Elle soit épouse au point de donner à son Époux une chair pour, de Dieu, devenir homme (...).

TEMPLE DU SAINT-ESPRIT

De toute éternité le Père engendre son Fils unique : Première procession (...). Entre eux, comme disent les théologiens, les mystiques, il y a un baiser substantiel (...). Le Saint-Esprit jaillit, procède disent les théologiens, de cette unité du Père et du Fils, et sans qu’il soit possible d’en trouver une image dans la création, on peut dire qu’il est le rayonnement d’amour, de lumière, de force, de joie du Père et du Fils dans leur unité (...).

Dès que la Vierge Marie, fille du Père, a pris conscience de cette filiation, qu’Elle s’est retournée vers Dieu et qu’Elle lui a dit : « Mon Père », il s’est produit en la Vierge Marie une similitude parfaite avec le Fils, et le Saint-Esprit l’a envahi, Elle en devint le Temple ; en Elle s’est réalisé ce jaillissement, cet éblouissement, cette prise de possession de toute son âme par le Saint-Esprit (...). L’Esprit-Saint se “ fixe ” là où il se trouve identité entre Fils et Père, entre le fils adoptif, qui est la créature fidèle et le Fils du Père. Unité avec Jésus, unité avec Dieu : Saint-Esprit.

Que fait le Saint-Esprit dans cette âme ? Parce qu’Il est l’Amour, Il ramène au Père par le Fils, Il rend la créature semblable au Fils qui est l’image du Père, d’où le Saint-Esprit comble la Vierge Marie de ses vertus. Il opère en Elle toutes les vertus, tous les mérites (...). Dans la Vierge Marie, il y avait non seulement des flammes d’amour, mais il y avait tout un brasier :

– La pureté de la Vierge Marie dépend du Saint-Esprit, dont elle était le temple avant l’Incarnation.

– La foi de la Vierge Marie dans l’Incarnation, puis pendant la vie publique de Jésus, puis pendant sa mort en attendant la Résurrection, sont l’œuvre du Saint-Esprit.

– La maternité de la Vierge Marie depuis la Pentecôte, c’est-à-dire cette œuvre par laquelle la Vierge Marie aidait les Apôtres à fonder l’Église, leur donnant des conseils, leur inspirant par son exemple ce qu’il fallait faire, Elle le poursuit jusqu’à la fin du monde en intervenant dans l’Église. C’est l’œuvre en Elle du Saint-Esprit qui la rend apostolique. D’où les dernières perfections ou gloires de Marie que je vous énumère simplement – je vous en reparlerai plus tard –, qui sont en elle l’œuvre du Saint-Esprit, l’opération constante du Saint-Esprit, parce que le Saint-Esprit s’est trouvé dans la Vierge Marie comme l’instrument merveilleux :

– Elle est Médiatrice de toutes grâces.

– Au concile Vatican II, on l’a déclarée “ Mère de l’Église ”, pour complaire aux protestants qui ne voulaient pas qu’on la dise Médiatrice de toutes grâces (...). Mais Elle est l’image même de l’Église, sa personnification. Elle est l’exemplaire de ce que doit être l’Église. Par sa vie, elle participe comme essentiellement à la vie de l’Église.

L’ultime habitation en la Vierge Marie, de Dieu qui est son Père, Dieu qui est son Époux, c’est finalement d’être son Ami intime, l’Âme de son âme pour ainsi dire. Comme on dit que le Saint-Esprit est l’Âme de l’Église, le Saint-Esprit est là en la Vierge Marie comme un autre Elle-même, comme indivis d’Elle. Beaucoup de gens me disent : « Moi, quand je veux prier le Saint-Esprit, je ne sais pas comment faire. Dieu je l’imagine dans le Ciel, Jésus je vois bien la Sainte Face, mais le Saint-Esprit ? » Je réponds : « Vous n’avez qu’à regarder Marie (...). Elle est pour ainsi dire une “ Incarnation ” du Saint-Esprit. C’est le Temple du Saint-Esprit.

Conclusion

Je défends ma thèse, parce qu’elle est très simple !

1. a) Le Père, c’est la source. Quand nous voulons vraiment nous aimer nous-mêmes intelligemment et saintement, nous n’avons qu’à remonter jusqu’à notre source, c’est-à-dire nous regarder nous-mêmes, mais comme enfants de Dieu (...), et dire : « Notre Père ». La Vierge Marie le dit comme nous, mais excellemment, car elle est l’Immaculée Conception, fille du Père.

2. b) La Vierge Marie jaillie de cette source comme une eau vive, qui est selon la vision d’Ézéchiel ou de Zacharie : une eau toujours pure et féconde. Dans le parcours de ce fleuve de grâce qu’est la vie de la Vierge, elle rencontre un autre fleuve, comme la Saône se jette dans le Rhône : c’est le fleuve du Verbe, le fleuve de la Parole divine du Fils Unique. De ces deux fleuves, il n’en reste plus qu’un seul : la Vierge Marie et Jésus deviennent unis d’une manière tellement intime qu’Elle lui donne son humanité. Le cours du fleuve, c’est l’union mystique de la Vierge avec Jésus. Que notre vie soit un cours de fleuve semblable et que nous soyons à l’imitation de notre Seigneur, que nous nous prêtions à tous ses desseins, que nous lui vouions notre âme, notre esprit, notre chair pour faire ses desseins, il n’y a rien de plus beau !

3. c) Il y a le delta, l’embouchure où ce fleuve énorme se jette dans la mer. Qu’est-ce que ce delta dans la vie de la Vierge Marie ? C’est le moment où, sur la Croix, Jésus lui donne l’immense humanité comme sa famille : « Voilà tous tes enfants ! » À ce moment-là, ce grand fleuve de grâce jaillit du sein de Dieu, passe à travers la Vierge Marie comme l’aqueduc de saint Bernard et, à travers la Vierge et le Christ, il devient la mer féconde dont parle Ézéchiel, qui est fertile, féconde en poissons et qui produit toute une végétation sur ces bords : c’est toute l’Église, le salut de l’humanité qui se fait ainsi par la Vierge Marie. Tel est l’œuvre du Saint-Esprit en elle.

Il ne faut pas nous étonner : c’est ainsi que cette eau, qui a pris naissance dans les glaciers de la montagne divine et qui a traversé toutes les plaines de la vie du Christ, finalement se jette dans la mer, dans l’océan de notre histoire humaine et de nos batailles. Dans cet océan, il y a des tempêtes et avant d’entrer dans la gloire divine définitive du Ciel, la Vierge Marie termine sa vie dans la tempête de la lutte des deux cités.

C’est pourquoi il ne faut pas placer la Vierge Marie au pinacle, comme une belle statue inutile au sommet de la montagne. Elle est de toutes nos batailles, Elle participe à la lutte contre le démon. Toute une partie de sa vocation est d’écraser la tête du démon, quitte à être blessée par lui dans les persécutions. Donc, on ne peut pas être enfant de Marie sans être dans l’Église et aux premiers postes, aux postes difficiles et dangereux, ni sans lutter contre le démon pour servir le Christ par la force du Saint-Esprit (...).

Extrait de Théologie Mariale, troisième conférence (S 44)